Beethoven, Bach, Mozart, ou... Rosemary Brown ? Un reportage de Joël André

Liszt. Chopin, Schubert, Beethoven, Bach et Mozart, Schumann, Berlioz, Brahms, Rachmaninov, Grieg, Debussy et Stravinsky. La mort a-t-elle vraiment mis fin à l’activité créatrice de ces treize compositeurs ? Sont-ils, au contraire, à l’origine des œuvres musicales que produit par centaines, depuis 1964, le médium britannique Rosemary Brown (1916-2001) ? Dérision, indifférence, méfiance. Enquêtes. Expertises, recours à l’ordinateur. Et peu à peu, à partir de 1968, une partie de la presse et de la critique musicale se font à l’idée que cette « musique de l’au-delà » pourrait bien être authentique. Car il ne s’agit pas d’expertes imitations — Rosemary Brown a d’ailleurs une formation musicale très rudimentaire — mais d’œuvres entièrement originales. Ce que l’on décèle, ce n’est pas seulement le « style » d’un Liszt, d’un Chopin ou d’un Rachmaninov, mais leur intuition et leur démarche créatrices mêmes…

Rosemary Brown est loin d’être la seule à avoir affirmé être en contact avec les âmes des morts et recevoir d’elles des ajouts d’outre tombe à leurs œuvres terrestres ! Le phénomène a de quoi nous intriguer. Le cas de Rosemary Brown était assez spéciale; l’avis des spécialistes était partagé souvent non sur la qualité de l’œuvre nouvelle produite mais sur sa provenance. Par manque de temps, nous n’avons pu mettre à jour l’excellent reportage que nous publions ici. Les lecteurs intéressés pourront écouter des extraits de la musique de R. Brown sur différents sites comme Youtube. Version PDF illustrée

(Revue Psi International. No 4. Mars-Avril 1978)

Liszt. Chopin, Schubert, Beethoven, Bach et Mozart, Schumann, Berlioz, Brahms, Rachmaninov, Grieg, Debussy et Stravinsky. La mort a-t-elle vraiment mis fin à l’activité créatrice de ces treize compositeurs ? Sont-ils, au contraire, à l’origine des œuvres musicales que produit par centaines, depuis 1964, le médium britannique Rosemary Brown (1916-2001) ?

Dérision, indifférence, méfiance. Enquêtes. Expertises, recours à l’ordinateur. Et peu à peu, à partir de 1968, une partie de la presse et de la critique musicale se font à l’idée que cette « musique de l’au-delà » pourrait bien être authentique.

Car il ne s’agit pas d’expertes imitations — Rosemary Brown a d’ailleurs une formation musicale très rudimentaire — mais d’œuvres entièrement originales. Ce que l’on décèle, ce n’est pas seulement le « style » d’un Liszt, d’un Chopin ou d’un Rachmaninov, mais leur intuition et leur démarche créatrices mêmes.

Il est malheureusement très difficile de se procurer les deux disques qui illustrent la qualité musicale du travail mené depuis douze ans par Rosemary Brown. A titre tout à fait personnel, j’y ferai une brève allusion. Une face entière du premier disque est jouée par Rosemary Brown elle-même. La technique pianistique du médium londonien est, à l’évidence, limitée.

Sur l’autre face, l’excellent Peter Katin interprète, entre autres, des œuvres « de » Liszt et Chopin qui ne le cèdent en rien à ce que ces derniers ont pu écrire de leur vivant (pour des compositions de complexité comparable, bien entendu).

Quant au second disque, entièrement exécuté par le virtuose Howard Shelley, les morceaux « signés » Liszt, Chopin. Rachmaninov et Debussy relèvent de la meilleure inspiration propre à ces compositeurs (encore une fois pour un même instrument et des œuvres de structure analogue).

Je ne dirai rien de Beethoven puisque Rosemary Brown promet pour bientôt la version entièrement orchestrée (arec chœurs) de… la 10e Symphonie ! Un challenge qui en dit long sur l’ampleur de ses dons. De médium ou de compositeur ?

Joël André : En 1970, vous aviez à votre actif près de quatre cents œuvres musicales, e dictées par des compositeurs défunts tels que Liszt. Chopin, Beethoven, Bach, Mozart, etc. Où en êtes-vous actuellement ?

ROSEMARY BROWN : Je ne tiens pas le compte exact, mais je pense qu’à présent, je dispose d’environ six cents œuvres.

J. André : Dites-moi le nom du musicien farceur qui se cache derrière cette mystification !

R. BROWN : C’est là une idée qui, malheureusement, vient tout de suite à l’esprit des gens sceptiques. Le magazine Life et la B.B.C. ont mené, à ce sujet, des enquêtes qui ont duré plusieurs semaines. Des détectives ont essayé de surprendre le compositeur clandestin qui aurait pu me dicter cette musique. Ils n’ont jamais rien découvert de semblable.

J. André : Dans ce cas, le « compositeur clandestin » c’est vous ! Vous avez reçu une formation musicale très complète, ce que vous essayez de nier aujourd’hui.

