La méditation est un mouvement attentif. L’attention n’est pas un achèvement et n’est pas personnelle. L’élément personnel n’intervient que lorsqu’existe un observateur en tant que centre et qui, de ce centre, réfléchit ou domine. Tout ce à quoi il parvient est fragmentaire et limité : l’attention n’a pas de frontières, pas de ligne de démarcation à franchir ; c’est une clarté purifiée de toute pensée. La pensée ne peut jamais atteindre cette clarté, car elle a ses racines dans le passé mort ; penser est donc une action dans les ténèbres. En être conscient c’est être attentif. Mais cette prise de conscience n’est pas une méthode pour parvenir à l’attention. Ce qu’enseigne une méthode est toujours dans le champ de la pensée et de ce fait, peut être contrôlé ou modifié. C’est donc une inattention. L’attention consiste à s’en rendre compte. La méditation n’est pas un processus intellectuel appartenant au champ de la pensée : elle consiste à se libérer de la pensée en un mouvement extatique de vérité.
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Y a-t-il vraiment une dualité ? Oui, objectivement, telle que lumière et ombre ; mais psychologiquement ? Nous acceptons la dualité objective, cela est inhérent à notre conditionnement. Nous ne mettons jamais en doute ce conditionnement. Mais existe-t-il une division psychologique ? Seul existe ce qui est, non ce qui devrait être, lequel n’est qu’une division opérée par la pensée dans son rejet de la réalité (le ce qui est) ou dans son désir de la dominer. D’où la lutte entre l’actuel et l’abstraction. L’abstraction est un fantasme, un idéal romantique. L’actuel est ce qui est, et tout le reste est irréel. C’est l’irréel, non l’actuel, qui engendre la fragmentation. La douleur est l’actuel ; la non-douleur est le plaisir de la pensée qui introduit une division entre la douleur et l’état de non-douleur. La pensée est toujours séparatrice ; en elle est la division du temps, l’espace entre l’observateur et la chose observée. Seul existe ce qui est, et voir ce qui est sans pensée et sans observateur, c’est mettre fin à la fragmentation.
La pensée n’est pas amour, mais en tant que plaisir elle encercle l’amour et introduit la douleur à l’intérieur de sa clôture. En la négation de ce qui n’est pas, ce qui est demeure. En la négation de ce qui n’est pas l’amour, émerge l’amour, où cessent le moi et le non-moi.
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L’épanouissement de la méditation est espace et innocence. Il n’y a pas d’innocence sans espace. L’innocence n’est pas un état infantile : on peut être à la fois physiquement mûr et innocent. Mais le vaste espace qui accompagne l’amour ne peut pas se produire tant que le psychisme n’est pas libéré des nombreuses cicatrices de l’expérience. Ces cicatrices empêchent l’esprit d’être innocent. La méditation consiste à libérer l’esprit de la constante pression de l’expérience.
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L’intellect ne peut absolument pas construire un pont entre lui-même et la liberté. La pensée, qui est une réaction de la mémoire, de l’expérience et du savoir, est toujours vieille, ainsi que l’est l’intellect, et ce qui est vieux ne peut pas construire un pont vers ce qui est neuf. La pensée est essentiellement l’observateur avec ses préjugés, ses peurs et ses angoisses et parce qu’il est isolé, cette pensée-image l’entoure d’une sphère. Ainsi se produit une distance entre l’observateur et l’observé. L’observateur essaie de définir cette distance afin de l’établir et il en résulte un conflit et de la violence.
Il n’y a rien de fantaisiste dans cette description. L’imagination, sous n’importe quelle forme, détruit la vérité. La liberté est au-delà de la pensée ; elle est un espace infini non créé par l’observateur. Rencontrer cette liberté c’est méditer.
Il n’y a pas d’espace sans silence et le silence ne peut pas être construit par le temps, c’est-à-dire par la pensée. Le temps ne conférera jamais la liberté ; l’ordre n’est possible que lorsque le cœur n’est pas submergé par des mots.
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Un esprit méditatif est silencieux. Ce n’est pas un silence que la pensée puisse concevoir ; ce n’est pas le silence d’un soir tranquille ; c’est le silence total qui se produit lorsque s’arrête la pensée, avec toutes ses images, ses mots, ses perceptions. Cet esprit méditatif est l’esprit religieux – celui dont la religion n’est pas atteinte par les églises, les temples et leurs chants.
