Une série de 12 discussions – non publiées entièrement – entre Krishnamurti et David Bohm. Des extraits des dialogues ont été remaniés et publiés dans le livre La vérité et l’événement. Nous reprenons ici le 2e dialogue en conservant autant que possible le cours naturel de la discussion.
Il pourrait sembler à certains lecteurs que les discussions tournent en rond et qu’en fin de compte on aurait pu résumer le tout en quelques phrases. Cette constatation est vraie d’un point de vue intellectuelle. Mais les discussions avec Krishnamurti visent à créer dans ses interlocuteurs une clarté qui dépasse de loin la simple compréhension intellectuelle. Les mots ne sont que les indices de cette investigation intérieure.
Traduction libre à partir de la transcription anglaise faite par notre ami Ioan Raïca
2e Dialogue
Krishnamurti : Monsieur, si la vérité est quelque chose de différent de la réalité, alors quelle place a l’action dans la vie quotidienne par rapport à la vérité et à la réalité ? Peut-on parler de ça ?
David Bohm : Oui…
K : On voudrait, ou on doit agir en vérité et nous avons dit que l’action de la réalité est entièrement différente. Maintenant, quelle est l’action de la vérité ? Cette action est-elle sans rapport avec le passé, sans rapport avec un idéal et donc hors du temps ? Et y a-t-il jamais une action hors du temps ou bien nos actions sont toujours impliquées dans le temps ?
DB : Pouvez-vous dire que la vérité agit dans la réalité ? Nous disions la dernière fois que bien que la réalité n’ait aucun effet sur la vérité, la vérité a un certain effet sur la réalité…
K : Oui, c’est vrai, mais on aimerait savoir : si on vit dans la vérité – non la ‘vérité de la réalité’, mais cette Vérité qui n’est pas liée à la réalité – cette réalité étant ce que nous avons dit la dernière fois, un processus de pensée, penser à quelque chose, ou y réfléchir, ou le déformer – ce qui est une illusion – et ainsi de suite… Alors, qu’est-ce que l’action dans la vérité ? Si elle n’est pas liée à la réalité, si elle n’est pas une action du temps, alors quelle est cette action ? Y a-t-il une telle action ? Mon esprit peut-il se dissocier du passé et de l’idée de ‘je serai’ ou ‘je dois être’ – une projection de mes propres désirs et ainsi de suite, y a-t-il une action qui soit totalement séparée de tout cela ? Est-ce que je pose correctement la question ?
DB : Nous allons peut-être très vite ?
K : C’est peut-être trop rapide…
DB : C’est difficile à dire… Je pense qu’habituellement l’action est liée au fait…
K : Oui, le ‘fait’ est comme nous l’avons dit c’est ce qui est réalisé, ou ce qui est en train d’être fait maintenant…
DB : Mais il y a aussi un autre sens : ce qui vraiment est perçu, ou qui est établi par la perception ou par l’expérience…
K : Qui est maintenant. C’est-à-dire que voir est faire. Percevoir est agir dans le présent ! Et le présent est-il un mouvement continu du passé, à travers le présent vers le futur, ou bien le présent est-il une chose entière, complète, saine, sacrée ? Je pense que c’est assez important à découvrir. Pour l’homme qui veut vivre dans la vérité, c’est sa première exigence.
Alors, qu’est-ce que l’action par rapport à la vérité ? Je connais l’action par rapport à la réalité – qui est basée sur la mémoire, qui est basée sur l’environnement, les circonstances, l’adaptation, ou une action « Je ferai quelque chose dans le futur ».
DB : Ce qui veut dire, y a-t-il une séparation entre la vérité et l’action, ou est-ce que la vérité agit ?
K : Est-ce que la vérité est action, ou les actes de vérité n’ont pas de rapport avec le temps ?
DB : Oui, sans rapport avec le temps, mais c’est l’action elle-même.
K : Comme nous l’avons dit, percevoir c’est agir.
DB : Oui, je veux dire, que la vérité est ce qui établit le fait.
K : Et le fait, comme vous l’avez dit aussi, n’est pas seulement ce qui se fait, ou ce qui est fabriqué, mais la réalité du moment.
DB : Oui, l’acte de perception réel qui établit le fait.
K : Oui, c’est exact ; la perception est-elle un mouvement du temps, une chose qui vient du passé au présent, au futur, ou la perception est-elle sans rapport ?
DB ; Oui…
K : Donc nous disons, monsieur, que la perception est action, et l’action est la vérité. Et que cette vérité est la perception du réel, de ce qui est, de son instant.
DB : Il y a une histoire particulière à ce sujet, parce que certaines personnes ont dit qu’il y a du temps entre la vérité et son fonctionnement – mais c’est faux…
K : C’est faux. Du moment où vous avez un intervalle…
DB : La vérité est donc l’action elle-même.
K : Un être humain peut-il laisser la vérité opérer ?
DB : Vous dites que l’opération de la vérité dans la réalité est intelligence, n’est-ce pas ?
K : Oui, ça l’est, bien sûr…
DB : Parce que dans un certain sens, l’intelligence est l’action de la vérité ?
K : L’action de la vérité, mais ce n’est pas cultivable …
DB : Mais du fait que nous avions déjà discuté sur l’intelligence et qu’il semblait que nous discutions de la vérité. Il semble, donc, très difficile de rendre ces mots plus clairs…
K : Oui…Quelle est la signification profonde du mot vérité ?
DB : Nous l’avons discuté la dernière fois, mais je vais répéter : en anglais, la racine du mot vérité est honnête et fidèle, et la racine latine verus signifie ce qui est…
K : Oui, ce qui est.
DB : Ces deux significations sont pertinentes – en disant que la réalité doit être honnête et fidèle. Vous voyez, le mot vérité en anglais n’a pas tout à fait le même sens qu’en latin – il peut l’avoir, mais il a aussi d’autres nuances de sens…
K : Verus – ce qui est ! Monsieur, ce à quoi j’essaie d’en venir, c’est la chose suivante : un être humain peut-il vivre uniquement dans le présent – au sens de notre discussion – c’est-à-dire vivre avec ce qui est tout le temps et non avec ce qui devrait être ou ce qui a été ?
DB : Oui… mais je pense que la question principale est de savoir si nous pouvons clarifier ce qui n’est pas, mais qui semble être ce qui est…
K : Tout à fait… Par conséquent, nous devrions revenir à ce qu’est la perception. Si je peux percevoir clairement ce qu’est la réalité et toute l’illusion ainsi que le bon sens de la réalité – le caractère raisonnable de la réalité et son caractère déraisonnable, l’illusion et le réel – si je vois cela clairement, alors peut-il y avoir une perception de ce qui est, que nous disons être la vérité, et que cette perception même est action, dans laquelle il n’y a pas d’opération de la pensée ? Est-ce cela que nous essayons de dire ?
DB : Oui, mais quand vous dites perception de ce qui est, cela implique à nouveau une séparation…
K : Perception ! Il n’y a pas d’observateur et d’observé…
DB : Oui, mais il est très difficile dans notre langue d’éviter cela car, comme je l’ai dit, la perception du fait est ce qui est, n’est-ce pas ? Mais nous devons clarifier ce que nous entendons par ce mot…
K : Sommes-nous en train de dire, monsieur, que ce qui est a sa propre action ? C’est ça, c’est sa propre action !
DB : Oui, mais nous devons être prudents car le langage semble apporter une division…
K : Bien sûr !
