Dennis Boyes
Différences entre les méthodes occidentales et orientales

(Revue 3e Millénaire. Ancienne série. No 17. Novembre/Décembre 1984) Aspects psychologiques et spirituels de la relaxation (Fin) Voici la conclusion de la série d’études que Dennis Boyes nous a donnée concernant les aspects psychologiques et spirituels de la relaxation. Pour cette conclusion, Dennis Boyes analyse les différences fondamentales qui opposent les méthodes occidentales de relaxation […]

(Revue 3e Millénaire. Ancienne série. No 17. Novembre/Décembre 1984)

Aspects psychologiques et spirituels de la relaxation (Fin)

Voici la conclusion de la série d’études que Dennis Boyes nous a donnée concernant les aspects psychologiques et spirituels de la relaxation. Pour cette conclusion, Dennis Boyes analyse les différences fondamentales qui opposent les méthodes occidentales de relaxation et les méthodes orientales. On verra tout de suite le gouffre qui sépare les deux conceptions et que les ponts susceptibles de les relier n’existent pratiquement pas car l’homme ne connaît pas de moyen d’atteindre à l’être intérieur en passant par le mental et l’ego.

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Beaucoup de méthodes occidentales de relaxation utilisent la suggestion, ce qui n’est pas le cas des méthodes ayant leur origine dans une source orientale authentique. Les raisons pour cela sont claires et évidentes ; les voici :

Premièrement, la suggestion est un procédé mental qui manipule des pensées, alors que toutes les pratiques yogiques, qu’elles soient posturales, respiratoires, relaxatoires ou méditatives, situent le pratiquant dans une dimension autre que les pensées et le mental, et même si des pensées viennent à l’esprit, elles ne sont pas prises comme moyen, mais seulement observées comme des visiteurs dans le champ de l’attention. Au niveau de la pensée, l’être humain se prend pour un fonctionnement, alors que le yoga, grâce à l’observation silencieuse, permet de se réaliser en tant qu’existant, en tant qu’être. La différence est capitale. Le yoga affirme que l’on ne peut pas, au moyen de la pensée, effectuer une transformation profonde de soi.

La suggestion, comme toute activité mentale, et particulièrement dans le cas présent, vise un but futur : remplacer un état actuel (négatif) par un autre état à venir (positif), mais qui n’est pas encore. Par exemple, la personne se trouve timide et, n’étant pas satisfaite de son état, suggère que dorénavant elle sera courageuse dans toutes les circonstances. Ce procédé risque fort de créer un conflit entre le fait actuel (la timidité) et le désir d’imposer le contraire de ce qui est (le courage), car le refus de la timidité et le désir du courage provoquent des tensions psychologiques, du fait que le désir du courage n’est rien d’autre qu’une fuite de la timidité. Le mental est encore actif dans cette démarche sous la forme du vouloir, qui traduit toujours un désir de l’ego en vue d’obtenir ou d’éviter quelque chose. A supposer même que la technique de la suggestion pourrait parvenir à son but, ce ne serait rien d’autre que l’affirmation de l’ego dans son aspect positif (le courage). L’on n’aurait pas vraiment changé de plan, et l’on ne serait pas plus avancé sur la voie de la connaissance de soi, au contraire, le pourquoi et le comment de la timidité seraient passés totalement inaperçus.

Les pratiques yogiques obligent l’adepte à vivre l’instant présent et à faire face aux problèmes par une prise de conscience directe, au lieu de les fuir ou de vouloir imposer le contraire de ce qui est. L’on apprend à accepter d’abord le problème, puis à le regarder sans vouloir le modifier ni l’éliminer. La transcendance se fait alors d’elle-même, sans qu’on ait besoin de faire intervenir la pensée, l’image, le désir, etc. Ainsi aucun état conflictuel n’est produit, car il n’y a plus de rapport de force entre deux éléments antagonistes, et l’on n’a pas essayé de remplacer le fait actuel par son contraire.

Il découle de ce qui vient d’être dit que la suggestion est du domaine de l’ego, et du vouloir qui le traduit en vue de devenir autre que l’on est actuellement. Ce mouvement de devenir qui se sert du temps pour fortifier le moi s’arrête là où le yoga commence, car le yoga vise la disparition de l’illusion de l’ego et à faire halte au processus du devenir par l’irruption de l’Être, d’un facteur qui n’est pas fabriqué par la pensée ou par les images. L’ego courageux une fois obtenu, il faudrait alors l’abandonner ; à quoi bon donc passer son temps à le construire ? Pourquoi ne pas commencer tout de suite avec l’essentiel ?

L’utilisation d’images et de concepts dans la relaxation fortifie l’identification de l’esprit avec les noms et les formes (namarupa en sanscrit), ce qui est le contraire du propos du yoga. Les formes sont une projection des images mentales, alors que les concepts fixent ces formes dans l’esprit qui, ayant peur du changement, se sécurise en figeant ainsi le monde. On voit cette tendance très nette dans les civilisations modernes, où le nom et la forme sont devenus tellement importants, selon les valeurs matérialistes. Les concepts tendent à stabiliser ce qui est foncièrement changeable, et tendent à empêcher ainsi l’évolution des choses et des êtres en les faisant stagner dans le passé. Autrement dit, les images et les concepts excluent une perception immédiate des choses, qui ne peuvent pas alors être vues telles qu’elles sont dans leur nature propre. C’est le processus même de l’illusion (maya).

Dans l’ensemble, les gens sont déjà trop obnubilés par les images et les concepts, et c’est pourquoi ils sont friands de méthodes qui exploitent ces activités. Mais c’est leur rendre un très mauvais service, car on ne fait qu’aller dans le sens des habitudes de leur ego. La relaxation yogique doit faire l’exact contraire : éveiller le pratiquant au-delà du courant des images et des concepts, le libérer du besoin de figer les choses et de s’identifier aux formes et aux noms. L’adepte peut alors parvenir à accepter que les choses changent et qu’il n’y a rien de permanent : la sécurité n’existe pas. Alors que les images et les concepts fortifient l’emprise du nom et de la forme, le yoga opère la désidentification d’avec ces derniers, puis la découverte d’un domaine informel et innommable.