L’esprit religieux est l’explosion de l’amour. Cet amour-là ne connaît pas de séparation. Pour lui, le lointain est tout près. En lui il n’y a ni l’individu ni le nombre mais plutôt un état dans lequel il n’y a pas de vision. De même que la beauté, il n’appartient pas au monde mesurable des mots. L’esprit méditatif ne puise son action qu’en ce silence.
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La méditation n’est jamais une prière. Les prières, les supplications, sont dictées par la commisération que l’on a pour soi-même. On prie lorsqu’on est en difficulté, lorsqu’on souffre. Mais lorsqu’on est heureux, joyeux, on ne supplie pas. Cette compassion envers soi-même, si profondément enfouie dans l’homme est la racine de son isolement. Se séparer des autres, ou se penser isolé, aller perpétuellement à la recherche d’une identification avec une totalité, c’est amplifier la division et la douleur. Du fond de cette confusion, on invoque le ciel, ou un conjoint, ou une divinité inventée. Cet appel peut attirer une réponse, mais cette réponse est l’écho, dans sa solitude, de la compassion que l’on a pour soi-même.
La répétition de mots, de prières, vous met dans un état d’auto-hypnose, vous enferme en vous-même, vous détruit. L’isolement de la pensée est toujours dans le champ du connu, et la réponse à la prière est la réponse du connu.
La méditation est fort éloignée de tout cela. La pensée ne peut pas pénétrer dans son champ qui ne comporte pas de séparation, donc pas d’identité. La méditation est à ciel ouvert, les secrets n’y ont aucune place. Tout y est exposé, tout y est clair ; alors la beauté de l’amour est.
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La méditation est la fin du langage. Le silence ne peut pas être provoqué par la parole, le mot étant la pensée. L’action engendrée par le silence est totalement différente de celle que provoque le mot. La méditation consiste à libérer l’esprit de tout symbole, de toute image, de tout savoir.
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L’esprit se libérant du connu ; c’est cela, la méditation. La prière va du connu au connu. Il peut arriver qu’elle produise des résultats ; mais ils ne sont encore que dans le champ du connu, et le connu est le conflit, la misère, la confusion. La méditation est le rejet total de tout ce que l’esprit a accumulé. Le connu est l’observateur, et l’observateur ne peut voir que le connu. L’image est du domaine du passé et la méditation met un terme au passé.
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La méditation est toujours neuve. Elle ne subit pas de contact avec le passé car elle n’a pas de continuité. Le mot « neuf » ne transmet pas la fraîcheur de ce qui n’a jamais encore été là. Telle la flamme d’une bougie que l’on a éteinte et rallumée, la nouvelle lumière n’est pas l’ancienne, bien que la bougie soit la même. La méditation n’a une continuité que lorsque la pensée la colore, la façonne et lui donne une raison d’être. Un but et un sens donnés à la méditation par la pensée, deviennent un esclavage dans le champ de la durée. Mais une méditation que n’effleure pas la pensée a son mouvement propre, qui n’est pas dans le temps. Le temps implique le vieux et le neuf est un mouvement qui va des racines du passé au surgissement du lendemain. Mais la méditation est une tout autre floraison. Elle n’est pas le produit de l’expérience d’hier et, par conséquent, n’a pas du tout de racines dans le temps. Elle a une continuité qui n’est pas celle de la durée. Le mot continuité en méditation porte à des malentendus, car ce qui était hier n’a pas lieu aujourd’hui. La méditation d’aujourd’hui est un nouvel éveil, une nouvelle floraison de la beauté, de la rectitude.
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C’est à cause du silence que tout existe. La musique que vous entendiez ce matin surgissait du silence et vous l’entendiez parce que vous étiez silencieux, et elle s’en allait en silence au-delà de vous.
Mais nous n’écoutons pas le silence parce que nos oreilles sont pleines du bavardage de nos esprits. Lorsqu’on aime et qu’il n’y a pas de silence, la pensée transforme l’amour en un jeu d’une société dont la culture est l’envie et dont les dieux sont fabriqués par l’esprit et la main. Le silence est là où vous êtes à la fois en vous-même et en dehors de vous.
