Une série de 12 discussions (1975) – non publiées entièrement – entre Krishnamurti et David Bohm. Des extraits des dialogues ont été remaniés et publiés dans le livre La vérité et l’événement. Nous reprenons ici le 5e dialogue en conservant autant que possible le cours naturel de la discussion.
Il pourrait sembler à certains lecteurs que les discussions tournent en rond et qu’en fin de compte on aurait pu résumer le tout en quelques phrases. Cette constatation est vraie d’un point de vue intellectuelle. Mais les discussions avec Krishnamurti visent à créer dans ses interlocuteurs une clarté qui dépasse de loin la simple compréhension intellectuelle. Les mots ne sont que les indices de cette investigation intérieure.
Traduction libre à partir de la transcription anglaise faite par notre ami Ioan Raïca
5e Dialogue : La place de la Vérité dans le champ de la réalité
DB : Dans notre discussion la dernière fois, il y avait quelques points et conséquences que je trouve intéressants. En bref, nous avons vu au fil des ans que la pensée évolue dans d’inévitables contradictions, de l’une à l’autre…
K : Oui…
DB : Et puis nous avons dit, essayons de garder la pensée à sa place, là où elle est techniquement efficace dans le domaine de la réalité, mais ensuite on découvre que la pensée ne peut pas rester à sa place…
K : Elle ne le peut pas…
DB : Parce qu’au moment où elle est dans une posture définie, elle est déjà ailleurs – elle est dans un état de contradictions permanentes. Jusqu’à présent, la tendance générale était de dire : oui, il y a certaines choses qui ne vont pas avec la pensée, mais voyons si nous pouvons les redresser – et le redressement ultime était de la garder à sa place, mais elle ne le reste pas ; c’est pourquoi l’idée m’est venue que la pensée ne peut peut-être pas être redressée. Peut-être en raison de sa nature même…
K : (rires) …elle est tordue !
DB : Maintenant, si c’est le cas, il me semble que nous avons besoin d’une autre énergie, d’un autre mouvement qui assurera l’exécution des fonctions pratiques. Il pourrait y avoir un autre mouvement qui remplirait les mêmes fonctions mais sans se fourvoyer…
K : Oui, je vois ça.
DB : Et cela me semble être un bon point de départ.
K : Sommes-nous en train de dire, Monsieur, que la pensée étant en elle-même contradictoire, alors lorsqu’elle essaie de mettre de l’ordre dans cette contradiction, elle crée encore plus de désordre et que la pensée ne peut jamais avoir sa juste place ?
DB : Oui, même si nous devions repartir à zéro, cela reviendrait au même.
K : Oui… Et nous demandons : existe-t-il une énergie qui puisse remplir ces fonctions sans devenir tordue ?
DB : Oui, parce qu’à moins que nous ne la trouvions, nous devons nous tourner vers la pensée …
K : Tout à fait. Comment l’investiguer, ou comment découvrir – après avoir pris conscience de la nature intrinsèque de la pensée – quel est le nouvel instrument qui découvrira cette énergie ?
DB : Oui, nous avons commencé à regarder cela la dernière fois et nous avons découvert qu’il y a un très sérieux piège, car la pensée se projette toujours dans tout…
K : Oui. Nous nous demandons donc si la pensée peut être un instrument permettant de découvrir quelque chose qui n’est pas tordu ?
DB : Il y a un autre point dont nous pourrions discuter : vous avez souvent parlé de la pensée négative qui est en fait la découverte des contradictions dans notre pensée…
K : Oui…
DB : Et je suis allé étudié ceci : les gens l’appellent la dialectique – selon le dictionnaire c’est l’art de la discussion par des questions et des réponses.
K : Je sais, mais cela signifie aussi donner des opinions …
DB : Pas exactement ; cela commence par l’acceptation de quelque chose que les gens pensent raisonnable – qui peut être une opinion et à partir de là découvrir l’inévitable contradiction de la pensée. Il y a deux façons de voir cela : l’une consiste simplement à laisser tomber…
K : N’y a-t-il pas contradiction entre une synthèse et une autre ?
DB : Cela dépend… l’un des représentants de la dialectique que j’ai étudié est Hegel ; il l’a poussé assez loin, et il dit qu’à un certain stade, la pensée révèle sa contradiction, puis elle se suspend et on voit le vide des formes de la contradiction ; mais ensuite il passe à une nouvelle idée qui résoudra la contradiction…
K : A-ha.
DB : Et puis ça continue encore et encore. Maintenant, pour empêcher le processus de continuer, il introduit le concept d’idée absolue… sans avoir remarqué qu’il pouvait s’agir d’une autre idée…
K : (riant) Ces gens intelligents sont pris dans leur propre toile…
DB : Oui… et si nous poursuivons dans cette voie, nous pouvons voir qu’il n’y a pas beaucoup d’intérêt à poursuivre la contradiction encore et encore et nous voyons que la pensée crée intrinsèquement des contradictions et ainsi nous en arrivons au point que vous avez soulevé – cette pensée devrait trouver sa juste place ce qui, encore une fois, elle ne peut pas. Nous avons donc poussé la dialectique plus loin que ne l’a fait Hegel et cela mène inévitablement au point où la pensée pourrait finir elle-même.
K : Se terminer elle-même, tout à fait !
DB : Narayan m’a dit que le Bouddha était un grand maître de la dialectique et peut-être l’a-t-il utilisé de cette façon, mais en général ce n’est pas utilisé ainsi…
K : Je ne connais pas très bien le bouddhisme – je ne le connais pas du tout – sauf les murmures superficiels des prêtres bouddhistes, etc. On m’a dit qu’un érudit bouddhiste – Nagarjuna – est allé beaucoup plus loin en disant qu’en terminant la pensée il n’y a rien (nothingness). Nous en sommes donc arrivés au point où la pensée, étant contradictoire, peut par le biais de la dialectique la résoudre, en espérant qu’à un certain point, elle puisse voir son absurdité…
DB : Oui…
K : Mais quand la pensée conçoit un nouveau schéma… c’est toujours la pensée !
