David Guerdon
Les prodiges de saint Charbel Makhlouf

On peut raisonnablement supposer qu’une vie spirituelle intense — qui s’accompagne, entre autres, d’une ascèse rigoureuse et d’un jeûne presque absolu en matières azotées, pâtures des agents corrupteurs des cadavres, — est susceptible de provoquer une métamorphose des processus physicochimiques accompagnant la mort. On constate chez certains ascètes un ralentissement surprenant des métabolismes. Quoi d’étonnant à ce que cette vie spirituelle exceptionnelle, capable d’exalter les facultés de l’âme au point de provoquer tous les grands phénomènes qu’étudie la parapsychologie (visions, bilocations, lévitations, etc…) imprime sa marque victorieuse sur la matière du corps lui-même par une transformation biochimique qui se manifeste au-delà du dernier souffle.

(Revue Psi International. No 4. Mars-Avril 1978)

Canonisé le 9 octobre 1977 à Rome, saint Charbel Makhlouf doit sa renommée aux prodiges et miracles qui entourent sa dépouille mortelle. Nul sans doute n’aurait pensé à faire un saint de ce pieux ermite libanais qui, par humilité, s’était soigneusement effacé du monde, si, après sa mort, la Providence n’avait obstinément attiré l’attention publique et la ferveur populaire sur sa tombe. De quelque façon qu’on explique les phénomènes que nous allons décrire, ils sont parmi les plus étranges et les plus fascinants des miracles de nature religieuse. Ces événements se déroulent à l’époque actuelle, à Annaya, au Liban.

La neige recouvrait le petit monastère Saint-Maroun d’Annaya perché au milieu des montagnes libanaises lorsqu’en ce jour de Noël 1898 on enterra le Père ermite Charbel Makhlouf. On l’enterra aussi simplement qu’il avait vécu, dans le dépouillement et la pauvreté monastiques. Les moines portèrent son corps sur un brancard jusqu’au caveau du couvent, près du chevet de l’église. Ils le descendirent, enveloppé dans son habit au fond de cette fosse obscure et humide. Ils l’étendirent sur une marche, à même un tissu en poils de chèvre, puis ils scellèrent de nouveau soigneusement le caveau et le recouvrirent de terre. Tout était fini et la communauté maronite d’Annaya retourna à son labeur et à ses prières. Le Supérieur du couvent inscrivit sur son registre le nom de Charbel qu’il fit suivre de cette remarque mystérieuse : « Ce qu’il accomplira après sa mort me dispense d’écrire sa vie ». Quand inscrivit-il ces lignes prophétiques ? Eut-il le temps d’assister au premier prodige avant de les rédiger ?

En effet, le soir même des obsèques, une grande lueur s’éleva du cimetière des moines. Cette lueur vivait, racontèrent les témoins, chrétiens et musulmans habitant le village voisin, descendait et montait jusqu’à éclairer le campanile de l’église. Le préfet de la région, un musulman chiite, le cheikh Mahmoud Hémadé, battait la montagne avec ses hommes à la recherche de criminels. Il aperçut la lueur de très loin et crut que c’étaient ces bandits qui faisaient un feu de camp. Aussi vinrent-ils frapper à la porte du couvent. Le Supérieur et les moines durent convenir, avec la gêne de ceux qui préfèrent la tranquillité aux tumultes du monde, qu’un événement « anormal » se déroulait entre les murs de leur paisible retraite.

La lueur continua à apparaître pendant tout l’hiver, attirant une foule considérable de curieux qui voyaient déjà en elle un signe du ciel : l’homme enterré à cet endroit, dont on estimait depuis toujours les vertus d’anachorète, le Père Charbel Makhlouf était un saint !

