Traduction libre
Jusqu’au siècle dernier, le cadre théorique de l’Advaita Vedanta (théorie de la non-dualité) a été préservé et présenté principalement dans le cadre des enseignements spirituels ésotériques de l’Inde. Traditionnellement, ces enseignements non duels n’étaient pas transmis librement. Un apprentissage de douze ans de service auprès d’un maître spirituel ou guru était habituel, après quoi le guru déterminait si l’étudiant était mûr pour être initié à la perspective non duelle. Bien que cela puisse sembler extrême à l’ère actuelle de la liberté d’information, cette pratique contenait néanmoins sa propre sagesse.
Les indications de la non-dualité sont peu utiles à l’esprit immature et, dans la plupart des cas, elles ont un effet négatif et retardent en fait la maturation spirituelle. Il est essentiel de travailler à partir du niveau de conscience auquel on s’est stabilisé. Les caractéristiques d’un chercheur immature comprennent le désir de contourner le développement correct de l’ego afin d’éviter de se confronter aux aspects sombres de la psyché et le manque de capacité à percevoir sa propre position sur le chemin progressif. Par exemple, lorsqu’on leur dit que « tu es Dieu », ou qu’« il n’y a rien à faire », ou que « tu n’existes pas », etc., ils s’accrochent à ces concepts et les superposent à des croyances personnelles non examinées en matière de séparation.
Dans l’Advaita Vedanta, il n’y a pas de soutien pour le chercheur immature et lorsque la résistance à ce qui est présenté par l’enseignant se développe, l’ego se défend par tous les moyens possibles. Ainsi, une nouvelle forme de souffrance — le contournement spirituel — est créée, par laquelle les enseignements spirituels sont utilisés pour éviter les problèmes égotiques. Ironiquement, cette stratégie est apparue comme un contrepoids dualiste à la disponibilité contemporaine et mondiale d’enseignements et de perspectives non duels. Les chercheurs immatures qui n’ont aucune connaissance des subtilités de l’esprit rejettent comme folie ce qu’ils ne comprennent pas. Les enseignements et les actions de l’enseignant sont interprétés de manière perverse et des malentendus se produisent. Les concepts sont appliqués de manière inappropriée et des projections sont faites sur l’enseignant. Cela est dû à un mécanisme subtil d’autodéfense et, en se défendant, l’ego du chercheur est renforcé. Tout cela est simplement dû au fait que l’esprit n’est pas encore suffisamment tourné vers l’intérieur. Un esprit immature cherche des résolutions vers l’extérieur, un esprit mature écoute à l’intérieur.
Tout ce qui se trouve dans le monde phénoménal a sa place, tout comme chaque indice de ce qui est au-delà du mental est utile en son temps. La maturation de l’esprit se poursuit indéfiniment jusqu’à ce que toutes les croyances en la séparation soient dissoutes. Le discernement permettant de savoir quand utiliser efficacement et quand abandonner les pratiques spirituelles n’est pas disponible dans l’esprit immature. Par conséquent, certaines techniques spirituelles telles que l’enquête sur soi ne peuvent pas fonctionner tant que le chercheur n’est pas mûr. En l’absence du modèle traditionnel maître-élève ou gourou-disciple, le chercheur doit piloter lui-même son évolution spirituelle.
Les chercheurs immatures recherchent aussi souvent un enseignant spirituel en quête d’amour et d’acceptation. Cependant, sans une conscience suffisante de soi, ils ne reconnaissent pas cette motivation et leur manque inné d’amour de soi se perpétue. Inévitablement, ils trouvent des raisons de rejeter ensuite l’enseignant, car un esprit immature exige toujours des conclusions — sur lui-même et sur son enseignant — dans un effort pour valider et défendre son ego fragile. Les polarités dualistes du bien et du mal, du vrai et du faux, se manifestent avec force tant que le concept du « moi » cherche à s’appuyer sur des opinions personnelles souvent mal informées. Sautant fréquemment d’un enseignant à un autre, ces chercheurs ne peuvent comprendre ni les enseignements ni l’enseignant en raison de leur immaturité.
En Inde, la théorie de la non-dualité se trouve dans l’hindouisme. La prière, le yoga, le service, la culture de la dévotion et la pratique des bonnes œuvres ne sont en aucun cas considérés comme étant en opposition avec la réalisation ultime de la Vérité. Tous les niveaux de maturation sont pris en compte dans ce système unifié. Lorsque l’esprit n’est pas encore prêt à répondre aux indications non duelles, ces pratiques spirituelles ont leur place. Actuellement, il y a une telle abondance d’options en Occident qu’on ne voit pas clairement que chaque pratique spirituelle de mérite prépare finalement l’esprit à sa propre dissolution. Comme chaque pratique a sa place dans le grand schéma des choses, il est important de participer à une pratique spirituelle en gardant à l’esprit le but ultime. Par exemple, l’exploration des vies passées peut soit renforcer le sentiment du « je », soit le dissoudre.