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La méditation est l’apogée de toute énergie. Ce summum, on ne peut pas l’obtenir petit à petit, en refusant de reconnaître pour vrai ceci ou cela, en captant ceci et s’accrochant à cela ; c’est plutôt un déni total, sans choix, de toute dissipation d’énergie. Un choix est toujours le fait d’une confusion. Le gaspillage d’énergie est essentiellement une confusion et un conflit. Voir ce qui est, exige, à quelque moment que ce soit, l’attention de toute l’énergie, ce qui ne comporte ni contradiction ni dualité. Cette énergie totale ne s’obtient pas par l’abstinence ou par des vœux de chasteté et de pauvreté. Toute détermination et tout acte de volonté sont une perte d’énergie du fait qu’ils impliquent la pensée, et la pensée est de l’énergie gaspillée, ce que la perception n’est jamais. Voir n’est pas un effort déterminé. Cela ne comporte pas un « je verrai », mais seulement « voir ». L’observation élimine l’observateur, et en cela il n’y a pas le gaspillage d’énergie qui se produit lorsque le penseur s’efforce d’observer. L’amour n’est pas de l’énergie perdue, mais lorsque la pensée le transforme en plaisir, la douleur dissipe l’énergie. La somme de l’énergie (ou de la méditation) est une incessante expansion, et l’action dans la vie quotidienne devient un de ses éléments.
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Les opinions peuvent être cultivées, affermies, durcies, et la plupart des actions sont basées sur ce qu’on aime et ce qu’on n’aime pas. Le durcissement de l’expérience et des connaissances s’exprime dans l’action, mais une telle action divise et sépare l’homme de l’homme ; ce sont les opinions et les croyances qui empêchent l’observation de ce qui est. La capacité de voir ce qui est, fait partie de cette intelligence qui est l’objet de votre question. Il n’y a pas d’intelligence sans une sensibilité du corps et de l’esprit, c’est-à-dire une sensibilité sensorielle et une clarté dans l’observation. L’émotivité et la sentimentalité sont des entraves à cette sensibilité. Être sensitif en un domaine et endurci en un autre, c’est être dans un état de contradiction et de conflit qui dénie l’intelligence. Rassembler en un tout des morceaux éparpillés n’engendre pas l’intelligence. La sensibilité est attention, laquelle est intelligence. L’intelligence n’a aucun rapport avec les connaissances et les informations. Les connaissances sont toujours le passé ; on peut leur faire appel en vue d’agir dans le présent, mais elles limitent toujours le présent. L’intelligence est toujours dans le présent ; elle ne se situe dans aucun temps.
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La méditation consiste à éliminer de l’esprit toute malhonnêteté. La pensée engendre la malhonnêteté. La pensée qui s’efforce d’être honnête juge par comparaisons et est, par conséquent, malhonnête, car toute comparaison est un processus d’évasion, et est donc malhonnête. L’honnêteté n’est pas l’opposé de la malhonnêteté ; ce n’est ni un principe ni un conformisme mais plutôt la perception totale de ce qui est. Et la méditation est le mouvement silencieux de cette honnêteté.
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On ne peut jamais entreprendre une méditation ; elle doit se produire sans qu’on la recherche. Si vous la recherchez ou si vous demandez comment méditer, la méthode non seulement vous conditionnera, mais elle renforcera votre conditionnement présent. La méditation, en réalité, est le déni de toute la structure de la pensée. La pensée est structurale, raisonnable ou déraisonnable, objective ou malsaine, et lorsqu’elle essaie de méditer par raison ou à partir d’un état contradictoire et névrosé, elle projette inévitablement ce qu’elle est, et prend sa structure pour une grave réalité. C’est comme le croyant qui médite sur sa propre croyance : il renforce et sanctifie ce qu’il a créé lui-même, poussé par sa peur. Le mot est l’image ou le tableau, objet d’une idolâtrie qui devient la pensée essentielle.
Le bruit construit sa propre cage sonore. Il en résulte que le bruit de la pensée provient de la cage, et c’est ce mot et sa sonorité qui séparent l’observateur et l’observé. Le mot n’est pas seulement un élément du langage, il n’est pas un simple son, c’est aussi un symbole, le rappel de tout souvenir susceptible de déclencher le mouvement de la mémoire, de la pensée. La méditation est l’absence totale de ce mot. La racine de la peur est le mécanisme du mot.
