David Peat
Chaos et catastrophes

David Peat en quelques mots selon Wikipédia (version anglaise) : Francis David Peat (né en 1938 en Angleterre, mort en 2017 en Italie) était un physicien holistique et un auteur qui a mené des recherches sur la physique des solides et les fondements de la théorie quantique. Il a été directeur du Pari Center for New […]

David Peat en quelques mots selon Wikipédia (version anglaise) :

Francis David Peat (né en 1938 en Angleterre, mort en 2017 en Italie) était un physicien holistique et un auteur qui a mené des recherches sur la physique des solides et les fondements de la théorie quantique.

Il a été directeur du Pari Center for New Learning, situé dans le village de Pari près de Grosseto en Toscane, en Italie. Il a été professeur adjoint au California Institute of Integral Studies et au Schumacher College, membre de l’Académie mondiale des arts et des sciences et Distinguished Fellow à l’université d’Afrique du Sud.

Formation et carrière

En 1964, Peat a obtenu un doctorat en physique à l’université de Liverpool. En 1965, il devient professeur assistant à l’université Queen’s de Kingston, en Ontario. Par la suite, de 1967 à 1975, il travaille comme chercheur au Conseil national de recherches du Canada. Pendant cette période, de 1971 à 1972, il effectue une étude sabbatique avec David Bohm et Roger Penrose au Birkbeck College de Londres.

Pendant de nombreuses années, il a été associé au physicien et philosophe David Bohm ; tous deux ont écrit ensemble le livre Science, Order, and Creativity (tr fr La conscience et l’univers), et Peat a plus tard écrit la biographie de Bohm, Infinite Potential: The Life and Times of David Bohm. Dans le contexte de cette biographie, Peat a souligné que Bohm avait travaillé intensément pour trouver une expression mathématique à sa vision d’un ordre implicite interconnecté et enveloppé, à partir duquel se déploie un ordre explicite, le monde de la physique classique. Bohm cherchait également à réintroduire le temps en tant qu’entité dynamique. Selon Peat, l’utilisation du terme « mécanique bohmienne » pour sa théorie « aurait quelque peu choqué Dave [Bohm] » : ce qui se passait avec les idées de Bohm et la théorie de Hiley, comme cela s’était produit avec celles de Grassman, Hamilton et Clifford auparavant, c’est que les physiciens laissaient de côté les idées fondamentales et les utilisaient simplement comme un moyen facile d’effectuer des calculs.

Lorsqu’il vivait au Canada, Peat a organisé des cercles de discussion entre des scientifiques occidentaux et des anciens d’Amérique du Nord, en collaboration avec Leroy Little Bear, qui a reçu plus tard le Prix national d’excellence décerné aux Autochtones en 2003, aujourd’hui Indspire Awards, pour l’éducation. Alors qu’il vivait à Londres, Peat a organisé une conférence entre artistes et scientifiques. En 1996, il quitte le Canada pour s’installer à Pari, en Italie.

En 2000, il fonde avec l’écrivaine et chercheuse Maureen Doolan le Pari Center for New Learning, un centre dédié à l’éducation, à l’apprentissage et à la recherche. Les activités du Pari Center comprennent des cours et des conférences en résidence, ainsi que la possibilité pour les universitaires et les chercheurs de passer des périodes prolongées en tant que résidents à Pari. Le centre qui s’appelle aujourd’hui simplement The Pari Center est dirigé par Àlex Gómez-Marín.

Peat a écrit sur les sujets de la science, de l’art et de la spiritualité et a proposé les notions de suspension créative et d’action douce. Il est l’auteur ou le coauteur de nombreux ouvrages, dont Synchronicity: The Bridge between Matter (tr fr Synchronicité) and Mind, Seven Life Lessons of Chaos, Turbulent Mirror, Gentle Action, et Pathways of Chance. Son livre le plus récent est A Flickering Reality: Cinema and the Nature of Reality.

L’Action douce :

Le concept d’action douce est au cœur des travaux récents de Peat. Cette approche, telle qu’elle est envisagée par Peat, met l’accent sur une certaine manière d’agir qui vise à créer un changement de manière efficace. L’approche préconise de tolérer l’incertitude tout en suspendant l’action dès le début afin de permettre l’émergence d’une vue d’ensemble. Elle met l’accent sur la valeur des actions itératives à petite échelle par rapport aux grandes interventions en une seule étape. Dans son livre du même nom, publié en 2008, Peat souligne les liens entre son approche et des concepts antérieurs, en insistant sur l’importance de l’écoute active et sur la similitude avec le concept de Wu Wei.

L’action douce de Peat a été citée avec la théorie U d’Otto Scharmer et le worldwork d’Arnold Mindell comme des approches permettant aux individus, aux groupes, aux organisations et aux communautés de faire face à des problèmes complexes.

