Gabriel Monod-Herzen
Il n’y a de choix que dans le présent

Qu’est-ce qui fausse notre choix ? La partie du mental qui constitue notre mémoire. De mauvais souvenirs, même subconscients, nous incitent au refus par analogie. Au contraire, de bons souvenirs nous font accepter la chose immédiatement. C’est d’autant plus dangereux que la moitié du temps on n’en est pas conscient. C’est ce que les Bouddhistes appellent « l’illusion du moi », car ce n’est pas moi qui fais un choix, mais le souvenir

(Revue Panharmonie. No 176. Mars 1979)

Le titre est de 3e Millénaire

Compte rendu de la rencontre du 6.12.1978

S’il est nécessaire d’avoir le maximum d’informations avant de prendre une décision, encore faut-il que les informations soient bonnes. Elles ne pourront l’être que venant de personnes ayant eu une expérience directe de la chose en question. La première question à se poser sera donc : Est-ce que je sais ou est-ce que je crois ? Si je ne fais que croire, je passe forcément par les opinions des autres et j’ajoute leurs fantaisies aux miennes. D’autre part, lorsqu’on désire quelque chose, on est tenté de l’admettre tout de suite, tandis que dans le cas contraire on ne veut pas en entendre parler. D’où la difficulté du choix à faire.

Qu’est-ce qui fausse notre choix ? La partie du mental qui constitue notre mémoire. De mauvais souvenirs, même subconscients, nous incitent au refus par analogie. Au contraire, de bons souvenirs nous font accepter la chose immédiatement. C’est d’autant plus dangereux que la moitié du temps on n’en est pas conscient. C’est ce que les Bouddhistes appellent « l’illusion du moi », car ce n’est pas moi qui fais un choix, mais le souvenir.

C’est une erreur de dire que plus les réactions sont spontanées, plus elles sont sincères. Elles sont sincères, oui, mais elles peuvent être fausses et injustes. Dire par exemple : « moi, je n’aime pas les femmes brunes » peut être la conséquence d’un mauvais souvenir concernant une femme brune et cela peut continuer ainsi toute la vie.

Un participant : On peut aussi appeler cela un rappel inconscient, comme disent les psychanalystes.

M. Monod-Herzen : Ce dont je parle est cette petite zone qui est presque consciente et qu’on pourrait appeler « subliminale ». C’est juste un seuil et il ne faut pas grand-chose pour passer d’une chose à l’autre. Alors on dit : « C’est moi qui décide, je suis parfaitement sincère, donc cela doit être juste. » Et bien non, cela ne suffit pas, il faut encore avoir vérifié.

Une participante : Comment, parmi de multiples informations, faire le bon choix ?

M. Monod-Herzen : Voir si ce sont vos préférences que vous allez satisfaire ou non. Ce n’est pas facile. Notre but c’est de chercher ce que nous pouvons faire avec un maximum d’harmonie vis-à-vis du monde qui nous entoure. Lorsqu’on vous attaque, la meilleure des choses est de ne pas répondre, d’être indifférent. Dans le Haikido au Japon lorsqu’on cherche à attaquer son adversaire il n’y a jamais rien devant vous, vous n’arrivez même pas à le saisir.

Un participant : On est assailli d’informations qui, dans l’enfance ont été de fausses informations. On était trop jeune pour pouvoir faire la part des choses. Les jeunes actuellement sont perturbés par les informations qu’ils ont reçues, qui surgissent et les troublent.

M. Monod-Herzen : Ils sont pris dans un faisceau, parce qu’ils ne les ont jamais sélectionnées et qu’ils restent dans leurs souvenirs. La mémoire est meilleure qu’on ne le pense, elle laisse des traces. Lorsque quelque chose de nouveau arrive, c’est elle qui constitue notre première réaction qui est instinctive et qui ne provient pas de notre véritable moi.

Une participante : Je pense qu’il faut éliminer toutes les pensées. Ce n’est pas de la méditation, mais l’élimination de toutes les pensées qui empêchent l’intuition de ce qui nous convient.