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À la lumière du silence tous les problèmes se dissolvent. Cette lumière n’est pas engendrée par l’ancien mouvement de la pensée. Elle n’est pas engendrée, non plus, par une connaissance qui vous révèle à vous-même. Elle n’est pas éclairée par le temps ou par un quelconque acte de volonté. Elle surgit en la méditation. La méditation n’est pas une affaire privée ; ce n’est pas une recherche personnelle du plaisir ; le plaisir isole toujours, et divise. En la méditation la ligne de séparation entre vous et moi disparaît ; en elle la lumière du silence détruit ma connaissance de moi-même. Le moi peut être étudié indéfiniment, car il varie de jour en jour, mais on ne l’atteint jamais que d’une façon limitée, quelqu’étendus que soient les moyens d’approche. Le silence est liberté, et la liberté se produit en tant qu’acte final d’un ordre complet.
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L’imagination et la pensée n’ont aucune place dans la méditation. Elles conduisent à la servitude et la méditation apporte la liberté. Le bien et ce qui donne du plaisir sont deux choses différentes ; l’un confère la liberté, l’autre nous soumet à la domination du temps. La méditation est un état libéré du temps. Le temps est l’observateur, celui qui fait l’expérience, le penseur ; le temps est la pensée : la méditation consiste à aller au-delà et au-dessus des activités du temps.
L’imagination est toujours dans la sphère du temps, et quelque cachée et secrète qu’elle puisse être, elle agit. Cette action de la pensée conduit inévitablement à un conflit et à la soumission au temps. Méditer c’est être innocent en ce qui concerne le temps.
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Méditer c’est transcender le temps. Le temps est la distance que parcourt la pensée dans ses élaborations. Ce parcours s’effectue toujours le long d’un chemin ancien muni de nouveaux revêtements, de nouveaux sites, mais c’est toujours le même, qui ne mène nulle part, si ce n’est à la douleur et à l’adversité.
Ce n’est que lorsque l’esprit transcende le temps que la vérité cesse d’être une abstraction. Alors la félicité n’est pas une idée basée sur la notion de plaisir, mais un fait réel qui n’est pas verbal.
Vider l’esprit de tout ce qui se rapporte au temps c’est y introduire le silence de la vérité. Voir qu’il en est ainsi, c’est faire que cela soit. Il n’y a donc là aucune division entre voir et faire. C’est dans l’intervalle entre voir et faire que naissent les conflits, les misères, les confusions. Ce qui n’est pas dans le temps est l’éternité.
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La méditation est l’éveil de la félicité ; elle appartient aux sens et à la fois les transcende. Elle n’a pas de continuité parce qu’elle n’appartient pas au temps. Le bonheur et la joie des relations avec les choses, la vision d’un nuage qui porte sur lui la terre, et la lumière du printemps sur les feuilles, sont une félicité de l’œil et de l’esprit. Cette félicité peut être cultivée par la pensée et dotée d’une durée dans l’espace de la mémoire, mais ce prolongement n’est pas la félicité de la méditation, qui inclut l’intensité des sens. Les sens doivent être aiguisés et en aucune façon déformés par la pensée, par la discipline d’un conformisme et d’une morale sociale. La liberté des sens n’implique aucune complaisance : la complaisance est le plaisir de la pensée. La pensée est semblable à la fumée d’un feu et la félicité est le feu sans la fumée dont le nuage fait larmoyer. Le plaisir est une chose, la félicité est tout autre chose. Le plaisir est la servitude de la pensée et la félicité est au-delà et au-dessus de la pensée. Le fondement de la méditation consiste à comprendre la pensée et le plaisir, avec leur morale et la discipline qui réconforte. La félicité de la méditation n’appartient ni au temps, ni à la durée ; elle est au-delà des deux et n’est donc pas mesurable. Son extase ne se produit ni dans le regard du spectateur ni dans l’expérience du penseur.
La pensée ne peut pas la toucher avec ses mots, ses symboles, et la confusion qu’elle engendre ; elle n’est pas un mot susceptible de prendre racine dans la pensée et d’être façonné par elle. La félicité surgit du silence complet.