DB : Après la dernière fois, je me suis penché sur cette question de la réalité ; un point important à propos de la réalité est cette notion de substance – parce que nous avons tendance à penser que les choses ont une substance réelle – le sens même du mot substance est « la réalité permanente qui sous-tend l’apparence du monde » ; cela fait partie de l’idée de réalité, l’essence ; la substance est une sorte d’essence – la réalité permanente qui sous-tend toutes les apparences…
K : Les apparences, tout à fait…
DB : Et je pense que cela fait partie de la notion de réalité. Vous voyez, une partie du problème est ceci : nous pensons à la réalité non pas simplement comme elle est des choses ou des apparences, mais comme une substance qui sous-tend les apparences, ou elle est ce qui est. En d’autres termes, notre pensée nous dit implicitement que la réalité est ce qui est et que la vérité est à propos de la réalité. Voyez-vous ?
K : Je ne saisi pas…
DB : Vous voyez, nous avons tendance à penser que ce qui est est la réalité et que la vérité n’est que la connaissance correcte de cette réalité…
K : Je comprends, Monsieur.
DB : Ce que nous proposons ici, c’est de renverser la situation en disant que la vérité est ce qui est et que la réalité dans son ensemble n’est rien d’autre que des apparences. C’est ce qui est proposé à mon avis ; c’est que la réalité est une sorte d’apparence qui peut être une vérité, correcte ou fausse, une illusion. Mais il y cette énorme habitude de considérer la réalité comme ce qui est, voyez-vous ?
K : Bien… Vous voyez, le Docteur Parchur et moi avons cherché hier dans un dictionnaire sanskrit : le mot maya ne signifie pas seulement mesure mais aussi illusion.
DB : Oui, mais nous pouvons l’accepter en disant que la réalité que nous voyons est une illusion – mais je n’aime pas le mot illusion.
K : Moi non plus…
DB : …parce que le mot illusion implique qu’il y a une autre réalité…
K : Oui, tout à fait…
DB : Peut-être que l’Atman ou le Brahman sont réels… mais ce que l’on dit ici, c’est que la réalité – sous n’importe quelle forme – n’est pas une illusion mais une apparence qui peut être réelle ou fausse…
K : Tout à fait…
DB : Mais l’apparence a sa fonction, elle est nécessaire, mais l’homme a toujours cherché ce qui sous-tend les apparences qui changent constamment, on ne peut pas leur faire confiance.
K : Monsieur, cette voiture est une réalité…
DB : Oui, nous devons dire que sa réalité n’est pas seulement une apparence, mais c’est aussi un fait parce qu’elle fonctionne ou parce que nous la percevons. Une voiture est une réalité, mais c’est aussi un fait réel, pas seulement une réalité…
K : Oui monsieur, cette voiture est un fait – elle est là !
DB : Ou la réalité peut être quelque chose de très abstrait – une idée. Par exemple, quand vous marchez sur une route par une nuit sombre, une ombre peut être réelle pour vous mais…
K : …c’est une illusion. Tout à fait…
DB : Ce n’est pas un fait. Je dis donc qu’il y a un processus inconscient de la pensée – une sorte d’inconscient plus profond qui est justement le mouvement où sont investies toutes les formes de la pensée sur ce que nous voyons…
K : …forme …
DB : Et cela semble faire partie de la réalité.
K : Ça fait partie de la réalité ! Alors nous disions : est-ce que le fait ainsi que le non-fait sont des réalités ? Nous avons dit que la réalité est une projection de la pensée – ce à quoi nous pensons, réfléchissons et tout ce que la pensée crée ou fait est une réalité – que ce soit une distorsion ou une actualité. Et nous essayions de trouver quelle est la relation entre la vérité et la réalité – y a-t-il un lien entre les deux ? C’est un point.
L’autre point est : y a-t-il une action qui est différente de l’action de la réalité et de l’action de la vérité ? Non pas action et vérité – la vérité qui agit ! Alors que s’il y a une division dans la réalité entre l’observateur et l’observé…
DB : Oui… L’observateur est une réalité qui observe une autre réalité…
K : Ah, on y arrive !
DB : Mais la vérité est indivisible…
K : Indivisible ! Alors, y a-t-il une action dans notre vie qui est indivisible ? Car si le mental ne peut trouver cette action indivisible, il est toujours dans le temps, dans le conflit, dans la douleur et tout le reste…
DB : Vous voyez, on pourrait penser à la réalité comme à un champ qui contient toutes les choses qui existent ainsi que la pensée – car la pensée est réelle ; toutes ces choses interagissent les unes avec les autres par réaction et réflexion, donc ma pensée n’est pas vraiment différente de toutes les interrelations…
K : Si la pensée les a créés, elles sont toutes reliées entre elles !
DB : Maintenant, la nature est réelle, mais elle semble impliquer quelque chose au-delà de cela…
K : Cet arbre est – c’est sa vérité, mais je peux la déformer…
DB : C’est là où je voulais en venir : si nous disons que l’arbre est ce qui est, c’est la vérité, alors nous arrivons à un point de vue qui dit que la réalité n’est pas une substance – mais ici nous disons que la vérité est substance. C’est le rôle de la substance dans ce que nous avons précédemment attribué à ce qui se trouve en dessous (sub stance), et peut-être que le mot comprendre (under stand) est lié à cela…
K : Oui, oui…
DB : Vous voyez, nous cherchons en quelque sorte une substance – quelque chose qui se tient sous les apparences, et nous la cherchons dans la réalité. C’est une habitude de longue date, la recherche d’une réalité solide, une réalité permanente que nous espérons comprendre… Mais on peut dire sans risque de se tromper que la totalité de la réalité n’est pas une substance – elle n’a pas d’existence indépendante – c’est un champ, et ce qui se trouve sous cette réalité est la vérité. Est-ce que ça aurait un sens pour vous ?
K : Cela nous mènerait à un grand danger : dites-vous que sous la substance se trouve la vérité ?
DB : Pas vraiment… Nous disions que la vérité est action…
K : Oui, restons avec ça : la vérité est action, la perception est action, voir est action…
DB : Quand vous avez dit que l’arbre est vérité, cela signifie que l’arbre est action…
K : Oui. Voir est l’action…
DB : …de l’arbre, mais c’est peut-être un problème de langage car nous avons tendance à penser que ce que nous voyons c’est l’arbre, alors que vous dites que voir l’arbre est l’action…
K : Monsieur, en voyant cet arbre, c’est l’action !
DB : Oui, voir est l’action, mais l’arbre n’a-t-il pas une action en soi ?
K : De toute évidence, il grandit, ou meurt…
DB : C’est le point que j’essaie d’aborder – quand nous parlons de voir est action, qu’en est-il du restant de l’action ? C’est là que la notion de substance entre en jeu…
K : Ah… la substance…
DB : Donc, voir l’arbre est action – c’est très clair, mais ensuite je commence à penser que l’arbre a sa propre action…
K : Bien sûr, et que je ne vois pas.
DB : Nous devrions donc envisager cela.
K : Pourquoi devrais-je l’envisager ?
DB : Pour comprendre – par exemple vous pensez que l’arbre grandit…
K : Ça devient alors un processus de la pensée : comment le nourrir, comment l’aider à mieux grandir…
DB : Oui, mais nous avons tendance à nous mettre dans cette situation pour dire que seul ce que nous voyons en ce moment…
K : Ah, je le vois, oui…
DB : Maintenant, j’aimerais rendre justice à cette autre situation que nous ne voyons pas.
