Ravi Ravindra
La religion est-elle une psychothérapie ?

Traduction libre Texte publié dans Religious Studies, Septembre 1978 Les questions « La religion est-elle une psychologie ? », « La religion est-elle une physiologie ? » et « La religion est-elle une physiothérapie ? » sont liées à la question posée dans le titre. La réponse à chacune des quatre questions ci-dessus est à la fois « oui » et « non ». Je […]

Traduction libre

Texte publié dans Religious Studies, Septembre 1978

Les questions « La religion est-elle une psychologie ? », « La religion est-elle une physiologie ? » et « La religion est-elle une physiothérapie ? » sont liées à la question posée dans le titre. La réponse à chacune des quatre questions ci-dessus est à la fois « oui » et « non ». Je propose d’explorer comment nous pourrions comprendre ces questions à la lumière de la Bhagavad Gita et des Yoga Sutras de Patañjali, avec quelques références à d’autres sources, mais ces deux textes sont d’une importance capitale dans la religion et la psychologie indiennes, et peuvent être considérés comme représentatifs de la vision indienne classique.

La religion en tant que yoga

La préoccupation centrale de la Bhagavad Gita et des Yoga Sutras est la libération, ce qui, pour nos besoins ici, décrit le but de la religion. Afin de ne pas se laisser distraire par les discussions contemporaines sur le sens et le but de la religion, et sur la question de savoir si le mot est approprié ou utile pour désigner ce qui se passe sous cette étiquette, permettez-moi de suggérer que nous utilisions le mot sanskrit « yoga » pour deux raisons. La première raison est simplement qu’il n’y a pas d’autre mot sanskrit plus approprié que « yoga » pour traduire le mot « religion ». Le mot « Dharma » est souvent traduit par « religion », mais il est plus approprié de le traduire par « devoir », « loi » ou « ordre ». Deuxièmement, « yoga » et « religion » présentent des similitudes étroites dans leurs étymologies, qui font référence à l’union ou à la création d’un lien entre ce qui est humain et ce qui est divin, ainsi que dans leurs associations explicites avec l’application, l’attention et la vigilance. L’importance du yoga dans la tradition indienne ne peut être exagérée. Un nom ou une épithète de Shiva est Yoganatha, de Vishnu, Yogapati et de Krishna, Yogeshvara, qui dans chaque cas signifie maître ou seigneur du yoga.

Un avantage de l’utilisation du mot « yoga » plutôt que « religion » est le fait que le mot « yoga » a une forme verbale associée. Dans la Bhagavad Gita, par exemple, la forme verbale du mot « yoga » est plus fréquemment utilisée que sa forme nominale. Le mot « religion » n’a pas de forme verbale correspondante, ce qui conduit à des expressions comme « avoir une religion » plutôt que « pratiquer une religion ». Une expression telle que « avoir du yoga » semblerait assez étrange, car le yoga est plus proche d’un processus que d’une doctrine.

Sur le plan mythologique, le yoga est parfois personnifié comme le fils de Dharma et de Kriya ; Dharma est essentiellement l’ordre qui est le support du cosmos, et Kriya, en tant qu’action et performance, est une shakti (énergie, pouvoir) de Vishnu dans son incarnation Vamana (nain). Le yoga est à la fois science, art et religion, puisqu’il s’agit de connaître (jñana), de faire (karma) et d’être (sat). Cependant, le but du yoga, tant dans la Bhagavad Gita que dans les Yoga Sutras, est au-delà de ces trois éléments, ainsi que des oppositions qu’ils impliquent. L’état de moksha, c’est-à-dire de liberté sans cause, qui est l’état (bhava) propre de Krishna, est au-delà des dualités être-non-être, connaissance-ignorance et activité-inactivité, et au-delà de toute opposition ou contradiction. La voie vers moksha est yoga, qui est la religion en tant que voie et discipline vers l’intégration.

