Propos de Chiragh : Maximes

Rester sans pensée est difficile, souvent pénible au début : on a l’impression d’un terrible manque comme quelqu’un qu’on aurait privé de sa drogue. Mais si l’on persiste, il commence à s’élever un sens subtil du bonheur qui pénètre tout l’individu et parait venir de l’âme, et qui, si on lui compare tous les bonheurs passagers que nous avons pu connaitre, les fait concevoir comme des contrefaçons. En outre, dans cet état de non-pensée, l’esprit perd de ses limites et de son étroitesse – C’est la définition de la méditation.

(Revue La pensée Soufie. No 57. 1978)

III

Une voix bienveillante est venue aux oreilles de Chiragh et lui a murmuré des conseils dont il s’est bien trouvé. Il en a tiré quelques maximes qu’il avait appelées d’abord “Maximes pour mon propre usage”. Puis certaines d’entr’elles lui ont paru pouvoir intéresser quelques personnes parmi les lecteurs de cette publication, c’est pourquoi ses derniers “Propos” apparaîtront sous cette forme inhabituelle.

1- L’esprit est un lieu étroit où les pensées entrent, circulent un moment et puis s’en vont. Mais elles ne sortent pas sans avoir dérobé quelque chose au passage. Et ce qu’elles ont ainsi volé n’est autre que le bonheur naturel de l’esprit.

Rester sans pensée est difficile, souvent pénible au début : on a l’impression d’un terrible manque comme quelqu’un qu’on aurait privé de sa drogue.

Mais si l’on persiste, il commence à s’élever un sens subtil du bonheur qui pénètre tout l’individu et parait venir de l’âme, et qui, si on lui compare tous les bonheurs passagers que nous avons pu connaître, les fait concevoir comme des contrefaçons. En outre, dans cet état de non-pensée, l’esprit perd de ses limites et de son étroitesse – C’est la définition de la méditation.

Des laïcs qui viennent à rencontrer certaines communautés de moines sont parfois surpris par la joie spontanée qu’ils dégagent et n’en comprennent pas la raison. Elle réside pourtant en cela qu’on a dit plus haut. Exerçons-nous.

2- Toute démonstration de spiritualité, piété, vertu etc. à l’égard d’un tiers est une erreur : les jours qui suivent se chargent de me démontrer que je suis un âne.

3- Quand tu dois aider quelqu’un, c’est d’En-Haut et sans en avoir l’air que cela se fait. Evite de tendre ostensiblement la main.

4- Tu n’as pas à « apprendre aux autres ce que c’est que la spiritualité ». D’abord tu es incompétent. Ensuite tout ce que l’on peut faire, c’est de les aider à trouver un meilleur contact avec eux-mêmes, une plus grande amitié pour eux-mêmes. Ce contact deviendra s’il se développe (mais tu n’en es même pas juge), une base valable pour une spiritualité vraie. Evitons les pseudo-spiritualités  préfabriquées.

5- Rappelle-toi que le Soufisme que tu as reçu est un bâton pour t’aider à marcher vers le but élevé de la vie humaine. Ne prétends pas le tendre à d’autres tant que tu boites encore si bas : que dirait-on de deux boiteux sur le même bâton?

6- Qui donc a dit : “L’insensé, l’imbécile et celui qui s’égare ont été placés sous l’œil de l’homme réfléchi comme la personnification des erreurs où il ne doit pas tomber”? Combien dur, mais combien vrai….

7- Il vaut mieux ramasser une épingle dans le souvenir de Dieu que tenir des discours, même inspirés, a mille personnes. Car comment instruire les autres et ne pas tomber sous l’hypnose de la vanité ? Autant boire un litre d’alcool pur et prétendre échapper à l’ivresse. Seuls des géants l’ont pu, et tu n’en fais pas partie.

De Hazrat Dr. Zahurul Hassan Sharib Gudri Shah:

“To be indifferent to the people has been my way

They act and behave as if toys made of clay

I never care to know what they do or say

In my own thoughts I am absorbed night and day”

“L’indifférence aux gens a été ma manière

Ils agissent et se conduisent comme des jouets d’argile

Jamais je ne me soucie de ce qu’ils font ou disent

Dans mes propres pensées je m’absorbe nuit et jour”.

Quel égocentrisme et quel orgueil! dira-t-on. En quoi l’on aura bien tort, car quand on y réfléchit, quelle rude leçon contre soi-même !

8- Il vaut mieux donner cent pièces de nickel à cent mendiants, plutôt qu’un louis d’or à un seul, car celui-là perdrait la tête et les quatre-vingt-dix-neuf autres seraient frustrés et mécontents. Oui, mais cela n’est vrai que dans la vie extérieure. Car, dans la vie intérieure, c’est l’inverse.

Amasse donc de l’or, ô chercheur ! pendant qu’il en est temps…

9- La souffrance est un scandale, d’où qu’elle vienne quelle qu’en soit la cause et aussi peu qu’elle nous touche car nous avons conscience d’être faits pour le seul bonheur. L’unique procédé pour faire cesser ce scandale est la non-révolte. Et elle commence par le non-agacement devant les petites traverses de la vie et les petits désaccords avec les gens ou les choses que nous rencontrons. Voilà à quoi il faut s’exercer dès cet instant même; ainsi puis-je espérer acquérir peu à peu l’immunité dans des douleurs plus grandes C’est une application de cette vaccination mentale préconisée, en termes plus généraux, par Hazrat Inayat Khan.

10- Sa présence est une aide, sa voix, une aide, ses paroles sont une aide, la façon dont il s’assied ou marche est une aide, ses silences et même ses froideurs me sont une aide…

Si tu Le rencontres, prosterne-toi et remets-toi entre Ses mains, même si tous les autres ne voient rien en Lui, car c’est ton Maître et nul autre jamais ne pourra Le remplacer pour toi. Sinon, prends congé poliment et continue ton chemin tout seul.

*** ***

Ceci, chers amis, terminera les Propos. Chiragh quitte maintenant le devant de la scène. Il y a fait, comme Polichinelle, trois petits tours et chanté son couplet. Sa place est maintenant dans les coulisses où il attendra sagement rangé que l’on tire à nouveau, si Dieu le veut, sur ses ficelles.

Merci à tous ceux et à toutes celles qui ont bien voulu le lire et lui témoigner leur amitié.