Aspects physiologiques du Zazen

La plus grande partie des expériences réalisées pendant la pratique de zazen utilisent la technique E.E.G. Grâce à cette technique, on peut enregistrer l’activité électrique de la surface du cerveau. Elle permet d’obtenir des informations sur le niveau d’excitation du cortex cérébral, mais les renseignements obtenus sont globaux puisqu’ils correspondent à l’activité de milliers des neurones présents dans la région où est réalisé l’enregistrement. L’E.E.G. a l’allure d’une oscillation rythmique, en général assez complexe. Mais on peut facilement reconnaître différents types de tracés correspondant à différents niveaux de vigilance.

(Revue Question De. No 48. Juillet-Août 1982)

Dans l’enseignement de l’école Soto du Zen japonais, tout converge vers la pratique de zazen. Les raisons historiques de l’importance accordée à cette posture sont évidentes, puisque c’est dans cette posture que Bouddha est parvenu à l’illumination. Plus tard, en introduisant le Tchan en Chine, Bodhidharma a conservé neuf ans cette posture. Enfin, c’est en revenant sans cesse au zazen, que Dogen a transmis le Zen au Japon.

On peut s’interroger sur les raisons pratiques du choix de cette posture. Est-ce que n’importe quelle autre posture assise ne pourrait pas être aussi valable ? Quelles sont les qualités particulières et les conséquences de la pratique de cette posture ? Tenter de répondre à ces questions mène à une réflexion sur zazen, et il est nécessaire pour cela de s’appuyer sur des données expérimentales. On ne peut ici qu’amorcer une telle discussion. Je me propose de distinguer trois niveaux d’analyse différents dans zazen : le niveau postural, le niveau fonctionnel, le niveau psychologique. Certes, de telles distinctions sont artificielles, zazen constituant un tout indissociable, mais elles sont utiles pour ne pas tomber dans la confusion.

Le niveau postural

Une constatation s’impose d’emblée : sur le plan de la stabilité, aucune autre posture assise n’est aussi solide que le lotus (ou le demi-lotus). Cette qualité avait déjà été reconnue dans le yoga primitif et l’on en trouve des descriptions dans les plus anciens textes indiens pour la pratique de la méditation. En effet, dans cette position, les membres sont agencés de façon à ce que le tronc puisse maintenir la position verticale avec une base d’appui au sol large, le centre de gravité étant très bas et au milieu du triangle formé par les deux genoux et les fesses. Sur cette base se dresse la partie supérieure du corps dont l’équilibre peut être facilement contrôlé, les muscles antigravitaires ayant la possibilité de corriger toute oscillation autour de la verticale. Ce contrôle est d’autant plus strict qu’il n’y a pas de réajustement d’équilibre dû aux mouvements, et que l’architecture squelettique (membres et colonne vertébrale) se trouve dans une disposition stable.

Le redressement de la colonne vertébrale non seulement facilite le contrôle de l’équilibre autour d’un axe vertical, mais permet aussi une détente de l’ensemble de la musculature qui n’est pas concernée par le maintien de la position. Ainsi la musculature des épaules, des bras, du ventre, se trouve relâchée. Outre l’effet bénéfique immédiat dû à cette relaxation musculaire, cela permet aussi de supprimer les tensions imposées aux viscères, et peut avoir des conséquences sur le fonctionnement des appareils digestif, urinaire et sexuel. De plus, le redressement du corps et la détente de la partie supérieure du tronc permettent aux poumons de se gonfler d’air de façon optimum sans que la musculature respiratoire n’ait à fournir d’effort important.

Cependant, la mise au repos des muscles impliqués dans la locomotion et la vie de relation n’implique pas pour autant que l’ensemble des muscles striés (muscles rouges) soit relâché. En effet, le maintien de la position érigée par le tronc implique que la musculature de soutien conserve un tonus [1] suffisant, essentiellement au niveau de la musculature dorsale, et en particulier au niveau de la nuque pour le maintien de la tête. Des enregistrements de l’activité électrique (électromyogramme) de ces muscles pendant la pratique de zazen montrent effectivement qu’ils ne sont pas au repos. Il apparaît cependant que l’effort exigé par ces muscles diminue avec l’expérience de zazen, puisque chez les sujets très entraînés au zazen, on constate une activité musculaire dans l’ensemble plus faible que chez des sujets débutants. Ceci correspond d’une part, à l’élimination des crispations inutiles au maintien de la posture et d’autre part, à un apprentissage de l’équilibre de la charpente osseuse qui a pour conséquence de diminuer l’effort de la musculature de soutien.

