(Revue Question De. No 36. Mai-Juin 1980)
Krishna : Tous deux, moi et toi, avons passé par de multiples naissances, O Arjuna, les miennes me sont toutes connues, mais, toi, tu ne connais pas les tiennes.
Bhagavad Gîta (IV, 5)
Nous voulons des preuves, ici et maintenant. Il faut nous pardonner, nous avons si longtemps cru sur parole. Nous avons été nourris de révélations divines, de dogmes coulés dans le bronze, d’arabesques métaphysiques. L’autorité des Grands, des Anciens, nous tenait lieu de démonstration. Mais voici : l’aube s’est levée sur une pensée nouvelle qui s’est voulue libre, appuyée sur des observations que chacun peut faire, qu’il soit illustre ou indigne. La Lettre intangible s’est révélée signe symbolique, riche de significations inouïes bannissant tout sectarisme — tombés de notre piédestal d’enfants préférés du Dieu de nos pères, nous avons trouvé d’étranges résonnances dans les voix si longtemps ignorées de l’Orient. Insidieusement, comme la marée qui s’avance, des idées nouvelles se sont infiltrées dans notre mental. Aujourd’hui, elles sont là — réincarnation, karma, la montée infinie de la Conscience, d’expérience en expérience, vie après vie, vers un lointain destin divin. Peut-être comme un défi à relever — ou comme une espérance ?
Nous apprenons maintenant que ces idées sont vieilles comme le monde, qu’on nous avait tenus à l’écart. En occident, la porte s’est refermée — ou coincée plutôt — au VIe siècle à Constantinople : « Quiconque affirme la fabuleuse préexistence des âmes la monstrueuse restauration (apocatastasis) qui lui répond — qu’il soit anathème ! »
J’ai, sur ma table, un gros livre comme savent en écrire les Américains : une anthologie complète de la réincarnation à travers le temps et l’espace terrestre (Le livre de la réincarnation par Joseph Head et Sylvia L. Cranston. Livre de poche). En refermant l’ouvrage, on se demande finalement qui, en dehors de l’orthodoxie des Eglises d’occident, n’a pas pensé sérieusement ou cru résolument à la réincarnation ? Sans doute est-il rassurant de savoir que beaucoup de nos aînés, des gens illustres et respectés, ont partagé le même intérêt pour cette idée — la liste est bien trop longue pour commencer à faire l’appel de tous les noms. Mais après tout, des hommes également illustres n’y ont pas cru. Et, le Thomas qui dort en chacun se réveille vite de nos jours : l’autorité du passé, l’opinion des autres, nous ne pouvons plus nous en contenter : nous voulons des preuves, ici et maintenant, car la réincarnation nous pose un problème.
Singulière exigence. Au fond, n’est-ce pas espérer l’impossible : devenir capable un jour de voir l’âme d’un vieux parent quitter son corps, comme on abandonne un vêtement usé — pour l’accompagner ensuite dans les péripéties de son itinéraire postmortem, et finalement saluer son retour dans le corps d’un bébé nouveau-né, sans jamais le perdre de vue, ni rompre le dialogue ? Un jour, peut-être, la science fera le miracle, avec des appareils ultra-sensibles…
On se surprend à tout espérer de la science. Mais, pour l’heure, il n’y a pas de détecteur plus sensible que l’homme lui-même. Aussi, pour nous prouver « expérimentalement » la réincarnation, retrouver nos vies antérieures, n’avons-nous pas d’autre issue que de nous mettre à l’écoute de notre mémoire lointaine en essayant de plonger nous-mêmes sous la surface de notre subconscient, ou en demandant à un plongeur plus entraîné de le faire à notre place — éventuellement de nous accompagner dans l’aventure. Rassurons-nous, d’ailleurs : l’entreprise n’est pas vouée à l’échec, si l’on en croit certains chercheurs. Nous sommes loin du XIXe siècle où les cercles spirites visaient à garder le contact avec les défunts, par médium interposé : il existe aujourd’hui des techniques qui permettent de prendre pied sur les rivages oubliés. C’est du moins ce qu’affirment les experts en exploration du passé, comme la suite va nous le montrer. Un mot cependant, avant de commencer notre tour d’horizon : les personnes que nous allons rencontrer ne sont pas des charlatans mais des hommes et des femmes sincères, qui ont généralement consacré une somme considérable d’énergies pour retrouver et parcourir les voies dont ils parlent. Et, bien souvent, leurs mobiles apparaissent, de toute évidence, nobles et généreux. D’emblée, cela mérite attention et bienveillance — sans nous obliger, bien sûr, à sacrifier tout sens critique.
Un pionnier de l’exploration systématique : Edgar Cayce (1877-1945)
« Dans une vie antérieure, vous avez été soldat sudiste pendant la guerre de Sécession. Votre nom était Seasy et vous avez vécu à Henrico County (Virginie). Si vous le désirez, vous pourrez retrouver des traces officielles de cette existence. »
L’homme qui prononce ces paroles est étendu sur un divan, les yeux, fermés, en état de transe auto-hypnotique. Son nom : Edgar Cayce (Prononcez : Keïss).
Nous venons d’assister à l’une des 2500 « lectures de vie » (life-readings) faites par ce fils de fermier du Kentucky que rien ne semblait destiner à la notoriété, jusqu’au jour où il se découvrit, un peu par hasard, un pouvoir PSI extraordinaire. Placé sous hypnose, Cayce pouvait se mettre « en rapport » avec un malade, diagnostiquer le mal avec précision et prescrire une thérapeutique efficace. Les succès furent innombrables. Avec cependant quelques échecs complets, comme c’est la règle en parapsychologie, même avec les sujets les plus doués.