La méthode et le but du yoga

Le but du yoga est la transformation de l’être humain de sa forme naturelle à une forme perfectionnée. L’état de prakrita (littéralement, naturel, vulgaire, non raffiné) est celui dans lequel une personne répète compulsivement des actions, en réaction aux forces de prakriti qui sont actives à l’extérieur comme à l’intérieur. Grâce au yoga, une personne peut devenir sanskrita (littéralement, bien fait, bien assemblé) et ainsi ne plus être entièrement à la merci des forces et des inclinations naturelles. La procédure du yoga correspond au sens premier du mot « éducation », car elle permet de faire ressortir ce qui est déjà dans une personne, mais qui n’était pas perceptible dans sa forme brute. La mise en évidence progressive de Brahman chez un aspirant ressemble beaucoup au dégagement d’une figure à partir d’une pierre non façonnée.

Le projet du yoga concerne l’ensemble de la personne, entraînant un remodelage du mental, du corps et des émotions. Sharira, qui est Prakriti miniaturisée ou individualisée, est le moyen nécessaire à l’achèvement et à la manifestation de svabhava, l’être intérieur qui est dit être une particule de Brahman, dont le corps est l’ensemble du cosmos manifesté. Chacun de nous, toute existence mobile ou immobile selon la Bhagavad Gita, naît de l’union de Prakriti et Purusha, ou sharira et Atman, ou du champ et du connaisseur du champ. Shiva et Shakti, dans une étreinte intime, symbolisent cette union qui aboutit à la création. D’un point de vue iconographique, ce symbole se résume à Shivalingam (le phallus de Shiva), qui est vu dans l’acte sexuel depuis l’intérieur de la matrice cosmique, où chacun de nous vient à l’existence. Chaque être est issu de la graine placée par Shiva dans le ventre de Prakriti.

En suivant la Bhagavad Gita (15.16), nous pouvons dire cela d’une autre manière. Chaque personne est composée de trois êtres : le purusha périssable, le purusha impérissable et le purusha le plus élevé. On dit que les deux premiers sont fondamentalement différents l’un de l’autre. Bien que la voie du yoga vise à réaliser l’unité fondamentale essentielle de tout ce qui existe, une étape intermédiaire consiste à reconnaître la dualité radicale entre le purusha périssable et le purusha impérissable. Un yogi voit la partie du soi qui est indépendante de sharira, et donc indépendante de prakriti selon les lois desquelles le corps-esprit fonctionne. Lorsqu’un yogi a identifié le soi avec le purusha impérissable qui est en lui, ce n’est qu’alors qu’il peut se diriger vers l’unité encore plus fondamentale du purusha le plus élevé, où toutes les dualités, qu’elles soient métaphysiques, éthiques ou linguistiques, sont réconciliées. Dans cet état, le yogi parfait, la personne complètement intégrée, voit tout dans le Soi et le Soi dans tout. Ce Soi n’est pas personnel ; il n’est ni le sien, ni celui d’un autre. C’est de ce Soi (Atman) que les Upanishads parlent comme étant identique à Brahman. On ne peut pas non plus penser que ce Soi se trouve à l’intérieur d’une personne et non à l’extérieur. La Katha Upanishad (11.1:10) dit : « Ce qui est intérieur est aussi extérieur. Ce qui est extérieur est aussi intérieur. Celui qui voit des différences entre ce qui est intérieur et ce qui est extérieur va pour toujours de mort en mort ».

Dans la Bhagavad Gita, lorsqu’Arjuna réalise qu’il va être en guerre avec ses cousins, avec ses propres enseignants et que certains d’entre eux seront tués, il perd courage et décide de ne pas se battre. Krishna, son aurige, dit à Arjuna qu’il ne peut pas ne pas agir, et répond à la question d’Arjuna, non pas en lui disant comment agir, mais en parlant du Soi, le niveau de réalité qui n’est pas soumis aux processus du temps, à la naissance, à la mort et au changement, mais qui imprègne tout. Le début de l’enseignement de Krishna dans la Bhagavad Gita fait la distinction entre ce qui est naturel et dans le temps et ce qui est éternel et au-delà du temps.