Mais l’équilibre postural, la relaxation musculaire et le maintien du tonus antigravitaire obtenus en zazen, sont-ils une fin en soi ? Autrement dit, le maintien d’une position simple et rigoureuse est-il le seul but de l’assise en zazen ? En fait, il n’en est rien. L’affirmation des maîtres du Zen selon laquelle le corps et l’esprit sont une unité, trouve son expression dans zazen. L’attitude du corps et l’attitude de l’esprit sont liées. Différentes attitudes correspondent à différents états d’esprit, de même que tel ou tel sentiment va s’exprimer dans le corps.

Stabilité

Une observation a été réalisée qui constitue un argument expérimental en faveur de ce jeu de renvoi entre la posture et le contenu psychologique. Dans cette expérience, on a enregistré les mouvements du centre de gravité chez trois groupes de sujets en zazen. On a ainsi constaté que les déplacements du centre de gravité au milieu du triangle de l’assise (dont le périnée et les genoux sont les sommets) sont amples chez les névrosés, moyens chez des sujets normaux, faibles chez des sujets très entraînés au zazen. Si l’on compare les sujets névrosés aux sujets normaux, il apparaît une relation entre le déséquilibre psychologique et la stabilité posturale. Si l’on pousse plus loin ce raisonnement, il est possible d’avancer que les sujets entraînés au zazen, plus stables dans leur posture, sont également plus stables psychologiquement. En toute rigueur, cependant, cette affirmation demande à être complétée par des tests psychologiques.

Une série d’expériences a été menée pour étudier la stabilité de différentes postures assises ou à genoux, en modifiant divers détails de zazen (position des mains, des bras, de la tête, sans coussin, etc.). Il en est ressorti que zazen, surtout en utilisant le lotus complet, est la position la plus stable.

Le niveau fonctionnel

L’immobilité et la stabilité obtenues par zazen ont pour conséquence une diminution de l’activité musculaire. Au niveau de l’activité végétative, c’est-à-dire du fonctionnement organique zazen correspond également à un repos relatif. En effet, il est recommandé de pratiquer zazen alors que le système digestif n’est pas en pleine activité : le système pulmonaire pouvant fonctionner sans contraintes, la respiration se fait avec un minimum d’efforts. Comme l’activité motrice est nulle et que le système nerveux dans son ensemble est au repos, les besoins en oxygène sont considérablement réduits par rapport à la vie active. De plus, le mode de respiration observé pendant zazen, caractérisé par une expiration profonde, permet une élimination de l’air résiduel qui constitue normalement un 1/3 de la capacité pulmonaire et correspond à un volume de gaz vicié inutilisé pour l’oxygénation. Il y a donc à la fois une consommation diminuée d’oxygène et une possibilité accrue d’oxygénation pulmonaire. Ce qui fait que le travail respiratoire peut être considérablement réduit. Et de fait, l’enregistrement du rythme respiratoire pendant zazen montre un ralentissement considérable, associé à une augmentation de son amplitude. Dans le même temps, l’analyse de la consommation d’oxygène montre que celle-ci diminue nettement. Comme l’oxygène est le carburant organique, il apparaît que la consommation d’énergie pendant zazen est très réduite. De façon étonnante, il est constaté que le métabolisme durant zazen est inférieur à celui du sommeil. On peut donc considérer que le repos organique obtenu par zazen est plus profond que celui atteint dans le sommeil. On peut sans peine imaginer les conséquences profondes que cela peut avoir sur la santé. La mise au repos organique a pour conséquence que la production de déchets est réduite mais les organes d’élimination de ces déchets (reins, foie, peau, poumons) continuent d’assurer leur fonction de purification. Zazen est donc l’occasion d’un nettoyage physiologique. À notre connaissance, peu d’expériences ont été réalisées sur ce problème, peu de dosages et d’analyses biochimiques ont été faits, associés à la pratique de zazen. Une observation importante a cependant été réalisée sur la présence d’acide lactique dans le sang. On sait que l’acide lactique est un déchet résultant de la combustion du glucose au niveau musculaire ; on a constaté que le taux d’acide lactique après zazen est beaucoup plus faible qu’habituellement. Ce résultat est à rapprocher de l’observation, chez des dépressifs et des individus pathologiquement anxieux, d’un taux d’acide lactique souvent supérieur à la normale. La diminution de la concentration d’acide lactique pourrait être une cause du bien-être et du sentiment d’optimisme souvent ressenti consécutivement à zazen.

