Paul Chauchard
Zen et psychosomatique

La grande découverte de la psychophysiologie moderne, c’est que l’équilibre harmonieux du corps et de l’esprit dépend des centres révélateurs de la base du cerveau, centres de la vigilance et de la paix intérieure, de l’érotisme de vie dont nous avons fait les centres de la folie du corps, de la distraction énervée, de l’angoisse et de la mort. L’énervement est le contraire de la vigilance qui passe au contraire par les techniques de relaxation et de calme pour nous mettre dans l’optimum d’un état de conscience normal.

(Revue Question De. No 48. Juillet-Août 1982)

Le docteur Paul Chauchard (1912-2003), professeur en neurobiologie, a écrit la préface du livre de Maître Deshimaru et du Professeur Ikemi, paru au Japon : Zen et psychosomatique.

L’homme est par nature unité psychosomatique, mais c’est une vocation inscrite dans ses chromosomes et que l’éducation, la culture doit lui permettre de réaliser pour son équilibre, sa santé physique et mentale et le bien de toute la société. Or c’est précisément le déséquilibre psychosomatique que réalise la société occidentale industrielle de consommation, société de fatigue nerveuse, source des stress, des maladies de la civilisation, société anti-écologique de pollution, irrespectueuse de la nature et de l’homme au nom d’une fausse maîtrise ignorant la paix, la beauté, la joie.

C’est que l’Occident, suivant les fausses philosophies idéalistes de Platon, du nominalisme de G. d’Occam et de Descartes, a mis la supériorité de l’homme dans une âme coupée du corps, un spiritualisme désincarné qui conduit les uns à refuser la chair, le monde, la tâche humaine, les autres à un matérialisme activiste et jouisseur.

L’homme raté

Ambiguïté du mot double « psychosomatique » qui cache l’unité. En fait, comme le psychisme animal, le psychisme humain est somatique puisque cérébral. Mais le cérébral n’est pas un ordinateur intellectuel et le verbalisme n’est pas une machine à penser hors du réel dans le refoulement de l’affectivité. Le cerveau bien utilisé est une machine à sentir, à agir consciemment, à bien imaginer, à désirer sagement. Le cerveau humain n’est pas que le cerveau gauche du langage, c’est aussi le cerveau droit muet, qui met au niveau humain une pensée de type animal. Notre moi n’est pas un faux ego imaginaire, orgueilleux ou apeuré, il est la réalité de l’image cérébrale de notre corps.

La grande découverte de la psychophysiologie moderne, c’est que l’équilibre harmonieux du corps et de l’esprit dépend des centres révélateurs de la base du cerveau, centres de la vigilance et de la paix intérieure, de l’érotisme de vie dont nous avons fait les centres de la folie du corps, de la distraction énervée, de l’angoisse et de la mort. L’énervement est le contraire de la vigilance qui passe au contraire par les techniques de relaxation et de calme pour nous mettre dans l’optimum d’un état de conscience normal.

Ayant consacré ma vie à l’étude des mécaniques cérébraux de la conscience à la suite de mon Maître L. Lapicque et des travaux de Pavlov, et dans une réflexion philosophique sur la spiritualité cérébrale centrée sur Aristote et la pensée biblique, je suis devenu le promoteur d’une neuropédagogie du contrôle cérébral de soi où les petites voies des actes quotidiens du Dr. Vittoz, rejoint aussi bien les justes intuitions de l’hésychasme et de la philocalie de Byzance, cet Orient de l’Occident, que l’art de vivre oriental du Zen. Ce fut une joie pour moi que cette convergence de pensée amicale avec Maître Deshimaru qui se fonde sur les belles recherches japonaises sur la psychophysiologie du Zen, notamment des Professeurs Akishige et Ikemi que j’ai eu la joie de rencontrer au Japon.

Dans la perspective de l’évolution biologique, l’homme en tant qu’homme avec toute sa supériorité dite spirituelle, est un animal perfectionné. En fait, il semble aujourd’hui plutôt un animal raté, et c’est la conception développée notamment par A. Koestler (Janus), l’homme malade mental, dissocié entre son ordinateur néocortical et son cerveau primitif, instinctif, héritage de l’animalité où l’on distingue deux niveaux.

L’homme n’est pas que raté, il est mal élevé par le fait précisément qu’une mauvaise éducation lui donne un ordinateur intellectualiste et idéologique, un verbalisme coupé du réel, de la matière, de la chair et du monde, alors que le cerveau humain à base d’images sensorielles, est fait pour mieux assumer le cerveau de type animal. Le cerveau de la volonté psychosomatique, contrôle cérébral de soi, ce sont précisément les complexes circuits préfrontaux apanage d’Homo sapiens responsables de la sagesse des désirs à l’opposé des défoulements et des refoulements, organe de la sublimation, c’est-à-dire, de l’humanisation de l’Éros, notre énergie vitale individuelle et sociale, notre art d’aimer correctement, en fonction des lois d’équilibration de notre cerveau.