DB : C’est toujours la pensée, oui…
K : Nous sommes donc arrivés à ce point, et nous voyons que le mouvement de la pensée doit toujours être contradictoire, égocentrique, etc… Est-ce que la pensée peut s’arrêter et qu’une nouvelle énergie peut fonctionner dans le domaine de la réalité sans provoquer de contradictions dans ce domaine ? C’est ça, nous l’avons !
DB : Oui… un autre point qui peut être ajouté est que nous pouvons voir les contradictions intellectuellement et qu’aussi du côté du sentiment, nous pouvons les voir à travers le désir. On en arrive à la même chose…
K : Exactement ! Si vous parlez de la pensée, il est inutile de parler du désir ! N’est-ce pas ? Ou faut-il discuter du désir ?
DB : Si nous pouvons en dire quelques mots, cela pourrait aider…
K : Monsieur, lorsque vous avez utilisé le mot désir, vous l’avez utilisé dans le sens de sentiment ou de revendication, et aussi dans le sens de ce mot, envie.
DB : L’envie, oui…
K : S’accrocher à et rechercher le plaisir ultime sous différentes formes – le plus haut, le plus bas et ainsi de suite… Sûrement, tout cela est dans le domaine de la pensée ! Le désir est l’un des bras de la pensée !
DB : Oui, ça commence à produire des sentiments…
K : Y aurait-il ce sentiment si la pensée n’était pas entré dans ce domaine ?
DB : Voilà la question : dans notre culture générale, il est accepté qu’il y ait un…
K : Je sais…
DB : Mais d’un autre côté, si nous n’étions pas identifiés à la pensée comme un deuxième type de sentiment, il est difficile de dire ce que ce serait…
K : Oui, tout à fait… Je désire cette maison – dans ce désir est inclus l’envie de ce que la pensée a créé… et je veux obtenir l’image plaisante que la pensée a créé… et je veux ce plaisir. Je ne pense pas qu’il y ait une différence entre le désir et la pensée !
DB : Oui, et la contradiction du désir vient de la même façon – tout comme il y a une contradiction inhérente à la pensée, il y a une contradiction inhérente au désir.
K : Oui… inhérente ! Mais juste une minute : quand je suis jeune, je désire une femme, je désire une maison – je change les objets du désir, mais le désir demeure !
DB : Le désir demeure, mais ses objets sont toujours contradictoires… Vous voyez, il ne reste pas avec un seul objet – si vous obtenez cet objet, il se déplacera vers un autre… tout comme la pensée ne reste pas là mais se déplace d’une chose à l’autre…
K : C’est ça ! C’est clair…
Dr P : Ce mouvement continu de la pensée est une projection continue et la personne n’en prend pas conscience, il y a donc une chasse continue… et sa vie se situe entre la projection et elle-même…
K : Tout à fait.
Dr P : C’est un processus de conditionnement qui commence par le sentiment, jusqu’à la formation de l’image…
K : Qu’entendez-vous par conditionnement ?
Dr P : Si vous avez un jeune enfant, il n’a pas de processus de pensée manifeste mais un processus de sentiment…
K : Je me demande si ce n’est pas penser aussi – il est donc dangereux de dire que l’enfant n’a pas de pensée mais seulement des sentiments…
DB : Oui… Certains psychologues ont étudié cela et ils disent que le jeune enfant a une forme de pensée non verbale – une pensée motrice, comme un animal… Et à travers ses images et son activité motrice, l’enfant pense encore en termes de plaisir et tout ça…
K : Non-verbal…
Dr P : Mais il semble que l’enfant ne pense pas en termes du Je.
K : Je m’accroche à ce jouet et un autre enfant vient et le prend : c’est l’origine du je.
DB : Ou l’enfant s’accroche à sa mère ; quand la mère s’en va…
K : Bien sûr ! Alors monsieur, nous avons dit : le désir dans sa nature même est contradictoire, bien que les objets puissent changer ; mais dans son essence le désir est contradictoire, comme la pensée est contradictoire. Maintenant, nous demandons : y a-t-il une énergie qui opère dans le champ de la réalité sans devenir corrompue ?
Vous voyez, quand j’ai discuté en Inde avec tous les érudits et autres, ils ont dit : cette énergie est divine – j’utilise leurs mots – et donc elle ne peut jamais fonctionner dans le champ de la réalité, mais si elle le fait, elle ne peut jamais devenir contradictoire – ils inventent, ils présupposent, ou ils imaginent une énergie qui n’est pas conditionnée – qui est Brahman, l’Âme ou Dieu.
Maintenant, si nous pouvons effacer de notre esprit ce processus d’invention ou d’imagination – et il le faut si nous voulons découvrir vraiment, alors qu’avons-nous ? Nous n’avons que le processus de pensée-désir – qui, dans son essence, est corrompu dans son fonctionnement et nous ne savons rien d’autre. N’est-ce pas, Monsieur ?
DB : Oui…
K : Je pense que ce serait la position saine. J’aimerais commencer de cette façon, sinon cette nature corrompue de la pensée et de son désir qui change constamment ses envies… Et je suis ma conscience dans laquelle tout mouvement est pensée et désir. N’est-ce pas, monsieur ?
DB : Oui…
K : Cette conscience – parce qu’elle est tout le temps en mouvement – n’a jamais trouvé une énergie qui ne soit pas contradictoire, une énergie qui ne soit pas produite par le désir et la pensée. Alors, que dois-je faire ? Mon problème, alors, est le suivant : la pensée peut-elle voir son propre mouvement et sa futilité ? Futilité dans le sens où elle est contradictoire, conflictuelle…
DB : Oui, voir la totalité de cela. Il faudrait le voir totalement !
K : Totalement, c’est ce que je veux dire ! Bien sûr… La pensée peut-elle voir la totalité de son mouvement dans la conscience, la voir comme un tout ?