L’étrange survie d’un corps

Alertées par la persistance du phénomène lumineux, les autorités religieuses décident enfin de rouvrir la tombe. Après avoir obtenu l’autorisation du patriarche maronite, le Père prieur d’Annaya entouré de ses moines et des témoins de l’enterrement procède à l’exhumation, le 15 avril 1899. Les jours précédents, la fonte des neiges a raviné le cimetière ; le caveau est devenu un véritable bourbier, engloutissant tous les ossements. Seul le corps du Père Charbel émerge à peine des eaux, mais il est recouvert d’une épaisse couche de moisissures. En le saisissant, les moines constatent avec stupéfaction qu’il a conservé toute sa souplesse. Ils le transportent dans un oratoire, le nettoient, découvrent que son visage, ses mains posées sur le crucifix sont intacts. La chair est tendre et dotée de la flexibilité de la vie. Phénomène plus curieux encore, une sueur rosâtre suinte des pores de la peau. Le corps de l’ermite est soigneusement examiné. On enlève ses vêtements corrompus. Sur ses hanches se voient encore les traces de la chaîne dont le saint homme se ceignait par mortification. D’une plaie au côté droit coule un sang frais, bien rouge, mêlé d’eau. Après l’avoir changé de linge, on dépose le corps dans un cercueil au couvercle de verre.

Le lendemain, nouveau constat : le corps que l’on avait séché se trouve de nouveau recouvert du même liquide rouge qui humecte ses vêtements. Les moines se verront désormais contraints de changer les habits de leur saint ermite deux fois par semaine ; et ceci pendant des années. Le corps, qui demeure toujours étonnamment souple et frais, exsude de tous ses pores cette eau et ce sang comme une intarissable source de vie.

Il faut croire que certains trouvaient incommode la présence parmi eux de ce cadavre vivant, car, une année plus tard, on décide d’éviscérer le corps pour l’empêcher de saigner. Le procédé n’ayant donné aucun résultat, les moines le montent sur la terrasse du couvent afin de le faire sécher au soleil et au vent du nord. L’expérience se poursuit pendant plusieurs mois. Sans plus de succès. Les moines doivent se résigner à accepter enfin l’existence encombrante de ce corps prodigieux qui dérange leurs chères habitudes. Les années passent et la renommée du père ermite grandit sans cesse.

En 1921, Charbel Makhlouf est mort depuis vingt-trois ans. Les pèlerins affluant à Annaya y vénèrent le corps toujours intact dans son cercueil de verre. Le 16 novembre, le docteur Elias Elonaissi, de Lehfed (Liban), dépose le rapport d’expertise suivant : « M’approchant de la bière qui le renferme, j’ai senti une odeur pareille à celle qui émane naturellement des corps vivants : fait difficile à expliquer. Ayant observé attentivement ce cadavre, j’ai remarqué que les pores de la peau livrent passage à une matière paraissant de la sueur, chose étrange et inexplicable selon les lois de la nature pour ce corps inanimé depuis tant d’années. J’ai maintes fois eu l’occasion de renouveler le même examen à des époques différentes et de constater le même phénomène ».

La renommée populaire du Père Charbel s’étendant sans cesse grâce aux récits de ses miracles, sa béatification est demandée à Rome dès 1925. Mais chacun sait la lenteur de la procédure. En attendant, les moines ont beaucoup de peine à endiguer le flot enthousiaste des pèlerins autour du cercueil prodigieux. Leur avidité de reliques menace même l’intégrité du corps. C’est pour le protéger qu’en 1927, les autorités ecclésiastiques décident de le déposer à l’abri d’une excavation creusée dans l’épaisseur des soubassements de l’église. Le 24 juillet de cette même année, le Père Charbel est placé dans un double cercueil de zinc et de cèdre que l’on pose sur deux pierres d’un niveau inégal afin que, grâce à son inclinaison, le liquide exsudé s’écoule vers les pieds. On a enfermé dans le cercueil un cylindre métallique contenant le rapport médical rédigé par le professeur Armand Jouffroy de la Faculté française de Médecine de Beyrouth et le docteur Balthazar Malkonien. Tous deux certifient l’état de conservation du corps.