C’est sur les instances d’un certain Arthur Lammers qu’un beau jour d’octobre 1923, dans le vieil hôtel Philipps de Dayton, l’œil intérieur de Cayce fut chargé non de scruter un corps mais… de faire une Horoscope — entendez : établir des rapports entre le cosmos et un être vivant. La réponse arriva, en phrases brèves, impersonnelles ; puis vinrent ces mots : « Autrefois, il a été moine. »
La porte s’ouvrait là, d’une manière inattendue, sur un nouveau type d’investigation où Cayce allait, conformément à un vœu de son enfance, aider ses semblables, non seulement en soulageant leurs souffrances physiques mais aussi en les aidant à comprendre le sens de leur vie et à trouver une mesure de bonheur.
Il faut dire que ces lectures de vie ne déroulent pas des séquences fantastiques d’existences passées où l’entité était Pharaon ou Charlemagne. Le roi et le vilain s’y retrouvent avec une fréquence raisonnable. Une constante : la relation logique entre les vies antérieures et la situation présente ; l’enchaînement karmique apparaît de façon lumineuse. L’être trouve ses explications : on ne s’est point moqué de Dieu, ce que l’homme a semé il le récolte aujourd’hui. D’ailleurs, dans son état d’hypnose, Cayce ne manquait pas d’accompagner ses déclarations de citations bibliques, d’encouragements à comprendre en profondeur et à s’amender. Souvent la guérison promise était subordonnée à un changement d’orientation mentale, à une ouverture à l’amour des autres. Ce qui ne surprendra personne.
La psychosphère
Faut-il préciser que Cayce n’attendait aucune rétribution de l’exercice (épuisant) de son don : Dieu ne l’en avait gratifié que pour aider ses semblables.
Cet homme modeste, prodige malgré lui, élevé dans la Foi chrétienne, n’a pas adopté d’emblée la réincarnation au réveil de ses transes. Aidé de Lammers très instruit de la philosophie orientale, il a fini par comprendre que rien dans les paroles du Christ ne lui interdisait d’accueillir cette doctrine ; bien que nouvelle pour lui, elle conservait à l’homme toute sa dignité et ne l’éloignait pas de la recherche intérieure du divin. Cayce en vint même à faire un heureux mariage entre sa foi et les idées orientales : pour lui, faire une lecture de vie consistait à se mettre en rapport avec une sorte de mémoire centrale de la nature, les fameuses annales akashiques (akashic records).
L’idée n’était pas nouvelle. Au XIXe siècle, Eliphas Lévi avait parlé de la « lumière astrale » sur laquelle Mme Blavatsky avait donné nombre de précisions dans son livre Isis Unveiled (1877) et ses œuvres ultérieures. Cette mystérieuse lumière y était dépeinte comme une sorte d’éther — l’akasha des Indiens. Semblable à une aura enveloppant la terre, elle avait le pouvoir de garder la trace indélébile de tout événement, de toute pensée, désir ou action des êtres de notre globe. Un autre théosophe, W.Q. Judge, décrivit cette aura — en somme, la psyché de la terre — comme l’équivalent d’un hypnotiseur invisible dont les hommes subissent les suggestions inconsciemment.
Les sceptiques ont ricané, René Guénon parmi d’autres. Il faut croire pourtant que ces théories expriment des vérités indispensables puisqu’elles se réincarnent, incognito, dans la pensée moderne. J’apprends par exemple, avec réelle satisfaction, qu’un académicien soviétique, Vladimir Vernadski, à la suite de recherches très scientifiques, de type pluridisciplinaire, a conclu un beau jour à l’existence d’une sorte de psychosphère, « un énorme halo nourri des vibrations psychiques émises par tous les êtres vivants ». Il s’agirait là en somme d’une « couche d’énergie psychique enveloppant le globe terrestre et contenant l’ensemble du savoir humain, depuis le début de l’histoire jusqu’à nos jours ». Voilà donc les annales akashiques promues au rang de vérité, sous le nom de psychosphère [1].
Notons que ces idées furent énoncées spontanément par Cayce à l’état de transe. Ce qui prouve sans doute un transfert d’information entre la sphère psychique de Lammers —qui connaissait bien ces notions — et celle du sujet hypnotisé, par un effet de suggestion inconsciente. A retenir pour la suite.
Faut-il perdre un temps précieux à dire que les révélations sur les vies antérieures susceptibles d’être vérifiées l’étaient effectivement ? Le soldat sudiste évoqué plus haut n’a pas manqué de retrouver, dans les archives de l’Etat de Virginie, la preuve indiscutable que Cayce avait dit la vérité.
Naturellement, un critique sévère pourra objecter à ce sujet que point n’est besoin d’annales akashiques s’il existe quelque part de bonnes vieilles archives conservant, noir sur blanc, le récit d’événements passés : la perception extrasensorielle à distance est suffisamment attestée pour qu’on retienne cette théorie comme un élément d’explication possible. Et, même si toute trace matérielle a disparu, mais qu’une personne vivante garde quelques souvenirs, un sujet télépathe pourra toujours aller les cueillir dans sa mémoire et les restituer, en les enjolivant au besoin. Le parapsychologue n’est pas à court d’arguments.
Par son côté merveilleux, le cas Cayce a fasciné bien des gens et suscité des vocations, hélas ! pas toujours reluisantes : aux Etats-Unis, vous pouvez, encore aujourd’hui, vous payer un « life-reading » pour une poignée de dollars. C’est à Edgar Cayce que nous devons l’épopée un peu fantastique de Bridey Murphy.
Morey Bernstein à la recherche de Bridey Murphey
L’aventure de Morey Bernstein est celle d’un hypnotiseur amateur, pourvu d’un don certain, qui s’était d’abord consacré avec passion aux expériences de perception extra-sensorielle. Cependant, après divers essais, en liaison avec J.B. Rhine, le pionnier de la parapsychologie, la découverte par Bernstein de l’histoire fascinante de Cayce décida d’un changement d’orientation : captivé, Morey fit le voyage de Virginia Beach où sont conservés les dossiers Cayce. « Si la réincarnation est un fait », se dit-il, « je dois pouvoir en trouver la preuve avec un sujet capable d’une transe hypnotique profonde ». Comme par chance, un sujet parfait fut trouvé (connu sous le pseudonyme de Ruth Simmons), et les expériences de régression hypnotique commencèrent le 29 novembre 1952.