Bien que toute façon de parler ait des limites et trahisse la vérité, on pourrait dire que les êtres humains vivent dans deux mondes, le monde du temps et le monde de l’éternel ou que les êtres humains sont soumis à deux forces ou tendances majeures : l’une est la force descendante de leur nature inférieure qui se manifeste par des désirs, des inclinations, de ce qu’on aime et de ce qu’on n’aime pas ; l’autre est la force ascendante de leur nature supérieure qui détermine leur vocation. L’être essentiel d’une personne (svabhava) est le seigneur assis dans le cœur qui fait tourner chacun comme s’il était monté sur une machine (BG 18.60). Il est conseillé aux êtres humains de suivre leur svadharma qui est la loi (ou l’exigence ou la vocation) qui correspond à leur svabhava. Le travail effectué en accord avec cette loi est le svakarma. Ce travail ne doit pas être abandonné et ne peut l’être sans violer la partie la plus essentielle de soi-même. Chaque personne naît, s’incarne dans une forme spécifique à un moment et en un lieu donnés, en réponse à son karma antérieur, afin de poursuivre les exigences du svabhava. Le svabhava des êtres humains en général correspond aux brahmanes (érudits, enseignants, chercheurs), aux kshatriyas (guerriers, administrateurs, dirigeants), aux vaishyas (hommes d’affaires, artisans, producteurs), ou aux shudras (prolétariat, ouvriers). On peut être dans le mode (gunas) de sattva (clarté, pureté, attention), ou de rajas (passion, activité, égoïsme), ou de tamas (paresse, passivité, insouciance) dans chacune de ces divisions. Ainsi, les quatre svabhavas et les trois gunas constituent douze types d’êtres humains. Cependant, la compréhension de la variété des types psychologiques et physiques et de leurs inclinaisons est devenue l’expression d’un système de castes rigide qui ne favorise pas la découverte de svabhava.

Les êtres humains sont invités à persister dans leur propre svabhava et le svadharma correspondant et à entreprendre une transformation qualitative ascendante des gunas de tamas à sattva. Le svabhava détermine la vocation d’une personne, le guna prédominant dans la vie indique la qualité de la réponse. Le principe spirituel d’un être humain prend un corps dans le but de se perfectionner. Tant qu’il n’est pas satisfait, il continue à s’incarner, mettant de côté le corps-esprit lorsqu’il devient inadapté à son objectif. Svabhava, cependant, n’est pas une fin en soi. C’est un moyen par lequel on peut partager le bhava de Krishna. Si l’on est dans la bhava de Krishna, alors on est véritablement un microcosme reflétant le macrocosme et on agit comme Krishna — en toute liberté, dans le but de maintenir l’ordre du monde, selon le principe du sacrifice (yajña) qui maintient les processus cosmiques par un échange réciproque (BG 3.9). Tout le mouvement du yoga consiste en une transformation dans laquelle le centre de gravité et d’initiative passent de la nature inférieure, avec les inclinaisons et les désirs de la sharira, à la nature supérieure et à l’appel de svabhava, jusqu’à la nature de Krishna ou l’état de Brahman. Dans la Bhagavad Gita, Krishna s’identifie à différents endroits au Brahman suprême, à l’Atman suprême et au Purusha suprême. Il passe fréquemment d’un mode d’expression personnel à un mode impersonnel. On dit souvent que les dichotomies personnel-impersonnel, subjectif-objectif, interne-externe et autres sont transcendées par les sages.