R. BROWN : Les enquêtes dont je viens de parler ont prouvé le contraire. Il se trouve que j’ai passé toute ma vie dans la même maison. On a pu se renseigner auprès de tous les voisins, amis et parents encore vivants. Le médecin de famille qui me suit depuis ma naissance a également été interrogé. Tous ont confirmé qu’en dehors de quelques cours de piano (et ce n’était pas du piano classique !) je n’avais reçu aucune formation musicale digne de ce nom. Après la guerre, j’ai repris quelques cours, jusqu’à l’époque de mon mariage, et ce fut tout.

J. André : Reste l’hypothèse de la cryptomnésie, c’est-à-dire d’une mémoire musicale cachée, dont vous n’êtes pas consciente la plupart du temps.

R. BROWN : Ce n’est ni l’avis de mon médecin ni celui des nombreux psychiatres auprès desquels j’ai subi tests et examens de toutes sortes. D’ailleurs, je n’écris pas cette musique en état de transe, mais en pleine possession de ma personnalité normale. Ceux qui m’ont vue travailler vous le confirmeront.

J. André : Parmi les musicologues qui ont analysé votre musique, quels sont ceux qui croient à son authenticité ?

R. BROWN : Je mentionnerai tout d’abord Humphrey Searle, qui est à la fois pianiste, compositeur, critique musical reconnu et surtout expert de la musique de Liszt (sur laquelle il a écrit un livre). Humphrey Searle est tout à fait convaincu que les morceaux attribués à Liszt sont bel et bien de Liszt lui-même. Il ne se prononce pas sur la façon dont cette musique me parvient mais il n’a aucun doute quant à son auteur. Et M. Searle ne considère pas ces œuvres comme des pastiches plus ou moins réussis, mais bien comme des compositions originales.

Un autre expert distingué est le Pr Ian Parott, Docteur en Musique, qui enseigne à l’Université de Galles. Pour lui, la provenance de ma musique est incontestable, et il en explique les raisons dans un livre qui paraîtra incessamment. Mary Firth, qui dirigeait les cours de musique à Attingham Park College, est une spécialiste de Schubert. Elle a pu analyser de nombreuses œuvres, qu’elle considère comme absolument schubertiennes, tout en sachant que je n’ai en aucun cas pu les écrire moi-même. Quant au Dr Hanz Gal, musicologue renommé et expert de Chopin, il a été stupéfait par les morceaux que nous lui avons soumis. Mais tout en reconnaissant que c’était là du pur Chopin, il n’a jamais admis l’hypothèse de l’après-vie.

Pour ne pas allonger trop la liste — mais je pourrai vous communiquer d’autres noms si vous le souhaitez — je terminerai sur deux autorités musicales bien connues. Le Dr Lloyd Wepper, Directeur du London College of Music, est absolument convaincu que cette musique est authentique et que je ne peux pas la recevoir de quelqu’un d’autre que des compositeurs défunts. Quant au compositeur Richard Rodney Benett, non seulement musicien accompli mais expert de Debussy, il est persuadé que certains morceaux proviennent bel et bien de Debussy. Richard R. Benett m’a avoué que lui-même serait incapable d’en écrire de semblables, malgré sa grande familiarité avec l’œuvre de Debussy.

J. André : Puis-je vérifier tout cela auprès d’eux ?

R. BROWN : Absolument. Je me ferai un plaisir de vous communiquer leur adresse ou leur numéro de téléphone. Je n’ai cité que les personnes qui m’ont expressément autorisée à divulguer leur opinion. Des dizaines d’experts, d’interprètes, de chefs d’orchestre ont reconnu en privé que ma musique était parfaitement authentique, mais ne souhaitent pas se prononcer publiquement. Ils pensent que cela pourrait nuire à leur réputation ou à leur carrière. Je crois qu’ils ont tort, car aucun de ceux qui ont pris parti en ma faveur n’a vu sa célébrité ni son autorité en souffrir.

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Les experts jugent la musique de Rosemary Brown

Ian Parott est un des musicologues les plus estimés en Grande-Bretagne. Il enseigne à l’Université du Pays de Galles : « … Je considère pour ma part, non seulement que cette musique provient d’une autre dimension, y compris le très intéressant « Revenant » de Stravinsky (reçu un an après le décès de ce dernier), mais encore que Rosemary n’a jamais, à ma connaissance, produit quoi que ce soit dans le but de distraire, de faire sensation ou de tromper…

A mon avis, la musique de Rosemary est réellement paranormale, je ne vois pas d’autre possibilité. Il y a quelques détails curieux, voire quelques erreurs, dans certains morceaux, mais cela ne rabaisse en rien l’excellence de l’ensemble. Je distinguerai trois compositions parmi les meilleures. Toutes trois sont remarquables à leur manière : « Grubelei » (1969) de Liszt ; Mouvement d’une Sonate en Do mineur (1971) de Beethoven ; et « Le Revenant », de Stravinsky (1972)… Chacun possède de subtiles caractéristiques de ces trois personnalités si différentes… Un truqueur « habile » serait-il capable d’obtenir de tels effets ? J’en doute.