K : Diriez-vous que voir est action ?
DB : Oui, il n’y a aucun doute là-dessus.
K : Voir cet arbre est une action, mais l’arbre a sa propre activité…
DB : Et d’autres personnes ont leur propre action même si je ne les vois pas.
K : Cet arbre a sa propre activité, et la pensée peut intervenir et l’aider à se développer correctement.
DB : Oui…
K : Pourquoi devrait-il y avoir une division entre voir et la croissance de cet arbre ?
DB : Mais le problème jusqu’à présent est de savoir où le placer ? Je ne dis pas qu’il devrait y en avoir.
K : Monsieur, nous avons dit plus tôt que voir, agir, c’est de l’intelligence, n’est-ce pas ?
DB : C’est ce que j’ai proposé : l’intelligence, c’est la vérité agissant dans la réalité.
K : Mais la vérité est intelligence ! Parce que le fait de voir est action et cette action est entière. Et donc c’est l’intelligence ; toute action qui est entière doit être de l’intelligence.
DB : Mais alors, pourquoi utilisez-vous deux mots pour cela ?
K : Parce que je ne veux pas être coincé par un seul mot. C’est tout. Serait-il juste de dire : voir c’est faire et donc c’est l’intelligence et cette intelligence est l’essence de la vérité. Cette intelligence opère dans tous les domaines.
DB : D’accord, elle opère dans tous les domaines, mais quand vous dites que l’intelligence est l’essence de la vérité, ce n’est pas clair…
K : Je parle de la vérité dans le sens où : le voir est le faire ; voir « ce qui est » est action ; cette action opère à travers l’intelligence.
DB : Mais maintenant vous avez fait une distinction, vous voyez ?
K : Je sais…
DB : Ce n’est pas très clair…
K : Monsieur, voici ce que je veux savoir : est-il possible de vivre entièrement dans la vérité ? Nous pourrions débuter là et peut-être y aller plus profondément, à savoir si on peut fonctionner seulement avec ce qui est.
DB : On pourrait regarder ça…
K : Il ne met pas en œuvre ses souvenirs, ses mémoires, ses réactions personnelles, ce sont les faits qui agissent.
DB : Oui, mais le fait inclut aussi l’action de la mémoire sur la réalité ; c’est-à-dire que la réaction de la mémoire est aussi une réalité…
K : Oui, bien sûr !
DB : Nous pouvons donc regarder la mémoire comme une réalité, et qu’elle agit toujours dans la vérité, non ? Parce que vous savez, nous devons être capables d’agir dans la vérité même lorsque nous utilisons la mémoire comme lorsque nous nous engageons dans une relation avec l’arbre, pour le faire grandir…
K : Monsieur, diriez-vous que si l’on vit dans la vérité et donc avec cette capacité d’intelligence, et par conséquent cette intelligence agit dans le domaine de la réalité…
DB : D’une certaine façon, d’au-delà de…
K : C’est au-delà parce que c’est en dehors de la réalité.
DB : C’est vrai, car l’Intelligence est l’action de la vérité, mais d’une certaine manière elle ne peut pas agir sans mémoire.
K : Oui, c’est tout ce que nous disons.
DB : Supposons que nous disions que le domaine de la réalité est un champ, et comme nous discutions de la vie comme elle devrait être directe, saine…
K : Holistique…
DB : …et nous ne savons pas ce que devrait être ce champ. Maintenant, l’arbre n’a-t-il pas sa propre action que nous négligeons ?
K : Bien sûr, sa croissance se poursuit…
DB : Donc, nous devons dire que cela fait partie du champ de la réalité…
K : Oui.
DB : Et nous affectons ce champ de la réalité en opérant…
K : …Tout à fait, monsieur. Vous vivez dans la vérité et vos actions dans la réalité sont guidées par l’intelligence et je vous observe en tant qu’observateur et observé – deux entités différentes. Je vous observe et je veux découvrir comment vivre de la même manière – ce qui signifie que vous n’avez pas de contradictions, vous vivez toujours avec ce qui est. Comment puis-je arriver à ça ? Parce que je vois l’énorme possibilité dans ce que vous êtes, je vois que c’est la vraie façon créative de vivre et tout ce que vous faites, tout ce que vous dites, tout ce que vous écrivez, possède cette qualité – non pas que je suis avide ou jaloux de vous, mais je dis : quelle chose merveilleuse d’avoir cette capacité !
Maintenant, comment pourrai-je, moi qui ai toujours pensé dans la dualité – l’observateur et l’observé etc. –, comment puis-je arriver à cela ? Car si vous êtes le seul à pouvoir le vivre, ça ne m’intéresse pas…
DB : Oui, cela ne peut pas être unique, car ce ne sera pas une vérité !
K : C’est justement ça ! Alors comment obtiendrai-je cette chose ? Je veux vivre comme vous ! Je ne peux pas vous imiter, vous n’êtes pas mon modèle, mais il doit y avoir en moi le même parfum que vous. Vous me suivez, monsieur ? Je commence à comprendre très clairement, à partir de votre discussion, le sentiment de réalité et de vérité – qui est la vision de ce qui est – et l’opération de cette intelligence dans ce domaine de la réalité : parce qu’elle est intelligente, elle ne déformera jamais cette réalité, elle ne se lancera jamais dans une activité déformante. Vous le voyez très clairement – peut-être le comprenez-vous verbalement, intellectuellement et je me sens émotionnellement un peu attiré par cela – comment puis-je en arriver là ?
DB : Peut-être en voyant que la vérité est indivisible ?
K : La vérité est indivisible, mais je suis divisé, je suis brisé, vous suivez ? Je ne vis que dans la réalité !
DB : Je dois voir la fausseté de cela à mesure que la vérité émerge…
K : Ah ! Alors vous me donnez de l’espoir et je suis perdu – vous suivez ? Je n’ai pas de terre ferme sur laquelle me tenir. Je sais que la pensée peut s’occuper de la réalité, car je suis conditionné, je sais tout cela ; je peux mal faire ou exceller m’élevant au-dessus de tout. Mais je n’ai pas cette ‘autre chose’. Je ne connais que la réalité ; j’ai observé la déformation de la réalité ; j’ai observé l’énergie de la réalité – son fonctionnement rationnelle et irrationnelle – je suis assez familier avec cela…
Dr P : Mais observer est faire…
K : Ah, non ! Je ne le sais pas. On me l’a dit verbalement, mais le fait de cela…
DB : …Mais quand vous dites que la réalité est déformée, voir cela nécessite la vérité, n’est-ce pas ?
K : C’est là que je veux en venir !
DB : Si la vérité n’est pas là, alors je ne le vois pas !
K : Je veux en venir à cela. Est-ce le début de la qualité de la vérité ? Voir dans le champ de la réalité les facteurs de distorsion.
DB : Oui, voir les choses qui sont fausses…
K : Fausses, névrosées, et tout le reste – est-ce la vision de ‘l’autre’ ?
DB : Ça doit l’être, car si c’est seulement la réalité qui voit la réalité, cela n’a aucun sens.
K : Aucun sens, tout à fait… On veut savoir, ayant opéré dans le champ de la réalité toute ma vie, et voyant les distorsions dans ce champ, le fait de voir les distorsions est la vérité ! Voir le fait…
DB : Il faut que ce soit la vérité.