Que le point central soit de voir à travers la fausse identification avec l’organisme corps-esprit. Dans tout cela, la sage option est de suivre ce qui fait sens intérieurement et de ne pas poursuivre une explication conceptuelle simplement attrayante pour l’esprit. Laissez votre pratique spirituelle être guidée non pas par le désir, mais par le sentiment intuitif qu’un raffinement ou une purification de l’esprit lui est inhérent. Tout ce qui réduit le sens du « moi » personnel, tout ce qui réduit l’identification à la pensée, est en effet une pratique utile. Toute cette activité finira par s’épuiser d’elle-même. Il est important que cette maturation se déroule naturellement, car la chute organique de la pratique spirituelle ne se produit que lorsque l’esprit est convenablement mûr pour que s’installe l’attitude non-duelle.
Dans tout cela, on ne peut éviter le paradoxe selon lequel la réalisation de la Vérité ne dépend d’aucune pratique spirituelle ou maturité d’esprit. La danse du chemin progressif se déroule dans le temps et l’espace, qui sont eux-mêmes le produit d’une pensée erronée et d’une mauvaise identification. Cette incompréhension donne naissance à l’idée d’un « je » personnel, un individu imaginaire qui tente de se réduire afin de se rappeler qui il est. La réduction du « moi » n’est en fait pas directement liée à la vision de la Vérité — c’est simplement l’activité qui se produit lorsque l’illusion de la vie s’affaiblit. Reconnaître la fausseté du « moi » personnel tout en cessant de croire en son existence révèle la Vérité.
Dans les enseignements spirituels de l’Orient et de l’Occident, la voie directe est appropriée pour ceux qui sont mûrs d’esprit et donc prêts à transcender la pensée dualiste. De nombreux chercheurs occidentaux ont déclaré que le fait d’emprunter la voie directe les empêchait de fonctionner efficacement au quotidien et que le contexte de soutien d’un ashram leur offrirait un cadre approprié. Dans de rares cas, c’est vrai, mais généralement la peur et l’évitement de l’inconnu sous-tendent cette excuse. La peur se cache dans le fait que la voie directe ne tient pas compte du « moi » personnel. Indépendamment de la pratique préconisée, la voie directe n’offre aucun résultat ou conclusion : elle peut au mieux être décrite comme une technique qui détruit l’idée qu’il y a quelqu’un qui l’utilise. En d’autres termes, il est recommandé de ne prêter aucune attention au mental, comme si l’on avait une tolérance zéro pour l’apparition du monde illusoire. D’où la signification du silence. Tout mouvement d’un « je » personnel ne fait qu’entériner l’idée qu’il y a un « je » qui cherche finalement la Vérité. La non-dualité souligne (et le chemin direct révèle) qu’il n’y a jamais eu de « moi », que l’idée même de l’existence de quoi que ce soit est fausse. Il n’y a rien qui ait une quelconque substance ou authenticité dans ce qui apparaît comme réel.
L’esprit immature interprète cette suggestion (ne pas prêter attention au mental, comme s’il avait une tolérance zéro pour l’apparition du monde illusoire) comme une pratique consistant à avoir une attitude de tolérance zéro, ce qui renforce l’idée d’un « je » qui fait quelque chose pour obtenir quelque chose de mieux. On peut donc dire que la pratique spirituelle peut effectivement aider à dissoudre le « je », mais sans une bonne compréhension, elle peut aussi perpétuer le « je ». Il est donc sage de participer à la pratique spirituelle en étant conscient qu’elle ne peut pas en soi conduire à la reconnaissance de la Vérité. Et pourtant, d’un point de vue phénoménal, il est très utile de réduire l’identification aux pensées et d’atténuer ainsi les croyances en la dualité. Laissez la pratique spirituelle se poursuivre jusqu’à ce qu’elle soit considérée comme un événement dans la conscience et que vous ne soyez pas celui qui pratique. Ce changement peut se produire lorsqu’il n’y a pas d’attachement à la pratique spirituelle. Laissez-vous voir que tout se produit par lui-même et qu’il n’y a pas d’individu qui fait tout cela.