DB : Il y a une difficulté ici, qui fait que cela paraisse probablement impossible : quand nous regardons habituellement quelque chose, la pensée se sépare de ce qu’elle regarde ; donc quand vous dites je suis cette chose à laquelle pense la pensée, cette pensée n’est pas soutenue…
K : Partons de là : ma conscience c’est moi-même ; il n’y a pas de séparation entre moi et le contenu de ma conscience, qui est moi…
DB : Oui…
K : Cela, je le vois. Cette vision se fait-elle de l’intérieur du contenu de la conscience ou de l’extérieur ? Quand je dis je vois la nature contradictoire de la pensée, cette vision est-elle une perception intellectuelle, une compréhension verbale, ou est-elle une perception réelle ? Ou bien j’imagine que je vois le désir ? Cette vision est-elle un mouvement de la pensée ? Si c’est le cas, alors je ne vois pas – il n’y a pas de vision. Quand, alors, l’esprit dit qu’il voit ?
DB : Seulement quand le mouvement de la pensée s’arrête ?
K : C’est ça ! Et qu’est-ce qui l’a arrêté ? Comment cela est arrivé ?
DB : Voir la contradiction ou l’absurdité…
K : Mais est-ce que la pensée le voit ?
DB : Non, c’est l’attention portée à ce que la pensée fait …
K : On prête attention à l’actualité – le réel est vu.
DB : Oui…
K : Le réel qui est la création de la pensée – le désir, le mouvement de la pensée – c’est le réel. Et qui est celui qui le voit – comment cela se passe-t-il ?
DB : Eh bien, il n’y a personne qui le voit…
K : C’est là où je veux en venir…
Dr P : Je pense que l’attention est la chose qui voit !
K : Je ne veux pas retourner, je ne fonctionne pas de cette façon, je veux commencer à nouveau ! J’ai un problème : quelqu’un me dit que la pensée se déplace sans cesse d’un schéma à l’autre, dans des schémas contradictoires, des désirs contradictoires – et quand la pensée opère ainsi, il n’y a pas de solution pour mettre fin à la souffrance, à la confusion, au conflit et tout ça. Et je l’écoute parce qu’il me dit quelque chose de très sérieux : je respecte ce qu’il dit et je dis : Donnez-moi un instant et je verrai ! Qu’est-ce que je vois ? Le schéma verbal, la description verbale – et donc je saisis la couleur de la peinture, de sa description, ou est-ce une compréhension intellectuelle de ce qu’il dit, ou cela n’a rien à voir avec tout cela, mais seulement avec la perception ? Je demande simplement : comment cette perception se produit-elle ? Je l’écoute, je respecte ce qu’il dit : pour moi, cela semble logique, sain et réel, et puis, à l’instant même, je vois la totalité de cela ! Pas les fragments mis ensemble, mais le mouvement entier du désir, de la pensée, de la contradiction, le mouvement entier d’un schéma à l’autre, les excuses et ainsi de suite – je les vois complètement comme un tout et mon action de voir comme un tout est totalement différente de l’action de la pensée… Comment cela se produit-il ?
DB : Eh bien, ce que vous entendez par comment n’est pas clair ?
K : Je suis désolé, je ne devrais pas dire comment !
DB : Laissez-moi juste dire quelque chose : quand j’ai regardé et que j’ai vu que la pensée ne pouvait pas être redressée, je ne pouvais pas la décrire, mais à ce moment-là, je n’étais plus intéressé à la redresser. Je pensais que c’était l’action directe de voir.
K : Dites-vous : la pensée se voit-elle dans son mouvement contradictoire ? C’est bien ce que vous dites ?
DB : Je dis que lorsqu’il y a vision, le mouvement entier ne continue plus…
K : La pensée se voit-elle ?
DB : Non, non… Il me semble qu’il y a un mouvement plus important…
K : C’est ce que l’on pourrait imaginer par la pensée, ou c’est ce que disent les scientifiques, mais je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est qu’en écoutant avec attention et respect, je vois cela, je comprends sa totalité ! Vous n’avez plus besoin d’en parler – je vois totalement ! Qu’est-ce qui a provoqué cela ? Si vous dites que c’est l’attention – cette attention implique qu’il n’y a pas de centre, centre en tant que pensée qui a créé le moi et le non-moi, et donc je reçois tout ce qu’il dit sans le déformer !
DB : Mais n’y a-t-il pas de la pensée sans le centre ? En d’autres termes, y a-t-il de la pensée avant le centre ? La faiblesse de la pensée est qu’elle se sépare de ce à quoi elle pense – l’autre imaginaire qu’elle appelle objet, mais qui est toujours de la pensée…
K : Oui, je vois tout cela…
DB : Maintenant, cela se passe-t-il avant la création du centre, ou le centre est-il autre chose ?
K : Je ne suis pas ce que vous dites…
DB : Vous voyez, si je dis que la fonction essentielle de la pensée est de réfléchir – de créer une image…
K : Qui devient le centre…
DB : Oui, mettons les choses au clair… Vous avez dit : l’image devient le centre – ce n’est pas très clair pour moi… Disons que je pense à un arbre – ce à quoi je pense devient séparé de moi. Il semble donc que j’ai créé deux images – l’une est l’arbre et l’autre est le moi…
K : C’est vrai, le moi est l’image que la pensée a créée…
DB : Et l’arbre aussi… mais il semble que la pensée présente ces deux comme distincts… Il semblerait, de ce que vous dites, que la pensée ne puisse pas exister sans un centre ?
K : Oui, c’est vrai…
DB : Mais si quelque chose pouvait s’éveiller, alors nous n’aurions pas le centre…
K : C’est vrai ! Pupul a soulevé la question suivante : la vision est-elle dans le champ de la conscience ? Cela signifie que la vision doit avoir un espace, et y a-t-il dans notre conscience un espace qui n’est pas touché par la pensée ? Et donc de cet espace (intérieur libre) naît la compréhension totale ?
DB : Oui… mais est-ce que cela fait partie de la conscience ?
K : C’est ça ! Si cela fait partie du contenu de la conscience conditionnée, alors, d’où vient cette perception ?
DB : Quand cet espace intérieur libre fait-il partie de la conscience ?
K : Oui… je vois que cet espace est toujours dans l’espace de la conscience, toujours dans le champ du désir, toujours dans le champ de la réalité que la pensée a créée… Y a-t-il une vision, une perception de la totalité en dehors de celui-ci ? Et s’il y a une vision extérieure – si je peux utiliser ce mot – alors la pensée, avec son mouvement entre le centre et la périphérie, arrive à sa fin… La vision est la fin de la pensée… Diriez-vous cela ?