On mure ensuite le nouveau caveau à l’aide de pierres épaisses jointoyées au ciment. Les maçons se sont portés garant de l’étanchéité du mur : la pierre n’est pas poreuse. Le caveau restera clos pendant vingt-trois années de paix relative pour Annaya.

SAINT CHARBEL MAKHLOUF

 

Youssef Makhlouf naît le 8 mai 1828 à Bkaakafra, village le plus élevé du Liban, à 1800 mètres d’altitude, au pied des cèdres qui donnent sa physionomie particulière à ce beau pays. Le village domine «  la Vallée des Saints », ainsi appelée à cause du grand nombre d’ermites qui y vivaient. Fils d’une modeste famille de paysans — ils étaient cinq enfants —, Makhlouf hérite de sa mère une piété profonde. Menant paître son troupeau dans la montagne, il se retirait souvent dans une grotte pour prier. A vingt ans, il opte pour la vie monastique et frappe à la porte du célèbre monastère de Notre-Dame de Maïfouk. Puis il poursuit son noviciat au monastère de Saint Maroun d’Annaya, situé à 1100 mètres, dans la région de Byblos. Devenu moine en 1853 sous le nom de Charbel — marttyr de l’Eglise d’Antioche pendant la persécution de Trajan — il étudie ensuite la théologie et est ordonné prêtre en 1859. Par la suite, son effacement et son austérité alimentent sa renommée de sainteté qui se répand aux alentours. La ferveur populaire lui attribue déjà de nombreux miracles. En février 1875, le Père Charbel obtient de son supérieur la faveur de se retirer dans l’ermitage voisin du monastère. Pendant 23 ans, jusqu’à sa mort, il mènera désormais une vie de labeur, de macérations et de prières. Le 16 décembre 1898 pendant sa messe, Charbel est frappé d’une attaque de paralysie. Il meurt huit jours plus tard, le 24 décembre vers cinq heures du soir, pendant la vigile de Noël.

A la suite des innombrables prodiges qui entourent sa dépouille, Pie XI autorise en 1925 l’ouverture du procès en béatification. Le 5 décembre 1965, il est béatifié. Le 9 octobre dernier, pendant le synode des évêques, le pape célèbre sa canonisation dans la basilique de Saint-Pierre de Rome devant une importante délégation libanaise. Dans son homélie, Paul VI a souligné l’intérêt particulier, aujourd’hui, de la vocation érémétique et a demandé au nouveau saint son intercession pour «  le cher pays du Liban, qu’il l’aide à surmonter les difficultés de l’heure, à panser les plaies encore vives, à marcher dans l’espérance ». Saint Charbel Makhlouf est pour l’Eglise catholique un symbole d’union entre l’Orient et l’Occident. Depuis le XIIIe siècle, c’est la première canonisation prononcée en faveur de l’Eglise d’Orient. Voir un film sur le sait sur Youtube

Le liquide mystérieux traverse le mur

Le 25 février 1950, un moine balayant la crypte constate avec effarement qu’un liquide rose suinte de la base du mur, sous la plaque funéraire du Père Charbel. Il alerte aussitôt son supérieur. On décide de rouvrir le tombeau devant trois médecins désignés pour expertise. Il s’agit des docteurs Chekri Bellan, directeur du Service de Santé et d’Assistance près du Gouvernement libanais, Joseph Hitti, député du Mont-Liban au Parlement et Théophile Maroun, professeur d’Anatomie pathologique à la Faculté française de Médecine de Beyrouth. Devant le Supérieur de l’Ordre maronite libanais et les moines du couvent, ils procèdent à l’examen du corps et concluent dans leur rapport : « Tous les vêtements étaient littéralement imbibés de liquide séreux et, çà et là, tachés de sang, spécialement l’aube. Le liquide blanc répandu sur tout le corps s’était coagulé comme solidifié par endroits. Cependant, le corps conservait toute sa souplesse et on pouvait plier bras et jambes ». A la surprise générale, les témoins constatent avec émotion que le voile qui recouvrait le visage et les mains du Père porte l’empreinte de ceux-ci, à la manière du Linceul de Turin. Les médecins prélèvent du liquide à fin d’analyse. Mais le résultat de celle-ci demeure secret.