Dr P : Mais l’homme qui vit dans la réalité ne voit cela que verbalement…
K : Non ! Je vis dans la réalité – la réalité étant toutes les choses que la pensée a rassemblées, toute l’activité de la pensée pensant ou réfléchissant à quelque chose ; la pensée déformante, la pensée rationnelle etc. – j’ai vécu dans ce domaine et voici le Docteur qui vient et dit : Écoutez, la vérité est ce qui est. Et il ajoute : lorsque vous voyez la distorsion, c’est la vérité, c’est l’action. Dans le domaine de la réalité, voir le fait, c’est la vérité. Dans le domaine de la réalité, voir que l’observateur est l’observé, c’est la vérité ! C’est ça.
DB : Mais nous avons fait un saut entre le fait de voir la distorsion et le fait de voir que l’observateur et l’observé ne font qu’un. Ordinairement, je dirais que j’ai vu que la réalité est déformée, mais à ce moment-là, je ne vois pas que l’observateur et l’observé ne font qu’un… Il semble qu’il y a un saut, n’est-ce pas ?
K : C’est vrai, j’ai sauté, oui. Monsieur, comment je vois la distorsion ? Est-ce que la vision de la distorsion est un processus rationnel, réfléchi, raisonné ou est-ce…
DB : C’est hors du temps.
K : C’est vrai !
DB : Plus tard, nous pourrons l’exprimer de façon rationnelle…
K : C’est juste, la vision est hors du temps
DB : Maintenant, nous devrions aller lentement, car parfois la vision vient en flash, mais à d’autres moments la vision vient si graduellement que vous ne savez pas quand elle vient… Vous voyez, ce sont deux façons différentes d’expérimenter ce qui est hors du temps.
K : Cela peut-il arriver graduellement ?
DB : Non, mais ça paraît ainsi, quand on y pense…
K : Ah, c’est ça !
DB : Parfois vous vous demandez quand avez-vous compris une chose, car vous ne le savez pas exactement. Et comme c’est hors du temps, vous n’essayez pas de dire que c’était un flash ou…
K : Une minute, monsieur, je veux voir ceci : La vision est l’action – donc ce n’est pas graduelle…
DB : Non, il n’y a pas de méthode graduelle, mais je pense que lorsque vous dites c’est arrivé dans un flash ou que cela vient graduellement, vous l’amener dans le temps…
K : C’est vrai !
DB : On ne peut pas dire que ce soit…
K : Monsieur, pourriez-vous le dire comme ceci : La vision c’est l’action, mais vous voulez trouver les motifs ou l’expliquer ?
DB : Oui, vous glissez à nouveau dans les notions de réalité, comme expliquer n’importe quelle information sur la réalité. Donc, quand vous voyez la distorsion, l’action entre en jeu, mais je pense qu’ici un problème surgit : dans une situation inhabituelle quelqu’un voit la distorsion, mais il n’en est pas encore libéré ; et donc le temps et tout le reste entrent en jeu…
K : Alors, il ne voit pas !
DB : Oui…
K : Si je ne suis pas libre de ma distorsion, je ne l’ai pas vue !
DB : Oui… Et une façon de considérer cela, c’est que nous n’avons pas vu la totalité.
K : Exprimé ainsi, oui, bien sûr… Voir c’est la totalité !
DB : Vous voyez, je pense que ce point doit être travaillé très soigneusement, car ce qui se passe généralement, c’est que l’on voit, mais pas la totalité – et que quelqu’un pourrait vous demander ce qu’il faut faire dans cette situation. J’ai vu la distorsion, mais elle est revenue. Comment puis-je voir la totalité ?
K : ‘Vous’ ne pouvez pas voir le tout !
DB : Alors comment dois-je le voir, pour que ça ne revienne pas ? Vous voyez, c’est l’un des…
K : …(rires) Monsieur, je pense que le piège est : ‘voir et agir’ est-ce un processus de la pensée ? Ou bien le processus de pensée n’intervient que dans l’explication et tout le reste. La vision est l’action, ce qui signifie voir le tout… Et si l’esprit voit le tout, la distorsion ne peut jamais revenir.
DB : Oui, mais je dois voir tout le champ de la réalité parce que c’est là que se trouve la distorsion…
K : Oui
DB : Vous voyez, j’ai peut-être vu la distorsion dans certains cas – comme dans mon propre domaine. Dans certains cas, je vois que je déforme, mais ce n’est pas voir tout le champ de la réalité. Par la suite, je commence à penser que je déforme de telle ou telle manière… je dois donc voir tout le champ de la réalité ; c’est ce à quoi ça ressemble…
K : Je pense que vous devriez, monsieur, quand votre vision est action, vous devez voir la totalité !
DB : Oui, mais je veux dire, qu’il faut voir l’essence de tout ce domaine et non seulement les détails…
K : Peut-on voir ce qu’est l’acte de l’intelligence dans le champ de la réalité ?
DB : Je ne le comprends pas bien…
K : Peut-on dire, verbalement, à un autre ce que cette intelligence va faire dans le champ de la réalité ? Ou bien déclarer à l’avance ce qu’elle fera ? Ce que j’essaie de découvrir, est ceci : Je vois cette vérité qui opère dans le champ de la réalité. Maintenant que va faire cette intelligence dans des circonstances déterminées ? Peut-on poser cette question, ou est-ce une question déformée ?
DB : Elle est plutôt déformée…
K : N’est-ce pas ?
DB : Parce qu’elle présuppose que l’intelligence est une réalité, et l’autre est une autre réalité.
K : Donc c’est ce que nous faisons toujours : Dites-moi ce que cette intelligence fera dans le domaine de la réalité et je suivrai cela ! Vous avez cette intelligence et je vous demande, je vous prie de me dire comment cette intelligence opère dans tout ça ?
DB : Je ne pense pas qu’il soit correct de dire que quelqu’un a cette intelligence. On peut peut-être dire que cette Intelligence agit à travers cet homme. Ça serait plus exact que de dire qu’il a cette intelligence ?
K : Oui, tout à fait …
DB : Mais il me semble qu’il n’y a vraiment pas de distinction entre cet homme et l’autre…
K : C’est vrai !
DB : Ceci pourrait être la clé…
K ; Monsieur, quelle place a l’amour dans la vérité ?
DB : Il est difficile de dire ce que signifie cette question ?
K : La question veut dire ceci : ce que nous appelons généralement amour, est-il toujours dans le champ de la réalité ?
DB : je ne pense pas que c’est limité au champ de la réalité…
K : Mais nous l’avons réduit à cela ! Quelle est donc la relation entre l’amour et la vérité ? La vérité est-elle amour ? L’amour – ce mot à nouveau – qu’est-ce qu’il signifie ?
DB : Ce n’est pas très clair dans le dictionnaire, mais mise à part du plaisir et tout ça…
K : Tout cela est la ‘réalité’.
DB : La chose la plus proche que j’ai pu obtenir était…
K : … la compassion ?
DB : La compassion, mais la majorité des définitions reviennent à plaisir.
K : Le plaisir… D’accord, est-ce que le plaisir est dans le domaine de la réalité ?
DB : Eh bien, il semble qu’il l’est.
K : Il l’est ! Alors, ce plaisir n’a pas de relation avec la vérité.
DB : Que peut-on dire de la jouissance ?
K : La jouissance est-elle un plaisir ?
DB : Cela dépend de la façon dont nous utilisons ce mot – si nous voulons établir une distinction, nous pourrions dire que ce n’est pas…
K : Il y a de la jouissance à voir l’arbre. Non pas que je jouis de l’arbre, mais le fait de voir cet arbre est une joie ! La vision, donc, est action et l’action est joie.