Le niveau psychologique

La plus grande partie des expériences réalisées pendant la pratique de zazen utilisent la technique E.E.G. Grâce à cette technique, on peut enregistrer l’activité électrique de la surface du cerveau. Elle permet d’obtenir des informations sur le niveau d’excitation du cortex cérébral, mais les renseignements obtenus sont globaux puisqu’ils correspondent à l’activité de milliers des neurones présents dans la région où est réalisé l’enregistrement. L’E.E.G. a l’allure d’une oscillation rythmique, en général assez complexe. Mais on peut facilement reconnaître différents types de tracés correspondant à différents niveaux de vigilance. Sans rentrer dans le détail, on peut dire que la veille active ou les opérations intellectuelles s’accompagnent d’un E.E.G. peu ample et de rythme rapide, alors que le sommeil est caractérisé par des ondes lentes, amples et irrégulières. La veille relaxée s’accompagne d’un E.E.G. typique, constitué par des bouffées d’ondes régulières, assez amples et d’une fréquence comprise entre celle de la veille active et celle du sommeil que l’on appelle le rythme alpha. Normalement ce rythme alpha s’observe chez les sujets dont les yeux sont fermés et il est transitoire entre l’endormissement et un tracé de veille. Or chez les sujets en zazen, on observe systématiquement la présence d’un rythme alpha stable alors que les sujets ont les yeux ouverts et sans qu’il y ait ensuite d’endormissement (évité par le maintien de la posture). De plus, une analyse fine de ce rythme alpha montre qu’il évolue chez les sujets expérimentés en zazen ; il est plus ample et moins rapide, et parfois apparaissent des épisodes de rythme thêta, encore plus lent et régulier. Les pratiquants interrogés sur le vécu mental concomitant à ces périodes de thêta relatent une sensation de calme profond et un sentiment de bien-être intense.

Rythmes cérébraux

Chez les sujets ordinaires, la présentation d’un signal bref (un « clic » par exemple) provoque un arrêt du rythme alpha qui est remplacé par le rythme bêta. Si le clic est répété plusieurs fois, peu à peu la réaction d’arrêt de l’alpha diminue, et le clic ne provoque plus, à la fin, aucune interruption de l’alpha : il y a accoutumance à la réaction d’arrêt. Par contre, chez des sujets expérimentés en zazen, on ne constate pas cette disparition de la réaction d’arrêt avec des présentations répétées du clic ; l’accoutumance ne se produit pas. Chaque stimulation semble être considérée comme nouvelle, il n’y a pas de fermeture au monde environnant.

Une autre expérience a consisté à classer différents moines Zen d’après l’aspect de leur E.E.G. pendant zazen, et on a demandé à leur maître de répartir les moines suivant le niveau de profondeur atteint dans leur pratique. En comparant les deux classements ainsi obtenus, on a constaté que les critères E.E.G. (stabilité de l’alpha, ralentissement, augmentation de l’amplitude, apparition de thêta) recoupaient le jugement du maître. Il nous semble assez prometteur, pour une approche instrumentalisée de zazen, que des critères objectifs, mesurables, soient en accord avec l’opinion d’un maître qui a eu l’occasion d’apprécier ses disciples sur de longues périodes de temps.

Dans la littérature traitant de la méditation, on rencontre souvent l’idée selon laquelle les différentes techniques méditatives induiraient un état identique à celui de l’hypnose. Cette opinion connaît même un nouveau succès avec le tapage fait autour de la sophrologie [2]. Certains veulent trouver dans la suggestion et l’autohypnose un processus identique à celui mis en jeu dans les disciplines traditionnelles. Ceci nous semble être le type même de la fausse explication. D’une part, l’hypnose en elle-même est un phénomène fort mal connu, et ce seul terme recouvre des réalités très différentes. D’autre part, une telle explication tend à confondre des techniques psychophysiques qui visent des buts aussi différents que la transe, l’extase ou la méditation proprement dite. Dans ce domaine, l’étude E.E.G. permet de faire nettement la distinction. En effet, l’hypnose est le plus souvent accompagnée d’un E.E.G. de type bêta, et l’on n’y observe en aucun cas ces longues périodes alpha stables qui sont typiques de zazen. Cet argument est valable pour distinguer l’effet des drogues psychédéliques (LSD) de la méditation.

