Traduction libre
10 juillet 2023
Je suis rarement d’accord avec Noam Chomsky, mais il a fait une déclaration audacieuse dans une interview avec Russell Brand qui a attiré mon attention. Il a affirmé que nous vivons aujourd’hui dans une sorte de système totalitaire qui est pire que l’ancienne Union soviétique. M. Chomsky cite en exemple la couverture médiatique de la guerre en Ukraine. Pas un mot ne peut être dit qui s’écarte du récit dominant sinon la personne qui le prononce est calomniée et annulée. Mais le récit dominant de cette guerre se révèle gravement erroné, et ce sur une base régulière. (Croyons-nous encore que la Russie a fait exploser le gazoduc Nord Stream ? Peut-être plus maintenant. Mais on dira sûrement que la Russie a détruit le barrage de Kachovka).
Ce n’est peut-être pas une si mauvaise chose d’entendre des voix discordantes sur l’Ukraine. Non pas parce que je veux que les gens soutiennent Poutine. Mais parce qu’il y aurait peu de guerres si tout le monde faisait l’effort d’écouter périodiquement l’ennemi présumé. C’est exactement ce que la censure actuelle rend impossible. Par exemple, Chomsky a déclaré qu’il était plus facile d’écouter les chaînes occidentales en Union soviétique sous le communisme qu’il ne l’est d’écouter les chaînes russes aux États-Unis aujourd’hui.
Chomsky s’y connaît en matière de censure. Il a écrit une théorie très sophistiquée à ce sujet. La censure naît d’une multitude de mécanismes psychologiques, économiques et sociologiques. Il est important d’être capable de voir la complexité de la montée de la censure. C’est ainsi que l’on évite la croyance paranoïaque selon laquelle toute censure est le fruit d’une grande conspiration centralisée. C’est également ainsi que l’on évite l’inverse : le déni radical de la censure centralisée. Psychologiquement, les deux sont liés. Tant qu’il y aura des gens qui ne voient de conspiration nulle part, il y aura des gens qui voient de la conspiration partout.
La censure apparaît d’abord comme une autocensure. L’homme est une créature qui s’autocensure. Il veut être aimé, admiré et désiré ; il pèse ses mots parce qu’il tremble à l’idée d’être rejeté et abandonné. Cette seule peur lui scelle les lèvres.
Cependant, la « vraie » censure sévit également dans notre société. Au début de cette année, le directeur général du radiodiffuseur public flamand a imposé une consigne de silence : le personnel ne peut plus critiquer publiquement le radiodiffuseur, sous peine d’être licencié. Quelques mois plus tard, le premier ministre belge a imposé un bâillon similaire : les ministres qui critiquent publiquement le gouvernement seront contraints de démissionner.
Les institutions mondiales montrent l’exemple aux institutions nationales. En plus d’une armée de vérificateurs de faits (fact-checkers), les Nations Unies ont nommé plus de 100 000 premiers intervenants numériques. Leur mission : contrer rapidement les voix dissidentes sur les médias sociaux par des « informations précises et fiables ». Ils ne cachent pas non plus leur coopération avec les plateformes de médias sociaux. Lors de la crise du corona, Facebook a payé 35 000 personnes qui, avec l’aide de l’intelligence artificielle, ont censuré plus de 12 millions de messages diffusant de la « désinformation » sur le COVID-19 et les vaccins. Le gouvernement américain pratique également une censure active. Les fonctionnaires de l’administration Biden et les agences gouvernementales coopèrent avec les grandes entreprises technologiques pour censurer les messages sur les médias sociaux. Heureusement, un juge fédéral a récemment mis fin à cette coopération. Remarque : cela montre qu’il y a encore une limite aux tendances totalitaires dans notre société.
Parmi les personnes censurées figuraient des experts biomédicaux de renommée mondiale, tels que le Dr. Peter McCullough, le Dr. Robert Malone, le Dr. Jay Bhattacharya et le Dr. Aseem Malhotra. Comme le souligne un récent article d’opinion du Wall Street Journal, il devient de plus en plus évident que ces experts censurés avaient majoritairement raison dans leurs critiques du plan de réponse à la pandémie et que permettre à leurs voix d’être entendues aurait considérablement réduit la dévastation et la souffrance inutiles, ainsi que la perte de confiance de l’opinion publique dans les institutions publiques. Mais cela n’a pas empêché les Nations Unies et d’autres institutions mondiales de miser de plus belle sur la censure.