Les morceaux enregistrés dans le dernier disque par Howard Shelley permettront à chacun d’apprécier l’admirable diversité d’une douzaine d’autres œuvres. »

Ian Parott – 23 janvier 1978

Humphrey Searle, expert de Liszt et compositeur lui-même, exprime l’avis suivant : « La plupart des morceaux qu’elle a écrits sont très intéressants au point de vue musical. Par ailleurs, il est évident qu’elle ne connaît pas la technique du pastiche. Je dois admettre que l’origine des morceaux est bien celle qu’elle déclare être. Je suis sûr qu’elle est parfaitement sincère.

« Des morceaux de Liszt, celui que je préfère est « Grubelei », une œuvre remarquable que Liszt aurait tout à fait pu écrire, surtout au cours des quinze dernières années de sa carrière, quand il s’aventurait dans de nouvelles voies. Fait remarquable, la plus grande partie en est écrite simultanément en 5/4 et 3/2 ; nous savons bien sûr que de nos jours Pierre Boulez peut battre 5 d’une main et 3 de l’autre, mais ce genre d’exploit n’était pas commun au XIXe siècle… Le style harmonique est essentiellement celui du XIXe siècle, bien que hautement chromatique (ce qui est caractéristique de Liszt) et la forme du morceau est très lisztienne. »

Le pianiste John Lill, premier Prix du Concours International de Moscou, a témoigné au cours d’une réunion publique en faveur de Rosemary Brown. C’est un spécialiste des œuvres de Beethoven : « Je crois fermement aux origines que Rosemary Brown attribue à cette musique. La plus grande partie en est extrêmement convaincante. Les compositeurs essayent de manifester leur style le plus clairement possible mais il est évidemment très difficile de transmettre des œuvres complexes d’une dimension à une autre. Je pense que Rosemary est exceptionnellement douée pour servir d’intermédiaire : quand les conditions sont bonnes, elle transcrit fidèlement les intentions de ses interlocuteurs. »

Richard Rodney Benett, compositeur et spécialiste de Debussy : « Nous pouvons tous imiter Liszt au piano si nous le voulons, mais inventer un morceau de musique cohérent, qui semble remonter aux racines mêmes du style du compositeur, c’est beaucoup plus compliqué. Ici, en général, la notation est extraordinairement assurée et compétente. On ne saurait confectionner de la musique de cette espèce sans des années d’entraînement. Je n’aurais pu moi-même fabriquer certains des Beethoven ou des Debussy. »

Mary Firth, Diplômée de la Royal Academy of Music et professeur de musique : « J’ai contrôlé la justesse de son oreille, ses aptitudes au déchiffrage et lui ai fait passer toutes les misérables épreuves que les professeurs infligent aux étudiants. J’ai découvert, à ma grande surprise, qu’elle ne semblait avoir aucune capacité musicale fondamentale. En d’autres mots elle était incapable de noter une simple mélodie que je lui jouais. Quand je jouais deux parties simples, elle était totalement perdue. »

Le Docteur Llyod Wepper est Directeur du London College of Music. Voici son opinion sur le « phénomène » Rosemary Brown » : « Je suis convaincu que Rosemary possède une faculté médiumnique absolument authentique. La musique qu’elle transmet est de toute évidence dans le style des compositeurs avec lesquels elle affirme être en relation. Un étudiant en musique peut apprendre à imiter le style d’un compositeur du passé, mais Rosemary ne possède pas les connaissances musicales nécessaires. Sa musique semble donc provenir d’une source inconnue. »

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J. André : A ce propos, il existe un exemple particulièrement prestigieux. Je veux parler de Leonard Bernstein, compositeur et chef d’orchestre mondialement connu, et de la soirée où il vous avait invitée à l’hôtel Savoy

R. BROWN : Ce fut une soirée inoubliable. D’abord,  je n’aurais jamais cru que le célèbre Leonard Bernstein m’inviterait un jour à dîner. L’accueil de Bernstein a été vraiment chaleureux. Après le dîner, il a demandé à voir les œuvres que je lui avais apportées.

Le matin même, Rachmaninov m’avait rendu visite pour reprendre une composition que nous avions déjà travaillée. Je n’avais vraiment pas le temps, mais Rachmaninov insista en m’expliquant : « Vous en aurez besoin pour ce soir. » Comme je comptais rester chez moi ce soir-là, sa remarque m’avait paru étrange. Dans l’après-midi, j’ai appris l’invitation de Leonard Bernstein. Rachmaninov est revenu me voir en me disant : « N’oubliez pas d’emporter ce que je vous ai dicté ce matin. Le morceau plaira beaucoup à M. Bernstein ».

C’était une œuvre très difficile, et Leonard Bernstein, voyant mon embarras, proposa de la jouer lui-même. Après avoir parcouru la partition, il s’est mis au piano : j’ai rarement entendu une exécution aussi sublime. Comme Rachmaninov l’avait prévu, Leonard Bernstein montra beaucoup d’enthousiasme pour ce morceau, sauf pour une mesure que j’avais sans doute mal transcrite. Il s’est arrêté de jouer en disant : « Cette mesure-là, je  ne suis pas preneur ! » Par la suite, j’en ai parlé à Rachmaninov qui a fait la correction en disant : « Je pense qu’à présent M. Bernstein sera satisfait ! »

J. André : Avez-vous eu l’avis de Leonard Bernstein sur d’autres compositions ?

R. BROWN : Il a beaucoup apprécié les œuvres de Liszt, Schubert, Beethoven et surtout Chopin. J’avais apporté une « Fantaisie-impromptu », un très beau morceau en trois mouvements, dont le dernier est extrêmement difficile. Leonard Bernstein [1] et sa femme ont été tellement enthousiasmés qu’ils l’ont joué quatre ou cinq fois de suite, comme s’ils voulaient l’apprendre par cœur. A chaque fois, Leonard Bernstein s’exclamait : « Ecoutez cette musique ! C’est prodigieux ! » A la fin, il m’a dit que c’était le plus beau thème de Chopin qu’il ait jamais entendu.