Mais si le rythme alpha est un élément associé à la méditation, il ne faut pas pour autant le considérer comme son aspect fondamental. Cette confusion a été faite et entretenue par le « training alpha », qui permet de commercialiser (avec bénéfices), dans le grand public, des appareils E.E.G. simplifiés. C’est comme si on apprenait à conduire une voiture en se contentant d’écouter le bruit du moteur, sans se préoccuper du reste de la mécanique ni d’étudier les problèmes de la circulation. Il ne faut pas oublier que le ronronnement régulier du moteur n’est qu’un des éléments de la bonne marche du véhicule.

A-t-on besoin du cerveau durant zazen ?

Le cortex gauche est concerné plutôt par le langage et l’analyse, le cortex droit par l’image et l’intuition. Dans notre type de civilisation, c’est surtout le cortex gauche qui est sollicité, et zazen est l’occasion d’un rééquilibrage cérébral. Un des aspects essentiels de zazen est le maintien de la vigilance puisqu’il s’agit de n’être ni trop excité, ni trop endormi malgré une immobilité prolongée. Or les neurophysiologistes ont découvert que la vigilance est régulée par une structure située à la base du cerveau, dans le prolongement de la moelle épinière : la formation réticulaire. Cette structure, par les messages qu’elle envoie vers le reste du cerveau, contrôle son niveau d’excitation, et celui du cortex en particulier. Le cortex, quand il est trop excité, inhibe l’activation réticulaire. Cet effet inhibiteur du cortex sur le cerveau profond est diminué pendant zazen puisque le cortex est alors dans un état de calme relatif.

L’art véritable
ne réside pas dans la beauté de la peinture,
mais dans l’action de peindre,
dans ce mouvement dramatique
et dynamique qui va d’un effort vers un autre effort
Il en est de même pour la pensée
et je suis plus intéressé par son mouvement
que par elle-même.
La calligraphie Zen,
c’est exactement cela.

PICASSO

D’autre part, la formation réticulaire activatrice (F.R.A.), par ses messages descendants, contrôle l’activité des neurones situés dans la moelle. Ainsi une situation d’alerte provoque un éveil réticulaire qui excite les motoneurones, facilitant les réflexes de défense. Or, nous avons vu que le maintien de la posture exige le maintien du tonus musculaire ; ceci implique une activation de la formation réticulaire et permet le contrôle de la vigilance. De plus, anatomiquement, les centres régulateurs de la respiration (neurones inspirateurs et expirateurs) sont intriqués avec les noyaux de la F.R.A. et l’on sait que la F.R.A. agit sur ces centres ; il n’est pas impossible qu’en retour la F.R.A. reçoive des messages des centres respiratoires. Ainsi le type particulier de respiration observé en zazen pourrait participer, lui aussi, au contrôle de la vigilance. À partir des observations scientifiques qui ont été faites pendant zazen, on peut s’interroger sur le mode de fonctionnement du cerveau dans cet état.

Le résultat le plus évident est que le cortex cérébral est le siège d’une activité calme, ainsi que le montre la présence de rythme alpha. De plus, la comparaison de l’activité électrique sur les deux hémisphères cérébraux durant zazen montre qu’ils sont à des niveaux d’excitation égaux. Rappelons les thèses de Sperry, (qui lui ont d’ailleurs valu le Prix Nobel). Ces travaux ont démontré que les fonctions du cerveau droit et du cerveau gauche sont différentes. En considérant ainsi le rôle de la F.R.A., zazen nous apparaît comme un moyen naturel de contrôle du niveau de vigilance. Il ne faudrait cependant pas réduire zazen à la seule régulation de l’excitation. C’est le rythme fondamental sur lequel se développent les mélodies retransmises par les maîtres du Zen.

[1] Le terme tonus n’est pas pris ici dans son sens usuel (« vitalité », allant »). Le tonus d’un muscle correspond à son niveau de tension.

[2] La sophrologie reprend les techniques de suggestions hypnotiques dans un but thérapeutique, en particulier dans le domaine des maladies psychosomatiques.