Les résultats furent inespérés et si spectaculaires qu’un éditeur ne tarda pas à proposer à Bernstein d’en faire un livre. Sensationnel : une jeune femme du Colorado retrouve une existence antérieure vécue au XIXe siècle en Irlande, sous le nom de Bridey Murphy !
Rien de suspect dans ces révélations de la dame irlandaise, enregistrées au magnétophone : toutes les précisions que vous désirez sur la famille, les lieux, les petits détails que l’on n’invente pas, la fessée reçue à l’âge de 4 ans pour une crise de mauvaise tête, les émotions, et même le léger accent irlandais, inimitable — tout cela vous a un air tellement authentique !
Inutile de dire que les réactions furent chaudes, outre-Atlantique, à la parution du livre de Bernstein. Comme lors de la bombe Moody (Life after Life paru en France sous le titre La Vie après la Vie, en 1977), les « milieux autorisés », scientifiques et ecclésiastiques, se sentirent concernés et ripostèrent vigoureusement. La presse se déchaîna.
L’hebdomadaire American Weekly, de Chicago, confia à J.B. Rhine le soin de discuter le cas, « d’un point de vue scientifique » — ce qu’il fit avec prudence et pondération dans le numéro du 8 avril 1956.
L’expérience de Bernstein était, en somme, une tentative sauvage, sans garanties scientifiques. Rhine évoqua l’influence exercée par Bernstein sur la jeune femme, avant les séances et en cours d’hypnose, la possibilité d’information du sujet par clairvoyance ou télépathie — pouvoirs qui sont susceptibles d’être exaltés par l’hypnose. Bernstein voulait prouver la réincarnation. Rhine n’était pas de ceux qui se laissent prendre aux apparences. Il avertit ses lecteurs : « Nous en savons assez sur l’hypnose pour nous attendre à ce qu’un bon sujet, influencé par l’hypnotiseur lui suggérant qu’il va se trouver sur une autre scène, dans une autre période, fasse de son mieux pour s’y conformer. Il y a, dans ce cas, des chances que cette personne choisisse pour son rôle dramatique un cadre qu’elle a déjà connu, bien que cette connaissance puisse se trouver reléguée dans des mémoires inconscientes : si le besoin se fait alors sentir de donner du corps au drame, elle peut exercer ses capacités extrasensorielles. »
Le rôle inducteur de l’hypnotiseur est naturellement à suspecter : « Il est également possible que Morey Bernstein ait donné une aide involontaire dans ses questions posées, en essayant de « pêcher » des réponses capables de poursuivre le fil de l’histoire. Il serait alors complètement naturel pour ces amateurs dans le domaine de la recherche psychique d’être convaincus qu’ils ont découvert un cas authentique de réincarnation. »
Notons bien que le chercheur parapsychologue ne nie pas la réincarnation ; il regrette simplement : « … si nous essayons de trouver une preuve de la réincarnation, faire remonter une personne par régression hypnotique — comme ce fut fait dans ce cas —c’est la mauvaise route à prendre. »
D’autres auteurs, comme Leslie M. Le Cron (American Weekly, 29 mars 1956) rappelèrent l’extraordinaire pouvoir plastique de la psyché, en remarquant que l’hypnose révèle combien nous sommes ignorants de l’adaptabilité du mental inconscient. Les pouvoirs de l’imaginaire ne cessent de nous surprendre.
De plus, l’hypnotisé se montre capable d’un exceptionnel pouvoir de représentation dramatique : qu’on lui suggère de revivre un événement — sa naissance par exemple — le voilà parti à mimer son rôle à la perfection, prenant la position du fœtus, gémissant, cherchant à se libérer, etc. Un sujet timide et réservé d’habitude peut devenir excellent comédien pour obéir à la suggestion.
Une remarque de bon sens s’imposait dans le cas présent : même si on pouvait prouver qu’une personne du nom de Bridey Murphy avait vécu jadis, il resterait encore à établir que l’entité s’était réincarné dans le corps de la jeune femme actuelle.
La suite de l’histoire allait liquider bien des doutes. Tandis que des enquêteurs s’affairaient sur le sol d’Irlande pour vérifier les détails recueillis sous hypnose, d’autres, résolument sceptiques, se lancèrent dans une « régression » plus prosaïque, consistant à exhumer parmi les souvenirs d’enfance de Ruth Simmons les événements ayant pu servir de trame au récit de Bridey Murphy. On interrogea amis, parents et connaissances.
On découvrit que la fessée mémorable avait bien été reçue, mais dans cette vie ; que la fillette avait joué deux rôles irlandais à l’école, en acquérant même le bon accent requis ; que l’énigmatique oncle Plazz du mari de Bridey Murphy était en fait un personnage bien connu de la petite Ruth et vivant a Chicago ; que…
La désillusion fut totale. L’affaire fit de grosses vagues. Mais les partisans de la régression hypnotique pour l’exploration de notre histoire lointaine ne désarmèrent pas.
Une psychothérapie d’avant-garde
Si nous avons déjà vécu, pourquoi n’en avons-nous pas souvenance ? Objection valable pour beaucoup, mais sans fondement pour d’autres : il n’est pas rare, vous dira-t-on, que les enfants se souviennent, que les rêves nous ramènent des images qui suggèrent la réincarnation, que certains cauchemars récurrents transportent le rêveur dans un cadre qui n’a rien à voir avec le présent.
On connaît les enquêtes du Prof. Stevenson auprès des jeunes-enfants-qui-se « souviennent », les travaux du Dr. Guirdham qui, à l’occasion d’une cure psychiatrique, a aidé une patiente à retrouver l’histoire complète d’un groupe de Cathares [2] vivant en Languedoc au XIIIe siècle. Avec preuves historiques à l’appui.