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La méditation est l’action du silence. Nos actions émanent d’opinions, de déductions, de connaissances, ou d’intentions spéculatives. Elles aboutissent nécessairement à des contradictions agissantes, entre ce qui est et ce qui devrait être, ou ce qui a été. L’action qui émane du passé qu’on appelle le savoir est mécanique. Elle est capable de s’adapter et de se modifier, mais ses racines demeurent dans le passé. Ainsi, l’ombre du passé recouvre toujours le présent. Dans ses rapports, une telle action résulte d’images, de symboles, de conclusions ; les relations deviennent alors des choses du passé, extraites de la mémoire, et non des choses vivantes. Les activités issues de ces bavardages, de ce désarroi, de ces contradictions, vont leur chemin, réduisent en morceaux, des cultures, des communautés, des institutions sociales, des dogmes religieux. À travers ce bruit incessant, la révolution d’un nouvel ordre social est présentée comme si elle était quelque chose de réellement neuf, mais comme elle procède du connu au connu, elle n’est pas du tout un changement. Il n’y a de changement possible que par la négation du connu ; alors l’action n’est pas conforme à une idéation, mais naît d’une intelligence en perpétuel renouvellement.
L’intelligence n’est pas un discernement, ou un jugement, ou une évaluation critique. Être intelligent c’est voir ce qui est. Or ce qui est, change constamment, donc une vision qui se fixe dans le passé cesse d’être intelligente. Le poids mort de la mémoire dicte alors l’action, non l’intelligence de la perception. La méditation consiste à voir tout cela d’un coup d’œil. Et pour voir il faut le silence, et de ce silence découle une action totalement différente des activités de la pensée.
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L’esprit humain qui a produit tant de ravages dans le monde, est fondamentalement effrayé par lui-même. Comme il connaît le point de vue matérialiste de la science, ses succès, son emprise grandissante sur les esprits, le voici qui commence à élaborer une nouvelle philosophie. Les philosophies d’hier cèdent la place à de nouvelles théories, mais les problèmes fondamentaux de l’homme demeurent sans solutions.
Au milieu de la confusion des guerres, des dissensions, des égoïsmes implacables, la mort, élément majeur, est là. Les religions, des plus anciennes aux plus récentes, ont conditionné l’homme en fonction de dogmes, d’espoirs et de croyances qui fournissent à ce sujet des réponses toutes faites. Mais la mort ne trouve pas de réponse dans la pensée, dans l’intellect. La mort est un fait qu’on ne peut pas contourner.
Il vous faut mourir pour savoir ce qu’est la mort, et c’est, apparemment, quelque chose que l’homme ne peut pas faire, car il a peur de mourir à tout ce qu’il sait, à ses espoirs et à ses visions les plus intimes, les plus profondément enracinés.
Il n’y a, en réalité, pas de demain mais beaucoup de demains sont là, entre le maintenant de la vie et le futur de la mort. L’homme vit avec peur et angoisse dans cet intervalle séparateur bien qu’il ait les yeux toujours ouverts sur l’inévitable. Mais il ne veut même pas en parler et décore les tombes avec toutes les choses qu’il connaît.
Mourir à tout ce que l’on connaît – non pas à une forme particulière de connaissance mais à tout le connu – c’est cela la mort. Inviter le futur – la mort – à assumer tout l’aujourd’hui, c’est la mort totale ; alors il n’y a plus de fossé entre vie et mort. Alors mourir c’est vivre et vivre c’est mourir.
Cela, apparemment, est ce que personne n’a envie de faire. Et pourtant l’homme est toujours à la recherche du neuf, tenant toujours ce qui est vieux dans une main, l’autre main tâtonnant dans l’inconnu, en quête du neuf. Il en résulte le conflit inévitable d’une dualité – le moi et le non-moi, l’observateur et l’observé, le fait et ce qui devrait être.
Ce tumulte cesse complètement avec la fin du connu. Cette fin est la mort. La mort n’est pas une idée, un symbole, mais une affreuse réalité à laquelle vous ne pouvez pas échapper en vous accrochant aux choses d’aujourd’hui, qui sont d’hier, ou en adorant le symbole de l’espoir.
On doit mourir à la mort ; alors seulement naît l’innocence, alors seulement le neuf intemporel entre en existence. L’amour est toujours neuf et le souvenir de l’amour est la mort de l’amour.
Extraits de La Révolution du Silence