J. André : Puisque nous parlons de chefs d’orchestre célèbres, pourriez-vous raconter l’épisode concernant le non moins prestigieux Colin Davis ?

R. BROWN : J’ai oublié certains détails, mais je possède à ce sujet une lettre de David Cairns, à l’époque directeur artistique chez Philips et aujourd’hui critique musical au Sunday Times. D. Cairns et Colin Davis discutaient une partition de Berlioz dont les indications métronomiques leur semblaient inexactes. Presque en plaisantant, D. Cairns suggéra de poser la question à Berlioz par mon intermédiaire. Il m’a donc écrit à ce sujet, et j’ai tenté de contacter Berlioz mais je n’ai pas eu de réponse. C’est Liszt qui s’est alors chargé de demander à Berlioz quel était le tempo exact. J’ai transmis la réponse à David Cairns. Il se trouve que Colin Davis, après maintes répétitions, était arrivé exactement aux mêmes conclusions.

J. André : Colin Davis a-t-il admis, du même coup, l’origine médiumnique de votre musique ?

R. BROWN : Je ne sais pas. Sur le moment, je crois qu’il était surpris mais aussi un peu amusé. Par la suite, quand je l’ai rencontré, il m’a dit : « Jusqu’ici, j’étais certain que la mort entraînait l’annihilation de l’être humain. Mais l’existence de votre musique m’a donné à réfléchir. Je crois que le problème mérite d’être posé à nouveau ».

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«  DEMANDEZ A ROSEMARY BROWN LE POINT DE VUE DE BERLIOZ »

Autre maestro de notre époque, le chef d’orchestre britannique Colin Davis a dirigé les plus prestigieuses formations du monde. Voici comment D. Cairns, à l’époque directeur artistique chez Philips, relate l’épisode concernant Berlin…

« Au cours du mois d’août 1969. Colin Davis et moi-même avons étudié la partition des Troyens  de Berlioz. La question du tempo des divers mouvements fut posée.

« Deux des indications métronomiques de Berlioz nous frappèrent comme étant trop rapides : le « Septuor » (Métronome 120) et le « Duo d’amour » (M. 126)…

« Je proposai, presque en plaisantant, de demander à Rosemary Brown le point de vue de Berlioz sur cette question. Je lui écrivis à ce sujet le 27 août 1969…

« Une semaine plus tard, Rosemary téléphona à mon bureau et me dit qu’elle avait posé la question à Liszt. Sa réponse avait été que les tempos étaient trop rapides. Le premier, d’après Liszt, devait être 90 (et non 120) et le second 96 (et non 126). Devant cette énorme différence. Rosemary Brown s’était montrée perplexe, mais Liszt avait répondu d’une façon catégorique : « J’en suis sûr ».

Colin Davis qui, à cette époque, était en pleine répétition à Covent Garden. était parvenu de son côté aux mêmes conclusions…..

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J. André : Pouvez-vous préciser de quelle manière les compositeurs défunts vous communiquent leurs œuvres ?

R. BROWN : Il y a d’abord le contrôle direct des mains. Liszt, par exemple, se sert souvent de mes mains comme s’il enfilait une paire de gants. Dans ces moments-là, il joue parfois un morceau en entier avant de me le faire apprendre mesure par mesure. Il est d’une virtuosité stupéfiante. Les gens qui l’ont entendu jouer ainsi, et qui connaissent par ailleurs toutes mes faiblesses techniques au piano, savent bien que ce n’est pas moi qui exécute le morceau à cet instant.

J. André : Est-ce que chaque musicien possède une façon particulière de vous transmettre sa musique ?

R. BROWN : Beethoven (tout comme Bach d’ailleurs) me dicte directement les notes, en surveillant les erreurs possibles dans les clés et les barres de mesure. Chopin me laisse souvent jouer au piano ce que je dois ensuite noter sur le papier. Il exerce de légères poussées sur mes mains pour les déplacer sur le clavier. Rachmaninov me fait travailler chaque morceau qu’il me dicte, en m’apprenant les doigtés qu’il invente lui-même.

J. André : Avez-vous fait beaucoup de progrès depuis que vous avez commencé à transcrire cette musique de l’au-delà ?

R. BROWN : Au début, il fallait me dicter chaque mesure très lentement, deux ou trois fois. J’ignorais tout de la notation correcte. J’avais un mal fou à m’habituer aux différentes clés. C’est Brahms qui m’a appris à placer les notes dans des clés inhabituelles. Je comptais les lignes de la portée comme une écolière. Aujourd’hui, le travail va beaucoup plus vite, et il m’arrive de transcrire si rapidement que le compositeur Richard R. Benett en est resté stupéfait.