Le 4 août 1950, devant les autorités religieuses du Liban, on expose le corps de Charbel au cours d’une cérémonie qui attire une foule énorme et fervente. C’est à partir de cette date que les documents officiels commencent à tenir le compte des miracles et des guérisons qui se produisent sur les lieux. Ils sont innombrables, mais tous ne peuvent être retenus par une critique impartiale, faute de constats scientifiques. Nous citons à part dans un encadré ceux qui ont servi aux procès de béatification et de canonisation.

Le Père est de nouveau emmuré dans son tombeau, mais Rome qui a repris l’enquête de canonisation, exige une nouvelle exhumation. Celle-ci a lieu le 7 avril 1952. Un témoin, le Père Joseph Mahfouz écrit : « Moi-même j’ai touché personnellement à son corps en août 1952 ; on aurait dit qu’il était mort vivant. Qu’un cadavre se conserve, ce n’est pas un phénomène unique ; mais qu’une dépouille mortelle reste souple, tendre, pliante et qu’elle transpire incessamment, c’est un cas unique en son genre ». Puis on mure de nouveau l’ermite dans sa tombe.

De toutes les parties du monde affluent désormais des lettres de fidèles. Le monastère d’Annaya en recevra 41530 de 1950 1957. Toutes signalent des détresses morales ou physiques. Beaucoup réclament des reliques. Certains correspondants envoient des linges à tremper dans le liquide mystérieux pour en faire des sortes de talisman.

Succès oblige : Annaya est devenu un vaste caravansérail. Autrefois isolé, le couvent est à présent relié à la plaine par de larges routes. Les automobiles affluent, stationnent sur la nouvelle esplanade. Les marchands sont arrivés ; des buvettes s’ouvrent près du magasin d’objets souvenirs. Il est difficile aux moines de préserver leur paix que l’on retrouve pourtant encore au petit ermitage isolé du Père, aujourd’hui transformé en chapelle. Une nouvelle église circulaire s’élève à côté du couvent ; ses vitraux célèbrent la vie agreste de l’ermite. Dans la crypte, devant l’inscription arabe du mur qui recouvre les restes du saint, prient et méditent des fidèles de toutes races, de toutes religions. Les pèlerins dorment sur des matelas dans les couloirs et les cellules du monastère. Nuit et jour on y amène des infirmes, des incurables. Des dizaines de béquilles, de corsets orthopédiques sont suspendus aux murs. Ceux qui les utilisaient n’en ont plus eu besoin pour repartir. On signale des apparitions du saint. Tout est devenu possible dans cette atmosphère d’exaltation mystique. Chacun attend sa part de merveilleux, de mystère et de ciel.

Grâce à l’intervention de Jean XXIII, la procédure de béatification s’accélère à Rome: La cérémonie se déroule le 5 décembre 1965 devant tous les cardinaux et évêques réunis pour la clôture de Vatican II. Le 9 octobre dernier, Paul VI a canonisé saint Charbel Makhlouf.

La tombe du saint a été rouverte récemment. Le Père Joseph Mahfouz, qui assistait de nouveau à l’exhumation, témoigne de ce qu’il a vu : « On peut même dire que son corps n’a jamais connu la corruption : depuis 1965, il s’est décomposé tout simplement, car on n’a jamais senti l’odeur des cadavres en ouvrant sa tombe ; c’était plutôt une odeur aromatique que l’on ressentait ». A présent « … son corps est entièrement décharné, il n’en reste que le squelette ; toutefois les os gardent une certaine fraîcheur et une couleur rougeâtre (lie de vin) ».