Les hommes politiques sont eux aussi pris dans l’engrenage. Aux Pays-Bas, des efforts sont en cours pour interdire le parti politique Forum pour la démocratie ; des vidéos du candidat à la présidence américaine Robert F. Kennedy Jr. sont retirées de YouTube parce qu’elles sont considérées comme des « fake news » ; et l’administration Biden veut que Trump se retrouve derrière les barreaux par tous les moyens nécessaires. Cette volonté d’emprisonner Trump est-elle uniquement due à des soupçons d’infractions pénales ? Si c’est le cas, pourquoi les Obama et les Clinton ne font-ils pas l’objet d’un examen aussi minutieux pour leur implication avec Jeffrey Epstein ? Et pourquoi n’y a-t-il jamais eu d’enquête lorsque George W. Bush a provoqué une guerre dévastatrice en affirmant que l’Irak disposait d’armes de destruction massive ?
C’est somme toute très simple. L’intolérance ne vise pas ceux qui enfreignent la loi. L’intolérance vise ceux qui contredisent l’idéologie dominante. Elle se développe dans tout le système — au niveau des institutions mondiales et nationales, mais aussi au niveau des individus.
Chomsky affirme sans ménagements qu’en Occident, nous vivons aujourd’hui dans un système totalitaire. Ce n’est pas rien. Herbert Marcuse a suggéré la même chose dans son livre de 1964, L’homme unidimensionnel. Selon lui, si l’Allemagne nazie est tombée, l’Europe reste essentiellement une société totalitaire. La CIA a ensuite créé un dossier de 500 pages sur lui. Écrire des livres dans lesquels vous mettez en garde contre le totalitarisme n’est pas toujours bien perçu. Croyez-moi, je le sais.
Le nouveau totalitarisme émergent n’est pas tant de nature fasciste ou communiste. Il est technocratique. Ce qui émerge, c’est un totalitarisme dirigé par des « experts » et appliqué à l’aide d’outils technologiques, comme le monde n’en a jamais vu — jusqu’à présent.
Au départ, il s’agit d’une sorte de totalitarisme « en gants de velours », qui tente de priver la population de sa liberté (mentale) au moyen de techniques d’influence plus ou moins non-violentes telles que l’incitation, l’embauche d’influenceurs et de journalistes pour implanter et promouvoir les narratifs désirés, la suppression des messages critiques sur les médias sociaux à l’aide d’algorithmes, etc. Penser que ces techniques sont inoffensives est psychologiquement naïf. Elles reviennent toujours à des formes de communication manipulatrice. Celui qui pervertit la parole pervertit les relations humaines ; celui qui pervertit les relations humaines pervertit l’existence. D’abord en paroles, ensuite en actes.
Je suis plus prudent que Chomsky et Marcuse. Je préviens que nous risquons de nous retrouver dans une société totalitaire, mais pas que nous y soyons déjà. Mais la nuance ne sert parfois à rien. Un professeur et collègue m’a récemment décrit comme « l’idéologue de l’extrémisme anti-gouvernemental » lors d’une journée d’étude sur l’extrémisme de droite. En temps normal, j’aurais éclaté de rire. Mais mon sourire s’est un peu effrité. Je ne peux pas exclure la possibilité que mon collègue y croie sincèrement.
Mattias Desmet est reconnu comme le meilleur expert mondial de la théorie de la formation des masses telle qu’elle s’applique à la pandémie de COVID-19 par exemple. Il est professeur de psychologie clinique au département de psychologie et des sciences de l’éducation de l’université de Gand (Belgique) et psychothérapeute psychanalytique. Auteur de nombreux livres dont le récent: The Psychology of Totalitarianism. On peut suivre ses écrits sur https://substack.com/@mattiasdesmet