Les incursions de notre mémoire lointaine dans notre tissu psychique actuel seraient donc bien plus fréquentes qu’on ne le croit. Il existe même un nombre croissant de psychothérapeutes qui inclinent à croire que, pour certains de leurs malades, l’origine des névroses ou psychoses est à rechercher dans les vies antérieures. C’est le cas du Dr. Denys Kelsey.
L’histoire de ce médecin, psychiatre orthodoxe, découvrant un peu par hasard les bienfaits thérapeutiques de l’hypnose sur un malade agité, est retracée dans un livre écrit en collaboration avec sa femme, Joan Grant [3].
En pratiquant la régression hypnotique jusqu’à l’enfance, Kelsey obtenait déjà des résultats satisfaisants. Dépassant la naissance et remontant apparemment jusqu’à la conception, il se convainquit un beau jour que la réincarnation était une réalité — ce qui, pour celle qui devint un jour son épouse, avait toujours été une évidence. Joan Grant était, en effet, bien connue du public anglais par ses livres sensationnels relatant ses vies antérieures, qu’elle ne cessait de découvrir, année après année, grâce à un don de vision surprenant.
L’association du médecin hypnotiseur et de la clairvoyante fit merveille. On retrouve chez eux, comme chez Cayce, un réel désir de soulager et d’aider en profondeur ceux que la science classique abandonnait à leur mal. Peut-être, à lui seul, ce désir fait-il la moitié de la guérison. L’exploration de la vie passée fait le reste : le malade sort de sa névrose, reprend confiance dans la vie et s’accepte tel qu’il est, et tel qu’il a été dans le passé. Cependant, en analysant les cas exposés au public, comme celui que décrit Isola Pisani dans son livre, Mourir n’est pas mourir (Robert Laffont 1978), si l’on s’arme de la prudence dictée par le cas Bridey Murphy, on peut en venir à douter sérieusement : a-t-on vraiment affaire à des vies antérieures ? En entrant dans le cabinet du psychiatre, en s’allongeant sur le divan, le sujet, un peu inquiet, mais désireux de guérir, connaît bien les méthodes et les convictions de ses thérapeutes — convictions qui ont aidé à soigner d’autres patients. Une relation particulière de confiance, et sans doute de dépendance, s’établit au cours de la cure sous hypnose. Sont réunies les conditions de la réussite mais aussi de la suggestion. On s’attend à revivre quelque chose, le passé oublié.
Petit à petit des images reviennent, par Dieu sait quelles associations. Le médecin pose des questions, parfois insistantes, « pêche des réponses » capables de poursuivre le fil de l’histoire — selon les mots de Rhine rappelés plus haut. Indiscutablement, chacun participe au drame. Qui peut dire, par exemple, l’influence exercée sur le patient par Joan Grant, sujet PSI exceptionnel, dont les visions, riches d’images nettes et puissantes, la transportent sans peine du présent au temps des Pharaons, avec toutes les escales intermédiaires, qu’elle vous fait revoir comme si vous y étiez ? Il arrive même que Joan précise dans une conversation : « Vous, je suis certaine que vous avez été prêtre. »
Ce qui, bien entendu, ne manque pas d’émerger dans une séance, quatre jours après :
— « Quelle a été votre responsabilité ? »
— « Prêtre du Soleil. »
On remarque combien les discussions après les séances contribuent à éclairer le sujet mais, naturellement aussi, à le conditionner : la cure progresse — les vies antérieures se succèdent, avec un interlude inattendu… dans la peau d’une lionne. Les intrigues, les morts violentes, les joies et les douleurs atroces repassent, d’abord insupportables puis revues avec un meilleur recul et la compréhension interne progressive de leur logique. Tout au long du drame, la catharsis s’opère ; et, dans le livre cité, à force de passer de la conscience de veille aux états hypnoïdes, le sujet développe à son tour une sorte de clairvoyance : il acquiert la conviction que la femme aimée perdue ne s’est pas dissoute dans la mort : il la revoit de ses yeux. A happy end.
Un homme a été arraché à l’angoisse : n’est-ce pas là l’essentiel ? Faut-il d’ailleurs nécessairement nourrir une croyance inébranlable dans la réincarnation pour entreprendre ce genre de thérapie ? Il semble bien que non. C’est du moins l’avis d’un autre analyste hypnotiseur, Peter Blythe [4]. Certains malades sont réfractaires à l’analyse courante : pourquoi ne pas leur parler de la théorie suivant laquelle certains traumatismes remontent à un passé lointain et « reviennent, du fond des âges, comme un souvenir ancestral », et aider ainsi les patients à faire émerger dans leur conscience des incidents qu’une censure tenace avait refoulés ? Honnêtement, le praticien confiera : « Il se peut que cela soit juste ou non. Je l’ignore, mais, si vous désirez explorer cette possibilité plus à fond, je suis prêt à vous aider. Pensez-vous que cela en vaille la peine ? »
Pour en finir (provisoirement) avec l’hypnose, il faut bien préciser que l’accord est loin de régner, parmi les maîtres de cette technique, sur la possibilité de faire réellement ressurgir des vies antérieures, même en transe somnambulique, à plus forte raison en état hypnoïde peu profond. Et il faut noter que le Prof. Stevenson a complètement renoncé à recourir à cette voie pour approfondir ses enquêtes.
Un héritage de l’Inde, la technique du « lying »
Dans deux livres parus à 3 ans d’intervalle [5], Denise Desjardins décrit en détail une technique inédite de régression vers le passé lointain, apprise auprès de son guru indien, Swâmi Prâjnanpâd — Swâmiji pour ses disciples.
C’est l’anamnèse par le lying entendez : une tentative de remontée consciente dans le champ du souvenir, que l’on fait en position allongée, en présence d’un guru, ou d’un guide attentif et bienveillant, qui a lui-même fait l’expérience de ce genre d’exploration.