DB : Oui…
K : N’est-ce pas ? Alors quelle place a la compassion dans le champ de la réalité ? Nous avons dit que la compassion est amour, vérité…
DB : Oui, on pourrait dire que la compassion est totale dans l’action de la vérité
K : Totale dans l’action de la vérité… exact !
DB : Vous voyez, si nous disons que l’amour est dans l’action de la vérité, l’action de la vérité inclut à tout le moins, la bienveillance, la compassion…
K : Tout est un : voir, agir, compassion – tout est un. Ce n’est pas ‘voir’, puis ‘agir’, puis ‘compassion’. La vision, comme nous l’avons dit, ainsi que l’action, c’est la totalité ; et quand il y a cette vision de la totalité, il y a la compassion…
DB : Oui, mais je pense que nous devons voir l’absolue nécessité de cela, parce que la vérité est entière, et le manque de compassion découle de ce sentiment de division, quand on se sent séparé des autres personnes ou du monde. Donc s’il n’y a pas de division…
K : C’est la compassion ! Monsieur, ils sont tous un.
DB : Ce qui signifie que s’il y a une caractéristique particulière ou personnelle de la réalité, elle implique une division…
K : Ou, diriez-vous, voir, agir, vérité, amour – tout cela c’est l’amour – appelons tout cela ‘Amour’. Je peux vous aimer, dans cet Amour, parce que je suis compatissant, et dans cet Amour vous ne devenez pas une chose particulière.
DB : Essayons de clarifier les choses, parce qu’il y a une énorme tendance à rendre cela particulier…
K : Quand je me sépare de vous, dans cette séparation, l’Amour ne peut pas exister.
DB : Oui, mais que voulez-vous dire par être sans séparation ?
K : Quand le processus de la pensée opère en moi, quand il y a ce sens de la dualité, dans ce sens y a-t-il de l’amour, de la compassion ?
DB : Non, parce que nous avons dit que c’est un sentiment de séparation…
K : Nous avons dit non… Alors, quand il y a une perception du tout – qui est l’Amour – je vous aime, mais aussi j’ai le même sentiment envers les autres…
DB : Quel sens donnons-nous aux différentes personnes ou aux différentes choses dans cette globalité ?
K : Je vous aime, ne signifie pas que j’exclue les autres. Je vis avec vous, je cuisine pour vous, ou vous êtes ma femme ou quoi que ce soit, mais les autres ne sont pas exclus…
DB : Je comprends cela maintenant, mais il semble qu’il y ait une certaine vérité à distinguer certaines personnes, même si nous ne les excluons pas, vous voyez ? Il peut y avoir une distinction sans exclusion, n’est-ce pas ?
K : Oui.
DB : Donc, j’essaie d’en venir à quelque chose, parce que…
K : …Parce que c’est un des problèmes, Monsieur, nous avons fait de l’amour un processus exclusif – ‘vous êtes à moi, je suis à vous’, avec toute la dépendance et ce qui y est lié. Quand je ‘vois’ la dépendance, je vois toute sa structure dans son ensemble et alors la vision c’est l’action, et c’est fini !
DB : Sommes-nous ‘vous’ et ‘moi’ des réalités – c’est ce que vous voulez dire ?
K : Bien sûr !
DB : Et j’ai peut-être de l’amour pour vous ou pour quelque chose – en d’autres termes, il semble que l’amour soit une action de la vérité dans la réalité…
K : Oui, c’est ce que nous avons dit. Mais quand je vois que je dépends de vous, ce que j’appelle l’amour, et que je vois toute la nature de la dépendance, alors c’est fini ! Par conséquent, je ne dépends plus – ce qui ne signifie pas qu’il y a de l’insensibilité… Car la vision de cela est Compassion. Par conséquent je vous aime, bien que je ne dépende pas de vous. Arrivons-nous à quelque chose ?
DB : Cela signifie que la vision est nécessaire pour la compassion, ou elle est la compassion…
K : …Elle est la compassion, bien sûr ! Mais tant que je dépends de vous, il n’y a pas d’amour.
DB : Oui ; quand je dépends de vous, il y a quelque chose de faux…
K : Bien sûr… Alors, pour un homme qui vit dans la réalité, qui observe le rationnel et l’irrationnel dans ce domaine, voir l’irrationnel est vérité… Parce qu’il voit toute l’irrationalité de ce champ ; et parce qu’il le voit, la vision est l’action, donc c’est la vérité. Il vit alors la vérité dans le champ de la réalité, n’est-ce pas ?
DB : Vous voyez, je pense que l’erreur fondamentale quand une personne dépend d’une autre, est qu’elle voit le champ de la réalité plus important qu’il ne l’est et donc tout est déformé…
K : Donc, dans une école ou dans une entreprise éducative, ou pour un homme qui essaie de communiquer, comment communiquer la vérité à l’élève ? Comment dans le monde, communiqueriez-vous cela à un homme d’affaires ou à un prêtre ? Pour lui, en vivant dans la réalité, il a créé une image de Dieu, ou de quoi que ce soit d’autre, et c’est une distorsion ! Il ne verra pas que…
DB : …N’est-il pas possible de communiquer le fait de la distorsion ?
K : Oui, vous pouvez, mais…
DB : …il y a une résistance ?
K : Il y a un conditionnement tellement énorme ! C’est ce qui s’est passé avec la majorité des élèves…
DB : Oui, ou avec n’importe qui…
K : Avec n’importe qui… Comment briser cette résistance ? Par compassion ?
DB : Eh bien, je pense que c’est nécessaire, mais ce n’est pas suffisant…
K : Vous êtes compatissant et je suis terriblement conditionné… Comment m’aidez-vous à briser cette chose ?
DB : Je pense que ce qu’il faut, ce n’est pas seulement de la compassion, mais une énergie…
K : C’est ce que je veux dire : la passion ! Ce qui signifie que l’on a l’énergie formidable qui naît de la passion, de la compassion et de tout le reste. Cette énergie crée-t-elle une nouvelle conscience dans l’autre ? Ajoutons-nous à la conscience un nouveau contenu ?
DB : Non, je ne le pense pas. Si vous ajoutez un nouveau contenu, ne serait-ce pas la même chose ?
K : C’est vrai, c’est la même chose ! J’ai écouté le Bouddha, j’ai écouté Jésus, j’ai écouté toutes sortes de choses, et vous venez en ajouter encore. Parce que vous êtes énergique, vous êtes rempli de cette chose, j’absorbe cela et j’ajoute un autre contenu à ma conscience ! Et vous avez dit : Ne le faites pas ! Mais je l’ai déjà fait, parce que c’est mon habitude, mon conditionnement, d’ajouter encore et encore… je poursuis fardeau après fardeau. Comment je vous reçois ? Comment je vous écoute ? Comment faites-vous ce truc ? Parce que vous avez ce problème dans vos universités… Comment pouvez-vous transmettre quelque chose, à un élève qui est – vous savez comment ils sont – ce sens de la vérité ? Vous en brûlez, vous en êtes plein ! Ça doit être un problème pour vous, comme se frapper la tête contre un mur ! Heureusement, je n’ai pas ce problème parce que… Je m’en fiche (rires)…
DB : Vous n’êtes pas ce que… ?
K : …Je m’en fiche – s’ils n’écoutent pas, alors ils n’écoutent pas et c’est tout.