Le yoga en tant que physiologie-psychologie

Sharira, le corps-esprit, est le champ, et Atman (ou Purusha) est le connaisseur du champ. Krishna dit que la véritable connaissance consiste à connaître à la fois le champ et le connaisseur du champ (BG 13.2). La connaissance du champ, du corps-esprit et des modes de prakriti, ou physique au sens le plus large du terme, est une composante nécessaire du yoga. Comme le yoga procède en se concentrant sur la manifestation interne de la nature, plutôt que sur l’externe, on peut préférer utiliser le mot psychologie dans ce contexte plutôt que physique ou physiologie. Il faut se rappeler, bien sûr, que dans le point de vue considéré, la psychologie et la physiologie sont les deux faces d’une même pièce, car une correspondance stricte existe entre les forces et les matériaux internes et externes. En outre, étant donné que sharira est à la fois corps et psyché, on aurait tout aussi bien pu remplacer psychologie par physiologie, en utilisant ces termes dans leurs connotations les plus larges.

Tout comme l’apparence d’une pierre non formée est différente de celle de la figure qui en est taillée, la psychologie ou la physiologie d’une personne prakrita ordinaire, non formée, n’est pas la même que celle d’une personne sanskrita instruite. La psychologie du yoga commence là où l’on est, mais la description et l’explication du comportement humain ordinaire n’est qu’un début. Le véritable intérêt réside dans la possibilité de perfectionner l’être humain. La préoccupation du yoga n’est pas seulement le diagnostic de la condition humaine, mais aussi la prescription et la mise en œuvre d’un traitement qui rendra la personne entière. La guérison du corps-esprit fait partie intégrante du yoga. Le yoga n’est donc pas seulement de la physio-psychologie, mais aussi de la physio-psychothérapie.

Il est peut-être nécessaire de remarquer que le yoga en tant que physio-psychothérapie vise un niveau d’être qui est tout à fait rare et inhabituel. Guérir des êtres humains au fonctionnement subnormal et les aider à vivre normalement est évidemment nécessaire et souhaitable, mais ce n’est pas la préoccupation première du yoga. La guérison dans le yoga n’est pas personnelle. Ce n’est pas une névrose ou un défaut personnel que le yoga souhaite guérir ; c’est la condition humaine qui est d’intérêt. Chacun est héritier de la « maladie » par le simple fait d’être humain, ou, pour parler plus correctement, par le simple fait d’exister. Sans doute, cet état s’exprime-t-il sous une forme particulière, et peut donc nécessiter des remèdes particuliers. Ainsi, à un moment donné, le yoga prescrit pour une personne n’est pas nécessairement le même que celui prescrit pour une autre. Néanmoins, les forces exploitées dans le yoga ne sont l’apanage de personne.

On ne lutte pas contre ces grandes forces en solitaire ou avec sa seule puissance. La force ascendante aussi est plus que personnelle. Nous, les êtres humains, nous trouvons entre ces grandes forces ; nous existons grâce au jeu de ces forces et nous sommes constamment soumis à elles. Une image qui n’est pas rare dans la littérature indienne est celle de deux rives : la vie humaine est la rivière qui relie les deux rives. Les deux rives sont nécessaires pour que l’existence humaine ait une forme définie. La Bhagavad Gita parle de deux tendances majeures, la tendance daivique et la tendance asurique, la tendance divine et la tendance démoniaque, ou la tendance ascendante et la tendance descendante. Les deux ont des exigences et créent des compulsions. Étant donné le système hiérarchique du yoga, chargé de valeurs, nous devrions reconnaître une demande comme un « appel » et l’autre comme une « tentation ». Les êtres humains se trouvent entre ces deux courants ; leur seul choix semble être de s’aligner soit sur l’un, soit sur l’autre, en se rappelant ce que Jésus-Christ a dit : Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui n’assemble pas avec moi disperse » (Matthieu 12, 30). La remarque de saint Paul (Éphésiens 6,12), selon laquelle nous ne luttons pas contre la chair et le sang, mais contre les principautés, les pouvoirs, les dominateurs des ténèbres de ce monde, et la méchanceté spirituelle dans les hautes sphères, est pertinente à cet égard, malgré la différence d’idiome.