Mais, c’est de la psychanalyse ? Pas du tout. Similitude peut-être, mais non identité. Il faut se représenter que le lying n’est pas une psychothérapie, mais s’inscrit dans une ascèse comportant bien d’autres aspects. A l’ashram du Bost, où l’on pratique le lying, sous l’œil vigilant de Denise ou Arnaud Desjardins, on cherche à vivre l’adhyâtma yoga, cher à Swâmiji.
Mais la route est pleine d’obstacles. I1 faut s’affranchir de la prison du moi, avec sa masse d’impressions passées (les samskâra), de mouvements et de tendances plus ou moins incoercibles (les vâsana). Parfois, les aspirants sont bloqués sous le poids de ces samskâra (le profane dirait : ils ont des problèmes). Là où le mantram ne réussit pas, la chance de succès est dans le lying.
Le contexte de l’ashram a une grande importance pour les futurs candidats au lying. Des personnes vivantes, pleines d’expériences, y incarnent un idéal de vie. On parle philosophie, on médite et on fait du yoga. On parle aussi des lyings. On sait qu’il se passe quelque chose dans la chambre des lyings : quand on y pénètre à son tour, pour se dépouiller de ses samskâra, on doit bien s’attendre à quelque chose. Même s’il y a un refus violent de la personnalité qui se débat, elle finit par s’abandonner à la suggestion : « relaxez-vous ; lâchez prise ; laissez monter à la surface les impressions ; sentez-les, ne pensez pas ». Revivre les émotions.
Il y a une étrange similitude entre la démarche qui est suivie et les techniques sophrologiques [6] qui conduisent à un changement d’état de conscience. Ce n’est pas de l’hypnose, certes, mais il y a manifestement passage à un état sophronique où l’être n’est plus tout à fait lui-même, mais où il explore, avec une grande acuité de conscience, ses registres secrets de sensations, d’émotions, de désirs et de haines. Cet état va parfois jusqu’au délire et au bord de la folie : on tremble sincèrement pour le guide et pour le sujet lorsqu’ils sont dépassés par les événements.
Comme dans toute bonne psychothérapie, on commence par explorer l’enfance. Dans l’état particulier où tombe le patient, la régression permet de faire émerger des faits complètement oubliés de la petite enfance, voire de la naissance — tout comme dans l’hypnose. Le Dr Rager explique dans son livre que si la régression remonte à l’âge de six ans, un sujet en état sophronique revit les événements et les interprète avec le point de vue d’un adulte, en réagissant exactement comme il s’imagine s’être comporté à l’âge de six ans. De même, dans les lyings, on voit des adultes recroquevillés dans la position du fœtus, redevenus bébés, décrire des situations douloureuses avec des mentalités d’adultes et des mots d’adultes même s’ils crient avec une voix d’enfant. Si le nourrisson a effectivement ressenti un manque à ce moment, il n’est donc pas du tout sûr que les choses aient pris les proportions dramatiques que lui donne maintenant l’adulte dans sa condition hypersensible. Ce passage par « le vécu de l’enfance » ne reflète pas forcément une réalité existentielle — en tout cas, il va sûrement conditionner la suite des lyings.
Le nouveau-né, l’enfant se souviennent de leur vie passée, nous dit Denise Desjardins ; revivre la naissance réactive les impressions des vies antérieures ; on doit donc s’attendre à voir émerger des images de la mémoire lointaine.
Et, de fait, les voici qui arrivent. Mais ce sont surtout les souvenir les plus douloureux, ceux qui ont marqué l’âme au fer rouge ; les petites joies et les extases vécues ne traînent pas à portée de la main dans la chambre des lyings : parfois, on entend de loin des hurlements déchirants qui s’en exhalent.
Dans le second livre cité, une vingtaine de cas sont décrits à titre d’illustration. Parmi les fidèles du Bost qui ont pratiqué l’anamnèse profonde, environ 80 % ont retrouvé des vies antérieures, pratiquement la moitié ont revécu leur naissance. Belle performance. C’est dire l’efficacité de cette méthode pour retrouver la mémoire des vies antérieures — ou, en tout cas, pour vivre des expériences de conscience paraissant sans rapport avec l’existence actuelle.
Comme avec Cayce, Morey Bernstein, Denys Kelsey, toutes ces expériences sont marquées du sceau de l’authenticité, le sujet qui gémit, ou assouvit sa haine en assassinant… un coussin, ne fabule pas. Il est en plein dans un drame réel pour lui. Il y croit dur comme fer, tant l’émotion est grande.
La question se pose : comment interpréter ces phénomènes, c’est-à-dire ces apparences ? Scènes de vies passées, ou pur cinéma, fabriqué par les pouvoirs de l’imaginaire, dans les replis d’un subconscient excité par des images traumatisantes ? Qui pourrait répondre ? Les exemples douteux rencontrés dans l’hypnose nous invitent cependant à une stricte prudence.
Il y a une analogie évidente entre les lyings guidés par Denise Desjardins et les séances de thérapie du Dr Kelsey. Ici aussi, il y a conditionnement, influence du guide, qui « pêche » des réponses pour dérouler le fil de l’histoire. Parfois même, il faut se battre avec le sujet pour faire émerger quelque chose — une émotion, une peur. Ici aussi, entre deux plongées, on commente les progrès de l’analyse, on explique — en termes de réincarnation. Ici aussi, les drames vécus ont un rôle de catharsis. Curieusement, dans les deux techniques, le corps physique subit un même effet de refroidissement. On attrape des engelures sur le petit matelas du lying…
Que l’on ne se méprenne pas — je ne songe pas à nier, ni à affirmer : je m’interroge. Les explications données sont-elles recevables ? Si un être souffre d’un de ces complexes fréquents, catalogués par les analystes (Œdipe, castration, échec, etc.) et se sent frustré, impuissant, ou rejeté par les autres, comme c’est monnaie courante (certains sujets des lyings en sont de beaux exemples) est-ce à cause de lointains traumatismes qui ont eu la vie dure, ou bien n’est-ce pas plutôt que ces sujets, sollicités inconsciemment par l’idée de la réincarnation, se fabriquent un psychodrame où ils expient dans leur douleur quelque péché, où ils projettent leur trauma dans l’inaccessible d’une vie passée, pour s’y sentir finalement justifiés et en émerger blanchis ?