J. André : Pouvez-vous entrer en contact à volonté avec l’Autre Dimension ?

R. BROWN : C’est extrêmement variable, un peu comme pour le téléphone : la personne recherchée peut être absente ou occupée ailleurs. On peut aussi laisser un message ! C’est souvent Liszt qui transmet ces sortes de messages ou de questions à d’autres esprits, moins doués pour communiquer avec notre monde.

J. André : Combien de temps pouvez-vous communiquer ainsi avec un compositeur décédé ?

R. BROWN : Cela dépend de la personnalité de chacun d’eux. Brahms, par exemple, peut rester en contact pendant deux ou trois heures sans difficulté. Il est vrai qu’il a une faculté de concentration extraordinaire. Souvent, quand nous travaillons ensemble, j’ai du mal à continuer tellement je me sens fatiguée.

J. André : Est-il le seul à pouvoir rester aussi longtemps ?

R. BROWN : Non, c’est également le cas de Liszt. Chopin aussi en est capable, mais il travaille tellement vite qu’il n’a pas besoin de rester très longtemps. En avril dernier, j’ai  eu de longues séances de travail avec Beethoven. En trois semaines, nous avons achevé une sonate pour piano en quatre mouvements. C’était du bon travail si on tient compte de toutes mes tâches de ménagère. A l’opposé, Bach dicte très rarement un morceau en une seule fois. Il me donne deux ou trois pages, puis son image devient floue et il me dit : « Nous continuerons une autre fois ».

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Frédéric Chopin (1810-1849). Né en Pologne, il vécut surtout à Paris. Lorsque Rosemary Brown visita sa tombe, en 1971, elle fut saisie par l’émotion et dut refouler ses larmes. C’est alors, dit-elle, que Chopin lui apparut, montrant du doigt sa propre tombe : « Ne faites pas cette tête d’enterrement (sic) ! Je suis ici, pas dedans ».

Serge Rachmaninov (1872-1943). Certaines de ses œuvres pour piano sont d’une difficulté d’exécution qui fait le désespoir des jeunes interprètes. Ainsi de la pianiste Barbara Nissan, qui vint un jour rendre visite à Rosemary Brown dans l’espoir d’obtenir quelques conseils de la part de Rachmaninov. Ce dernier fournit à Rosemary Brown tous les détails permettant à Miss Nissan de résoudre ses problèmes d’interprétation.

Franz Liszt (1811-1866). Il est le tout premier « visiteur célèbre » de Rosemary Brown et l’organisateur du groupe des « compositeurs défunts ». Liszt se prête volontiers aux questions, épreuves et pièges que la presse et les experts préparent pour Rosemary Brown.

Liszt ne se contente pas de transmettre des notes de musique à Rosemary Brown. C’est par de longues « conversations » avec lui que le médium a pu se faire une idée des liens qui relient la dimension des esprits défunts à celle des vivants. Voici quelques-unes des considérations de Liszt à ce sujet, telles que nous les livre Rosemary Brown.

Cette dernière désirait savoir comment les esprits pouvaient se matérialiser dans notre monde et choisir exactement le lieu de leur apparition. Réponse de Liszt : « Il  faut d’abord qu’il existe un accord entre le taux vibratoire de l’esprit désincarné et celui du médium auquel il apparaît. A partir de là, l’esprit peut s’adapter aux fréquences cérébrales du médium et revêtir une apparence visuelle ». Quant au lieu précis de l’apparition (ce qui donne à Rosemary Brown l’impression de recevoir la visite d’un voisin ou d’un ami) « ce n’est pas le lieu lui-même qui sert de repère, mais la personne que l’esprit désire rencontrer ».

Pourquoi Rosemary Brown voit-elle les « revenants » tantôt avec des vêtements d’époque, et conformes aux portraits que l’on connaît d’eux, tantôt en tenues modernes et rajeunis de dix ou vingt ans. « C’est », explique Liszt, « parce que l’apparence que revêt le défunt aux yeux du médium dépend de la forme sous laquelle il a l’intention de lui apparaître ». A titre d’exemple, Liszt, visitant Rosemary Brown pendant son enfance, avait pris soin de lui apparaître vêtu d’une soutane : Rosemary ne pouvait pas manquer de l’identifier lorsque huit ans plus tard elle eut sous les yeux un portrait de Liszt portant l’habit religieux.

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 J. André : Quels sont les compositeurs qui vous rendent visite le plus souvent ces temps-ci ?

R. BROWN : Chopin, Brahms et Beethoven. Ces jours-ci j’ai beaucoup vu Debussy et Rachmaninov. Schubert est venu de temps en temps. Les visites les plus fréquentes, bien sûr, sont celles de Liszt.