M. Monod-Herzen : Vous avez raison, mais malheureusement c’est une chose qu’on ne nous enseigne jamais.

La participante : On ne peut trouver de solution qu’en soi-même, mais pour cela il faut se débarrasser de tout un fatras mental qui nous encombre.

M. Monod-Herzen : C’est difficile et rare. Les psychanalystes ont étudié les jeux de mots, les lapsus, etc. Cela donne une vue sur les choses assez profondes. Mais on a laissé de côté la conversation tout-à-fait banale, Chacun ne parle que de soi, on voit parfaitement bien les souvenirs qui remontent. Notre souci c’est de nous décharger. Comme le disent très bien les Indiens, il y a la pensée, la parole et l’action qui se suivent naturellement. La parole est déjà une action, elle est toute petite, le corps n’y prend qu’une petite part. Si vous ne la laissez pas sortir vous restez tendu. Alors vous vous défoulez en parlant et quand on dit une chose, on l’accepte. Vous la répétez parce que vous l’avez pensée avant. Par conséquent elle s’imprime davantage en vous. La première des choses à faire est donc de ne pas dire des choses uniquement parce que cela vous soulage de les dire.

Un participant : C’est à double tranchant. Si vous l’exprimez, vous risquez de l’imprimer ; si vous ne le dites pas, vous risquez de la refouler. N’y a-t-il pas entre les deux une action juste ?

M. Monod-Herzen : Quand je me rends compte que je n’en parle pas parce que c’est inintéressant, cela m’indiffère. Donc j’élimine et ne refoule pas. Il ne faut pas se crisper pour repousser les idées, parce que sans cela vous les refoulez dans le subconscient. Il faut leur opposer de l’indifférence. Quand vous méditez, laissez-les déferler avec patience. Vous n’y arriverez pas en une fois, mais petit à petit à force d’indifférence vous obtiendrez un silence total qui est un repos extraordinaire. Il y a une application pratique, celle de s’endormir à volonté. Mon Maître japonais le pouvait, Napoléon aussi. Il disait : « Mon intelligence est comme un meuble qui a beaucoup de tiroirs. Je tire celui dont j’ai besoin. Si je les ferme tous, je m’endors ! » Il faut prendre l’habitude d’être indifférent vis-à-vis des choses qui n’ont pas d’importance et c’est là où commence la sélection.

Un participant pense que les jeunes et même les adultes en proie à leurs problèmes d’enfance, sont pris dans un tel tourbillon qu’ils ne peuvent pas être dans un état de vacuité pour comprendre ou pour adapter ce que M. Monod-Herzen préconise.

M. Monod-Herzen : Ce que vous dites là est du domaine affectif. Dans n’importe quelle pensée il y a toujours un côté affectif. A un moment donné une chose peut être très importante et ne pas l’être à un autre moment. On ne pense jamais à la question du temps. On permet au subconscient de nous faire croire que c’est important maintenant, alors que ce ne l’est pas ? Ne réfléchissez qu’aux pensées qui vous valorisent. Chez les enfants c’est tout à fait différent.

Le participant : Il y a le problème des adultes qui ne peuvent pas sortir de l’enfance.

M. Monod-Herzen : Alors ils ne sont pas adultes ! Et ceci parce que, précisément ils restent liés à toute une partie du passé dans lequel ils veulent se réfugier. Il faut que l’on s’occupe d’eux, car ils ne veulent pas s’occuper d’eux-mêmes. Cela les amène à un état de déséquilibre et de mécontentement qui ne repose sur rien et qu’on ne peut pas guérir. Il n’y a rien de plus difficile à résoudre que des cas où l’individu peut être parfaitement sincère, parfaitement honnête, souvent désintéressé : « Qu’est-ce que je vais faire ? La vie est horrible… Je ne sais pas…

Un participant : Vous avez dit tout à l’heure quelque chose qui, à mon point de vue, est capital, sur le processus de la mémoire. L’être est parfaitement honnête vis-à-vis de lui-même, mais en fonction d’une situation il pense de manière injuste ou fausse. Il s’agit qu’il en prenne conscience, comment le peut-il ?

