(Revue Itinérance. No 2. Novembre 1986)
Se faire violence.
N’est-ce pas la loi première de
toute règle ?
Celle-là même de l’écriture – et
du poème.
Et cette violence, n’est-elle pas
de la nature du vent dont nul ne
sait d’où il vient et où il va ?
Se faire violence pour se jeter au
fleuve. Pour plonger à l’insécurité
d’une eau dans le même temps à
sa source et à la mer. Pour aller
seul, sans guide, sans foi. Pour
n’être que là – dans sa nuit.
Nu.
S’obliger à demeurer dans le
silence à l’écoute de ce qui ne
sera peut-être qu’une seule
attente durant des mois, voire
des années. Sachant que sur ces
longues plages, sur ces grèves
désertes, ne viendront battre que
quelques vagues pour se retirer
aussitôt au grand large du désir
et qui n’apporteront qu’épaves
inutiles.
S’il vient jamais à se dire une
parole, n’être plus qu’éveil
vigilance tremblante : un chemin
s’est ouvert, une première invite.
Une sente étroite, si étroite ! et
qui va se dérober à chaque pas,
qu’il va falloir affirmer à travers
une forêt déroutante.
Tout au long du sentier se
contraindre pour chaque pas qui,
de son propre mouvement doit
entraîner un autre pas qui…
pour que s’ouvre une trace à
trouver dans la nuit. Et que seule
parfois dirige une brise légère, à
peine un souffle de petit enfant.
Passer et repasser une fois, cent
fois la page, le texte qui s’écrit,
pour en éliminer tout accident,
toute dérive trop aimable, chaque
clin d’œil, toute fermeture.
Que tout arrêt, tout silence ne
soient jamais qu’appels à
rebondir vers de nouveaux
horizons. Accepter de ne pouvoir
toucher à aucun port, de ne
trouver aucun accueil.
…et puis aussi, parfois, cesser de
se faire violence. Lorsqu’un mot,
une phrase, arrive, si rare, d’on
ne sait quel ciel pour se poser sur
la page comme une clarté
soudaine, accordée sur le chemin.