Radha Burnier
Apprendre à être satisfait

Nous pouvons admettre que, pour éviter les grandes souffrances, nous devons nous libérer du désir insatiable. Mais les grandes souffrances ne sont que les formes concentrées de tous les petits moments de tristesse, de mécontentement et de manque que nous expérimentons jour après jour. Accumulés, ils deviennent visibles, mais quand ils sont le tissu de la vie quotidienne, nous ne remarquons pas ces petites choses et ne sentons pas que nos petits manques causent tous les problèmes. Cela ne veut pas dire qu’on ne doive pas se procurer ce qui est nécessaire. Une nouvelle bouilloire dans la cuisine peut être nécessaire, et on peut se la procurer. Mais si nous croyons que le fait d’avoir cette bouilloire va nous rendre plus heureux, c’est une idée complètement fausse. C’est une forme d’ignorance d’associer la bouilloire ou tout autre chose avec notre bien-être.

(Revue Le Lotus Bleu. No 2. Février 2004)

Au Japon, dans un jardin de renommée mondiale d’une exquise beauté, où toutes les plantes et les arbres, le moindre rocher, la moindre pierre, les sentiers qui serpentent autour des temples et des maisons de thé, tout semble faire partie d’une harmonie parfaite, il y a une simple phrase inscrite sur un petit bassin en pierre qui exprime une vision essentielle des Instructeurs Zen : « J’apprends seulement à être satisfait ». Des siècles de méditation des moines Zen, qui contemplaient la création en se focalisant sur l’essence de la vie, ont doté cet endroit unique d’une atmosphère de profonde tranquillité, telle qu’on en fait rarement l’expérience. « Celui qui apprend seulement à être satisfait, nous dit-on, est spirituellement riche, tandis que celui qui n’apprend pas à être satisfait, est spirituellement pauvre, même s’il est matériellement riche ».

Etre profondément satisfait, n’être troublé par rien, est un art qu’il faut apprendre. La plupart d’entre nous sont facilement perturbés par de nombreux petits incidents, quelquefois par l’existence de besoins imaginaires. Les moines Zen vivaient avec très peu de choses. Leur environnement était beau et adapté, et le jardin qu’ils entretenaient et plantaient semble exprimer la profondeur de leur méditation.

Etre profondément satisfait, ne rien demander, est intrinsèque à la nature d’un vrai yogi, qui est santushta, comme l’affirme la Bhagavad-Gita. Le verbe tush signifie être heureux et satisfait — non pas satisfait d’avoir obtenu quelque chose, ou d’avoir échappé à quelque chose, mais de tout ce qui est, sans penser à ce qui devrait être. Dans la liste des qualifications données pour la pratique de l’octuple sentier du yoga, il y a aussi santosha.

De nombreux instructeurs en ont parlé de différentes façons. Krishnamurti, à un moment donné, a parlé du sentier du bonheur menant à la libération. Il faisait référence au fait que nous voulons que les choses, les gens et les circonstances soient autres que ce qu’ils sont : Le problème individuel est le problème du monde. Si un individu est malheureux, mécontent, insatisfait, alors le monde autour de lui est dans la tristesse, le mécontentement et l’ignorance (adresse, 1928).

Nous avons trop d’idées sur ce qui devrait être, selon nos propres perceptions limitées, et ainsi nous créons nous-mêmes ce qui nous empêche d’être satisfaits avec tout ce qui est, que ce soit la douleur ou le plaisir, les difficultés ou le confort. Obtenir ce qu’on veut, ou ne pas y réussir, remplit de joie le mental ou le déprime. En revanche, un état non troublé de paix et de joie intérieures est trouvé seulement quand le mental est conscient d’une réalité au-delà des phénomènes transitoires.

Le noble sentier octuple du Seigneur Bouddha suggère comment vivre avec contentement. Nous devons commencer par la pensée juste, la juste vision de la vie. Le point de vue communément admis que, pour être en sécurité, heureux et à l’aise, nous devons obtenir ou acquérir différentes choses, matériellement et psychologiquement, fait partie de la pensée incorrecte. Le désir insatiable est la cause de la souffrance. Nous pouvons admettre que, pour éviter les grandes souffrances, nous devons nous libérer du désir insatiable. Mais les grandes souffrances ne sont que les formes concentrées de tous les petits moments de tristesse, de mécontentement et de manque que nous expérimentons jour après jour. Accumulés, ils deviennent visibles, mais quand ils sont le tissu de la vie quotidienne, nous ne remarquons pas ces petites choses et ne sentons pas que nos petits manques causent tous les problèmes. Cela ne veut pas dire qu’on ne doive pas se procurer ce qui est nécessaire. Une nouvelle bouilloire dans la cuisine peut être nécessaire, et on peut se la procurer. Mais si nous croyons que le fait d’avoir cette bouilloire va nous rendre plus heureux, c’est une idée complètement fausse. C’est une forme d’ignorance d’associer la bouilloire ou tout autre chose avec notre bien-être.

La pensée juste inclut le fait d’examiner nos désirs et la psychologie du manque. Alors nous pouvons nous rendre compte que si nous restons attachés à nos désirs et pensons qu’ils doivent être satisfaits, nous créons notre propre malheur. Pensons à ces gens qui ont beaucoup moins que nous, qui vivent en souriant avec si peu de choses. Il ne suffit pas de dire : « Je les plains ». Nous devons apprendre que nous aussi nous pouvons vivre avec très peu de choses. Quelquefois des gens considérés comme malfaisants jouissent de toutes sortes d’avantages matériels. Cela peut nous rendre mécontents et nous faire dire : « Je n’ai rien fait de mal, mais cet homme qui a fait tant de mauvaises choses jouit de ce que Je n’ai pas ». L’envie, la jalousie et d’autres formes de mécontentement nous ramènent au même point : ils naissent tous de ce désir insatiable.