M. Monod-Herzen : On m’a donné une recette : J’apprends quelque chose de nouveau. Il est généralement facile de se rendre compte de ce qu’évoque cette nouvelle, des souvenirs bons ou mauvais. Ces choses sont passées et n’existent plus. La satisfaction ou l’opposition à un désir très grand pour l’avenir, n’existent pas non plus puisqu’ils sont à venir. Si je me rends compte que ces souvenirs et ces désirs sont moi-même, qu’est-ce que je perds ? La conscience du présent. Or il n’y a que dans le présent que je peux faire un choix, parce que c’est le seul point où je peux dire : je. Il n’y a que dans le présent que vous pouvez faire un choix, que vous puissiez prendre une décision. Donc quand quelque chose vous arrive, rendez-vous bien compte si c’est du passé ou si cela vient d’un projet d’avenir. Dans un cas comme dans l’autre ne le rejetez pas, tenez-en compte, tout en sachant que ce n’est pas réel n’étant pas dans le présent. Je peux m’en servir comme point de comparaison. Si je me trompe, je le verrai bien. Nous ne sommes nous-mêmes que dans le présent. Cette « recette » a été pour moi infiniment précieuse. Evidemment, comme pour toutes choses qui ont une base psychologique, il faut beaucoup de patience pour y arriver, beaucoup de persévérance.

En Inde j’ai demandé combien de temps il faut pour pratiquer un yoga quel qu’il soit et pour avoir des résultats. On m’a répondu : « en moyenne douze ans ». J’ai demandé à la Mère (j’étais jeune à ce moment-là) : Est-ce que vous pensez qu’en vingt ans je pourrai avoir un petit quelque chose de vraiment concret ? Elle m’a répondu avec un charmant sourire : « Vingt ans, c’est parfaitement possible ! »

Un participant : Chaque prise de conscience est un moment vécu du présent.

M. Monod-Herzen : Exactement ! Que nous avions en nous des traces du passé, d’accord. Mais ce n’est pas ça qui doit se manifester, parce que notre mental, nos sentiments ont une autonomie à laquelle on ne pense jamais. En Orient on considère que nous avons plusieurs personnalités : une personnalité physique, une personnalité affective et une personnalité mentale. Chacune a son rôle à jouer, mais ce qui est important, c’est l’ensemble et l’ensemble c’est le présent. Lorsque vous avez tout devant vous, vous choisissez.

Un participant : C’est là la difficulté parce que l’être doit choisir. La plupart du temps, lorsqu’on a des problèmes, on s’embrouille, on s’évade, on s’endort, on se sent fatigué. Il y a quelque chose à l’intérieur qui refuse.

M. Monod-Herzen : Il refuse parce qu’il ne cherche pas à savoir, est ce mon passé, sont-ce mes intentions pour l’avenir ? Ni l’un, ni l’autre ne sont moi-même. Ils sont à notre disposition et c’est une grande richesse. Les Hindous vont plus loin, cela peut venir, disent-ils, d’une vie précédente. J’ai des quantités de possibilités que je ne connais pas.

Un participant : C’est capital de savoir si c’est nous qui choisissons ou si nous sommes choisis.

M. Monod-Herzen : Nous sommes presque toujours choisis par une partie de notre subconscient. La psychanalyse nous donne des moyens de résoudre les grands problèmes, mais très peu pour les tout petits qui forment la trame de toute existence. Cela rend énormément de service à une personne normale, non névrosée, de savoir quelle sera l’attitude la meilleure, non pour son résultat, pour sa rentabilité, mais pour se mettre dans une harmonie intérieure. Nous ne pouvons pas changer le milieu dans lequel nous sommes, nous pouvons le quitter. Mais à partir du moment où nous acceptons d’être ici, il faut veiller à garder sa propre harmonie. On se laisse de plus en plus absorber par le milieu. Généralement nous avons peur. Il en est de même pour les Etats qui dépensent 70% de leurs revenus national pour s’armer en vue d’une guerre que, naturellement, ils ne veulent pas faire. Je pense, moi, qu’en allant parler avec les gens et avec les nations d’une façon directe, naturellement en y mettant le prix, on obtient beaucoup plus qu’on ne le pense.