Le yoga tente donc d’inverser l’ordre naturel habituel ; il s’agit d’une lutte contre l’attraction mécanique des aspects inférieurs de prakriti. Dans l’ordre juste et approprié, l’initiative et le mouvement viennent d’en haut : les parties inférieures des êtres humains écoutent et obéissent aux parties supérieures. Sharira doit faire ce que Purusha (ou Atman) exige. Sinon, d’un point de vue métaphysique, l’incarnation actuelle n’aura aucun sens. Le corps-esprit est animé afin de servir les demandes de l’être intérieur. Si une personne est mal préparée et incapable d’entendre l’appel ou d’y répondre, alors sharira n’a pas de sens ni de but, sauf en tant que fonction des processus naturels. Du point de vue de Purusha, cette incarnation aura alors été gaspillée dans une expérience infructueuse ou aura été une erreur. Une personne correctement éduquée, en réponse à l’appel intérieur de Purusha, fait ce qui doit être fait, sans se soucier outre mesure du confort ou de l’inconfort. À la fin de la Bhagavad Gita (18.73), lorsqu’Arjuna dit à Krishna « Je ferai ce que tu me demandes », la sharira informée s’offre volontiers comme instrument aux fins de Purusha le plus élevé.

Au sein de sharira, il existe une hiérarchie d’organes et de fonctions. L’adhésion plus ou moins grande au bon ordre interne indique le degré de préparation de sharira, le temple, le véhicule et l’instrument du principe intérieur. L’esprit ordinaire (manas) peut suivre les désirs des sens, comme c’est le cas habituellement, ou bien il peut être réceptif à l’initiative de buddhi (esprit-cœur supérieur, volonté intelligente, intelligence intégrée), et diriger les sens. Ce n’est que dans ce dernier cas que l’appel de Purusha peut être entendu, car seul buddhi est capable de cette écoute et de cette vision subtiles. Si manas et les sens ne sont pas guidés par buddhi, ils ne peuvent être utiles à Purusha. Chitta (la conscience mentale) comprend non seulement la raison, mais aussi les émotions. Les émotions inférieures, contrairement aux émotions supérieures propres à buddhi, telles que bhakti (amour et dévotion) et shraddha (foi), naissent de samkalpa, qui est l’imagination ou le désir-volonté, et sont nourris par le plaisir et le déplaisir sensuels.

Les cinq premières étapes, sur un total de huit, des Yoga Sutra, sont destinées à amener les sens et les autres fonctions vitales, en particulier la respiration, sous le contrôle conscient de buddhi. La qualité de la respiration d’une personne est intimement et directement liée à son état intérieur, comme le montre une observation même superficielle de soi-même. L’appréciation traditionnelle de ce fait se reflète dans des mots comme pneuma qui, en grec, signifie « souffle » et « air » ainsi que « esprit », ou Atman, qui, en sanskrit, signifie « soi » ou « esprit » et signifie également « souffle », tout comme son équivalent allemand « atmen ». Les deux premières étapes visent une préparation générale, éthique et comportementale, pour entreprendre le yoga. Les trois étapes suivantes se concentrent sur la posture, la respiration et le retournement de tous les sens vers l’intérieur. En partant du principe qu’à ce stade un certain apaisement des sens, les trois dernières étapes du yoga tentent d’amener chitta à être soumise à ce qui est supérieur.

Les différentes étapes du yoga sont ordonnées, mais ne sont pas séquentiellement linéaires dans le sens où l’achèvement d’une étape est nécessaire avant de pouvoir entreprendre la suivante. L’apparente linéarité résulte en partie d’une exposition analytique et linguistique. Les étapes antérieures sont préparatoires aux étapes ultérieures, mais ne les déterminent pas complètement. Une posture physique ou une conduite morale correcte peuvent favoriser le développement intérieur, mais ne le garantissent pas ; le plus souvent, le comportement extérieur reflète le développement intérieur. Par exemple, une personne ne devient pas nécessairement sage en respirant ou en pensant d’une certaine manière ; elle respire et pense d’une certaine manière en raison de son niveau de sagesse.

