Robert Linssen
Impermanences physiques et psychologiques

Les mystiques de tous les temps ont insisté sur l’impermanence des êtres, des choses et des formes qui nous sont familières. Cette notion a été mise en évidence de façon magistrale dans le bouddhisme et nous allons voir comment elle se trouve confirmée d’une manière éclatante par certaines découvertes récentes de la physique et de la biologie.

(Revue Être Libre, Numéro 298, Janvier-Mars 1984)

Les mystiques de tous les temps ont insisté sur l’impermanence des êtres, des choses et des formes qui nous sont familières.

Cette notion a été mise en évidence de façon magistrale dans le bouddhisme et nous allons voir comment elle se trouve confirmée d’une manière éclatante par certaines découvertes récentes de la physique et de la biologie.

Rappelons d’abord, quelques notions essentielles du bouddhisme mises en évidence par Alexandra David-Neel (Le Bouddhisme, A. David-Neel, p. 65, 66. Ed. du Rocher, Monaco 1947).

Evoquant une méditation au cours de laquelle le méditant contemple le défilé continuel des pensées et images qui surgissent dans le champ de son esprit, s’entrechoquant comme les vagues d’un torrent, Mme David-Neel écrit :
« Le disciple doit considérer attentivement cette procession rapide sans chercher à en arrêter le cours. Il arrive ainsi à comprendre graduellement, que le monde est semblable à cette procession qu’il contemple en lui, qu’il consiste en une succession de phénomènes surgissant et s’évanouissant sur un rythme vertigineux. Il voit que l’« essence de la réalité est mouvement ». Il doit voir la vie telle qu’elle se manifeste dans l’espace d’un moment. Ceci conduit à percevoir les objets environnants et à se percevoir soi-même sous l’aspect d’un tourbillon d’éléments en mouvement ».

A la place d’une pierre et des objets apparemment solides, le bouddhiste, écrit A. David-Neel, « discerne une succession continuelle de manifestations soudaines n’ayant que la durée d’un éclair, la continuité apparente des objets qu’il contemple et de sa propre personne étant causée par la rapidité avec laquelle ces éclairs se succèdent…
… le disciple a vu que les phénomènes sont dus au jeu perpétuel des énergies, sans avoir pour support une substance d’où ils émergent; il a VU que l’impermanence est la loi universelle et que le « moi » est une pure illusion causée par un manque de pénétration et de puissance de la perception
».

Nous savons maintenant, au seuil du IIIe millénaire, que l’Univers doit être considéré comme l’unité organique d’un seul et même vivant. La physique quantique nouvelle nous révèle que ce « Vivant » est formé d’un tissus de relations dynamiques extraordinairement actives et qu’il n’existe ni objets ni particules, ni êtres isolés, indépendants ou autonomes.

Contrairement aux enseignements de l’ancienne physique, il n’existe pas de particules, atomes, ou électrons, ou neutrons indépendants. Ce que l’on a considéré comme particule n’est que le lieu d’interaction avec d’innombrables énergies. Ce ne sont que des lieux d’interférences, d’entrecroisements de champs. Chaque atome a une présence qui s’étend jusqu’aux ultimes confins des nébuleuses et réciproquement quelque chose des ultimes profondeurs de l’univers en expansion est présent en chacun de nos atomes, en vertu des Principes d’Exclusion de Pauli et Fermi.

Ainsi que l’exprime le physicien B. Nicolescu, chaque particule existe parce que toutes les autres existent à leur tour. Elles sont mutuellement interdépendantes et liées entre elles par d’innombrables interconnexions.

Dès 1940, les progrès de la physique nous obligeaient à reconsidérer les notions anciennes relatives à la matière, à son apparente immobilité, à son indestructibilité, à son illusoire solidité.

Louis de Broglie déclarait alors que « la physique, science de la matière dématérialisait le monde matériel et nous faisait entrevoir un monde fait d’ondes et de lumière ».