Une hypothèse en vaut une autre.
Mais si, maintenant, on examine les cas cités — avec un œil de profane il est vrai, mais un œil objectif — on constate bien que les explications fournies peuvent se retourner comme un doigt de gant : pour Denise Desjardins le présent douloureux s’explique par le passé antérieur, pour l’observateur un peu sceptique, le présent est l’origine évidente d’un « passé fabuleux ». Il faut avouer que l’analyse des cas décrits, en tenant compte des détails fournis sur l’histoire psychologique des sujets, donne de la vraisemblance à ce dernier point de vue.
Ici et là, les vies antérieures ressurgissent, providentiellement, pour permettre de se venger avec frénésie du père abusif, de tuer la mère cruelle, de massacrer l’agresseur symbolique de l’idéal objet de l’amour, ou d’étrangler la femme inaccessible.
Freud rigole
Sur les sept cas féminins détaillés, quatre subissent des viols « antérieurs ». Un cinquième est victime d’une bête enfonçant ses griffes acérées dans son ventre et sa poitrine — ne serait-ce pas un autre viol déguisé ? Mais, en sondant la vie actuelle de ces jeunes femmes, un apprenti-psychanalyste n’aurait pas trop de peine à trouver matière à expliquer de tels fantasmes. L’un des cas est éloquent : la fillette de la vie présente a subi d’odieux sévices sexuels de la part d’un « ami » de la famille. Devenue femme, elle exhume, en lying, ce pénible souvenir qui avait été censuré. Elle retrouve aussi des images déchirantes d’ « abandon » par une mère distante. Larmes, désespoir. Quelles conséquences prévoyez-vous ? Sentiment de solitude, de culpabilité, troubles des relations intersexuelles. Parfait. C’est bien ce qu’on observe ; mais ce passé ne suffit pas pour bien comprendre le présent. Allez donc voir du coté de la vie antérieure. La voici qui émerge. Scènes de viol, avec meurtre du violeur ; torture au fer rouge sur le sexe, équivalant à une castration, la punition extrême. Supplices subis par la mère, etc.
Bref, Freud démontré et mis en scène sur le matelas des lyings.
Les garçons ne sont pas gâtés non plus. Sur seize cas un peu détaillés, j’en vois cinq où le héros est mutilé, privé de sa virilité dans son passé oublié. Pour trois d’entre eux, n’allez pas chercher bien loin la raison de cette infortune : l’un a subi la circoncision et les deux autres ont été opérés du phimosis. Dans cette vie, bien sûr.
Ceci me rappelle la remarque du Dr Kelsey [7] : « Je suis convaincu que la circoncision infantile peut causer un puissant traumatisme. A supposer qu’un individu commence son incarnation sans inconscient, cette opération l’encourage à s’en constituer un aussitôt… Tout naturellement, le bébé tient les parents pour responsables de cette agression,… mais sachant qu’il dépend d’eux pour survivre, il éprouve une angoisse intolérable. »
Plus tard, des victimes crieront vengeance dans la chambre des lyings. Parents, soyez avertis !
Un quatrième sujet subit depuis son enfance la contrainte d’une mère, qu’il qualifie lui-même de castratrice. Un père impressionnant et sentencieux, arrache l’enfant à ses jeux pour lui faire des déclarations moralisatrices. Un autre jour, pédagogue maladroit, il fait devant son rejeton une dissection sanglante avec un grand couteau. L’enfant est blême d’effroi. Eh bien! Vous ne le croirez pas, mais tout ça avait déjà des antécédents. Dans une vie passée, le sujet se voit tenu d’accepter la castration — pour conserver sa belle voix d’enfant — sur l’impérieuse injonction d’un ecclésiastique dominateur, dans un cadre… qui rappelle étrangement l’événement cité plus haut. Pour Freud, encore, l’histoire serait cousue de câbles. Si seulement il avait connu le lying !
Démêler la vérité du phantasme
Notons que les similitudes entre les événements de l’enfance, réactivés en lying, et les drames revécus par les héros antérieurs, n’échappent pas aux sujets qui subissent l’anamnèse. Mais tout est si inattendu, si poignant ! Et la guérison survient : les nœuds du cœur se délient. Alors ?
Notons aussi que, comme dans le cabinet du Dr Kelsey, d’étranges facultés se révèlent parfois. Clairvoyance et autres pouvoirs PSI. Voici des mots sanskrits, d’admirables chants musulmans, une grave incantation africaine qui surgissent du néant. Voici une danse orientale, mimée à la perfection. Le sceau de l’authenticité.
Que penser de ces récits, vécus par des êtres humains terriblement concernés par leur drame ? Comment démêler la vérité du fantasme ? La proportion exacte des réels souvenirs de vies oubliées ?
En définitive, à la lecture de ces deux livres, une seule chose peut sembler regrettable : la publicité qui est faite aux « existences antérieures » tout en décrivant avec enthousiasme des cas qui éveillent parfois des doutes si forts qu’on se demande sincèrement si la réincarnation a eu le moindre rôle en la matière.
Peut-être, d’ailleurs, existe-t-il, dans les nombreux dossiers des lyings, des exemples non cités relevant moins de la psychanalyse, et suggérant plus clairement la réincarnation. Dans le dernier livre de Denise Desjardins, on trouve précisément un tel cas, qui semble éloquent dans ce sens : un homme souffre dès l’enfance de phobies, d’une sorte d’obsession liée à d’obscurs drames. Né en 1944, il revoit plus tard, en lying, les angoisses et l’agonie d’un résistant français, torturé pendant la guerre. Ici, Freud n’a plus rien à faire. On songe aux cas de phobies inexplicables observés par le Professeur Stevenson.
