Gabriel Monod-Herzen
L’éducation psychologique

La première chose qu’on m’a enseignée à Pondichéry, c’est de tâcher d’oublier « j’aime » ou « je n’aime pas », en ce qui concerne aussi bien les gens que les actes de la vie. Ce n’est pas cela qui doit déterminer notre décision. Il s’agit de faire les choses aussi parfaitement que possible et alors, elles pourront nous donner de grandes joies. S’il y a des obstacles, on en tient compte, mais cela ne sert à rien d’avoir des réactions qui généralement nous laissent démunis. Il y a des êtres, j’en ai vus en Inde et aussi en Europe, qui ne sont pas des ascètes, qui ne vivent pas retirés du monde extérieur et qui arrivent vraiment à suivre leurs aspirations intérieures avec constance et fidélité.

(Revue Panharmonie. No 175. Janvier 1979)

Le titre est de 3e Millénaire

Compte rendu de la rencontre du 4.10.1978

Cette saison nous parlerons d’éducation psychologique. Il est vrai qu’avec un homme aussi sage et ayant acquis une grande expérience dans tous les domaines, quel que soit le sujet choisi dans ses Groupes, Gabriel Monod-Herzen est amené à aborder les sujets les plus variés selon les questions qui lui sont posées, leurs ramifications englobant de vastes domaines.

L’éducation psychologique a été très négligée en occident où l’éducation physique bénéficie de soins tout à fait particuliers. Il s’agit donc de combler cette lacune, cause d’un rétrécissement de notre conscience.

« Nous sommes, dit un Maître Tibétain, encombrés par des souvenirs, par des expériences passées, par nos désirs d’expériences futures. Or le passé est passé, donc n’est plus et le futur, lui non plus, n’existe pas encore. C’est donc au présent qu’il faut penser, en essayant de nettoyer, de balayer; et surtout d’oublier. » Et tous ces désirs, ces souvenirs qui nous encombrent, forment notre égo. Fait complètement artificiel qui ne fait pas partie du Soi profond, empêché de se manifester à cause de notre encombrement intérieur. Si nous avions dans la vie une attitude différente, aussi bien nos souvenirs que nos désirs le seraient aussi.

Alors comment faire de la place chez soi et comment faire pour que nos aspirations réelles puissent s’exprimer ? C’est ce que nous allons découvrir ensemble pendant les huit rencontres de cette saison d’étude que je vous demanderais de suivre régulièrement si nous voulons atteindre des solutions pratiques, car elles présentent une continuité, nous dit M. Monod-Herzen. Mon but est éminemment pratique, ce qui m’intéresse c’est le côté éducation permanente.

Le résultat d’une bonne orientation donne presque toujours un sentiment de bonheur, parce qu’on se rend compte qu’on a pris une direction permettant l’expression nouvelle de quelque chose qui s’est enfermé dans notre égo. Nous avons chacun une petite construction intérieure à travers laquelle filtrent nos relations. Si nous pouvions ne pas l’avoir, nous aurions entre nous une communication directe, vraie, non interprétée. Ce serait merveilleux et c’est tout à fait possible ! J’ai moi-même rencontré des êtres avec lesquels cela se produisait. L’important serait de commencer avec les enfants. C’est ce que nous avons fait à l’Ashram. Cela a donné des résultats admirables et a amené à une certaine forme d’ouverture de l’esprit. Oui, il y a un moyen de se connaître, de se comprendre beaucoup mieux et d’en tirer un avantage immédiat. Il s’agit de supprimer la vitre colorée entre soi-même et ce qu’on regarde. Il y a, à ce sujet, une petite parabole bouddhiste : il s’agit d’un homme qui avait entendu tout au début, parler du Bouddha et de ses quelques disciples. Emerveillé par cet être qui avait eu la révélation de la Vérité, il dit au Bouddha : « Vos disciples sont tous extraordinaires, ils sont arrivés à des choses merveilleuses ! » Et le Bouddha de répondre : « Oui, tous mes disciples sont comme des pierres précieuses il y a des rubis, des saphirs, des émeraudes, des topazes, mais il n’y a qu’un seul diamant que la lumière traverse sans être colorée ! » C’est cela ! Nous sommes des pierres, nous le resterons avec nos difficultés, mais il faut essayer de les colorer le moins possible par ce qui vient de l’extérieur.