DB : (rires) Mais c’est plus ou moins ce que je fais aussi – dans une certaine mesure. Il y en a peut-être quelques-uns qui sont prêts à écouter…
K : Ou, pouvez-vous apporter une nouvelle qualité à la conscience ? Regardez Monsieur, Staline, Lénine, les prêtres au nom de Jésus, les Hindous, ils ont affecté la conscience humaine, hmm !?
DB : Mais pas de cette manière fondamentale…
K : Pas de cette manière fondamentale, non, mais ils l’ont affecté – à cause de leur police, ils ont surveillé et torturé des gens… ils l’ont influencé. Ici, les influencez-vous, ou ajoutez-vous un autre chapitre à leur conscience ?
DB : Il y a un danger ici…
K : Ou bien vous dites : Écoutez, laissez tomber tout ça ! Il n’y a pas de vision sans liberté. N’est-ce pas Monsieur ?
DB : Oui…
K : Donc, la liberté est l’essence même du voir – être libre des préjugés et tout le reste. Par conséquent, un esprit libre peut voir. C’est ça voir et voir c’est faire.
DB : Mais cela soulève la question que le manque de liberté – nous l’avons toujours souligné… vous voyez, le manque de liberté est l’instrument de la réalité…
K : Tout à fait. Un communiste dit : la liberté, elle n’existe pas…
DB : Eh bien, Karl Marx a dit qu’il y en a, mais qu’ils atteindront la liberté dans le domaine de la réalité – ils finiront par atteindre la liberté. Je veux dire que ce sont les communistes qui ont vraiment compris…
K : Bien sûr, ils ont dit qu’il fallait changer l’environnement de l’homme…
DB : Oui, changez la réalité et l’homme est libre ; et bien sûr, un homme qui n’est pas libre ne peut pas changer la réalité !
K : Bien sûr ! Donc vous voyez, c’est le danger…
DB : Mais nous devons sortir de tout ça, vous voyez ?
K : Oui, c’est ça ! Nous devons nous retirer de tout ça. Et on a besoin d’énergie.
DB : Oui…
K : Comme je vis dans le domaine de la réalité, qui a sa propre énergie, cette énergie ne me libérera pas.
DB : Non…
K : Mais le fait de voir la distorsion dans le champ de la réalité donnera cette énergie.
DB : Oui, je pense que le fait de voir l’inévitable distorsion…
K : Non, non… la vision de la distorsion est énergie
DB : Mais la vision de la distorsion ne peut pas être évitée dans ce domaine de la réalité.
K : Êtes-vous en train de dire que dans le domaine de la réalité, la distorsion est inévitable ?
DB : Vous voyez, beaucoup de gens seraient d’accord avec vous, et diraient : « oui, dans mon esprit, il y a un espoir de faire quelque chose pour l’arrêter… »
K : Oui, tout à fait, et le désir même de l’arrêter est une autre distorsion !
DB : Je dois voir qu’il n’y a pas d’issue dans ce domaine.
K : Non, attendez une minute ! Dans ce domaine de la réalité, il y a des distorsions – la vision des distorsions – vision de l’ensemble des distorsions – la vision apporte cette énergie – bien sûr, ça devrait !
DB : Mais même le sentiment qu’il n’y a pas d’énergie est une distorsion…
K : Bien sûr. Nous avons dit que dans le domaine de la réalité, la réalité a sa propre énergie – une sorte d’énergie…
DB : Oui, et je pense que cette énergie inclut le désir…
K : Inclut, comprend le désir, inclut…
DB : …toutes les autres formes d’énergie…
K : Et aussi l’énergie de la distorsion. Maintenant, pour voir cette distorsion, l’esprit doit être libre !
DB : Oui…
K : Il doit la regarder, il doit comme la mettre à l’extérieur et la regarder.
DB : Nous pouvons le voir comme ceci : tout le champ de la réalité est imprégné de distorsion, et vous dites que d’une certaine manière nous pouvons regarder tout ce champ de la réalité – dans un certain sens mettre une distance, une séparation – c’est ce que vous dites ?
K. : Oui…
DB : Aussi nous devions être très clairs, car nous disons aussi qu’il n’y a pas de division !
K : (Rires) Oui, l’observateur est l’observé…!
DB : Il semble y avoir une contradiction ici… Préférez-vous dire une sorte d’espace, ou quelque chose de vide ?
K : Oui, Monsieur, vide !
DB : Entre cette réalité et…
K : Cette réalité est vide.
DB : Oui.
K : Bien… Cette réalité n’est rien !
DB : Oui, il y a un point que vous venez de mentionner : si nous disions que ce n’était rien parce que le mot rien (nothing) signifie également pas de chose (no-thing).
K : Pas de chose, d’accord…
DB : Vous voyez, la réalité c’est être quelque chose, donc quand nous disons ‘pas de chose’ (rien), cela ne signifie pas irréel – ce n’est ni dedans, ni dehors, c’est de ce domaine…
K : De ce domaine, oui…
DB : Et ultimement, la réalité est rien – pas de chose (no thing) – mais nous disons maintenant qu’il doit y avoir une sorte d’espace, de vide d’où la chose peut être vue – parce que, comme nous l’avons dit, voir c’est la vérité, qui est rien… et voir ne peut avoir lieu que dans le vide, qui est énergie.
K : C’est exact, Monsieur. Quand l’esprit est vide, quand l’esprit n’est rien – pas une chose – en cela il y a la perception…
DB : Oui, et l’énergie… Maintenant, l’esprit n’est rien et la réalité n’est rien, bien qu’en fin de compte la réalité soit une chose …
K : (rires) Oui…
DB : Ce qui veut dire que dans ce non-chose (no-thingness) il y a une certaine forme, qui est la réalité.
K : La réalité, oui !
DB : Mais une forme qui est rien.
K : Oui monsieur, mais cela suppose qu’il n’y a rien…
DB : Ce qui n’est qu’une image…
K : C’est vrai !
DB : je veux dire que c’est aussi une image, parce que sinon vous transformez cette image en une chose… Mais l’esprit, d’une certaine manière, prend du recul, je veux dire qu’il n’est pas connecté à cette réalité pour voir. Et vous dites que c’est l’espace… ?
K : Il doit y avoir de l’espace entre… il doit y avoir de l’espace…
DB : La réalité est dans l’espace. Mais quand vous dites espace, il y a aussi distance, donc ils doivent être reliés d’une certaine façon…
K : Monsieur, n’y a-t-il pas de l’espace quand l’observateur est l’observé ?
DB ; Oui mais il faut que ce soit bien formulé, parce que ça sonne faux…
K : J’ai compris, nous n’utilisons pas le mot espace comme une division, comme un facteur de division. Je veux dire que quand je vois quelque chose, cette bougie, il y a de l’espace – un espace verbal, mais la vision n’a pas d’espace diviseur…
DB : Oui, mais avant vous disiez…
K : …Ah, avant j’ai dit : quand les gens disent ‘je vois’ il y a une division.
DB : Oui, mais vous avez également dit que vous devriez avoir un certain espace pour percevoir la réalité. Il faut donc dire qu’il y a deux sortes d’espace : l’un est diviseur et l’autre n’est pas…
K : C’est vrai… l’un divise, l’autre non.
DB : Donc, nous pouvons dire que le second est inclusif – cet espace inclut tout.