J. André : Il est d’ailleurs le premier à vous être apparu. Quel souvenir gardez-vous de cet épisode ?

R. BROWN : La première fois que Liszt est venu, j’avais sept ans. Je ne savais pas qui il était et d’ailleurs je ne me posais pas la question. A l’époque, je rencontrais déjà des esprits de toute sorte et je ne m’en étonnais nullement. Ce jour-là, Liszt m’a simplement dit qu’il avait été compositeur, de son vivant. Il a ajouté : « Quand tu seras grande, je reviendrai et je te donnerai de la musique. » A l’âge de quinze ans, j’ai vu un portrait de Liszt et j’ai su qui était le visiteur de mon enfance. Les années ont passé, je me suis mariée et j’ai eu des enfants, mais Liszt ne revenait toujours pas. Parfois, je me demandais : « Est-ce que Liszt tiendra sa promesse ? A-t-il changé d’avis ? Peut-être pense-t-il que je ne suis pas capable de recevoir cette musique. » Mais Liszt n’est revenu qu’après la mort de mon mari. Quand je lui ai demandé pourquoi il était resté si longtemps sans se manifester, il m’a expliqué qu’en fait, il était constamment en relation avec moi. Il attendait le moment prévu pour commencer à me dicter de la musique et introduire les autres compositeurs.

J. André : Que pensez-vous de Liszt sur le plan personnel ?

R. BROWN : Au début, il m’intimidait beaucoup. Je me taisais et je l’écoutais. Par la suite, je me suis enhardie à lui poser quelques questions et j’ai tout de suite été fascinée par la profondeur de ses propos. Liszt est un être extrêmement évolué, c’est pour moi une sorte de maître spirituel.

J. André : En écoutant votre premier disque, j’ai remarqué que vous jouez Chopin mieux que le reste, comme si vous étiez moins tendue. Est-ce parce que vos rapports sont si « amicaux » ?

R. BROWN : Il est vrai que j’ai pour Chopin une très grande affection. Il est extrêmement délicat et sensible envers autrui. Lorsque je suis nerveuse ou déprimée, Chopin trouve toujours un mot aimable ou une plaisanterie pour me réconforter. Il lui arrive aussi d’influencer directement mes mains lorsque je joue un passage difficile. C’est peut-être ce qui explique que ses morceaux me posent moins de problèmes que d’autres.

J. André : Rachmaninov, lui, serait plutôt votre professeur…

R. BROWN : C’est un peu cela. Il m’aide à améliorer ma technique et me fait travailler des exercices qu’il écrit spécialement pour moi. C’est lui qui m’a appris à exécuter les sixtes chromatiques, les tierces chromatiques croisées, etc… Il est d’une grande exigence sur ces questions, mais il est aussi très patient. Nous sommes maintenant très bons amis.

J. André : Schubert est-il toujours prêt à vous dicter la fin de la « Symphonie inachevée » ?

R. BROWN : Il faudrait d’abord que je trouve une période libre car c’est un travail de grande envergure. Et puis, Schubert hésite : il craint que cette symphonie ne perde un peu de son charme, de son mystère, s’il se décide à la compléter.

J. André : Parlons maintenant des géants. Beethoven, par exemple…

R. BROWN : Beethoven est assurément un être extraordinaire. Je vais pouvoir désormais travailler avec lui sur certaines œuvres qui ne manqueront pas de stupéfier la critique. Beethoven fait tout ce qu’il peut pour que ce qu’il me dicte soit convaincant. Prochainement, je serai en mesure de publier des choses tout à fait saisissantes.

J. André : A-t-il toujours le tempérament… abrupt qui fait partie de sa légende ?

R. BROWN : On a beaucoup insisté sur le mauvais caractère de Beethoven. Mais il a subi tellement d’affronts, lui qui cherchait à donner au monde la musique céleste… Beethoven est libéré à présent de l’amertume qui assombrissait sa vie. Il est d’une patience et d’une persévérance admirables. Grâce à cela, nous arrivons à une communication de plus en plus parfaite. A la vitesse où nous progressons, je pense qu’il pourra bientôt me donner des œuvres aussi grandioses que de son vivant. Alors les gens n’auront plus envie de rire, car personne aujourd’hui ne peut égaler les œuvres les plus achevées de Beethoven. Les esprits sceptiques, pour ne pas perdre la face, diront sans doute que Rosemary Brown est à elle seule un second Beethoven !

J. André : Et cette fameuse surdité ?

R. BROWN : Beethoven m’a dit un jour : « Ce n’était pas moi qui étais sourd, c’étaient les autres. »

J. André : Vous avez écrit que Bach était « fasciné par les rythmes modernes. » Vous a-t-il dicté quelque chose dans ce style ?

R. BROWN : Je possède de nombreux morceaux qui sont effectivement très différents de ce qu’il composait par le passé. Je pense en faire connaître quelques-uns à la critique d’ici peu. Le Pr Parott est en train d’étudier certaines œuvres dictées par Bach qui sont vraiment très modernes, très inventives.

J. André : Encore une énigme musicale en perspective !

R. BROWN : Certainement. L’ennui est que Bach ne vient pas très souvent.

J. André : Quand l’avez-vous « vu » pour la dernière fois ?

R. BROWN : Il y a environ un mois.

J. André : Ce n’est pas si ancien.

R. BROWN : Les autres viennent au moins une fois par semaine !

J. André : Bach était très impatient avec les élèves peu doués. Avez-vous des problèmes avec lui ?

R. BROWN : Au début, je le trouvais froid et autoritaire. Aujourd’hui, je dirais plutôt qu’il est solennel. Il ne doit pas manquer d’humour, même si cela se manifeste rarement. J’ai beaucoup d’admiration pour lui mais je connais très mal sa musique et cela n’arrange peut-être pas nos rapports. Bach doit se dire : « Quelle idiote ! Elle est incapable d’apprécier la musique qu’elle transcrit. »

J. André : Il y a deux Mozart : le virtuose acclamé dès l’enfance et le compositeur délaissé, mort dans la misère. Et le Mozart que vous connaissez ?