DB : Oui…
K : La perception n’est pas le mouvement de la pensée…
DB : Oui, c’est-à-dire que lorsque vous percevez une contradiction, la pensée s’arrête…
K : Vous voyez la vérité en dehors du champ de la conscience. La vérité n’est pas dans le champ de la conscience – si elle était dans le champ de la réalité, alors elle serait une contradiction… Si elle n’est pas dans ce champ, alors c’est la vérité. Alors vous la voyez ; et parce que vous la voyez, l’action de la pensée dans le domaine de la réalité n’est jamais corrompue, n’est-ce pas ?
DB : Oui, mais cela soulève une question : est-il possible que vous le voyiez et que, pourtant, vous vous y rechutiez ?
K : Dans le champ de la réalité ? Jamais… si vous voyez !
DB : Je veux dire, une seule fois suffit ?
K : Absolument !
DB : Hmm…
K : Si je vois, s’il y a une perception de cela, comment puis-je revenir à quelque chose qui n’est pas vrai ?
DB : Mais alors, comment en arrive-t-on à faire des erreurs ?
K : Examinons cela. Pour l’instant, je ne fais qu’explorer : toute action se situe dans le domaine de la réalité. Et nous disons que l’action de la vérité dans le champ de la réalité n’est jamais contradictoire. Et vous dites : il peut y avoir des erreurs commises par la vérité, n’est-ce pas ?
DB : Je ne sais pas qui les fait… il peut y avoir des erreurs que je souhaite comprendre.
K : Bien… Comme il existe une perception de la vérité, cette perception opère dans le domaine de la réalité. Serait-ce une erreur si vous prenez la mauvaise direction ? La mauvaise route ?
DB : Eh bien, cela dépend de la façon dont vous utilisez la langue… ou bien vous avez simplement choisi, par manque d’information, une voie de la route…
K : Ce manque d’information – la façon dont vous le voyez, vous dites que je fais une erreur. Donc, la vérité qui opère dans le domaine de la réalité et qui manque d’information peut prendre la mauvaise direction…
DB : Oui …
K : Et vous, en regardant de l’extérieur, vous dites : Il se trompe, il n’a donc jamais vu la vérité.
DB : C’est une façon de voir les choses… mais vous pouvez aussi dire : quel est le signe d’un homme qui n’a pas vu la vérité ? Je veux dire, pas seulement qu’il fait des erreurs… ?
K : C’est très simple de voir qu’il mène une vie très contradictoire.
DB : Comme il vit dans l’auto-contradiction, on devrait être capable de distinguer une erreur et le fait d’avoir les mauvaises informations…
K : Oui, c’est ça : les mauvaises informations ! Que dois-je faire maintenant ? Il y a la perception de la vérité et je dois agir dans le domaine de la réalité – faites-vous une erreur – l’erreur étant ce qui n’est pas vrai ?
DB : Nous devons donc être très clairs sur ce qu’est la vérité …
K : Exactement… La vérité étant quelque chose que la pensée ne peut pas percevoir, réaliser ou exprimer. La réalité ne le peut pas. La logique que la pensée fait déraper devient illogique.
DB : J’aimerais le dire ainsi : il y a une réalité qui est indépendante de la pensée et une réalité qui est créée par la pensée – comme ce microphone – et il y a aussi un sentiment derrière ces images. Maintenant, la pensée perd le fil qu’elle est le créateur de ces images, puis les reconnaît à nouveau comme quelque chose qu’elle n’a pas créé. Et cette erreur ne peut pas être corrigée parce que la pensée manque d’informations. On pourrait dire que la vérité ne fait pas de telles erreurs.
K : Une fois que vous avez vu quelque chose de dangereux, c’est fini ! Mais la pensée peut créer un danger en créant une image irréelle puis s’accrocher à cette image – qui devient un danger…
DB : Oui, parce que la pensée a perdu de vue le fait qu’elle l’a créé…
K : C’est exact… Donc, nous disons que la vérité ne peut pas faire d’erreur…
DB : Et si elle fait des erreurs, c’est à cause de mauvaises informations – c’est comme un ordinateur, si vous lui donnez les mauvaises informations…
K : C’est ça ! Vous voyez que la religion organisée n’a rien de vrai. Vous le voyez totalement ! Vous ne pouvez pas y revenir et organiser leurs trucs religieux : c’est fini ! Et votre action sera totalement logique, jamais contradictoire, n’est-ce pas ?
DB : Oui… Maintenant, plusieurs personnes m’ont demandé pourquoi la plupart des êtres humains ne sont pas capables d’une telle perfection…
K : Ce n’est pas la perfection !
DB : Dans un sens, ce ne l’est pas, mais dans un autre sens, ça l’est…
K : Je ne vois pas cela comme de la perfection !
DB : Je me rends compte que…
K : Je le vois comme un homme sensible, attentif et qui voit le danger et donc ne le touche pas !
DB : Eh bien, j’ai parlé avec quelques scientifiques – et spécialement avec l’un d’entre eux – je pense qu’il a une idée de ce que vous voulez dire, mais il est plutôt douteux qu’il soit prêt à laisser tomber tous ses attachements…
K : Pourquoi ?
DB : Je ne sais pas…
K : Pourquoi serait-il inhumain de voir la vérité ?
DB : Vous avez raison, il n’y a aucune raison, c’est simplement une tradition…
K : C’est ça ! L’épaisseur du mur que la pensée a créé…
DB : La tradition veut que l’on soit modeste, il est humain de se tromper…
K : Il n’est pas question de modestie à ce sujet ! Mais je pense qu’il faut avoir un grand sens d’humilité pour voir la vérité ! Et je pense que l’expression de cela est encore l’humilité…
DB : Oui, je comprends que…
K : Revenons à la question de Pupul : existe-t-il un espace dans la conscience qui n’est pas créé par la pensée ? Y a-t-il une partie de la conscience que la pensée n’a pas touchée ?