K : Oui ! Dans la vision et l’action, il n’y a pas de division. Là où il y a une division, il y a ce qu’on appelle espace et temps, la distance et tout le reste. Cet espace sans division, est dans l’espace…
DB : Eh bien, tout est dans l’espace – L’espace comprend tout. Nous savons tous que l’espace n’est pas une division – on peut presque l’appeler la base de tout…
K : Oui.
DB : Maintenant, nous voulons souligner la substance…
K : L’espace que je crée quand vous ne me plaisez pas, ou quand vous me plaisez, est différent de la liberté de cet espace…
DB : Vous voulez dire, de l’espace de cette pièce ?
K : Oui…
DB : Vous voyez, la pièce fait partie d’un espace global – elle va dans l’espace extérieur et chaque objet se trouve dans cet espace, donc, dans un certain sens, nous sommes tous unis, nous sommes tous un.
K : Sans l’espace, je ne pourrais pas exister. Je me demande si nous parlons de la même chose…
DB : Bien, discutons-nous aussi de l’espace de l’esprit ?
K : Oui, l’espace dans l’esprit, c’est là que…
DB : Donc, il y a l’espace visuel que tout le monde peut sentir, et il y a un espace dans l’esprit…
K : L’espace dans l’esprit.
DB : Peut-on dire que la réalité est dans l’espace de l’esprit ? Dans…
K : … Je peux le créer artificiellement…
DB : Oui… mais je veux dire, nous pouvons voir que toute la réalité est dans l’espace, maintenant est-ce que ce tout de la réalité est dans l’espace de l’esprit ?
K : Mettons les choses au clair ! Monsieur, quand la vision est action, il n’y a pas d’espace en tant que division.
DB : Oui…
K : Je pense que c’est clair, donc cet espace est la liberté du vide. Nous l’avons dit.
DB : Oui… Donc ce vide est la même chose que la liberté… ?
K : C’est tout ce que nous disons ; donc la vérité est vide (nothigness) ; une non-chose (not-a-thing) !
DB : Bien…
K : L’action du vide, qui est intelligence, dans le champ de la réalité – cette intelligence étant libre opère dans le domaine de la réalité sans distorsion. C’est un premier facteur. Et dans l’esprit, s’il n’y a pas d’espace, mais que c’est encombré de problèmes, d’images, de souvenirs, de connaissances et tout cela, un tel esprit n’est pas libre. Dans l’esprit qui est si encombré, il n’y a pas d’espace.
DB : Oui, donc quand il n’y a pas d’espace, l’esprit est contrôlé par toutes ces choses…
K : Oui, contrôlé par l’environnement, les distorsions, etc. Donc, pour un esprit vide, la vision est l’action et l’action est vérité, intelligence et ainsi de suite… Cet espace n’est pas créé par la pensée, donc il n’est pas limité.
DB : Oui, mais il est possible de voir la chose dans le champ de la réalité et donc il est possible d’agir en relation avec cette chose, n’est-ce pas ?
K : Oui…
DB : Dans un certain sens, une chose peut être absorbée dans cet espace puisque l’espace est relié à la chose…
K : Êtes-vous en train de dire, monsieur, que la réalité existe dans cet espace de l’esprit ?
DB : C’est ce que je dis. Le fait est qu’il n’y a pas de réalité dans cet espace…
K : C’est vrai, il n’y a pas de réalité.
DB : …mais il y a une certaine essence qui peut contacter la chose ; vous voyez, la chose est la pensée, ce à quoi nous pensons – cette partie est comprise…
K : Est-ce que nous disons, monsieur : quand il y a de l’espace dans l’esprit, quelle place a la pensée dans ce vide, ou quelle place a la réalité dans ce vide ?
DB : Oui…
K : La pensée a-t-elle une place dans cet espace ?
DB : …ce qui met fin à la distorsion… d’une certaine façon, c’est que cet espace semble entrer en contact avec les habilités de la pensée…
K : A-ha ! Pour me simplifier les choses, quelle place a la pensée dans cet espace ?
DB : Elle n’a peut-être pas sa place…
K : Exprimons cela ainsi : quelle est la relation entre cet espace et la pensée ? Si la pensée a créé cet espace, alors elle a une relation, mais la pensée n’a pas créé cet espace !
DB : Nous disions la dernière fois, que la vérité peut agir dans la réalité…
K : C’est exact.
DB : Cet espace peut donc agir dans le domaine de la réalité, ou de la pensée, bien que ce ne soit pas aussi à l’inverse…
K : Oui ; dans une seule direction…
DB : Et cet acte vise avant tout à redresser la pensée, afin qu’elle puisse se mouvoir d’elle-même, non ?
K : C’est exact… Alors quelle est la relation de cet espace à la pensée ?
DB : Eh bien, pour le contenu de la pensée, il n’y en a pas, mais nous pouvons considérer que parfois la pensée est aussi avec ce qui est… Vous voyez, quand nous disons que la pensée ne fonctionne pas bien…
K : Êtes-vous en train de dire, monsieur, que lorsque la pensée fonctionne de façon droite, rationnelle, saine, sainte, ceci a un rapport avec cela ?
DB : Oui, c’est ce que je dis – ils sont alignés.
K : C’est exact.
DB : D’une certaine manière, ils se déplacent en parallèle, mais cet espace peut aussi agir à l’intérieur de la pensée de manière à la rendre parallèle.
K : Oui, nous l’avons dit ! C’est une relation à sens unique…
DB : Oui, mais j’essaie de faire une distinction : si nous prenons le contenu de la pensée, qui est la conscience, il n’a aucune action dessus… ce que j’essaie de dire, c’est que la distorsion de la pensée va au-delà du comportement de ce contenu. Vous voyez, quelle est l’action de la vérité à l’intérieur de la pensée ? C’est vraiment la question…
K : Oui.
DB : Je veux dire qu’en général on peut penser qu’il peut la redresser ou supprimer ses distorsions…
K : Monsieur, la vision est l’action – restons-en là – la vision de la distorsion est la fin de la distorsion…
DB : Oui…
K : Il y a la fin de cette distorsion parce qu’il y a l’énergie de voir…
DB : Oui, qui agit un peu à l’intérieur de la pensée – sur la pensée… ?
K : Je vois une distorsion en dehors de moi ou à l’intérieur de moi, et pour la percevoir il faut de la liberté, la liberté implique de l’énergie et donc la vision la spprime, la dégage. Maintenant, il y a une pensée rationnelle et saine – quelle est la relation de cela avec l’espace dans l’esprit ?
DB : Eh bien, cela ne se produit que lorsque cet espace a éclairci la pensée, et qu’alors la pensée se déplace parallèlement à la vérité…
K : Est-ce que c’est parallèle ou y a-t-il une harmonie entre eux ?
DB : Harmonie avec ce qui est…
K : Peut-on le dire ainsi, monsieur ? La pensée est mesure – qui est le temps – donc la pensée est un mouvement dans le domaine du temps. Et nous disons que la vérité n’est pas reliée à ça…
DB : Comme nous l’avons dit, c’est une relation à sens unique…
K : Un aller simple…
DB : C’est-à-dire que la vérité ne dépend pas de la pensée, mais la pensée peut être influencée par la vérité…
K : Oui, la vérité peut agir sur la pensée, c’est compris, c’est clair. Alors, ils sont tous dans le même espace dans l’esprit. Il n’y a donc pas de division comme pensée et vérité.