On peut agir de même avec son corps. Ma santé n’est pas parfaite, je paye les conséquences des bêtises que j’ai faites. Cela dit, je m’arrange avec mon corps. Je lui dis, comme s’il était un animal : « Moi je fais tout ce que je peux pour toi, mais à charge de revanche tu me laisses tranquille ! » Cela marche beaucoup mieux que vous ne le pensez parce que nos différentes personnalités ont leur autonomie. Et il arrive une chose très curieuse, la santé s’améliore.

Un participant : 75 % de nos maux sont psychiques.

On parle du cas de Monique Couderc qui s’est guérie d’un cancer.

M. Monod-Herzen : Beaucoup de choses sont certainement possibles. J’ai habité Florence au moment où y résidait le Padre Pio. Il était stigmatisé, cela le gênait du reste beaucoup, il ne le désirait pas. Cela lui est arrivé à la suite d’une très grande intensité d’identification. Ce sont là des cas exceptionnels. Ce dont je vous parle sont des choses de la vie de tous les jours.

On parle de la mort : Pour les Indiens qui croient à la réincarnation, elle perd beaucoup de son importance. Le problème n’est pas de ne pas mourir, mais de faire que la vie dont on va disposer, contienne le maximum de choses qui ne donneront peut-être pas de plaisir, mais du bonheur. Apprenez à vivre avec tout ce dont vous disposez physiquement, affectivement et mentalement. Le reste vous sera donné par surcroît. Chez l’animal sauvage la peur est une réaction tout à fait normale et utile, tandis que pour nous, particulièrement dans le domaine intérieur, c’est toujours une erreur. Nous réagissons beaucoup plus mal que l’animal dont l’instinct est plus direct et complet. Comme il pense peu il a un instinct extraordinairement développé.

La sécurité n’est jamais totale, il faut le savoir à l’avance et, par conséquent ne pas s’en étonner. Nous ne pouvons être parfaits ni physiquement, ni mentalement, ni affectivement. Il faut accepter nos imperfections comme des choses qui peuvent s’améliorer, mais qui ne peuvent être supprimées totalement. L’intérêt de tout le travail intérieur, c’est précisément qu’il n’est jamais fini. Aussi avons-nous toujours l’espérance d’un bonheur futur. C’est la raison pour laquelle les Yoguis sont heureux. La petite flamme d’espoir qui est en nous doit toujours être alimentée pour devenir un feu qui marche bien et dans lequel on brûlera tous nos vieux souvenirs inutiles et que nous devons refuser de vivifier en les rendant présents.

Compte rendu de la rencontre du 10.1.1979

Sur l’amour divin et l’amour physique.

En Europe une grande erreur fondamentale que Freud a mise à jour, c’est la confusion entre génitalité et sexualité. L’enfant qui vient au monde est soit un garçon ou une fille, sauf dans des cas exceptionnels, ce qui n’a aucun rapport avec la sexualité. Et pourtant le caractère de la fille ou du garçon est déjà marqué. Puis arrive l’âge où ces êtres seront capables à leur tour de faire des enfants pour finalement, à un moment donné, n’en être plus capables, tout en restant parfaitement homme ou femme.

Ce qui importe c’est de se rendre compte qu’il y a un caractère masculin et un caractère féminin qui sont essentiellement complémentaires, et c’est là, que pour les Indiens, on touche à l’amour divin. L’idée d’y voir une opposition, voire une concurrence, leur semble étonnant. Cela peut paraître surprenant car la femme chez eux semble occuper une place inférieure. Mais si vous interrogez une femme en Inde ou au Japon, vous constaterez qu’en réalité elle tient une place importante et qu’elle a beaucoup d’autorité.

Ne plaignez donc pas trop ces femmes. Les nôtres ne sont pas moins asservies que dans beaucoup d’autres pays.

Un participant : Quelle différence faites-vous entre génitalité et sexualité ?

M. Monod-Herzen : La génitalité, c’est le fait de pouvoir faire des enfants et tout ce que cela comporte, et qui peut représenter un très grand plaisir. Il y a des gens qui n’ont que celui-là dans leur vie !