DB : Je pense que c’est impossible, car la pensée est une structure et chaque partie de la pensée touche toute autre partie…
K : Tous les fragments dans la conscience sont liés…
DB : Et les liens sont assez étonnants – par exemple, vous pouvez voir qu’un certain mot ne fait pas partie de notre langue – et cela est immédiatement relié à l’ensemble de votre mémoire …
K : Bien, prenez le mot chêne – il n’existe pas en sanskrit…
DB : Je veux dire, n’importe qui peut dire immédiatement qu’un mot n’existe pas dans la langue….
K : C’est vrai, tous les mots sont interreliés. Donc tous les fragments de la conscience sont interreliés et il n’y a donc pas d’espace, pas de coin, pas d’endroit caché que la pensée n’a pas touché…
DB : Ou qui a la possibilité de toucher ?
K : Oui, comme nous l’avons dit, toutes les pensées sont liées, tous les fragments sont liés…
DB : Et c’est là la cause de l’une des principales contradictions de la pensée – de les traiter comme sans rapport.
K : Oui… Donc, cet état étant cela, qu’est-ce qui provoque l’acte de perception ?
DB : Vous posez fréquemment ce genre de questions dont les réponses ne sont pas claires…
K : Je pense que la réponse est claire quand la pensée s’arrête…
DB : Oui, c’est ce que vous avez dit auparavant. Mais on se demande alors : qu’est-ce qui y met fin ?
K : Ma première question est la suivante : la pensée voit-elle la futilité de tous ses mouvements et s’arrête ?
DB : Eh bien, je ne pense pas que la pensée ait ce pouvoir. Ou alors, elle pourrait voir la futilité de façon fragmentaire…
K : Vous dites donc que la pensée ne peut pas se voir dans sa totalité. Alors, comment cela se produit-il ? Vous dites qu’il s’agit de l’attention ? Pas tout à fait…
DB : Je ne pense pas que la pensée possède ce pouvoir…
K : Il doit y avoir un sentiment de vide (intérieur)…
DB : Mais qu’est-ce que l’attention ?
K : L’attention est la somme de toutes les énergies. Mais ce n’est pas suffisant. Cela se produit lorsque l’esprit qui a traversé tout cela en arrive à un vide absolu – pas une chose en lui – et c’est plus que la somme de toute son énergie – c’est une super énergie !
DB : Nous disons donc que l’attention est la somme de toute l’énergie humaine qu’il serait faux de qualifier de cosmique, mais il y a une énergie au-delà de cela.
K : Ici, il y a un danger de s’auto-illusionner parce que je peux l’imaginer… Donc l’esprit a vu à travers tout ça…
DB : Maintenant, j’aimerais vous poser une question : avez-vous été comme ça toute votre vie ?
K : J’ai bien peur que oui…
DB : Mais cela soulève une autre question – et c’est ce que nous faisons maintenant – vous le communiquez. Maintenant, pour une raison étrange – vous étiez comme ça et le reste d’entre nous ne le sommes pas…
K : Je n’aime pas avoir l’air prétentieux…
DB : Mais la combinaison de toutes les tendances et de l’environnement fait en sorte que l’on est généralement conditionné…
K : Attendez… un être humain qui traverse ces conditions est conditionné, et un autre être humain n’est pas conditionné…
DB : Ce n’est pas clair, pourquoi une différence existe.
K : Cela devient énorme…
DB : Trop difficile ?
K : Ce n’est pas difficile, mais nous devrons aborder quelque chose de complètement différent… Restons simples. Il y a deux êtres humains – l’un est conditionné et l’autre ne l’est pas. Comment se fait-il que l’autre ne soit pas conditionné ? Est-ce un manque de bonne santé au début ? Il était malade et donc il n’a pas subi les influences (conditionnantes), ou elles n’ont pas pénétré parce que son esprit n’était pas sain ?
DB : Hmm…
K : Le corps n’était pas en bonne santé, donc il n’a rien reçu…
DB : Et au moment où il pouvait recevoir cette influence, il était plus fort ?
K : Oui… et donc l’influence n’a jamais pénétré en lui…
DB : Cela n’a pas pu s’installer. Maintenant, il y a cette étape dans le développement des jeunes enfants où ils passent par un stade d’ouverture formidable, mais ensuite ça se referme.
K : Il existe plusieurs théories à ce sujet : Une théorie est que cette personne a déjà eu des vies antérieures et l’autre théorie – mais… disons ceci autrement : Diriez-vous qu’il y a la Bonté dans le monde, et qu’il y a aussi le mal dans le monde ?
DB : Eh bien, ce point n’a pas été très clair… Peut-être pourrions-nous en discuter, parce que je ne suis pas clair…
K : Je veux dire, il y a ces deux-là – le mal et le bien.
DB : Oui, mais il y a un certain sentiment que le mal n’a pas la même réalité que le Bien… Le mal est basé sur la fausseté…
K : Il y a donc ces deux forces et les Asiatiques croient que le Bien est avec ceux qui progressent spirituellement. Cette bonté peut-elle entrer dans une personne qui n’est pas égoïste ? Vous voyez, j’ai parlé avec les gens qui l’ont connu enfant – il était vague, abruti. Et quand il est arrivé à l’ouest… ça n’a pas pénétré non plus. Alors, qu’est-ce qui provoque cela : il doit y avoir une conscience naturelle et une sensibilité sans qu’il y est de choix…
DB : Diriez-vous que le choix est la véritable racine du mouvement de la pensée ?
K : Oui… De là, l’attention, il y a affection, responsabilité et un sens profond de communication. Et ce n’est pas encore suffisant : l’amour qui existe dans l’attention est différent de l’amour de la réalité. Je vous aime, donc je vous reçois profondément… Donc notre communication n’est pas verbale… Et cela ne suffit toujours pas…
DB : C’est dans les profondeurs de l’individu humain…
K : Nous pouvons examiner tout cela, mais ce n’est pas suffisant. Cette conscience peut-elle donc être complètement vide ? Ce qui signifie qu’il n’y a rien à l’intérieur ?
DB : Mais cela inclut toujours une prise de conscience de l’environnement ?
K : Oui, bien sûr ! Est-ce que c’est possible ? Et puis il y a cette “qualité” qui n’existait pas dans la conscience, ni dans la concentration… L’attention a en elle-même cette qualité d’Amour.