Fin du mystère ou commencement de nouveaux miracles ? On signale de récentes apparitions du saint au lendemain de sa canonisation. Il aurait annoncé à un jeune garçon : « Cette terre est sainte, elle est faite d’encens », ce qui a provoqué une grande liesse populaire. Les gens simples guettent les signes providentiels. Sur la terre déchirée du Liban, saint Charbel Makhlouf aidera ce pays, lien entre les cultures chrétiennes et arabe, à retrouver son identité nationale.

SAINT MAROUN ET LES MARONITES

 C’est au IVe siècle que vécut aux alentours de la ville de Cyr actuellement près de Killis en Turquie le saint prêtre anachorète Maroun.

Il avait installé un ermitage une simple tente sur une montagne, près des ruines d’un temple païen consacré par ses soins. Ses longues prières, ses méditations, son ascétisme, ses prêches, ses guérisons miraculeuses de corps et d’âme étendirent sa renommée et attirèrent à lui de nombreux fidèles et disciples. Les cavernes de la région se peuplèrent de maints ermitages. Saint Maroun mourut vers 410. Sur sa tombe, on construisit une église qui devint par la suite un grand couvent.

Situé dans la vallée de l’Oronte, ce monastère renommé par sa beauté, sa richesse et la piété de ses moines, subit de nombreuses persécutions, ce qui ne l’empêcha pas de devenir le berceau de la communauté maronite et d’essaimer dans toute la Syrie. Il fut détruit dans la première moitié du Xe siècle par des razzias de bédouins. Les moines maronites s’éparpillèrent dans tout le Moyen-Orient, mais c’est surtout sur les hauteurs du Mont-Liban que s’installèrent leurs couvents, fermes et villages. A l’arrivée des Croisés, les Maronites mirent à leur disposition 30000 archers. Vers 1180, ils avaient réaffirmé leur attachement à l’Eglise de Rome. L’histoire maronite se confond désormais avec celle du Liban. Actuellement, au nombre de 1500000, les Maronites se sont aussi implantés à Jérusalem ainsi que dans le nord de la Syrie et jusqu’à Bagdad. A l’Ouest, l’Ordre prospère à Malte et à Chypre où vit encore une des plus importantes de ses colonies. On le retrouve aussi en Argentine, au Brésil et aux U.S.A. où en 1966 a été créé un exarchat. Seule de toutes les églises chrétiennes, l’Eglise maronite subit l’influence dominante du monachisme. On y rencontre encore quelques prêtres mariés, particulièrement dans les montagnes, mais la tendance actuelle est au célibat. L’Ordre a conservé une liturgie originale de rite syro-antiochien et araméen qui n’a pas été affecté par l’influence romaine. La langue liturgique est le syriaque, mais elle fait aussi un grand usage de l’arabe.

Les Maronites, ces «  fils de la Montagne et des rochers », forment un des plus beaux fleurons de la famille libanaise, riche, multicolore et harmonieuse.

Quelques questions, quelques réponses

Saint Charbel n’est pas le seul mystique dont le corps demeura longtemps incorruptible. Un des plus célèbres corps préservés de l’histoire religieuse est celui de sainte Thérèse d’Avila. La grande carmélite mourut le 4 octobre 1552 et fut enterrée dans le cimetière du couvent d’Alba de Tormes. On l’exhuma le 4 juillet 1583. Malgré l’eau qui le baignait et avait corrompu ses vêtements, son corps recouvert de mousses avait conservé son intégrité et semblait dormir. Il en émanait goutte à goutte de l’huile d’où s’exhalait une odeur délicieuse. Le corps fut de nouveau exhumé en 1585 (pour sa translation à Avila), 1586, 1592. Lorsque des fidèles trop zélés voulurent prélever une main et un bras pour en faire des reliques, il en sortit du sang frais. Plus tard, le Saint Siège dut prendre des mesures pour interdire cette mutilation. On ouvrit encore la châsse en 1604, 1616, 1750 et 1760, dernière en date des exhumations. Du corps toujours frais et souple émanait le même parfum suave.