Si cultiver la morale, le physique et le mental est une composante importante du yoga, le but de l’effort se situe au-delà du corps-esprit. Le but du yoga est transcendant. L’ensemble du travail physio-psychologique est une préparation du véhicule pour le rendre apte et approprié à la descente de l’esprit. Cependant, aucun de ces travaux ne peut contraindre l’esprit. Il n’existe aucune connaissance ou méthode permettant de s’approprier l’esprit ; la seule chose que nous puissions faire est de nous préparer afin que l’esprit puisse s’approprier de nous [1]. Mais l’esprit a besoin d’un lieu approprié. Il est bien connu dans la tradition indienne que lorsque des expériences spirituelles se produisent sans une préparation adéquate du corps et de l’esprit, les forces énormes impliquées peuvent choquer l’organisme et provoquer une maladie grave ou la folie. Une légende raconte que le sage Bhagiratha a accompli des austérités pour la descente sur terre du Gange sacré, le fleuve qui coule dans le ciel. On craignait que la terre ne puisse supporter le choc de sa chute. Shiva, le seigneur des yogis et des danseurs, a attrapé Ganga sur sa tête et a contrôlé son cours avec ses mèches emmêlées, puis elle a coulé de là en sept ruisseaux. C’est pourquoi on l’appelle Gangadhara, le gardien du Gange. À l’échelle microcosmique, pour que le courant de sagesse descende sans destruction, nous avons besoin de la force de Shiva qui en chevauchant son taureau Nandi, brûle, avec son troisième œil, Kama, le dieu du désir et est capable de boire le poison qui aurait entraîné la destruction du monde.

L’aspect le plus significatif du yoga et celui qui le distingue de la physio-psychothérapie ordinaire est la nature transcendante de son objectif. Ce que les yogis recherchent ne sert pas leurs propres objectifs. En fait, tant que nous avons nos propres objectifs, nous ne pouvons pas être réellement ouverts à des objectifs plus élevés. Tout le sens de la vie religieuse peut être compris comme une libération progressive des obstacles qui empêchent notre disponibilité aux objectifs de l’intelligence suprapersonnelle.

La physiologie ou psychologie du yoga prend sa direction et sa signification de la réalité qui est au-delà du corps ou de la psyché. Cela rend la physio-psychologie du yoga sacrée. La culture du corps ou de l’esprit pour eux-mêmes n’est pas du yoga. La gymnastique physique et mentale pratiquée pour des récompenses matérielles ou au mieux, pour les plaisirs du corps ou de l’esprit dans le monde du sport et universitaire, reste au niveau physique et psychologique. Il ne s’agit pas de condamner les très grandes réalisations dans ces domaines, mais elles ne conduisent pas à la moksha. Un fonctionnement physique et psychologique normal est nécessaire, mais pas suffisant. La principale cause de notre désorientation culturelle contemporaine est peut-être l’absence de lien entre la recherche intellectuelle, artistique et scientifique et la recherche de la transcendance. Cette lacune existe non seulement dans la pratique, mais aussi dans la théorie dominante de la connaissance. Sans un mouvement le long de l’axe spirituel vertical, tout ajustement dans la psyché ne constitue qu’un réarrangement horizontal d’une matière plus subtile. Confondre ces deux dimensions est une erreur, ignorer la dimension horizontale est dangereux, et oublier la dimension verticale conduit à l’illusion et à la servitude.

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1 Ce point distingue radicalement la science occidentale moderne, avec son approche extérieure et sa volonté de contrôler ce qu’elle étudie, des sciences anciennes, orientales ou occidentales, dédiées à l’harmonisation et à la conciliation du connaisseur et de l’objet de la connaissance.