Swami Hridayananda Sarasvati
Raja Yoga 1

Si vous êtes triste, vous produisez un certain type de vritti. Si vous êtes dans un état de conflit, d’agitation, c’est un autre type de vritti, si vous éprouvez de l’amour pour quelqu’un, c’en est encore un autre. Donc à chaque instant ces vritti agitent notre esprit et cela vous empêche de prendre conscience de ce qui est au-delà. Si on permet — notez bien que je dis « permet » je n’ai pas dit qu’on fasse cesser, il y a une différence entre les deux. En effet votre volonté peut faire un effort pour que ces fluctuations s’arrêtent. Mais cet effort devient alors une autre fluctuation mentale. Mais vous pouvez arriver à ce que ces vritti se calment, d’eux-mêmes et c’est ce que nous appelons « yoga ». C’est pour quoi l’aphorisme dit que « le yoga, c’est la cessation des fluctuations mentales ». Quand les fluctuations mentales se calment d’elles-mêmes, vous pouvez dire que vous êtes en yoga. Tout effort que vous faites, devient vritti. Toutefois, au début vous pouvez vous efforcer à ce que les différentes vritti n’en forment qu’une. Ce n’est pas facile de tenir le silence mental.

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(Revue Panharmonie. No 184. Novembre 1980)

Compte rendu de la rencontre du 13.12.1979

Le Raya Yoga est censé être le roi des yogas. Il est donné sous la forme d’aphorismes, de Sutras, c’est-à-dire de courts versets dont la signification est très condensée, car, dans les temps anciens il n’y avait pas de livres et le maître transmettait sa connaissance à ses élèves à l’aide de ces aphorismes très courts, qu’ils devaient apprendre par cœur.

Le sens littéral de « Sutra » en sanscrit est « fil », le fil sur lequel sont enfilées les perles du mala, du chapelet. Il y a donc une continuation d’un aphorisme à l’autre. Ce sont ceux de Patanjali qui nous apprennent ce qu’est le Yoga. Il n’est pas question pour moi en six séances de fouiller tout ce que contiennent les Sutras, je me bornerai à traiter les points importants pour la vie quotidienne.

1° Le premier Sutra est « Maintenant… exposition du Yoga »

Que veut dire Patanjali par « maintenant », car tout mot est important pour lui : il veut dire que le sujet du Yoga ne ressemble pas à autre chose, il est au-delà de ce que peut saisir le Yoga, car ce qui est expliqué là, ne peut pas être compris réellement par l’intellect. Pour le comprendre il est nécessaire d’en avoir une compréhension directe, car en fait l’intellect lui-même tire son pouvoir de quelque chose qui est au-delà de cet intellect. Il lui est donc impossible d’expliquer la source dont dérive son pouvoir. Il faut, pour comprendre ce sujet, avoir une attitude d’esprit particulière. En plus, cela étant écrit en sanscrit, essayons de l’exprimer en français.

Afin que vous ne preniez pas tout au sens littéral, mais que vous tâchiez de deviner ce que je veux dire, il faut qu’une communion s’établisse entre vous et moi.

« Maintenant », implique que l’élève soit préparé à recevoir ce qui lui est donné avec un mental dépourvu de tout préjugé et de tout à fait ouvert. Vous avez déjà appris tant de choses, vous avez eu l’enseignement de votre propre religion. N’essayez pas de comprendre suivant vos connaissances intellectuelles ou de raisonner, certaines choses vous paraîtront très étranges et pendant que je parlerai vous vous direz : « On m’a appris quelque chose de tout à fait différent ! » Vous allez être assaillis par des doutes qui vous empêcheront de comprendre ce que je vais vous dire. Ayez donc l’esprit entièrement ouvert, ne pensez pas à tout ce qu’on vous a enseigné auparavant et essayez de vous laisser absorber par mes paroles, de comprendre et, ensuite, vous pourrez poser toutes les questions que vous voudrez. Mais n’interférez pas avec vos propres pensées.

Le verset suivant dit que le Yoga est « la fin de toutes les fluctuations mentales ». C’est essentiel, cela contient tout ce que contient le livre de Patanjali.

Mais auparavant il s’agit de connaître le sens des mots Citta et Vritti. Vous avez tous entendu l’expression : SAT – CHIT – ANANDA, existence, connaissance, félicité. Toute la connaissance que nous possédons ne provient pas du mental conditionné, car nous avons une intelligence inconditionnée, une intelligence cosmique. En fait, bien que nous disions : « mon esprit, ton esprit… » il n’y a pas de division. Ces divisions ont été produites artificiellement et superficiellement.