Si l’incorruptibilité de la chair est tenue pour un charisme par la tradition religieuse, tous les saints n’en bénéficièrent pas. Et l’on a relevé certains cas de préservation charnelle qui n’étaient nullement liés à la sainteté. Le processus — qui se rapproche de ce que la théologie appelle la « dormition » — n’a pas fini de nous étonner, mais on peut tirer déjà quelques règles de ce qu’on en tonnait. Car ces phénomènes d’exception à l’évolution habituelle de la nature obéissent à des lois identiques que l’on peut tenter de considérer scientifiquement comme naturelles, bien qu’extraordinaires.

Des corps de saints ainsi conservés émanent des huiles, de la sueur, du sang, de la rosée ou de la manne (que produisit par exemple le corps de saint Vitalien, évêque de Capoue vers 700 : la manne tarit en 1584). De ces exsudats émane une odeur suave que l’on compare souvent aux parfums du lis, du jasmin, de la violette et de la rose.

— C’est le plus souvent cette odeur émanée des tombeaux qui alerte les autorités religieuses et provoque l’ouverture d’une enquête. Certaines de ces odeurs se montrent extrêmement tenaces et résistent aux lavages. Nous avons vu par contre que dans le cas de saint Charbel, il s’agissait d’une clarté « vivante ».

— Les liquides exsudés par les corps traversent parfois les murs, phénomène qui a été observé pour saint Charbel.

— L’incorruptibilité des corps n’est pas définitive. Ainsi saint Charbel s’est décharné récemment. Par contre, le corps de sainte Roseline de Villeneuve, morte en 1329, a été conservé dans son intégrité à Celle-Roubaud près des Arcs, Var (France) jusqu’en 1894, date à laquelle il fut attaqué par les insectes et dut être embaumé. Depuis, il s’est momifié. Il est donc resté intact, c’est-à-dire d’apparence vivante, pendant 565 ans.

Notons au passage qu’il existe de grandes différences entre ces corps — qui semblent seulement endormis — et les cadavres conservés naturellement (par action du milieu ambiant) ou artificiellement (momies, corps réfrigérés, etc…).

Le docteur Hubert Larcher, Directeur de l’Institut Métapsychique International, a publié en 1957 un livre fondamental sur cette question, Le sang peut-il vaincre la mort ?, tiré de sa thèse de Médecine « Introduction à l’étude de l’adaptation à la mort fonctionnelle » (13 juillet 1951). Étudiant particulièrement les phénomènes de conservation des corps, il s’efforce d’expliquer ce processus de résistance à la destruction que possèdent parfois les cellules vivantes pour lutter contre la mort fonctionnelle. Elles se protégeraient contre les méfaits de l’oxygénation, la dessiccation et les agressions externes en élaborant des substances balsamiques réalisant l’auto-embaumement du corps. Ces baumes, assez proches des substances végétales, auraient aussi la propriété de répandre ces odeurs suaves appelées en théologie mystique « odeurs de sainteté ». Un mélange d’eau, de sang et d’huile composerait le milieu intérieur de ces corps.

A ce propos, le docteur Georges Choukrallah qui observa le corps du Père Charbel 34 fois en 17 ans. Ecrivait en 1952 : « Supposons que le liquide qui suinte du corps de chaque ne pèse qu’un gramme. Ceci fait durant 54 ans 19764 kg ! Or la quantité moyenne de sang contenue dans le corps humain est de cinq litres ! Le moins ne donne pas le plus ! Principe évident par lui-même. Mais le liquide rouge que déverse le corps du Père Charbel dépasse de beaucoup un gramme par vingt-quatre heures. La source aurait dû tarir puisqu’elle n’est pas alimentée depuis un demi-siècle… »

Le docteur Larcher objecte justement qu’un corps de 50 kg peut exsuder plus de 43 kg de substances liquides (c’est-à-dire que par dessiccation un corps peut se réduire à un peu plus de 5 % de son poids, mais il est alors noirci et racorni). Quel liquide émanait du corps du Père Charbel ? Son analyse est demeurée jusqu’à présent secrète. On ignore donc quelles proportions de sang entraient dans sa composition. Il est à noter que, à force d’exsuder son huile, le corps de sainte Thérèse aux dires des témoins, était devenu « léger comme celui d’un enfant de deux ans ». Il est regrettable que le corps de saint Charbel n’ait pas été pesé au cours des années où il se manifestait par sa « survie » miraculeuse. Des pesées régulières et l’analyse du liquide exsudé auraient pu donner des commencements de réponse à cette énigme troublante.