DB : Oui…
K : Et ce n’est toujours pas assez. Cette conscience peut-elle être totalement vide ? Et donc, c’est une conscience qui est totalement différente ?
DB : Alors pourquoi l’appelez-vous conscience ?
K : C’est justement ça ! Nous avons dit que la conscience – telle que nous la connaissons maintenant – est son contenu : le mouvement large ou étroit de la pensée. Dans le vide, il n’y a pas le moindre mouvement – mais celui-ci a son propre mouvement qui peut opérer dans le champ de la réalité…
DB : Nous devrons clarifier ce qu’est cet autre mouvement.
K : Le mouvement que nous connaissons maintenant est le temps… Pouvons-nous utiliser le terme vide dans le sens où une tasse est vide ?
DB : Cela impliquera qu’il peut y avoir du contenu…
K : Non, ce n’est pas ça. Donc, repartons à partir du vide – il a un mouvement qui n’est pas celui de la pensée, qui n’est pas un mouvement du temps.
DB : Il me vient à l’esprit au sujet du temps, c’est que lorsque la pensée arrive à une contradiction, elle saute à une autre pensée et ce saut est le temps.
K : Exact !
DB : Il me semble que l’essence même du temps psychologique est la contradiction…
K : La contradiction, je vois… Monsieur, nous demandons : y a-t-il une énergie qui n’est pas contradictoire, qui ne saute pas d’un schéma à l’autre ; un mouvement qui n’est pas lié à cette énergie du temps ?
DB : Oui… Clarifions un autre point : cette énergie se révèle dans le monde du temps. Est-ce bien cela ?
K : Pourriez-vous répéter ?
DB : C’est un point de vue que j’ai entendu : l’énergie n’existe pas dans le temps, mais elle se manifeste dans le temps, ou se révèle…
K : A-ha.. ! Je dis la même chose, mais en d’autres termes…
DB : Oui… Je veux dire, plusieurs personnes différentes l’ont dit comme certains anciens Indiens d’Amérique…
K : Oui, oui ! Et en Inde aussi, ils disent qu’elle se manifeste dans le domaine de la réalité…
DB : Ce point de vue est-il acceptable pour vous ?
K : Examinons le ! Sommes-nous en train de dire que l’être humain qui recherche la vérité peut fonctionner dans le champ de la réalité et que, par conséquent, ses perceptions ne sont jamais faussées.
DB : Oui, mais les autres personnes qui le regardent l’appellent une manifestation…
K : Oui, l’avatar – un mot sanskrit… Maintenant, est-ce juste ? Est-ce que ce serait vrai ? C’est-à-dire qu’en tant qu’être humain, vous percevez la vérité et vous la manifestez dans le champ de la réalité. Par conséquent, cette manifestation est le fonctionnement d’une Intelligence qui ne peut jamais être déformée… Puis-je poser une question : pourquoi la Vérité devrait-elle opérer dans le champ de la réalité ?
DB : Eh bien, cette question était au fond de mon esprit…
K : (riant) Je vous ai attrapé ! Pourquoi devrait-elle opérer dans le domaine de la réalité ?
DB : Disons simplement que les gens l’acceptent généralement – peut-être elle ne…
K : C’est ça ! Pourquoi devrions-nous tenir pour acquis qu’elle opérera ?
DB : Nous considérons que cela va de soi car nous espérons en retirer quelque chose – pour nous garder en ordre (les deux rient).
K : Avoir une série d’espoirs… Maintenant je saisis enfin : nous l’avons accepté comme faisant partie de notre tradition, comme faisant partie de notre espoir et de notre désir que l’homme qui perçoit la vérité puisse opérer et opère effectivement dans le domaine de la réalité. Et vous et moi venons et disons : pourquoi le devrait-il ?
DB : Eh bien, peut-être qu’il ne devrait pas…
K : Il ne devrait pas ! Je pense que ce serait plus vrai – la réalité plutôt que le désir qui crée la réalité…
DB : Oui, alors peut-être devrons-nous changer cela : cet homme opère dans la réalité. Accepteriez-vous cela ?
K : Bien sûr ! Mais il y a un danger en cela : en supposant que dans l’homme il y a le Principe le plus élevé qui opère… J’en doute ! Nous nous demandons donc : pourquoi la Vérité devrait-elle entrer dans le champ de la réalité ? Pourquoi le Principe Suprême devrait-il se manifester dans le champ de la réalité ? Nous voulons qu’il fonctionne… alors nous nous accrochons à cette idée.
DB : Oui, parce que nous voulons un sens plus profond de l’ordre…
K : Mais si nous ne nous y accrochons pas, comment celui qui vit dans le monde de la réalité peut-il y mettre de l’ordre ?
DB : Mais alors, vivez-vous dans le champ de la réalité ?
K : Je suppose qu’un être humain vivant dans ce désordre, le voit et dit : Comment puis-je y mettre de l’ordre ?
DB : Eh bien, il découle presque de ce que vous dites que cela ne peut pas se faire !
K : C’est justement ça ! Dans le monde de la réalité, la pensée ne peut pas y apporter de l’ordre…
DB : Non, parce que la pensée elle-même est désordre…
K : Alors les gens disent : éloigner vous de ça, rejoignez un monastère ou une communauté égalitaire…
DB : Eh bien, tout cela est relatif car il me semble que la réalité créée par la pensée est réelle mais qu’elle est fausse…
K : Tout à fait, tout à fait …
DB : Et donc, comme nous l’avons dit, la vérité ne peut pas fonctionner dans le faux…
K : Oui, mais vous suivez, monsieur ? Je suis faux ! Parce que la pensée psychologique a créé cette fausse entité égocentrique…
DB : Oui…
K : Et comment la Vérité peut-elle fonctionner dans le faux ?
DB : Eh bien, elle ne le fait pas…
K : De toute évidence elle ne le peut pas ! Et pourtant, peut-il y avoir de l’ordre dans le domaine de la pensée ? Parce que c’est ce dont nous avons besoin : j’ai besoin de ça…
DB : Nous pouvons avoir un certain ordre relatif…
K : Vous dites donc que cet ordre est relatif ?