Je vais vous en donner un exemple : imaginez l’eau d’un étang. Où que vous posiez votre regard l’eau est absolument la même. Il n’y a qu’une seule eau. Supposez maintenant que plusieurs personnes agitent cette eau et provoquent plusieurs tourbillons à l’aide d’un bâton. A l’origine il n’y avait qu’une seule eau, maintenant vous pouvez compter plusieurs tourbillons, si bien que l’eau semble divisée, disons en quinze tourbillons plus ou moins profonds, plus ou moins larges. Et bien qu’apparemment ils semblent différents les uns des autres, en réalité ils sont semblables et faits de la même eau. Donc l’eau, sous l’influence de l’agitation semblait divisée en plusieurs tourbillons.

De même il n’y a qu’une seule et unique intelligence cosmique et chacun d’entre nous agite cette intelligence cosmique avec nos désirs, nos aspirations, nos sentiments, émotions, etc. Cette même intelligence cosmique semble elle aussi divisée en parties individuelles, mais c’est la même. Chaque esprit est en continuité avec les autres et c’est cette continuité qui permet la télépathie. Il y a un esprit unique qui semble divisé en esprits individuels et quelque chose que nous appelons « la trame de l’esprit ou du tissu mental » tire sa conscience de l’Absolu lui-même. Le tissu mental est constitué par cinq éléments, comme absolument tout est constitué par eux : terre, air, eau, feu et éther. Tout est fait à partir de ces cinq éléments, même le tissu mental.

Il y a encore un autre facteur commun à toutes choses, ce sont les trois énergies ou Gunas, la première subtile, la deuxième plus grossière et la troisième encore plus grossière. On les nomme: Sattva, Rajas et Tamas. Sattva est la partie la plus subtile, en fait ce sont des vibrations très subtiles qui deviennent plus grossières en Rajas et davantage encore en Tamas.

Donc le mental est constitué par la partie subtile des cinq éléments, c’est-à-dire par le sattva de ces éléments. C’est pourquoi le mental a la faculté de penser et c’est pour cela qu’il y a l’intelligence.

Au-delà de tout cela il y a la Conscience absolue. Et parce que ses vibrations sont très subtiles, sattva est capable de refléter les qualités de la Conscience absolue, beaucoup mieux que rajas et tamas. C’est à cause de cela que l’être humain a à sa disposition le pouvoir de discrimination.

De cette matrice, CIT, provient le mot citta, qu’en sanscrit nous appelons d’un mot spécial : l’Organe sensoriel intérieur. Etant comme les autres sens composé par les cinq éléments et les trois énergies, nous le considérons comme un organe sensoriel que nous appelons « ANTAHKARANA » ou organe des sens internes. Si je vous dis cela, c’est parce que je sais qu’en français vous utilisez le mot « esprit ». En anglais il y a une différentiation entre « mind » et « spirit » que nous traduisons aussi en français par « esprit ». « Spirit » est quelque chose au-delà du mental, c’est la Conscience ultime, et « mind », c’est le mental plus grossier.

Cette matrice est donc traversée par différentes fluctuations mentales auxquelles on a donné quatre noms, quatre aspects : MANAS – BUDDHI – AHAMKARA – CITTA. Manas est la partie qui reçoit toutes les impressions de l’extérieur et qui a également le pouvoir de penser, de douter. Buddhi, c’est le pouvoir de discrimination qui est plus subtil que manas. C’est buddhi qui décide de ce qui est réel ou irréel, ce qui est soumis au changement ou immuable, si c’est bon ou mauvais, etc. Et puis, plus subtil que les deux précédents, et très intimement lié à eux, ahamkara, le sens de l’ego. C’est l’ego qui décide si telle chose est bonne pour vous ou pas, si vous devez fuir quelque chose ou l’accepter. Et lorsque tout cet ensemble fonctionne, les sensations que vous éprouvez forment des empreintes dans citta.

Afin que vous compreniez bien ce que je viens de vous dire, je vais vous le répéter :

En anglais on dit « mind » pour esprit conscient et « spirit » pour conscience claire. L’anglais discerne la conscience claire, puis le subconscient, puis plusieurs niveaux d’inconscient. Selon la philosophie indienne, « mind » est antahkarana, l’organe des sens internes. En Occident le mental ne fait pas partie des sens, tandis que pour nous il est un organe des sens subtil. Nous le considérons ainsi parce qu’il est dérivé des mêmes sources que les autres organes des sens, c’est-à-dire des cinq éléments.