Le participant : C’est faire l’acte pour le plaisir.

M. Monod-Herzen : Tout ce que la nature a fait et qui a pour but la conservation de l’espèce, procure du plaisir. Il en est de même pour la nourriture. La sexualité, c’est l’existence de deux sexes complémentaires pour faire un enfant. Mais cela ne s’arrête pas là. Cette complémentarité de l’homme et de la femme existe dans tous les domaines.

La supériorité des femmes c’est qu’elles soient seules capables de faire des enfants et c’est ce qui fait qu’on les respecte. Mais il y a d’autres choses encore. Je vais essayer de vous traduire en français l’état d’esprit d’un Indien :

Nos ancêtres physiques sont nécessairement également partagés entre un même nombre d’hommes et de femmes. Lorsque l’enfant se forme il y a un moment — plus tôt qu’on ne le pense — où le sexe se définit. C’est une question génétique liée à des gênes particuliers, mais qui n’est visible sur les chromosomes qu’au bout d’un certain temps. L’hérédité de l’être est dans le domaine physique moitié masculine, moitié féminine. Par suite de phénomènes dus à des chromosomes, un sexe déterminé apparaît sur l’embryon et cela va entraîner chez l’individu quand il naîtra, toute une possibilité de manifestations extérieures, toute une manière d’être et d’attitudes dans la vie, psychologiques, psychophysiologiques, affectives. Quelle en est la conséquence inévitable ? C’est que l’autre partie de l’individu non extérieure, le subconscient, est du sexe opposé. Si l’être est normal, le conscient et le subconscient ont des dominantes qui sont nécessairement complémentaires. De là l’importance du couple. Le fait de vivre avec un individu de l’autre sexe vous fait voir dans votre conscient ce qui est dans votre subconscient. Si l’un ou l’autre s’en rend compte, il se trouvera dans des conditions très supérieures à celui qui ne le sait pas. Cela donne une possibilité d’expansion, d’épanouissement, beaucoup plus grande.

En Orient la chasteté ne signifie pas seulement la continence physique, considérée comme allant de soi si on veut être moine, mais elle est aussi pour eux transposée dans le domaine affectif et mental. Pour ceux qui ne veulent pas être moines, il n’y a aucune espèce de tort ou de mal qui puisse être accolé à l’amour physique. Il est parfaitement juste, parfaitement respectable, il correspond à une plénitude particulière. Il faut savoir ce qu’on veut. Si vous voulez vous soumettre à une discipline comme dans certaines formes de yoga qui demandent une totale consécration de vos énergies vitales et mentales, il n’est pas question d’aller dépenser vos forces à autre chose.

Quand deux êtres de sexes opposés se rencontrent et se rendent compte de ce qu’ils représentent l’un pour l’autre, c’est-à-dire les deux aspects du Divin qui est UN, ils ont une chance extraordinaire, alors que l’individu isolé en est exclu. Il peut communier avec le Divin, s’absorber en Lui, mais il ne peut réaliser totalement dans sa vie le fait que le Divin qui est créateur, prend Lui aussi un double aspect, positif et négatif, faute de quoi rien n’existerait dans le monde. C’est merveilleux de voir des hommes et des femmes arrivés à un haut degré de développement intérieur. Ils rayonnent autour d’eux une tendresse et un amour parfaits. Car dès qu’il y a échange, dès qu’ils transmettent, il y a couple et ceci est complètement indépendant du côté génital.

Savoir que le côté génital n’est pas le seul nous fait participer immédiatement à quelque chose d’incomparablement plus vaste, qui ne varie pas avec l’âge et qui, au point de vue oriental, est considéré comme étant un des aspects du Divin.

Pour les Hindous il y a l’Amour, la Connaissance et l’Existence qui en est la base. Et, comme ils disent : « Le Divin se connaissant lui-même dans sa totalité et sa perfection, en tire une félicité extrême qui est l’Amour Divin. » C’est la manifestation du Cosmos tout entier, par celle de l’humanité et par celle de l’individu. Chacun de nous a un rapport avec le Cosmos, à condition de ne pas s’enfermer dans son égo et dans son égoïsme et de faire du reste du monde un étranger.