Les témoignages d’enfants « réincarnés » et l’enquête de Stevenson
Ce n’est pas d’hier que les enfants ont attiré l’attention des adultes par les étranges récits qu’ils font parfois de vies antérieures. Je découvre, par exemple, dans un livre déjà vieux [8] une belle série de témoignages de bambins donnant toutes précisions sur leur précédente naissance. Avec vérifications à l’appui.
Et je m’attendris en lisant l’aventure merveilleuse de ces parents qui voient renaître dans leur foyer leur première fillette que la mort leur avait arrachée. L’histoire n’est pas banale : enceinte de trois mois, la mère a une vision très claire de l’enfant qui lui annonce : « Maman, je reviens ». Le bébé naît et se développe, en tous points identique à l’aînée décédée. Un jour, les parents entendent de loin la voix de leur fille qu’ils croyaient endormie dans sa chambre : elle chante la berceuse qui l’avait si souvent aidée à trouver le sommeil… dans sa courte vie précédente, et que personne n’avait plus chantée, tant elle réveillait de chagrin. « Qui t’a appris cette jolie chanson ? » demande la mère. « Personne, je la sais toute seule » répond la petite tout enjouée.
Ces cas d’enfants qui se souviennent, il fallait les collecter, dans des conditions excluant toute supercherie, les passer au crible d’une analyse critique rigoureuse, et faire toutes les vérifications nécessaires. C’est à ce travail de très longue haleine que s’est consacré, en particulier, un scientifique très averti de la psychiatrie et de la parapsychologie, le Prof. Stevenson. Depuis son Q G. de l’Université de Charlottesville (Virginie), il entretient un réseau d’informations relié à tous les continents.
Que des cas intéressants lui soient signalés, il se hâte de se rendre sur place, interroge l’enfant et son entourage, dresse l’inventaire des points à vérifier. Dans les cas heureux, l’ancienne famille du petit réincarné n’a pas encore été identifiée : aucune fuite d’information n’a pu avoir lieu. L’enquête se poursuit.
Grâce aux indications du sujet, on finit souvent par remettre la main sur ses précédents parents. On emmène le bambin à son ancien village, il reconnaît tous les lieux. Il nomme les personnes par leur nom. Parfois, il est replacé devant son épouse, qui élève ses enfants sans père. On se croit en pleine fiction. Pourtant ces cas sont réels, attestés avec le plus grand soin. Sur des centaines, et même des milliers de dossiers réunis à ce jour, certains emporteraient la conviction du plus endurci des sceptiques. Mais le scientifique garde la prudente réserve qui s’impose : pas de best-seller en librairie.
Le Prof. Stevenson s’est fit connaître aux Etats-Unis par l’un de ses premiers travaux importants sur le sujet : Twenty Cases suggestive of Reincarnation (1966) – Vingt cas qui suggèrent la réincarnation. Depuis, ses publications scientifiques se succèdent régulièrement mais restent pratiquement inaccessibles au public français. Ses dossiers s’enrichissent de cas de plus en plus nombreux de marques de naissance : des sujets « renaissent » en portant sur leur corps la trace de blessures qui les avaient précipités dans le trépas quelques années avant. Parfois, la disposition de ces étranges cicatrices se conforme exactement aux descriptions écrites du médecin-légiste qui avait constaté le décès. Des dizaines de cas de xénoglossie où l’enfant parle spontanément une langue étrangère à sa famille, ou même un dialecte oublié, viennent s’ajouter à l’ensemble de ces observations dont le poids impressionne.
Tout ces petits réincarnés qui parlent d’une vie antérieure, ou en miment obstinément certaines scènes, dès qu’ils maîtrisent un peu le geste et le langage, paraissent autrement plus convaincants que les explorateurs-du-subconscient-en-état-d’hypnose. Ici pas de suggestion, pas de catharsis en vue, pas de délire.
Les phobies qui les troublent très tôt, les prédilections étonnantes qui s’imposent à eux et les talents surprenants qu’ils manifestent quand on les place devant des machines au fonctionnement compliqué, tout cela ne s’invente pas. On dirait vraiment qu’une personne ancienne a repris du service dans un corps nouveau. Ce qui ne laisse pas d’être préoccupant quand un gamin assure qu’il est une fille et se voit forcé par la famille de vivre comme un garçon.
Quelle autre explication proposer que la réincarnation ? Clairvoyance et télépathie semblent des hypothèses bien faibles pour rendre justice à ces cas de véritable colonisation d’une personne actuelle (qui finit heureusement par s’imposer au sortir de l’enfance) par une autre personne présentant une structure psychique d’apparence très élaborée.
Retour des âmes dans des corps nouveaux, ou parasitage de jeunes êtres par les restes psychiques cohérents abandonnés par des humains dans l’hyper-espace de la « psychosphère » [9] ?
Psychologie ? Parapsychologie ?
Nos vues sur la réincarnation sont encore bien vagues — et bien chancelante notre connaissance de l’homme. Voici une remarque, qui est peut-être une clef.
Selon la technique servant à aborder les vies antérieures, le fil des existences apparaît soit comme une répétition — le passé vient hanter le présent, des situations douloureuses se répètent obstinément, ainsi qu’on l’a vu plus haut soit, au contraire, comme un enchaînement harmonieux corrigeant sans cesse la trajectoire de l’entité sur son orbite —comme les lectures de vie de Cayce nous l’ont suggéré. Cette différence flagrante devrait faire réfléchir.
Troublante coïncidence, on dirait qu’il y a une corrélation étroite entre mort violente, réincarnation presque immédiate et hantise par une personnalité antérieure.