Des modules d’apprentissage basés sur l’approche de l’action douce de Peat ont été mis en place, entre autres, à l’université du Minnesota et à l’université de Siena Heights.

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Traduction libre d’un article paru dans la revue Holistic Science Journal

Un nouvel optimisme

En tant que jeune étudiant, j’ai toujours été intéressé par les grandes idées et un jour, un scientifique plus âgé et plus sage m’a pris à part et m’a conseillé de trouver une niche dans un petit domaine et d’y publier une série d’articles. « Ensuite, lorsque vous aurez établi votre réputation, vous pourrez commencer à étudier des idées plus vastes ». Manifestement, il pensait que je devais adopter la même attitude que mes collègues et ne pas m’éloigner pour réfléchir aux questions fondamentales de la physique.

À l’époque, je faisais partie d’un groupe de recherche qui effectuait des études théoriques sur les diverses propriétés des métaux et autres solides. En d’autres termes, la « physique du solide ». L’approche générale consistait à étudier, par exemple, les vibrations d’un réseau cristallin, en additionnant une série de petites corrections, une méthode connue sous le nom de théorie des perturbations. Ses origines remontent à la mécanique d’Isaac Newton, qui avait montré que s’il était possible de trouver une solution exacte à un problème à deux corps — l’orbite de la terre autour du soleil, par exemple — il n’était pas possible de faire de même pour le système formé par le soleil, la terre et la lune. Les astronomes ont dû ajouter des corrections pour tenir compte de l’effet de la lune sur l’orbite de la terre autour du soleil — en d’autres termes, ses perturbations de l’orbite de la terre. Le même principe s’applique à de nombreux autres domaines, y compris la physique des solides : résoudre le système de base, puis ajouter une série de corrections.

La plupart de mes collègues étaient heureux de le faire, car cela correspondait parfaitement à la sociologie des sciences et aux conseils qui m’avaient déjà été donnés : trouver un domaine et y publier des articles, chacun étant une variante de celui qui l’avait précédé. C’est ainsi que la liste des publications s’allongea et devient la voie royale vers la titularisation et la promotion. En de rares occasions, un de mes collègues m’a mis en garde en soulignant qu’en principe, le nombre de corrections pouvait être infini et que si, en arithmétique, la plupart des séries infinies convergent vers une réponse finie, il arrive qu’elles divergent vers l’infini. La même chose pourrait-elle se produire dans la théorie des perturbations ? Mais ce n’était pas le genre d’avertissement que les gens aimaient entendre et l’objection a été généralement rejetée.

Puis, vers la fin des années 1960, le désastre a frappé, lorsque nous avons pris connaissance des travaux de René Thom à Paris et de ce que l’on a appelé la « théorie des catastrophes ». En d’autres termes, si la plupart des systèmes se comportent bien, il en existe certains dans lesquels un changement minuscule, une petite correction, peut entraîner un comportement radicalement différent : c’est ce que Thom a appelé une catastrophe. À partir de ce moment, le visage de la physique a changé rapidement et, soudain, la théorie du chaos, avec ses branches connexes que sont les fractales, la théorie de la complexité, l’auto-organisation, l’effet papillon et les attracteurs étranges, s’est imposée à nous. Notre monde avait changé d’une manière si radicale qu’elle donnait un sens nouveau et dramatique au conseil qu’Einstein avait donné un jour au jeune Heisenberg, « c’est la théorie qui suggère les observables ».

La science est une façon de voir le monde ; elle met en évidence certains aspects de la nature et nous en fait ignorer d’autres. On pourrait la comparer aux lunettes vertes données à Dorothée lorsqu’elle est entrée dans la Cité d’émeraude du pays d’Oz. Soudain, tout est devenu vert pour Dorothée. De même, pendant des décennies, les physiciens ont disposé d’un ensemble d’outils leur permettant d’effectuer des calculs sur des systèmes proches de l’équilibre, en équilibre et soumis à des changements lents et doux. À leur tour, les expérimentateurs étudiaient ces systèmes et confirmaient les prédictions des théoriciens, ce qui permettait à toute une communauté de scientifiques de continuer à publier des articles et à écrire des livres. D’autres systèmes ont certainement existé, tels que les ondes de choc, les changements violents et les systèmes loin de l’équilibre, mais ils ont eu tendance à être ignorés ou rejetés.