Vers 1970, les savants du Groupe de Princeton, comportant une majorité de physiciens dont plusieurs Prix Nobel déclaraient que le monde extérieur qui nous est familier n’est que l’Envers multiforme d’un Endroit unique et fondamental qui en est la base essentielle. Cette base unique, appelée par la plupart des physiciens occidentaux « champ unitaire supra-gravitationnel » et par le soviétique « océan de la proto-matière » était considérée par le groupe de Princeton comme une essence spirituelle.

Depuis lors, les savants les plus illustres appartenant aux disciplines les plus variées considèrent que l’essence ultime de la matière, des êtres et des choses est un champ de conscience cosmique. Parmi les tenants de cette vision nouvelle, citons d’abord les Prix Nobel de Neurophysiologie du Cerveau, John Eccles (1971) et Robert W. Sperry (1981) ainsi que Maurice Wilkins. Ceci est de la plus haute importance. Parmi les autres savants éminents, signalons en Physique les Prix Nobel Eugène Wigner, Brian Josephson ainsi que les célèbres physiciens David Bohm et Fritjof Capra, etc.

Cette rubrique est loin d’être limitative.

Le caractère non substantiel du monde matériel qui nous est familier, et, par contraste, le caractère hautement substantiel des champs formant l’essence ultime de la matière constitue l’une des bases de la mystique orientale, des enseignements bouddhistes de la « Vue Juste », de l’Advaïta védanta, du bouddhisme tibétain, du Ch’an chinois, du Taoïsme.

Ce caractère non substantiel est mis en évidence par la nouvelle physique quantique dans l’ouvrage remarquable de Gary Zukav, la « Danse des éléments » (éditions R. Laffont, Paris).

Il est intéressant de noter que cet ouvrage a été annoté et révisé par une vingtaine des physiciens les plus éminents du monde actuel.

Gary Zukav écrit :
« La théorie quantique des champs… est fondée sur le postulat que la réalité physique est essentiellement non substantielle.  Selon la théorie quantique des champs, seuls les champs sont réels. Ils sont la substance de l’univers et non la matière. La matière (les particules) n’est tout simplement que l’ensemble des manifestations éphémères de champs interagissants, qui, pour intangibles et insubstantiels qu’ils soient, demeurent les seules choses réelles de l’univers. Leurs interactions prennent l’aspect de particules parce que les champs interagissent de façon très abruptes et dans des régions de l’espace très « réduites ».

La similitude de ces quelques lignes avec la vision bouddhiste énoncée plus haut dans l’extrait emprunté à notre amie A. David-Neel est saisissante.

Nous ne nous doutons pas de l’immensité des implications de ce bref énoncé du philosophe bouddhiste Santarakchita « l’essence de la Réalité est mouvement ».

Les particules elles-mêmes sont en constant mouvement. Un électron est l’objet d’une superposition incroyable de mouvements :

1) il tourne d’abord sur lui-même, et ce mouvement engendre un champ connu sous le nom de « spin »;
2) il est, en plus, animé d’une pulsation d’une intensité aussi incroyable qu’impossible à imaginer. Il s’agit d’une pulsation radiale au cours de laquelle il se contracte et se dilate au dixième de son volume 1023 fois par seconde, c’est-à-dire, le chiffre 10 suivi de 23 zéros;
3) pendant tout ce temps, il effectue entre 200.000 et 6.000.000 de tours autour du noyau;
4) il interagit avec toutes les particules de l’univers entier et réciproquement toutes les particules de l’univers entier sont en constante interconnexion avec lui, au niveau de l’univers physique;
5) il interagit avec l’ensemble de toutes les énergies situées dans les autres dimensions de l’univers, champs bio-gravitationnels, champs électromagnétiques, champs morphogénétiques, champs de conscience, etc.;
6) il se recrée et se réplique en fonction de ses informations (théories sur les processus de réplication électronique de David Bohm, etc.).

L’intensité de ces mouvements échappe à toute possibilité de représentation mentale surtout, si l’on pense qu’ils sont simultanés et se superposent.