Cet antahkarana ou organe des sens intérieur ou encore « mind », a quatre aspects : l’aspect le plus grossier est appelé manas, le deuxième aspect est appelé buddhi, le troisième ahamkara et le quatrième citta. Manas reçoit les informations de l’extérieur, crée les sentiments de doute, la possibilité de penser et buddhi, c’est la discrimination qui décide si telle chose est bonne ou mauvaise, réelle ou irréelle, soumise au changement ou immuable. Quand je parle de réel ou irréel, qu’est-ce que je veux dire ? Le « réel », c’est ce qui existe de toute éternité, qui ne change jamais, qui ne périt jamais. Cela n’a rien à voir avec l’acceptation commune du terme. Tout ce qui a un commencement et une fin, tout ce qui peut périr à un moment donné ou qui est soumis au changement et appelé « irréel ».

Ainsi le manas apporte l’information, buddhi la discrimination et l’égoïté décide ce qui est bon pour moi ou non. Et les sensations dues aux informations, forment une empreinte dans le subconscient. Le subconscient et l’inconscient forment ensemble ce que nous appelons citta. Il y a d’abord une empreinte formée au niveau du subconscient. Puis de nouvelles empreintes se forment de plus en plus et les anciennes sont refoulées dans l’inconscient. Je vais essayer d’illustrer cela par un exemple : imaginez que vous faites une promenade au crépuscule. Et, tandis que vous marchez, vous discernez un homme qui s’approche de vous. Le manas vous transmet l’impression générale de cette personne. Le manas est une sorte d’énergie subtile qui s’échappe à travers l’organe des sens, soit ici de la vision, et qui enveloppe ce qu’il voit. Quand je vous regarde, je vous enveloppe avec mon manas et ce manas prend en quelque sorte votre forme comme un moule. Cette information est transportée à travers mon système nerveux jusqu’à mon cerveau et celui-ci me dit : « Il y a devant moi un objet qui a la forme d’un homme ». Voilà la tâche du manas. Immédiatement le buddhi, au pouvoir de discrimination, se met en œuvre et dit : « Cet homme a la démarche de quelqu’un, de tel ami, sa taille, sa corpulence, tout cela est exactement comme mon ami. » Donc immédiatement l’image de cette personne s’impose à votre esprit. L’aspect suivant, c’est l’ego qui rejoint le buddhi, et dit : « C’est mon ami, il faut que j’aille à sa rencontre. Ce sont buddhi et ahamkara ensemble qui décident que c’est mon ami qui vient. Je me précipite alors vers lui et je l’embrasse. Une sensation agréable se forme qui forge une empreinte dans le subconscient. Quand il y a des milliers d’impressions qui se forment au niveau du subconscient, au bout d’un certain temps, les plus anciennes sont refoulées dans l’inconscient.

C’est ainsi que l’esprit fonctionne en général. A chaque instant les différents organes des sens provoquent des empreintes. Vous entendez par exemple un son venant de quelqu’un. Le manas transmet ce son intérieurement. Or ce son provenant de telle ou telle personne, vous vous forgez une image mentale de cette personne. Le manas va envelopper cette image. Mentalement vous avez l’impression d’être près de cette personne que vous vous « imaginez », il en résulte une impression agréable. Même un son tout seul peut vous apporter du plaisir parce que c’est quelque chose que vous aimez. Donc le son produit une empreinte. Cela peut aussi être le contraire et le son peut provenir de votre ennemi. Manas l’enveloppe et buddhi et l’ego disent : « Evite cet homme ! » et vous vous dissimulez à lui. C’est donc une empreinte désagréable qui se formera elle aussi dans votre subconscient. Il en est ainsi pour tous nos organes des sens.

Ces empreintes qui se forment continuellement sont appelées des « modifications mentales ». En général ces quatre aspects, manas, buddhi, ahamkara et citta amènent ces modifications. L’information produit une fluctuation dans le tissu mental et alors buddhi et ahamkara, décidant de ce qui est agréable ou désagréable, produisent également des fluctuations. Sans cesse l’esprit est parcouru de fluctuations. Chaque impression sensorielle crée des fluctuations mentales.

Ainsi vous êtes en ce moment en train de vous dire « Je ne peux pas suivre », c’est une fluctuation. Ou encore : « Ce qu’elle raconte est tout à fait différent de tout ce qu’on m’a dit jusqu’à présent », cela produit une autre fluctuation. Là vous êtes assis sagement sans parler, vous pouvez vous rendre compte de ce qui se fait quand vous déambulez à l’extérieur ! C’est cela qu’on appelle vritti. Il ne s’agit pas d’un seul tourbillon, mais de différents ensembles.

A cause de toutes ces fluctuations mentales nous ne pouvons pas percevoir la merveilleuse Conscience cosmique qui est au-delà, bien que cet état de conscience merveilleux soit en chacun de nous, infini et omniprésent. La Conscience divine qui est perfection et félicité est partout et en chacun de nous. Elle est notre nature essentielle, le « Royaume des Cieux qui est en nous », mais nous ne pouvons pas la saisir à cause des tourbillons qui agitent notre mental.