DB : Oui, la division était le résultat de distorsions ; donc la pensée est aussi dans la vérité, ou elle se déplace…
K : Une minute, monsieur, je ne suis pas sûr de ça… La pensée, comme nous l’avons dit, est du temps, la pensée est le temps, la mesure et tout le reste…
DB : Oui…
K : Et nous avons dit, la vérité n’est pas cela ; alors quelle est la relation de la pensée à la vérité ? Quand cette question est posée, la pensée est tournée vers la vérité et donc elle n’a pas de relation ! Mais quand la vérité regarde la pensée, elle a une relation – au sens où elle fonctionne dans le domaine du temps…
DB : Oui et c’est la même chose que le champ de la réalité…
K : Oui, je fonctionne dans le champ de la réalité. Maintenant, y a-t-il un mouvement parallèle où il n’y a aucune division ? Il n’y a pas de division quand c’est la vérité qui regarde.
DB : Oui… Donc quand la vérité regarde, la pensée doit refléter la vérité en elle-même…
K : Oui, c’est vrai.
DB : Parce que je pense que c’est là que le problème se pose – la pensée essaie de refléter la vérité en elle-même et appelle cela une réalité indépendante …
K : C’est vrai : quand la pensée réfléchit sur la vérité, alors il y a une division.
DB : Oui, je veux dire que la pensée se divise intrinsèquement en vérité et…
K : …Oui, elle se divise !
DB : Mais c’est seulement parce que la pensée ne fait que refléter…
K : Tout à fait, mais quand la vérité regarde la réalité, il n’y a pas de division. Car nous avons dit que lorsque la vérité opère dans le domaine de la réalité, elle opère avec intelligence.
DB : Oui, la réalité est nécessairement un champ où la vérité n’opère pas – c’est là où je veux en venir – La difficulté survient quand on commence par la pensée et que la pensée commence à réfléchir sur la vérité et qu’elle produit la notion de réalité et de vérité de cette réalité…
K : Et donc tout est divisé…
DB : C’est divisé et ça donne à la réalité la signification de ce qui est – et ce qui va mal, c’est quand la réalité reçoit la signification de ce qui est. Mais la réalité est en fait une action ou une fonction de l’intelligence, donc tout cela fait partie d’un tout, vous voyez ?
K : Oui, monsieur, quand l’intelligence opère dans le domaine de la réalité, c’est un tout.
DB : Et donc la réalité n’est qu’un champ, ce n’est pas ce qui est pourvu d’une substance indépendante.
K : Oui, monsieur, c’est quelque chose que nous avons découvert !
DB : Oui… Et cela veut dire que le champ de la réalité est dans cet espace.
K : Attendez une minute… Cela signifie que la pensée est dans cet espace ?
DB : C’est quand je commence à partir de la pensée. Ensuite je pense que c’est une substance en elle-même (indépendante), puis il y en a une autre et elles sont séparées par un espace… Mais si je regarde d’une autre manière et que je dis : il y a une vérité, ou un espace, et la réalité n’est qu’une fonction de cette action ; ce n’est pas une substance indépendante, ce n’est pas ce qui Est, vous voyez ?
K : Sommes-nous en train de dire, Monsieur, que lorsque la vérité opère dans la réalité, en ce sens qu’il n’y a pas de division ? Vous me dites donc : Ne vous préoccupez pas de la vérité, car vous ne savez pas ce que cela signifie, mais préoccupez-vous de la réalité et de ses distorsions. Mais vous me dites : Soyez libre de toute distorsion. Et pour être libre de toute distorsion, il suffit d’observer les distorsions. Cette observation signifie la liberté ! Et donc, cette liberté et cette observation vous donneront l’énergie nécessaire pour repousser les distorsions. Et la vision de la distorsion est la vérité.
DB : Oui…
K : Donc la vérité n’est pas séparée de la vision et de l’action – elles sont Une. Et c’est l’intelligence qui opère dans le domaine de la réalité sans distorsions. Ensuite, comme je me suis libéré de ces distorsions, la vérité est la vision de l’action en tant qu’opération de l’intelligence dans le champ de la réalité. C’est tout ce que je sais, en fait ! Donc, j’ai dans ma conscience un grand nombre de facteurs de distorsion – dois-je les éliminer avec une seule observation ou dois-je les éliminer un par un ?
DB : Vous ne pouvez pas les éliminer un par un…
K : Vous ne pouvez pas, donc voir est une totalité. Et quand vous voyez le tout, c’est la vérité. Mais pour le voir, mon esprit doit avoir de l’espace
DB : Pouvez-vous dire que l’esprit n’est pas préoccupé par lui-même ?
K : Bien sûr, préoccupation signifie corruption !
DB : Vous voyez, le mot vide signifie non occupé…
K : Non occupé. Il n’est donc pas occupé, il est vide – parce qu’il n’a pas de problèmes. Et donc vider l’esprit de son contenu est la Méditation.
DB : Encore une chose : il m’est apparu que la chose qui se rapproche le plus de l’essence de cette distorsion est le sentiment que la réalité est tout ce qu’il y a – et la prendre pour tout ce qui est…
K : Une minute, monsieur : si l’esprit met de côté toutes les distorsions, quelle est la nécessité de la pensée – sauf en tant que fonction ?
DB : La fonction rationnelle ?
K : La fonction, c’est tout !
DB : Beaucoup de gens peuvent croire que la pensée est une fonction rationnelle, mais ils ne peuvent pas la rendre rationnelle…
K : Je demande simplement, monsieur : s’il n’y a pas de contrôle de la pensée, alors la pensée est libre de toute distorsion…
DB : Alors la vérité opère…
K : C’est ça ! La pensée elle-même est donc un facteur de distorsion – si la vérité n’opère pas.
DB : Tout à fait juste ! Quand la vérité n’opère pas, alors la pensée se déplace de toutes sortes de façons – tout comme le vent et les vagues – le vent se lève et les vagues se déplacent de telle ou telle façon… Et quoi qu’il arrive, cela ne fera qu’emmener la pensée à tourner et distordre.
K : Bien sûr ! Diriez-vous que la pensée en elle-même est divisive, créatrice de distorsion ?
DB : Mais vous voyez, il y a deux façons de voir les choses : sans la vérité, la pensée crée des distorsions, ou vous pouvez dire que la pensée, quoi qu’il arrive, crée des distorsions. Je ne pense pas que vous vouliez dire que…
K : …Non, l’autre : la pensée sans cette qualité de voir est un facteur de distorsion.
DB : Oui, j’essayais de regarder les choses de cette manière : que la pensée contient deux facteurs : réagir ou réfléchir – et c’est ce facteur réactif immédiat qui la fait paraître si réelle – elle réagit si vite que vous ne réalisez pas que c’est une pensée. Maintenant, la difficulté survient lorsque vous perdez la trace de la réflexion, vous voyez ?
K : Tout à fait, tout à fait…
DB : Et si une réflexion s’est produite et que la pensée en perd la trace, alors la chose réfléchie sera considérée comme réelle…
K : Comme ‘réel’, c’est ça ! Nous devons être très clairs ici – sur le fait que le mot maya ne signifie pas illusion…
DB : Je pense que c’est probablement une mauvaise traduction en anglais, car la racine du mot maya est mesurer.
K : Mesurer…
DB : Et la mesure par elle-même est une fonction, qui comme nous l’avons dit, peut être rationnelle ou… Mais… Je pense qu’il est cinq heures et demie !
K : Oh, mon Dieu (riant), c’est une réalité ! On se rencontre tous les samedis ?
DB : Oui, c’est bien.