Mais ces explications naturalistes — même si elles étaient poussées plus avant — ne peuvent en aucun cas, souligne le docteur Larcher, exclure les implications religieuses dont elles confirment au contraire la réalité transcendante. On peut raisonnablement supposer qu’une vie spirituelle intense — qui s’accompagne, entre autres, d’une ascèse rigoureuse et d’un jeûne presque absolu en matières azotées, pâtures des agents corrupteurs des cadavres, — est susceptible de provoquer une métamorphose des processus physicochimiques accompagnant la mort. On constate chez certains ascètes un ralentissement surprenant des métabolismes. Quoi d’étonnant à ce que cette vie spirituelle exceptionnelle, capable d’exalter les facultés de l’âme au point de provoquer tous les grands phénomènes qu’étudie la parapsychologie (visions, bilocations, lévitations, etc…) imprime sa marque victorieuse sur la matière du corps lui-même par une transformation biochimique qui se manifeste au-delà du dernier souffle.

TROIS MIRACLES DE SAINT CHARBEL MAKIILOUTF

On appelle canonisation la proclamation par laquelle le pape inscrit une personne décédée au catalogue (canon) des saints proposés à la dévotion des fidèles. C’est au XVIIIe siècle seulement que le pape Benoît XV fixa les critères rigoureux qui déterminent actuellement les procédures de canonisation. Commencée à l’échelon du diocèse, l’enquête sur les vertus et les miracles du défunt aboutit à la Congrégation des Rites du Vatican. Cinquante années au moins après sa mort se tient un véritable procès qui, si le verdict est favorable, entraîne sa béatification. L’élu est désormais compté parmi les « Bienheureux » et les fidèles peuvent lui adresser leurs prières. Enfin, s’il continue à accomplir des miracles, le pape le proclame saint en la basilaire Saint-Pierre de Rome. Pour le procès de béatification du Père Charbel, qui se déroula en 1965, deux miracles constatés à Annaya ont été retenus :

Le 12 juillet 1950, sœur Mariam-Abel Kamari, atteinte d’ulcères généralisés depuis 14 ans, supporte des douleurs indescriptibles. A l’agonie, elle ne survit plus que grâce à des perfusions de sérum. Soudain, racontera-t-elle : « J’ai vu le mot Charbel qui est gravé dans la pierre se mettre à transpirer. J’ai passé mon mouchoir dessus. C’était bien de l’eau. Je m’en suis frotté les jambes. J’étais guérie ». Elle se lève et proclame le miracle devant la foule émerveillée.

En recevant dans la gare une branche de pin lâchée par son frère qui le précédait, Alexandre Obeid, forgeron libanais à Baadbat, avait perdu l’œil gauche par suite d’un déchirement de la rétine. Pendant l’Année Sainte 1950, le soir de son pèlerinage à Annaya, il ressent une vive douleur à l’œil, gauche. Soudain le miracle s’accomplit : il voit !

Pour le procès de canonisation de 1977, on retient un seul miracle : Mariam Assaf Arouad, de Hammana, âgée de 68 ans, soufrait en 1966 d’un cancer épidermoïde indifférencié de la gorge. Elle éprouvait une forte gêne respiratoire et ne pouvait presque plus déglutir. En décembre 1966, à la suite d’un pèlerinage au tombeau du saint, elle fut totalement guérie.

L’Église insiste en outre sur les conversions immédiates de simples curieux qui se produisent autour du sanctuaire de saint Charbel Makhlouf.