Pour ceux qui sont attirés directement par l’expérience de la perspective non duelle (par opposition aux croyances/idées à ce sujet), sachez qu’il n’y a pas de contexte formel dans ce cadre pour permettre une maturation de l’esprit. Reconnaissez que les pratiques spirituelles et religieuses ont leur place pour permettre à chaque chercheur de répondre de manière optimale à une attraction interne, et qu’il appartient aux chercheurs de trouver leur propre façon de s’engager dans les enseignements délivrés de cette manière. De même, la non-dualité doit être considérée comme une disposition de l’esprit. Elle n’est pas appropriée pour être appliquée aux affaires du monde, et la sagesse pour traiter de telles questions doit donc être développée indépendamment. Cette approche fait mûrir l’intellect jusqu’à ce qu’il soit capable de se plier à une perspective non duelle, et il vous appartient de découvrir ce qui vous convient.
En dépit de tout cela, comment pourriez-vous imaginer être séparé du Soi ? Être ce que vous êtes ne demande aucun effort, car vous êtes toujours ce qui est antérieur et au-delà de tout concept. Vous ne pouvez pas être autre chose que cela. Pourtant, tant que vous vous imaginez être autre que ce que vous êtes, la recherche spirituelle a sa place. Pour connaître ce que vous êtes, il doit y avoir deux moi pour que l’un connaisse l’autre. La recherche de la Vérité ne se termine pas par la découverte phénoménale de la vérité : on ne gagne rien de nouveau dans la réalisation de soi. Tout ce qui se produit est l’abandon complet de l’engagement enchevêtré avec la pensée.
Ainsi, ce que l’on appelle ignorance (dans un contexte spirituel) n’est que la tentative insatisfaisante d’identifier le Soi avec ce qui n’est pas le Soi. Votre intellect, et celui qui souffre du désir de trouver la Vérité, doit réaliser que ce qui peut être connu est seulement ce que vous n’êtes pas. Dans cette connaissance, tout ce qui se présente comme une réalité phénoménale est mis à nu en voyant que cela ne peut pas être ce que vous êtes. Les attachements à la fausse personnalité individuelle doivent tomber. Ce qui reste ne peut être connu par cette même faculté qui vous a amené jusqu’ici. L’intellect ne peut fonctionner que dans le contexte du sujet et de l’objet. Dans cette dichotomie, il doit y avoir quelque chose à connaître ou à comprendre et un individu distinct qui a quelque chose à gagner en acquérant cette connaissance. Laissez tomber toute idée à propos de l’illumination et conservez le sens de l’orientation qui découle de cet objectif. Voir à travers le conditionnement culturel occidental, axé sur les objectifs et les tâches à accomplir, marque le passage d’un esprit immature à un esprit mature. Permettez à la douceur d’apparaître à la place de la recherche acharnée et avide de l’outil hautement sophistiqué qu’est l’esprit. Développez la sagesse de savoir quand le prendre et quand le laisser tomber. Tout ce qui peut être connu ne peut être ce que vous êtes. Ce que vous êtes est antérieur à toutes les explications et indications dualistes. Le soi est dans l’expérience directe de tous, mais pas comme on l’imagine. En l’absence de tout phénomène, l’imagination et l’intellect n’ont pas leur place. Le soi n’est que ce qu’il est. Quel que soit votre contexte culturel ou vos penchants spirituels, soyez honnête avec vous-même et prenez les mesures qui vous conviennent parce qu’elles ont du sens pour vous, qu’elles vous paraissent rationnelles ou irrationnelles.
Ne réfléchissez pas à ce sujet et n’essayez pas de le comprendre. Ce n’est pas compréhensible à un niveau plus profond que la théorie intellectuelle. L’esprit ne peut pas aller au-delà, car, pour ce faire, l’intellect a besoin d’un objet de perception pour l’activer en pensée. Comprenez et acceptez le rôle et les limites de l’esprit investigateur. C’est un outil qui sert bien sur la voie progressive dans toute culture. Lorsque cesse l’identification au corps et à la pensée, on comprend que la Vérité n’est jamais perdue ou trouvée et que ce que vous êtes vraiment se révèle simplement.
Jac O’Keeffe a connu un réveil intérieur spontané en 1997. Son troisième œil s’est ouvert, et sa vie a radicalement changé de cours. Elle a quitté une carrière réussie en tant que pionnière de la politique artistique communautaire au niveau national en Irlande pour commencer une pratique de guérison substantielle, qui a évolué vers des retraites résidentielles explorant les causes spirituelles sous-jacentes à la dépression clinique. En 2003, elle a fermé son cabinet, quitté son mode de vie occidental et s’est finalement installée en Inde. Une pratique spirituelle intense a conduit à une période de deux ans sans pensées. La sagesse spirituelle s’est développée, et Jac guide maintenant les autres dans ses enseignements et ses publications pour transcender les perspectives duelles et non duelles, et prépare les enseignants spirituels à la libération.
Texte paru en anglais sur le site : https://www.scienceandnonduality.com/
Site de Jac O’Keefe: https://jac-okeeffe.com/