Ainsi, chaque Jour, nous devons mettre en question nos attitudes et notre attachement aux choses. Tout ce que nous pensons nécessaire à notre satisfaction émotionnelle, mentale et physique, doit être examiné. Quand on est capable de lâcher prise et de se détacher de l’idée même de trouver des satisfactions, il est possible de vivre satisfait. « J’apprends seulement à être satisfait » est une phrase merveilleuse pour la méditation. Nous pouvons juger utile de passer en revue chaque soir les désirs et les pensées, si futiles semblent-ils, qui s’opposent à la vérité de cette déclaration, et découvrir comment le mental imagine que nous avons besoin de ce qui n’est pas nécessaire pour notre bonheur.

Le bonheur n’est ni l’exubérance, ni l’excitation, ni la frivolité, mais un profond sentiment intérieur de paix. Si nous pouvons apprendre à l’avoir en toutes circonstances, nous nous dirigeons vers le sentier de la liberté. Malheureusement, nous nous rendons esclaves des choses, des gens et des circonstances. Nous nous imaginons qu’à moins d’avoir la compagnie d’une personne particulière — mari, femme ou enfant — le bonheur n’est pas possible. Dans la prochaine incarnation, cette personne ne sera ni notre enfant, ni notre femme, ni notre mari ! Il nous faut être satisfait quelle que soit la personne avec qui nous sommes, même s’il s’agit de quelqu’un d’exaspérant. Quelquefois, le karma nous met dans cette position et nous devons vivre avec quelqu’un de pénible et d’exaspérant.

Un des Mahatmas écrivait : « Quitter votre monde et venez dans le nôtre. » Quel est leur monde ? A notre stade, nous ne pouvons le savoir pleinement, mais nous savons qu’ils expérimentent la paix qui dépasse toute conception, la paix de l’Eternel. Leur monde est au-delà des mondes du changement. La terre elle-même change et tout ce qui a une forme change, il est donc nécessaire de comprendre la vérité de l’impermanence. Si nous croyons que l’impermanent est permanent, nous ne pouvons pas être heureux. Par contre, en faisant face avec équanimité à la naissance et à la disparition de toutes choses, nous pouvons apprendre à être vraiment satisfaits. Parfois, la naissance de certaines créatures nous semble choquante. Dans les contrées tropicales, juste après la pluie, un certain type de fourmis volantes envahissent les maisons. Nous pouvons ne pas vouloir leur naissance, mais elles naissent, que nous le voulions ou non. Les scorpions, les moustiques, les mille-pattes et d’autres créatures apparaissent et disparaissent indépendamment de notre volonté. Nos attachements aussi bien que nos désapprobations nous causent frustration et douleur parce que nous restons aveugles au fait que la douleur, comme le plaisir, est un produit du mental.

H.P.B. comparait le monde à un théâtre où nous avons des rôles à jouer, parfois même le rôle d’un héros. Ce n’est qu’un rôle, mais nous devons le jouer correctement. Nous ne pouvons pas être irresponsables. Dans chaque incarnation, il y a un rôle — de serviteur ou de chef, de mère ou d’enfant. Quel que soit le rôle, seule une portion de notre vraie nature se montre à travers ce rôle. Cette nature est beaucoup plus grande que ce qui se révèle dans un rôle particulier, tous devant être accomplis au mieux de nos possibilités. Ceci est svadharma (notre propre dharma). En changeant de rôle dans les différentes incarnations, un développement complet se réalise. Si nous devions jouer toujours le même rôle, nous serions disproportionnés, avec de grosses déficiences. Quand nous voyons l’image globale, nous apprenons à être satisfaits et perdons le désir d’échapper à la leçon que nous procure cette incarnation, et de vouloir quelque chose d’autre.

La littérature théosophique dit que la conscience au niveau causal (karana) est le dépôt des leçons apprises dans chaque incarnation et avec chaque nouvel apport. Elle se développe et brille d’un nouvel éclat. Il y a ainsi, en chaque être humain, un vaste potentiel à développer. C’est pourquoi le mental doit être gardé ouvert pour découvrir le monde réel en soi-même et en tous les êtres humains. Quand les Maîtres disent : « Quittez votre monde et venez dans le nôtre », ils nous invitent à aller au-delà de la connaissance fragmentaire, de toute illusion et de toutes les prétentions, vers la contrée de la vérité, vers une dimension où tout est beauté, sagesse, paix, et où toutes les valeurs impérissables résident dans la pure conscience.

La phrase « J’apprends seulement à être satisfait » ouvre de larges perspectives sur la méditation. Plus nous sommes conscients que notre monde n’est pas le monde de la vérité, mais un monde d’expérience, et qu’il y a une dimension différente où toutes choses sont bénies, plus il nous sera facile de demeurer satisfaits avec ce qui est ici.

Radha BURNIER

The Theosphist Novembre 2003

Dans notre vie, tous les événements viennent en leur temps. C’est uniquement l’attitude de notre mental qui nous y fait voir une cause de bonheur ou de souffrance.

RAMDAS

Puissé-je n’avoir d’autre but que le but de la nature, d’autre plan que le plan de Dieu, d’autre amour que l’amour de l’homme, d’autre volonté que la volonté de l’Éternité.

SRI RAM