Imaginez par exemple, une montre électronique tombée au fond d’une piscine. L’eau est absolument calme. Vous allez vous pencher et dire : « Il y a une magnifique montre au fond de l’eau » et comme c’est une grosse montre, vous pouvez même voir l’heure. Mais voilà qu’une demi-douzaine de personnes se sont mises à nager dans la piscine et vous ne pouvez plus voir la montre qui, pourtant, est toujours là. Ce sont les vagues créées par tous ces nageurs qui vous en empêchent. Plus il y a de vagues, moins nous pouvons la voir. Maintenant imaginez qu’il n’y ait que deux personnes qui nagent doucement. Là, la vue de la montre ne vous est pas complètement cachée. Vous pouvez deviner la présence de quelque chose au fond de l’eau. A présent, imaginez qu’il n’y ait qu’une personne qui fasse la planche et alors, comme les vagues sont très légères, vous pouvez non seulement voir l’objet au fond de la piscine, mais même l’identifier et si personne ne nage du tout, l’eau est si calme que vous pouvez même distinguer l’heure.

Si nous avions conscience de la Conscience divine nous serions dans un bonheur ineffable. Malheureusement cela n’en est pas le cas. Si vous êtes triste, vous produisez un certain type de vritti. Si vous êtes dans un état de conflit, d’agitation, c’est un autre type de vritti, si vous éprouvez de l’amour pour quelqu’un, c’en est encore un autre. Donc à chaque instant ces vritti agitent notre esprit et cela vous empêche de prendre conscience de ce qui est au-delà. Si on permet — notez bien que je dis « permet »  je n’ai pas dit qu’on fasse cesser, il y a une différence entre les deux. En effet votre volonté peut faire un effort pour que ces fluctuations s’arrêtent. Mais cet effort devient alors une autre fluctuation mentale. Mais vous pouvez arriver à ce que ces vritti se calment, d’eux-mêmes et c’est ce que nous appelons « yoga ». C’est pour quoi l’aphorisme dit que « le yoga, c’est la cessation des fluctuations mentales ». Quand les fluctuations mentales se calment d’elles-mêmes, vous pouvez dire que vous êtes en yoga. Tout effort que vous faites, devient vritti. Toutefois, au début vous pouvez vous efforcer à ce que les différentes vritti n’en forment qu’une. Ce n’est pas facile de tenir le silence mental.

Chez nous c’est à cela que servent les mantras. Nous créons une seule vritti, celle du mantra et finalement, au bout d’un certain temps, cette vritti, elle-même, s’éteint. Et alors nous arrivons à l’état de silence mental total qui est le yoga. Ce silence n’est pas seulement celui de la pensée, car vous pouvez pendant quelques secondes rester assis sans penser, et vous n’êtes pas pour autant en yoga ! Pendant le sommeil non plus vous ne pensez pas et vous n’êtes tout de même pas en yoga. Car il reste le subconscient et l’inconscient et bien que nous appelions cela des empreintes, ce ne sont pas des empreintes statiques. Ce sont des vibrations subtiles qui donnent l’impression du silence. Nous les appelons empreintes, mais en fait ce sont des vibrations. On ne peut donc dire qu’on est en yoga que quand toutes ces vibrations très subtiles au niveau du conscient et du subconscient ont disparu. Jusque-là ce n’est pas vraiment du yoga. On progresse sur la voie, mais on ne l’a pas encore atteint.

Dans l’état de sommeil profond, c’est-à-dire sans rêve, l’esprit conscient, subconscient et inconscient ne fonctionne pas, il est en quelque sorte mis en silence provisoirement, mais il existe toujours. Simplement, nous n’en avons pas conscience. Lorsque toutes ces vibrations s’épuisent d’elles-mêmes, alors seulement nous pouvons parler de yoga.

Pour vous rendre la chose claire, imaginez un ressort symbolisant l’état de veille. Les spirales du ressort que nous comparons à l’esprit sont alors complètement détendues. Pendant le sommeil le ressort est comprimé. Il est toujours là dans sa totalité, mais le ressort comprimé forme obstacle, nous empêchant de percevoir ce qui est de l’autre côté du ressort. Lorsque nous nous réveillons le ressort se détend. Lorsqu’on pratique le yoga tous les jours, c’est comme si, grâce à la méditation une petite partie du ressort spirale se déroulait. Et si vous continuez à méditer jour après jour, il arrive un moment où le ressort s’est dissous et alors vous êtes en yoga. Voilà la différence entre l’état de sommeil profond et le yoga.

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