DB : Oui…
K : Mais il y a l’ordre de la vérité qui est ordre suprême…
DB : Mais nous avons dit que cela ne pouvait pas être trouvé dans le domaine de la réalité…
K : Oui…
DB : Je veux dire, nous pourrions apporter un ordre relatif dans le domaine de la réalité…
K : Ah, mais ce n’est pas assez bon ! C’est ce que font les politiciens… C’est pourquoi les êtres humains ont introduit l’élément de l’ordre divin et prient pour recevoir la grâce de cet ordre divin qui donnera plus qu’un ordre relatif dans ma vie… Et cela n’est pas assez bon, c’est illogique ! Même verbalement, c’est inacceptable. Mais je veux de l’ordre ici, dans le monde de la réalité, parce que l’ordre signifie sécurité, sûreté, protection… Je dois avoir ça !
DB : Hmm…
K : Et la pensée ne peut pas produire cela. Mais si je n’invente pas Dieu ou une source d’énergie (intelligente) qui aidera l’homme à l’avoir – je ne l’accepte pas ! Mais j’ai besoin d’un ordre absolu ici ! Pourquoi ne peut-on pas l’avoir sans invoquer ou chercher la vérité ?
DB : Eh bien, abordons ce sujet, car ce qui détermine (le sens de) la réalité c’est la pensée… Et la pensée est contradictoire, alors qu’est-ce qui la rendra non contradictoire ? Je ne vois pas comment on peut aboutir à ce que l’on vise… Maintenant, essayons de regarder ceci : nous voyons que le monde entier est presque complètement dans le désordre… Les gens ont essayé de mettre un peu d’ordre par d’innombrables façons, mais tant que le monde sera gouverné par la pensée, le désordre continuera…
K : J’accepte cela, parce que vous avez tout expliqué de manière rationnelle, la pensée elle-même dit : je serai ordonnée, je sais comment je saute d’un schéma à l’autre, mais je serai très vigilante ! Et cette vigilance auto-rappellée sera ordonnée sans introduire des acteurs extérieurs…
DB : Vous pensez donc que c’est possible ?
Dr P : S’agit-il d’une autre forme de conscience ?
K : Non, monsieur : la pensée dit j’ai créé tout ce bazar… Et elle se rend compte qu’elle ne peut rien y faire. Elle s’abstient donc de continuer ainsi : je serai donc intelligent ! Cela peut-il arriver ?
DB : Eh bien, il faut l’examiner. Qu’est-ce qui dans la pensée le permettra ? Cela implique que la pensée est en quelque sorte non mécanique ?
K : (Rires…) Je sais, je sais….
Dr P : Je pense que la pensée a en elle-même des éléments qui ne sont pas mécaniques !
K : Quoi ? La pensée n’est pas mécanique ?
Dr P : Il y a certaines parties qui ne sont pas mécaniquement mortes… Donc, elles peuvent produire un certain ordre en elles-mêmes sans faire appel à la vérité…
K : Donc, vous dites que la pensée a des parties qui sont saines et nous disons qu’il n’y a pas de pensée saine !
Dr P : Vous utilisez les termes réalité et pensée. Dans le domaine de la réalité, il existe des sources…
K : Dans le domaine de la réalité, la souffrance dit : plus jamais ça.
Dr P : C’est exact…
K : Examinons cela : la souffrance qui est provoquée par la pensée, ce sentiment de souffrance intense dit plus jamais. Mais ce plus jamais est l’action de la pensée ! Donc, vous êtes toujours dans le champ de la contradiction… Donc, si vous avez dit que tous les êtres humains doivent être nourris – sans créer de tyrannie, c’est évidemment de l’ordre …
DB : Oui, mais ce n’est qu’un espoir !
K : (Rires) C’est ça !
DB : Je veux dire, cela a été réalisé à certains moments …
K : Mais pas sans imposer une autorité centrale ! Les Incas avaient un système merveilleux, mais l’autorité était là… Je ne veux pas de ce genre d’ordre, dit mon intelligence ordonnée : Nous sommes passés par là ! C’est pourquoi vous introduisez l’ordre de la vérité – qui peut ou non exister. Vous dites que la vérité peut venir dans le champ de la réalité et quelqu’un d’autre dit : la vérité n’a rien à voir avec le champ de la réalité, donc, je suis coincé avec elle. Alors je dis au diable la vérité ! Si elle ne peut pas fonctionner et mettre de l’ordre ici… alors à quoi ça sert ? Donc, nous rejettons, maintenant, le point de départ de l’enquête à savoir si la vérité a ou non un rapport avec le champ de la réalité…
DB : Je pense que nous avons exploré cette affirmation et vu ses contradictions, et que nous l’avons donc abandonnée.
Dr P : Dites-vous que dans le domaine de la réalité, il n’y a pas suffisamment de sources pour y parvenir ?
K : Peut-être ! Je ne sais pas … il se peut que dans le domaine de la réalité, la pensée elle-même voit qu’elle ne peut plus agir ?
DB : Mais cela implique que la pensée a la possibilité de ne pas être entièrement mécanique ?
K : Je n’accepte pas cette affirmation selon laquelle le processus de pensée n’est pas mécanique.
DB : Alors comment ce mécanisme va-t-il voir cela ?
K : Est-ce que l’ordinateur voit les erreurs qu’il fait ?
DB : Non, mais alors vous pouvez faire un ordinateur qui prendra en compte toutes ces erreurs …
K : De même, la pensée peut-elle voir qu’elle a fait une erreur ?
DB : C’est possible, mais nous devons introduire de nouveaux éléments comme la conscience…
K : Il n’y a pas de solution pour l’ordre absolu dans le domaine de la réalité…
DB : Maintenant, si la pensée suppose qu’elle est la seule énergie, alors elle doit arriver à cette position : je m’abstiens d’opérer …
K : Ou bien quelque chose d’autre devrait se passer…
DB : Qu’est-ce que c’est ?
K : Je vois que la pensée apporte son propre désordre… Je vois le danger de cela ! Alors, quand il y a perception du danger réel, la pensée n’agit pas ! La perception du danger est un choc pour la pensée !
DB : Hmm…
K : Ainsi, la pensée se retient – et dans cette retenue de la pensée se trouve l’ordre.