R. BROWN : La seule préoccupation que Mozart garde de sa vie terrestre, c’est de n’être pas aile assez loin dans l’invention musicale. A la fin de sa vie, il atteignait enfin la profondeur d’inspiration qu’il cherchait. Mozart m’a dit qu’il était mort trop tôt pour explorer cette dimension créatrice qu’il venait de découvrir.

J. André : Vous a-t-il dicté quelque chose qui témoigne de ses nouvelles conceptions musicales ?

R. BROWN : Nous terminerons bientôt le 3e mouvement d’un splendide concerto pour piano qui figurera sans doute sur le troisième disque. Le pianiste Howard Shelley l’a étudié et le trouve incomparable. Quant à moi, je ne peux guère analyser le style de ce morceau. Le 1er mouvement est extrêmement brillant, le second d’une grande inventivité. C’est peut-être là l’indice du « nouveau style » de Mozart. Les experts ont tous déclaré que c’était une œuvre de grande qualité.

J. André : De nouveaux compositeurs sont-ils venus se joindre au groupe depuis la parution de votre premier livre ?

R. BROWN : Stravinsky est arrivé il y a quatre ou cinq ans. C’était environ un an après sa mort. Lors de sa première visite, il m’a dit qu’il avait retrouvé son vieil ami, Rachmaninov, dans l’au-delà. Ce dernier lui a expliqué que je transcrivais la musique des compositeurs défunts. Stravinsky était extrêmement sceptique…

J. André : Les esprits ne croient donc pas aux humains ?

R. BROWN : Stravinsky ne doutait pas de l’existence de notre monde, bien sûr, mais de la possibilité de communiquer depuis l’au-delà. Il était venu me voir pour faire un essai. Il m’a dicté, à titre d’expérience, un morceau qu’il a intitulé… « Le Revenant » ! C’est un morceau de trois pages, très difficile. Comme je m’en suis bien sortie, Stravinsky est revenu me voir par la suite. J’ai quatre ou cinq partitions de lui, à ce jour.

J. André : Est-ce une musique convaincante pour les spécialistes ?

R. BROWN : Le Pr Parott a examiné deux de ces œuvres et en a conclu que c’était du pur Stravinsky. A la B.B.C., il y a eu de vives discussions entre experts. Certains affirmaient que ce ne pouvait être que du Stravinsky, d’autres répondaient que, malgré tout, c’était impossible puisque Stravinsky était mort ! Les sceptiques ont fini par céder un peu de terrain en disant que Stravinsky avait dû composer cela avant d’être célèbre. Les mêmes discussions ont eu lieu à propos de l’unique morceau que m’ait transmis le compositeur Scriabine.

J. André : Les compositeurs du passé ne sont pas les seuls à vous rendre visite. Non seulement le dramaturge George Bernard Shaw, le logicien et Prix Nobel Bertrand Russell, le psychiatre Carl Jung, mais aussi… Albert Einstein, probablement le savant le plus célèbre du XXe siècle. Quel est leur but ?

R. BROWN: Le même que celui des compositeurs : changer la mentalité du monde actuel en démontrant l’existence de sphères supérieures de la réalité. La survivance de l’esprit après la mort du corps est une des idées les plus controversées qui soient : ce n’est pas une raison pour désespérer d’en faire un jour la preuve. Aucun des quatre grands penseurs que vous venez de citer ne croyaient à l’au-delà, lorsqu’ils vivaient sur terre. Actuellement, chacun d’eux est convaincu qu’une communication entre les deux mondes est possible. Cela pourrait devenir un jour une certitude scientifique, à condition que les chercheurs élargissent sans cesse leurs méthodes d’investigation dans ce domaine.

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Carl Jung (1875-1961), psychiatre suisse, célèbre dissident de la psychanalyse. Il se présenta à Rosemary sous le nom de « Joe » ! Elle n’apprit sa véritable identité que plus tard.

Jean-Sébastien Bach (1685-1750). Réformateur de la musique de son temps, il est à l’origine de la musique dite moderne. Ses colères et son intransigeance musicale sont restées célèbres. Lorsque Liant présenta Bach à Rosemary Brown, il lui adressa, dit-elle, cette mise en garde : « N’allez pas à l’encontre de sa volonté ».

Albert Einstein (1879-1955), créateur de la célèbre théorie de la Relativité. Quoi qu’en dise certaine revue scientifique, Einstein avait une conception mystique de l’Univers et s’intéressait à la télépathie autant qu’à l’astrologie.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), virtuose dès l’âge de six ans. Ce n’est que récemment que Rosemary Brown a pu transcrire des œuvres achevées. Auparavant, elle se considérait comme trop éloignée de Mozart « un être confondu avec sa musique dans une sphère divine ».

Bertrand Russell (1872-1970), un des plus grands mathématiciens et logiciens de ce siècle (prix Nobel en 1950). Les passages dictés par lui au médium britannique sont absolument dans le style de ce que Russel appelait lui-même « mon langage tautologique ».