Mais la combinaison de nouvelles techniques mathématiques et le développement d’ordinateurs capables d’effectuer des calculs plus avancés ont soudain ouvert un vaste et nouveau champ. Soudain, l’auto-organisation, les fractales, l’ordre dans le chaos et les bifurcations sont apparus partout. La science est entrée dans un nouveau monde. Ce qui était particulièrement important, c’est qu’il introduisait un nouvel ensemble de principes qui pouvaient être appliqués à un large éventail de sujets dépassant largement les limites de la physique et de la chimie conventionnelles : aux systèmes vivants, au comportement social, aux écologies et aux systèmes économiques. Un effet secondaire curieux de ce nouvel élan d’intérêt est la façon dont, aux États-Unis, un grand nombre des meilleurs diplômés en mathématiques et en physique théorique ont choisi de ne pas entrer dans le monde universitaire, mais sur le marché boursier, où leurs compétences pouvaient être appliquées à la création de modèles mathématiques des fluctuations boursières, qui sont maintenant reconnues comme présentant une autosimilarité fractale. On peut voir une parodie de cette situation dans le film Pi [1998] de Darren Aronofsky, dans lequel le protagoniste, croyant que le cosmos tout entier est décrit par des nombres, cherche à découvrir ses secrets sous-jacents en étudiant les fluctuations du marché boursier.

Je pense qu’il y a deux leçons importantes à tirer de cette révolution scientifique. La première, comme nous l’avons vu, a été soulignée pour la première fois par Einstein : « la théorie suggère les observables ». En d’autres termes, la science ne procède pas selon l’hypothèse commune qui veut que l’on fasse des observations, que l’on recueille des données et que l’on émette des hypothèses, qui se transforment ensuite en théories. Mais qu’au contraire, une théorie, ou plus généralement un paradigme, amène la science à rechercher dans des directions particulières pour recueillir ses données et formuler ses théories. De plus, la science elle-même n’est pas un exercice totalement objectif, mais le résultat de certaines préoccupations sociales. Prenons par exemple l’une des étapes de l’élaboration de la deuxième loi de la thermodynamique. Après la Révolution française, les ingénieurs français se sont rendus compte que leur nation avait pris du retard sur les Britanniques dans le développement des machines. Il revint à des personnes telles que Sadi Carnot d’essayer de fabriquer des moteurs plus efficaces, mais ils découvrirent rapidement qu’il y avait une limite à l’efficacité de la conversion de la chaleur en travail, puisqu’une partie de cette chaleur est toujours dissipée. C’est ainsi que Carnot a compris la nature de l’entropie et les limites inhérentes à la conversion de la chaleur en travail. La deuxième loi de la thermodynamique est donc née des préoccupations sociales de l’époque. Dans quelle mesure l’orientation de certains domaines de la science actuelle est-elle l’expression des valeurs et des normes sociales en vigueur ? Une autre leçon est que notre nouvelle compréhension des systèmes écologiques durables et autocorrectifs peut conduire à des lignes directrices pour un comportement éthique sain dans les systèmes sociaux et économiques.

a) Transparence et ouverture

Les systèmes auto-organisés survivent grâce à leurs boucles de rétroaction. La rétroaction positive permet au marché de favoriser l’innovation ; la rétroaction négative protège ce qui a été établi. Il est donc essentiel que l’information et le sens circulent dans le système et ne soient pas bloqués. Cela signifie une comptabilité transparente, des déclarations d’intention et d’action ouvertes, et une cohérence entre l’image publique et la déclaration éthique d’une entreprise et sa culture interne de confiance et de respect d’autrui. En outre, chaque entreprise a l’obligation de promouvoir la santé du système dans son ensemble.

b) Respect de la concurrence

Les systèmes naturels prospèrent grâce à leur diversité inhérente. Si une espèce commence à dominer, la flexibilité de l’environnement diminue. De même, dans un environnement commercial, la concurrence est nécessaire pour maintenir la flexibilité de l’ensemble de l’écosystème, afin que les biens, l’argent et l’information puissent circuler dans les boucles de rétroaction du système.

c) Le rôle de la redondance

Les systèmes naturels parviennent à leurs fins de différentes manières, ce qui, à première vue, ne semble pas particulièrement efficace. Toutefois, lorsque les situations changent ou qu’une partie du système est endommagée, la redondance permet à ce dernier de continuer à fonctionner. De même, il est important d’accepter un certain niveau de redondance dans une entreprise, car la maximisation de l’efficacité pourrait rendre cette entreprise trop rigide et incapable de procéder à des ajustements rapides lorsque le marché change.

d) Accepter l’incertitude

L’incertitude et les limites du contrôle sont des réalités de la vie qui doivent être acceptées dans tout système non linéaire. Il y aura toujours un certain degré d’« informations manquantes », ce qui peut parfois nous mettre mal à l’aise. De même, nous ne pourrons pas toujours contrôler ce qui se passe autour de nous. Il est important que nous décidions si nous allons voir cela en termes d’insécurité et de manque de contrôle, ou comme des portes vers de nouvelles possibilités et relations.