Dr Swami Shankardevananda Saravasti
Vie ou mort

La mort est une nécessité biologique, mais qu’est-ce que la mort? Si un loup affamé tue et dévore un de ses congénères, celui-ci est absorbé par la communauté. Le loup est-il mort ou bien survit-il dans ses semblables? Lorsqu’un corps meurt et subit l’invasion des bactéries vivantes, peut-on le dire mort? Quand une bactérie se divise en deux cellules identiques à elle, est-elle vivante ou s’est-elle immortalisée en elles? Quand on transplante un cœur vivant, ou peut-être éventuellement un cerveau, une partie du donneur ne survit-elle pas dans le receveur ? Après une greffe du cerveau qui se réveillerait? Voilà les questions scientifiques, philosophiques, légales et morales qui se posent aujourd’hui pour définir la mort… et la vie.

(Revue Énergie Vitale. No 9. Janvier-Février 1982)

« La vie terrestre est un clin d’œil dans l’éternité »

(Sagesse orientale)

Le corps humain d’un adulte possède 60 milliards de cellules. Toutes les 24 heures, il en perd 500 000 millions, assez pour remplir une assiette à soupe ! Tout contact, souffle d’air, pensée, mouvement ou action prélève son dû. Soixante cheveux tombent quotidiennement: chacun est composé de 1 000 cellules disposées en rang serré autour d’un cœur central fibreux. Une rognure d’ongle comprend 10 000 cellules faites d’un tissu plat, coriace et dur. Chaque jour, la totalité du revêtement interne de la bouche est emportée dans l’estomac et digérée. La nourriture que nous ingurgitons arrache quelque 70 000 cellules à notre intestin. D’autres cellules sont détruites par l’action du mental sur le corps, entraînant les catastrophes chimiques provoquées par la haine, la colère, le souci…

Placées bout à bout, toutes ces cellules feraient un pont sur l’Océan Atlantique ! …

Pourtant, malgré ces pertes incroyables, nous ne dépérissons ni ne disparaissons… Car ces cellules se trouvent sans cesse remplacées. Le processus de vie et de mort existe donc en nous, se poursuivant inlassablement d’instant en instant. Notre corps est un ensemble de tissus organisés, une masse de cellules qui vivent, meurent, naissent et se développent. C’est une véritable merveille de la nature qui témoigne de la force de vie spirituelle qui nous anime, puisque, chaque jour, une partie de notre être meurt afin que le reste puisse vivre. Chaque cellule se sacrifie pour le bien-être de l’ensemble. Chaque cellule est un véritable Karma Yogi, travailleur infatigable, laborieux et désintéressé.

Tout l’organisme agit et réagit pour compenser la mort par la naissance. Alors, si la mort est présente au sein même de la vie, qu’est-ce que la mort?… Est-ce un phénomène absolu, unique ? Ou bien simplement le changement relatif d’un état d’être et d’agir, un événement naturel qui se produit à chaque minute ?

Entre vie et mort

Les biologistes faisant des recherches au niveau moléculaire grâce à des instruments très spécialisés (microscopes électroniques à grande puissance) s’aperçoivent qu’il n’existe aucune frontière absolue entre la vie et la mort. A travers l’étude des virus, par exemple, ils observent ce qui apparaît comme la plus petite créature vivante. Bien que le virus puisse se reproduire, il dépend complètement de son hôte pour recevoir les substances chimiques que sa taille minuscule ne peut contenir. A ce stade, il devient donc très difficile de dire si un virus est vivant ou mort, puisqu’il se situe quelque part entre les deux états.

La nature est faite de telle façon que la croissance d’une espèce doit se limiter par la force des choses : ou bien c’est la nourriture qui manque, ou bien ce sont les prédateurs qui interviennent pour limiter la population. Cela laisse de la place aux autres. La vie se nourrit de la vie. Et, à l’instar de certaines cellules de notre corps qui meurent pour que notre organisme puisse vivre et grandir au niveau microcosmique, nous, en tant qu’individus, devons disparaître pour que la terre puisse survivre. Nous faisons tous partie d’un immense système : les cellules dans les corps, les corps sur les planètes, les planètes dans les systèmes solaires, les galaxies, les univers et ainsi de suite. C’est à cette perception cosmique que le yogi aspire ; il veut transcender son petit soi pour atteindre à une perception cosmique de grande envergure.