Un participant : Certains veulent mettre cette aspiration du Divin dans l’acte sexuel, c’est une erreur fondamentale. Il faut faire l’acte sexuel comme tout autre acte, avec le plus d’amour possible.

M. Monod-Herzen : C’est une demi-erreur, tout est d’origine divine.

Il est d’origine et de nature divine puisque c’est lui qui représente l’influx de la vie. La nourriture aussi est divine, ce qui ne signifie pas qu’il faut être goulu !

Une participante : Une autre forme d’amour divin c’est arriver à aimer les autres.

M. Monod-Herzen : Quand vous reconnaissez qu’entre vous et les autres se trouve le même divin. C’est pourquoi il faut supprimer l’égo, le dépasser ou, plus exactement, ne plus en avoir besoin. Alors vous ne souffrirez plus de ce qui fait mal à l’égo et qui est cause de la majorité des ennuis dans ce monde. Il y a des degrés pour arriver à cela, c’est un aboutissement. Ne croyez pas que seuls les Yoguin y parviennent, tout ce qu’ils ont, vous l’avez en vous.

Une participante : Il ne faut pas s’attacher au corps, mais celui-ci peut être un moyen d’échange avec l’autre.

M. Monod-Herzen : Comme dit la Gîta : Tu as droit à l’action, mais pas au fruit de l’action. Quand on fait quelque chose il faut le faire aussi bien que possible. Ce qui est gênant ce n’est pas la chose en elle-même, mais l’attachement à elle qui ensuite vous rendra malheureux parce que par exemple, vous êtes âgé. La grande libération, c’est de se libérer de ces liens. Ce n’est pas de ne pas pratiquer, mais d’en être détaché, afin que le jour où vous ne l’aurez plus, vous n’en tombiez pas malade. La vraie liberté vous fait trouver le Divin intérieur, totalement libre, puisqu’il est tout. Et alors vous vous apercevez que vous êtes une petite divinité dans un tout petit domaine et qu’un certain nombre de choses sont possibles. Ce qu’on vous demande en tant guêtre humain, c’est de manifester le plus possible ce qu’il y a de divin en vous et qui fait de vous un être véritable. Là toutes les différences sociales disparaissent. L’attachement est grave parce qu’il prive de liberté et, n’étant pas libre, vous ne pouvez pas choisir.

Un participant : Comment être libre sans empiéter sur la liberté des autres ?

M. Monod-Herzen : Là est toute la question sociale. La liberté de chacun peut se manifester dans les limites où elle n’empêche pas celle des autres. Savoir juger à chaque moment ce qu’il convient de faire ou ce qu’il ne convient pas de faire. C’est là qu’il importe de ne pas avoir un lien intérieur trop fort. Vous vous tromperez un certain nombre de fois dans votre jugement. Respectez la liberté du voisin, il a les mêmes droits que vous. Pensez-y dans le choix que vous ferez. La liberté n’est jamais totale. Toutes les relations sociales sont faites d’un abandon ou du maintien de sa liberté. Ce n’est pas facile !

Un participant : Le problème de la liberté est en fonction de ce détachement. N’étant pas détachés nous sommes liés inextricablement sans aucune liberté…

M. Monod-Herzen : Nous sommes toujours libres !

Le participant : Nous sommes conditionnés par le social, presque toujours en fonction de l’attachement à nos actes.

M. Monod-Herzen : Vous êtes trop sévère, il y a des gens qui se consacrent aux autres.

Un participant : Si l’on a un état de conscience un peu plus libéré que l’autre, celui-ci nous empêche de faire ce que nous voulons faire, parce que nous allons lui causer de la peine ou du mal et qu’il vous fait comprendre que vous empiétez sur sa vie. Alors la question se pose : Y a-t-il une vérité ?

M. Monod-Herzen : Ce n’est pas une question qui se pose, mais une croyance que l’on a et c’est en cela qu’on est attaché, car on le fait avec sincérité. Avant de réagir ou de vous laisser réagir, arrêtez-vous ! C’est dans la limite où vous en êtes capable que vous êtes vraiment libre.