Y aurait-il vraiment une seule explication à tous ces faits ? Psychologie ? Parapsychologie ? Ou réincarnation d’une véritable entité immortelle ? Les hypothèses les plus simples ne sont pas forcément vraies dans leur simplicité. Ce n’est qu’au bout d’une longue gestation d’idées qu’un phénomène aussi banal que la lumière a pu être expliqué, après l’affrontement de deux hypothèses simples, mais au premier abord irréductibles.
La preuve n’est pas pour demain. Mais qui sait ?
Finalement, la pêche aux vies antérieures par sondage du subconscient pose peut-être plus de questions qu’elle ne résoud de problèmes. Et les exemples spontanés d’avatars de personnalités précédentes dans les jeunes enfants qui en sont obsédés ne sont peut-être que des cas ultra-particuliers, malgré leur éloquence.
D’autres champs d’investigation nous restent à explorer. Qui sait ce qu’ils réservent ?
Pendant des siècles, de nombreuses personnes ont eu d’étranges expériences qu’elles ont gardées secrètes. De peur de passer pour folles.
C’est ce qu’avait constaté le Dr Moody en faisant son enquête auprès des « rescapés de la mort ». Sur les vies passées, qui reviennent parfois en flashes saisissants, bien des gens se taisent aussi. Outre-Atlantique, un professeur de philosophie orientale, Frederick Lenz, s’est mis en tête de les faire parler, et de vérifier leurs dires — devenir en somme un Dr Moody de la réincarnation.
On attend toujours la preuve
Ses observations publiées en 1979 dans un livre inconnu en France (Lifetimes, true accounts of reincarnation) portent sur 127 cas. La place manque pour les analyser, mais j’y relève des points passionnants : ces visions spontanées arrivent en plein jour, en pleine lucidité ; le déroulement de l’expérience semble obéir à certaines constantes — un scénario assez fixe, comme c’était déjà le cas dans les approches de la mort, décrites après réanimation. Bien plus, l’expérience vécue par la conscience dans l’intervalle d’une vie à l’autre obéit elle-même à une succession ordonnée et constante. Et l’histoire des incarnations fait ressortir un enchaînement logique de causes et d’effets. Karma.
Est-on ici en plein rêve ? En tout cas, le livre mérite d’être lu et médité.
La preuve expérimentale de la réincarnation n’est pas pour demain. Mais le sujet est bien trop sérieux, et nous concerne de trop près, pour qu’on le traite à la légère, pour qu’on s’offre le luxe de négliger des faits, qui, demain peut-être, apporteront les témoignages nécessaires pour consolider une certaine image de la vérité qui aura pu être élaborée.
Une évidence : jusqu’à présente, la nature nous a coupé l’accès de la mémoire lointaine. Peut-être, d’ailleurs, n’est-il pas raisonnable de vouloir chercher à forcer le passage par des voies artificielles. Car, si nous avons déjà vécu mille vies, pourrions-nous supporter leur irruption brutale dans le champ de la conscience de veille si, par malheur, semblables à des apprentis sorciers, nous décoincions la porte qui les retient prisonnières ?
Les Sages de l’orient qui ont enseigné la réincarnation ont aussi donné la recette pour retrouver les existences antérieures : c’est la rigoureuse discipline du moine bouddhique, c’est l’octuple voie du Yoga de Patanjali. Voudrions-nous brûler les étapes ?
Je connais bien le 18e verset du 3e livre des fameux Yoga sutras. On y lit que la connaissance des vies passées survient quand le yogi concentre son œil intérieur sur les impressions (samskâra) qui reviennent dans son mental. Quelque chose me dit que ces mots ne s’adressent pas au premier venu, trébuchant sur le sentier de la Sagesse, mais à l’ascète maître de lui-même, libéré des angoisses qui nous assaillent, et conservant une mesure d’équilibre, même dans la plus grande douleur.
Et j’ai le sentiment que si une conscience humaine, dégagée du flot des émotions, est capable de s’élever par sa volonté vers son foyer intime — où s’assimile, vie après vie, l’essence de chaque expérience — pour y lire le message de tout un passé intégré, une pareille méditation ne peut se faire que dans une posture verticale. Au moins symboliquement.
En attendant la grande revue susceptible de fournir la preuve finale de la réincarnation, peut-être, après tout, faut-il apprendre à se tenir debout ?
Monte la Voie, même faiblement et perdu parmi la foule,
Comme fait l’étoile du soir à ceux qui vont leur chemin
Dans les ténèbres.
Donne lumière et réconfort au pèlerin en peine
Et fais-lui entendre la Loi.
Dis-lui, O Aspirant, que la vraie dévotion peut lui ramener la connaissance
Cette connaissance qui fut sienne dans ses vies antérieures
La vue-deva et l’ouïe-deva ne peuvent s’obtenir en une seule courte naissance.
[1] Constatons avec plaisir que les scientifiques modernes accueillent volontiers l’idée d’une conservation totale de l’histoire cosmique ; flux de neutrinos, ondes, électrons viennent à la rescousse pour faire ce travail d’archivistes et réaliser le vieux rêve de Flammarion.
[2] Voir, par exemple, les Cathares et la réincarnation (Payot, 1972).
[3] Many Lifetimes, traduit en français sous le titre : Nos vies antérieures, « J’ai lu » (1971).
[4] Hypnotism, its Power and Practice (Barker, Londres, 1971).
[5] De naissance en naissance (1977) et la Mémoire des vies antérieures, Ascèse et vies successives (1980), éd. La Table Ronde.
[6] Pour s’en convaincre, on pourra comparer les expériences relatées par Denise Desjardins avec les techniques décrites dans le livre du Dr Rager : Hypnose, Sophrologie et Médecine (A. Fayard, 1973).
[7] Nos vies antérieures, ouvrage cité, p. 237.
[8] Gabriel Delanne : Documents pour servir à l’étude de la Réincarnation (P. Leymarie, éditeur, 1924).
[9] Cette hypothèse nous ramène vers la Théosophie. Elle va peut être renaître un jour dans le cerveau d’un académicien soviétique, ou d’un parapsychologue occidental, si ce n’est déjà fait.