La mort est une nécessité biologique, mais qu’est-ce que la mort? Si un loup affamé tue et dévore un de ses congénères, celui-ci est absorbé par la communauté. Le loup est-il mort ou bien survit-il dans ses semblables? Lorsqu’un corps meurt et subit l’invasion des bactéries vivantes, peut-on le dire mort? Quand une bactérie se divise en deux cellules identiques à elle, est-elle vivante ou s’est-elle immortalisée en elles? Quand on transplante un cœur vivant, ou peut-être éventuellement un cerveau, une partie du donneur ne survit-elle pas dans le receveur ? Après une greffe du cerveau qui se réveillerait? Voilà les questions scientifiques, philosophiques, légales et morales qui se posent aujourd’hui pour définir la mort… et la vie.

Jusqu’à présent, personne n’a réussi à définir la mort. Et pourtant c’est un sujet de la plus haute importance. Surtout si l’on se souvient de ce qui advint à l’italien Andréas Vesalius, « père de l’anatomie » au 16ème siècle… Il disséquait le cadavre d’un comte espagnol quand, soudain, le « cadavre » revint à la vie… Le comte se rétablit… Mais Vesalius fut condamné à mort par la cour de l’Inquisition…

Depuis les temps les plus reculés, nombre de procédés ont été mis au point pour détecter la mort d’un être. Cependant, il y a trop d’exceptions et il ne peut y avoir de certitude. Prenons l’exemple des yogis. Grâce à l’utilisation de techniques telles Khechari Mudra, un yogi peut ralentir son métabolisme, réduisant ainsi sa consommation d’oxygène et l’élimination du gaz carbonique jusqu’à des limites normalement considérées comme mortelles[1]. Certains yogis peuvent arrêter leur cœur. Des individus se sont rétablis alors qu’ils avaient été gelés, la température de leur corps étant descendue à 17° (température normale 37°).

Toutes ces exceptions ont conduit Swami Sivananda, de Rishikesh, à déclarer : « Il est très difficile de découvrir les signes véritables de la mort. L’arrêt des battements cardiaques, du pouls ou de la respiration ne sauraient constituer les vrais symptômes de la mort car il y a eu de nombreux cas où la personne est revenue à la vie au bout d’une heure. La putréfaction du corps est peut-être le signe ultime de la mort, avant que la décomposition ne s’installe. On peut penser qu’un homme est mort alors qu’il est peut-être en état de transe, catalepsie, extase ou samadhi… états qui peuvent aisément ressembler à la mort, les signes extérieurs étant tout à fait semblables ».

Qu’est-ce que la mort ?

Le département des Nations Unies des Statistiques Vitales définit la mort comme « l’arrêt permanent de toutes les fonctions vitales ». Le Laboratoire de Physiologie expérimentale de Résurrection de Moscou décrit la mort clinique comme « un état dans lequel tous les signes extérieurs de la vie (conscience, réflexes, respiration, activité cardiaque) sont absents, mais où l’organisme, dans sa totalité, n’est pas encore mort ; les activités métaboliques de ses tissus se poursuivent et, dans certaines conditions définies, il demeure encore possible de rétablir toutes ses fonctions ».

Grâce aux techniques modernes, on peut maintenir indéfiniment le corps en vie par la respiration artificielle, la transfusion sanguine et ainsi de suite. Quant au cerveau, il semble avoir la capacité, dans des conditions normales, de vivre plus longtemps que les autres tissus.

On considère que les trois principales causes de la mort sont dues à des défaillances des systèmes respiratoire, circulatoire, nerveux mais la cause ultime de la mort est d’habitude la destruction du cerveau par manque d’oxygène.

Les chercheurs ont classé la mort selon deux critères fondamentaux :

• Mort clinique : arrêt des fonctions vitales. Les organes continuent à fonctionner : les cheveux poussent, le foie produit du glucose, des cellules prélevées sur le corps peuvent se développer dans des liquides spéciaux, des organes peuvent être prélevés pour être transplantés. C’est un degré de mort où il est possible de disposer légalement d’un corps mais ce n’est pas un critère absolu. Il y a des gens qui ressuscitent.

• Mort absolue : les cellules dégénèrent et le processus de putréfaction — où les bactéries se développent — entre en jeu. La vie continue donc, sous une autre forme.

Le Professeur V.A. Négovski, de l’Académie Soviétique des Sciences Médicales, décrit quatre étapes dans le processus de mort[2] :

• Le traumatisme : la perte de sang, d’oxygène et d’aliments pousse le cerveau à mettre en jeu des mécanismes compensatoires en libérant, par exemple, davantage de glucose dans le sang.