Une participante : Je crois que c’est très subtil d’arriver à être soi-même tout en ne blessant pas les autres ou de risquer de les blesser si c’est nécessaire. C’est difficile de trouver un équilibre ? Peut-être l’amour véritable doit risquer de blesser, mais de quel droit ? Comment peut-on savoir si on peut le faire ou non ?

M. Monod-Herzen : C’est une chose difficile, c’est pour nous une école quotidienne. C’est subtil et souvent délicat. Il faut du discernement.

Un participant : Doit-on, pour agir avec amour, dans le cas d’un litige avec sa conscience, penser d’abord à soi ou d’abord aux autres ?

M. Monod-Herzen : Le problème ne se pose absolument pas comme cela, vous devez penser simultanément aux deux. Vous êtes tous deux devant un problème. Si vous êtes plus raisonnable, si vous avez plus de maîtrise sur vous-même, vous choisirez, mais il y aura toujours possibilité d’erreur. L’action n’est jamais parfaite, il n’existe pas de formule magique, de recette qui vous permettra de ne jamais faire mal à personne… Le problème peut se poser ainsi : Etant donné qu’il se passe telle chose qui est nécessaire, je vais tâcher de m’en approcher avec le minimum de dégâts. Nous ne sommes pas parfaits. Nous faisons ce que nous pouvons et peu à peu nous arrivons à nous perfectionner.

Répondant à une participante qui pense que l’on peut par expérience et par intuition se mettre à la place de l’autre :

Il y a des problèmes de vie en société. Nous sommes encore attachés à certaines choses, nous avons des obstructions intérieures qui nous empêchent d’avoir cette intuition. Quelle est l’étymologie du mot sympathie ? Cela vient du grec et veut dire : « sentir avec ». Ce n’est pas une question cérébrale, mais de sensibilité. Vous avez des éducateurs passionnés par leur métier qui arrivent à sentir l’enfant ou d’adulte.

Un participant : La plupart du temps nous projetons nos propres problèmes sur l’autre.

M. Monod-Herzen : Dire que cela se produit toujours, certainement pas. Si vous voulez avoir un échange avec un être quelconque il vous faut être en sympathie avec lui.

Tout revient à un travail sur soi-même. On dit que l’amour est l’intelligence du cœur. Si vous arrivez à éliminer vos préférences ou répulsions personnelles, vous vous trouverez en excellente position pour sentir par sympathie et même par amour ce qui se passe en face de vous. C’est la voie de la sympathie qui vous permettra de sentir ce que désire l’autre, ce qu’il veut et que vous allez pouvoir réaliser.

Une participante : Que faut-il faire pour arriver à cet état de sympathie ?

M. Monod-Herzen : Vous détacher de vos attachements personnels. Savoir selon ce que l’on ressent, selon ce que l’on a envie de faire, par rapport à l’autre, si cela correspond à quelque chose de précis, si ce qu’on veut est nécessaire, si on doit le faire ou ne pas le faire. Et si on se trompe on en prend la responsabilité. Et petit à petit on acquiert du discernement.

Une participante : Je pense que chaque fois que se posent des problèmes il faut les exposer, prendre conscience que si on souffre de la réalité c’est parce qu’on est encore trop attaché et petit à petit, à force d’y réfléchir, au fur et a mesure de la vie, on peut peut-être arriver…

M. Monod-Herzen : Vous avez tout à fait raison. Il faut en parler franchement. Ce que l’on cache est toujours mauvais. Il faut couper dans l’abcès, ça fait mal dans certains cas, d’accord. C’est pour chacun une question de jugement.

Il faut prendre le risque d’empiéter sur la liberté de l’autre, une prochaine fois ce sera lui qui empiétera sur votre liberté. Il faut accepter. On ne tranche jamais une situation à 100%

On parle des droits et des devoirs : Le droit de chaque individu est de développer au maximum le côté humain véritable en lui. Les circonstances, le destin sous forme de choses extérieures vont le lui permettre plus ou moins. C’est cela son droit. La chose à ne pas faire, c’est d’empêcher le développement spirituel de quelqu’un, tout le reste est secondaire.