La physique moderne n’est pas seule à nous révéler le caractère évanescent et mouvant des êtres et des choses qui nous entourent.

La biologie vient de nous révéler, grâce aux recherches des indicateurs « isotopes » radioactifs que le corps humain, est, à l’échelle cellulaire et moléculaire, l’objet d’un renouvellement et d’une intensité d’échanges constants dont nous ne soupçonnons généralement pas l’ampleur.

Le corps humain comporte 1028 atomes, c’est-à-dire le chiffre 10 suivi de 28 zéros.

Selon les travaux récents du biologiste Aerbersold, cité par le Professeur Larry Dossey de l’Université du Nord Texas (voir Space, time and medicine, par Dr. L. Dossey, Shambhala, London 1983) 98 % des 1028 atomes du corps humain se renouvellent tous les ans.

Les parois de l’estomac se renouvellent toutes les semaines, la peau se renouvelle chaque mois. Les cellules du foie sont régénérées toutes les six semaines.

Les cellules les plus résistantes, certaines cellules nerveuses, les atomes de Fer de l’hémoglobine, les atomes d’or de la sphingomiéline, le collagène, sont remplacés au bout de 5 ans.
En résumé, le corps humain se renouvelle à 100 % tous les cinq ans.

Une molécule d’A.D.N. se renouvelle tous les 6 mois, les gênes se renouvellent constamment également. Un flux continuel de renouvellement, d’échanges a pour conséquence que RIEN de la structure de nos gênes d’aujourd’hui n’était présent il y a quelques mois quoique le « pattern », l’information, les « champs morphogénétiques », peuvent subsister des millions d’années.

Mais ne perdons pas de vue que la matière des gênes, les milliers d’atomes de carbone, d’hydrogène, d’azote, d’oxygène et autres qui les constituent sont en échange constant avec le milieu ambiant.

En bref, lorsque vous serrez la main d’un ami que vous n’avez plus vu depuis cinq ans, vous ne touchez plus aucune des cellules ni molécules de la main que vous serriez il y a cinq ans.

Tout s’est complètement renouvelé, car tout est dans ce flux perpétuel à tous les niveaux de l’univers : au niveau cellulaire, au niveau moléculaire, au niveau atomique, au niveau électronique.

Et cependant, vous revoyez le même visage et votre ami revoit le vôtre.

Tous deux ont quelques rides et quelques cheveux blanchis.

Parce que les flux constants de transformation sont dirigés par des champs invisibles. Ceux-ci ne sont pas seulement constitués par les champs morphogénétiques de la génétique traditionnelle complètement insuffisants selon le savant anglais Sheldrake, membre de l’Académie Royale des Sciences de Grande-Bretagne. Il s’agit des champs morphogénétiques associés à des ondes de formes constituant les « causes formatives » présidant à la genèse de toutes les formes dans tous les règnes depuis le minéral jusqu’à l’homme.

Le contenu des informations de ce court article peut être l’objet d’une méditation fertile en prise de conscience. Cette méditation nous permettra de vivre vraiment ce flux, de comprendre et de sentir par une perception globale qui n’est plus mentale l’inexistence des objets séparés, l’inexistence aussi et surtout de l’ego érigé en entité permanente.

Nous serons en mesure dès lors de nous délivrer de l’erreur fondamentale de perception, qui, selon David Bohm, Fritjof Capra et Krishnamurti est à l’origine de toutes les crises individuelles et collectives y compris les nôtres.

Il n’y a, ni objet isolé, ni ego autonome ou permanent. Seuls existent des événements doués d’une apparente continuité mais fondamentalement évanescents en dépit de leurs apparences statiques.

Au delà du jeu des multiples « événements provisoires » que sont les apparents objets, les « pseudo-egos », la vision pénétrante suggérée par tous les sages de tous les temps nous révèle le Grand Acteur, au « Corps de Feu et de Lumière » qui nous délivrera de notre douloureux exil.

Les anciens maîtres chinois appelaient cela : « Retourner chez soi »…