OU L’ON REPARLE DE GÉRARD CROISET

Pour Rosemary Brown, les personnages du passé ont l’apparence de visiteurs presque ordinaires, dont l’habillement et l’aspect général peuvent varier selon les circonstances. Mais pour d’autres témoins… ?

L’un des plus grands clairvoyants, Gérard Croiset (voir « PSI INTERNATIONAL n° 3 ») a eu l’occasion d’assister à une séance de composition médiumnique. Voici le récit de cette extraordinaire confrontation, qui donne une idée plus précise des interactions psychiques intervenant dans le travail de Rosemary Brown.

En 1976, un cinéaste soumet au Professeur Tenhaeff le film qu’il vient de tourner sur Rosemary Brown. La projection a lieu chez Gérard Croiset. A un certain moment du film, Croiset pousse une exclamation de surprise et demande qu’on arrête le film.

« J’ai vu, explique-t-il, un halo de lumière venant de la gauche, s’arrêtant au-dessus de la tête de Rosemary Brown puis s’infiltrant par le sommet du crâne (épiphyse) avant de gagner l’hypophyse et les centres nerveux. Cette lumière est descendue le long de la chaîne sympathique jusqu’au plexus solaire. De là elle est remontée jusqu’à la thyroïde avant d’investir les épaules, les bras, les mains. »

On demande alors à Gérard Croiset s’il aimerait rencontrer Rosemary Brown.

« – Certainement. Elle a une aura extraordinaire. »

Quelques semaines plus tard, à Londres, chez le cinéaste. Sont présents, en plus de l’équipe de tournage, Rosemary Brown et Croiset, le Professeur Ploog, de Munich, le pianiste Howard Shelley et quelques personnes de l’entourage de Croiset.

Rosemary Brown est assise devant un grand piano de concert, tournant le dos aux caméras et aux témoins. Croiset, au contraire, fait face aux caméras et donc tourne le dos à Rosemary Brown.

Lorsque cette dernière entre en contact médiumnique, Croiset voit d’abord la même chose qu’à Utrecht. Puis la vision se précise.

– « Au-dessus de l’aura de Rosemary, il y a une main, qui passe et repasse à quelques centimètres derrière sa tête… De la paume de cette main rayonne une lumière qui pénètre le crâne de Rosemary… Cette fois la lumière n’est pas continue… Ce sont des sortes d’impulsions rapides, rythmées, comme de brefs éclairs… Je vois une tête à côté de la sienne… deux silhouettes… Il y a un homme jeune et un autre, plus âgé… Le plus âgé a une chevelure fournie, un visage creusé… Ses yeux étincellent mais comme de derrière un voile… Cet homme a une personnalité extrêmement forte… Mon audition se trouble… J’entends à peine… Je sens chez cet homme beaucoup de souffrance…

« A présent chaque impulsion lumineuse coïncide avec chaque note que transcrit Rosemary… (Croiset marque le rythme des impulsions en frappant sur le bras de son fauteuil avec le crayon qu’il tient à la main. Les assistants constatent que cela correspond aux mouvements de la main de Rosemary Brown sur le papier)… Les mouvements de main de Rosemary sont comme les soubresauts qu’ont les paralytiques quand je leur fais des passes magnétiques… Mais chez elle, c’est contrôlé, volontaire … ».

« L’aura de Rosemary a maintenant quinze mètres de diamètre… Je n’ai jamais rien vu de tel… De très belles couleurs, bleu, argent, vert, jaune, rouge orangé…

« Il y a maintenant d’autres personnes… Je vois chacune d’elles à différentes époques de sa vie… Je n’entends plus qu’un bourdonnement… Les éclairs se font plus rapides… C’est fini. »

A ce moment, Rosemary Brown se retourne et annonce que le contact s’est interrompu.

Pendant qu’Howard Shelley commence à déchiffrer la musique qui vient d’être transcrite, Croiset demande à Rosemary Brown qui « était là » l’instant d’avant. Celle-ci répond sans hésiter qu’il s’agit de Beethoven et Schubert qui d’ailleurs « viennent souvent ensemble «. Après un échange d’impressions sur ce qui vient de se passer. Croiset s’absorbe dans une sorte de réflexion intérieure, lorsqu’on lui signale que Rosemary Brown s’est remise au piano. Alors, Croiset :

«  – Oui… cette fois, il y a tellement de présences… ils sont au moins dix… non, douze… la pièce est pleine de gens… il y a de superbes couleurs autour d’eux… leurs corps deviennent de plus en plus précis… Voilà Beethoven… c’est lui qui a l’influence la plus forte sur les centres psychiques de Rosemary… Et voici Schubert… »

Rosemary Brown : – « Schubert me dit que ce morceau s’intitule « Moment musical… »

Au bout d’un certain temps, elle annonce que Schubert ne peut plus maintenir la communication. Le reste du morceau sera dicté ultérieurement.


[1] Leonard Bernstein (1918-1990) a été sans doute parmi les plus  grands chefs d’orchestre. Parmi les questions qu’il a posées à Rosemary Brown, il a demandé : «  Chopin est-il toujours aussi séduisant ? »