• La pré-agonie : des modifications chimiques dans le cerveau augmentent l’activité du cortex, entraînant une consommation de glucose plus rapide que la production. L’E .E .G . montre que des ondes Béta rapides sont entrecoupées par des phases Alpha prolongées — processus similaire à celui des états de méditation —.

• L’agonie : la respiration cesse, les réflexes oculaires disparaissent, l’activité cérébrale diminue.

• La mort clinique : le cerveau cesse de fonctionner. Il peut revivre si l’approvisionnement sanguin est rétabli en moins de six minutes.

Ainsi, la définition de la mort est un concept qui varie en fonction de la capacité qu’a un groupe humain de remettre la vie d’un corps en route. En elle-même, la mort n’a aucune réalité logique, clinique ou biologique. Elle n’existe qu’en tant qu’affirmation ou mesure des modifications relatives survenant dans le corps.

Que se passe-t-il au niveau de la conscience ?

Selon Elisabeth Ross, il y a des étapes définies dans le processus de mort au cours desquelles se produisent différentes réactions[3] :

• Refus : l’individu essaie de réagir physiquement et mentalement à la situation, il se débat et refuse d’y croire.

• Colère et frustration : il se dit « pourquoi moi? » et peut essayer de marchander, de chercher un dernier moyen de s’en sortir.

• Peur et dépression : la pleine réalisation de la mort imminente s’imprime en lui. Ceci est valable seulement chez les adultes. Les réactions varient selon les cultures.

• Paix et contentement : se produisent finalement à deux conditions : qu’il y ait un temps suffisant et une relation d’aide. Nous réalisons alors que la mort n’est pas aussi terrible que nous le pensions. Certains trouvent un éveil spirituel et font l’expérience de la béatitude et de la transcendance. En cas de guérison, la peur de la mort les a pour toujours quittés.

La définition yogique

Pour le Yoga, la vie et la mort sont liées à la présence ou à l’absence du Prana, force de vie (ou énergie universelle) qui anime toute matière mais à des niveaux plus ou moins subtils. Plus nous possédons de Prana, plus nous avons de vitalité. Le Prana stimule le cerveau et lui donne la faculté d’activer les potentialités latentes, — comme l’électricité active les machines —.

Lorsque nous avons une grande réserve de Prana, nous pouvons remplir toutes les conditions d’une vie bien remplie : énergie, vigilance, perception, maîtrise, implications, relations humaines et capacité d’influencer notre milieu. Nous menons des vies animées et actives.

La mort, par contre, représente le retrait du Prana, la perte de la maîtrise et des relations humaines, l’incapacité à répondre aux stimuli. Cependant, cette affirmation n’est pas absolue. Si, par exemple, une partie du cerveau meurt et entraîne la perte de l’usage d’un bras, il y a retrait de Prana. Le bras est encore vivant, mais à un niveau énergétique très bas.

Quand le corps meurt, le Prana se retire peu à peu, et le processus du métabolisme cellulaire s’abaisse progressivement. L’enveloppe corporelle retourne à la terre, à un niveau énergétique inférieur, elle se décompose et se combine à la terre, aux vers et aux bactéries. La personnalité individuelle se dissout, mais l’énergie et la conscience retournent à leur source tout comme le corps est retourné à la sienne. Le Yoga dit que, en premier, l’élément terre se fond en eau, l’eau en feu, le feu en air, l’air en éther, l’éther en lumière de la conscience (la conscience remonte de chakra en chakra à partir de muladhara).

Selon les yogis, il n’y a ni naissance ni mort. La conscience individuelle est infinie, éternelle, immortelle. C’est ça l’homme. Mais il s’est perdu de vue dans la conscience du corps. On explique ceci par l’allégorie de l’homme qui observe les reflets du soleil dans divers récipients remplis d’eau ; il ne se rend pas compte que la source de la lumière est le soleil. Les récipients se brisent et l’eau se répand mais le soleil n’en continue pas moins de briller. C’est le soleil, ce soi, cet atman, cette étincelle de conscience qui donne la vie à la matière inanimée ; le corps meurt et la personnalité s’efface à nos yeux mais l’étincelle de la vie ne s’éteint pas. L’esprit est éternel.

Traduit de la Revue YOGA, Bihar School, article : Yoga et recherche scientifique et médicale.


[1] B.K. Anand, et al., “ Studies on Shri Ramanand Yogi during His Stay in an Airtight Box”, Ind. J. Med. Res. 49182, 1961.

[2] V.A. Négovski, Pathophysiology and Therapy of Agony and Clinical Death , Megdiz, Moscow, 1954.

[3] E. Kubler Ross, On death and Dying, MacMilan, New York, 1969.