DB : Correct…
K : Formulons le ainsi : nous allons à Gstaad pour voir toutes ces merveilleuses montagnes …
DB : Oui…
K : Et votre pensée est partie… Cette beauté chasse tout le mouvement de la pensée… Et donc il en est de même lorsque la pensée voit l’énorme danger…
DB : C’est avec l’aide de l’attention et de la conscience, mais la pensée le voit-elle ?
K : La pensée le voit. Comme quand je vois une voiture qui se précipite vers moi, je saute au loin. Ce saut au loin est l’ordre.
DB : Oui, mais vous voyez, la perception du danger peut ne pas être maintenue…
K : Ou alors on ne voit pas du tout le danger ! Quand la pensée ne voit pas le danger du nationalisme – la plupart d’entre nous sommes névrosés – je veux dire, quand vous avez eu dix guerres et que vous continuez à les répéter, c’est un mouvement névrosé !
DB : Oui, mais c’est une partie du problème que la pensée émousse la perception… ou empêche la perception de fonctionner…
K : Ou… est-ce parce que je suis conditionné ?
DB : Je suis conditionné pour faire cela…
K : Maintenant, vous venez et m’apprenez à voir le danger de tout cela … Et comme vous m’apprenez, je vois le danger et je le ferai ! Alors, pourquoi la Vérité devrait-elle entrer dans le champ de la réalité ?
DB : Mais alors, que fait la Vérité – quelle est son action ?
K : Quelle est sa fonction, que fait-elle, quelle est sa valeur – pas dans le sens de marchandises ou d’outils ? Vous voyez, la Vérité est l’intelligence suprême – comme nous l’avons dit. Et nous nous demandons si cette Intelligence (de la Vérité) peut fonctionner dans le domaine de la réalité. Si c’est le cas, alors elle peut apporter un ordre absolu. Et nous disons que la Vérité n’est pas quelque chose à atteindre, à gagner ou à percevoir par l’éducation, par la culture – par le biais de la pensée… N’est-ce pas, monsieur ?
DB : Oui, mais quand vous dites que la Vérité n’opère pas dans le domaine de la réalité, cela devient ambigu…
K : La vérité ne peut pas entrer dans le champ de la réalité…
DB : Je ne sais pas si cela peut aider : nous avons dit que comprendre signifie se tenir sous (understand). Donc, quand nous disons que nous comprenons quelque chose – j’utilise une métaphore – la vérité se tient sous la pensée – c’est la substance de la réalité…
K : La vérité est sous la réalité… ?
DB : Je ne sais pas où se trouve la vérité, mais dans l’acte de compréhension, l’action est sous la réalité, plutôt que dans le champ de la réalité.
K : La réalité est une manifestation de la pensée, et la vérité se tient sous la réalité de la pensée… Quelle heure est-il ?
DB : Il est six heures.
K : Oh ! On arrive à quelque chose ! Monsieur, quel est le rapport entre le bien et le mal ?
DB : Aucun ?
K : C’est vrai ! Alors pourquoi voudrions-nous que le Bien opère sur le mal – le modifier, le changer ?
DB : Serait-il juste de dire que le Bien dissout le mal ?
K : C’est la même chose – fonctionne, dissout… Le Bien a-t-il un rapport avec le mal ? Alors il peut faire quelque chose. Mais s’il n’a pas de relation, il ne peut rien faire !
DB : Mais alors nous pouvons nous poser la question : qu’est-ce qui mettra fin au mal ?
K : Je ne crois pas que cela puisse prendre fin… Le mal étant créé par l’homme…
DB : Par sa pensée ?
K : Par sa pensée et tout le reste… Donc, vous revenez à la même question : quand la pensée s’arrête !
DB : Oui…
Dr P : La bonté a-t-elle un impact sur la pensée ?
K : Ahh … nous avons dit que le bien n’a pas de rapport avec la pensée ! La bonté n’a pas de rapport avec le mal. Si elle a une relation, alors c’est un opposé et tous les opposés sont liés les uns aux autres ! Le mal continuera donc jusqu’à ce que l’on voie la contradiction (intrinsèque) de la pensée… Pour montrer à l’homme que la pensée ne peut jamais résoudre ses problèmes. N’est-ce pas, Monsieur ?
DB : Oui. Ou vous pourriez le dire comme ceci : tant que la pensée est en cours, il n’y a aucune possibilité de résoudre ses problèmes…
K : Tant que la pensée – qui est le temps – continue, le mal continuera, la misère continuera… C’est une énorme révélation pour moi quand vous dites cela. Pour moi, la pensée était extrêmement importante et lorsque j’entends une déclaration comme celle-là…
DB : Oui, car on peut se dire : que vais-je faire sans cela ?
K : Exactement ! C’est une formidable révélation : j’écoute et je vis dans cette révélation et il n’y a pas d’action…
DB : Et c’est ce mouvement qui est au-delà de l’attention ?
K : Au-delà de l’attention… Parce que j’ai fait attention à lui, je l’ai écouté, il m’a montré et je suis plein de cette déclaration extraordinaire. Je ne sais pas comment je vais fonctionner, je ne sais pas comment je vais vivre, mais j’ai vu cette chose ! Et elle fonctionnera, elle fera quelque chose – mais je n’ai rien à faire. Parce qu’avant, j’étais habitué à faire quelque chose – et il dit : Ne le faites pas ! – Oui, monsieur, tout à fait ! Faire du mal à quelqu’un est mal – c’est un exemple – dans le sens profond du terme, faire du mal à quelqu’un psychologiquement est mal ! Et je le reçois sans aucune résistance – la résistance, c’est la pensée. C’est entrée dans mon ventre, dans mon esprit, dans tout mon être et ça opère !
DB : Hmm…
K : Ça fonctionne, ça bouge, elle a son propre mouvement… la vérité a sa propre vitalité !
DB : Oui….
K : C’est une mauvaise question pour moi de demander : « Quelle place a la Vérité dans le monde de la réalité ? »
DB : Le fait est que nous avons dû la mettre en avant et voir qu’elle est erronée, et pas seulement nier la question …
K : Je pense que c’est suffisant… Peut-on se lever ?