La première chose qu’on m’a enseignée à Pondichéry, c’est de tâcher d’oublier « j’aime » ou « je n’aime pas », en ce qui concerne aussi bien les gens que les actes de la vie. Ce n’est pas cela qui doit déterminer notre décision. Il s’agit de faire les choses aussi parfaitement que possible et alors, elles pourront nous donner de grandes joies. S’il y a des obstacles, on en tient compte, mais cela ne sert à rien d’avoir des réactions qui généralement nous laissent démunis. Il y a des êtres, j’en ai vus en Inde et aussi en Europe, qui ne sont pas des ascètes, qui ne vivent pas retirés du monde extérieur et qui arrivent vraiment à suivre leurs aspirations intérieures avec constance et fidélité. L’ascétisme peut être une fuite. Il a correspondu à certaines natures à certaines époques. Les couvents du Moyen Age et de la Renaissance ont été des centres de culture quelquefois très importants Je crois qu’actuellement nos besoins sont autres et se situent dans le domaine social.

Le professeur ayant demandé l’avis des participants au sujet du thème à analyser aujourd’hui, François Catala suggère : « Comment arriver à percevoir ce qui nous donne une coloration particulière, ce qui nous déforme, comment en prendre conscience et comment y remédier ? »

M. Monod-Herzen : Il faut d’abord prendre conscience et la volonté de voir clairement ce que nous avons en nous-mêmes, aussi objectivement que possible. C’est en Inde le but de la méditation. Prenez-la sous sa forme élémentaire de réflexion quotidienne. Ce n’est pas joli ce que l’on voit en soi-même, mais c’est utile. Il s’agit de déceler ce qui maintenant, actuellement, nous préoccupe. Tout est important que ce soit une petite question ou une grande. Puis on recherche la raison de cette préoccupation, pourquoi tient-elle une telle place en moi ? Et vous verrez qu’elle se rapporte à des souvenirs de choses semblables du passé, agréables ou désagréables, donc à des désirs ou à des craintes pour l’avenir. A ce moment-là reconnaissez que le passé est passé. Vous avez le droit de vous en souvenir, mais pas le droit de prétendre que c’est actuel. Il en est de même pour nos désirs dans l’avenir. On peut voir ce qu’on peut réaliser ou éviter, mais c’est nous qui venons de le créer et nous ne devons pas permettre que cela influe sur notre état présent. Si vous faites cela vous serez étonné de voir comment les choses perdent de leur acuité à la fois dans le bon sens et dans le mauvais.

C’est parfaitement juste, comme le disent les Bouddhistes, que le monde est une illusion. Nous vivons dans les illusions que nous fabriquons.

Dès que l’on commence à agir ainsi on en a le bénéfice. Ce petit bonheur qu’alors on ressent est un merveilleux encouragement pour la suite.

Ne nous appesantissons pas trop sur les choses que nous ratons, on ne parle en général que du mauvais karma, mais il y en a un bon également. Il y a des gens qui ont fait des choses admirables dans des vies antérieures; dont le résultat se voit dans celle-ci. Pourquoi penser toujours au mal, comment se fait-il que nous soyons tellement polarisés sur lui ? Parce que cela est en nous dans l’état intérieur de notre subconscient. Sans faire de romans à l’eau de rose on a tout de même le droit de se rappeler des choses bonnes et belles. Devant toute cette inondation d’événements douloureux, les films qui passent à la télévision, la violence, se cache un état intérieur qui nous a conduit à ce que nous vivons actuellement au Liban et dans d’autres pays : l’affrontement, la stratégie, nous voyons la vie sous une forme de guerre.

La solution est de se rendre compte qu’il n’y a pas d’opposition, mais que les choses sont complémentaires, c’est-à-dire des attitudes ou des faits qui, par leur réunion, vont pouvoir créer un être nouveau, une attitude nouvelle qui formera une unité et qui, par conséquent, va dominer et faire disparaître ce qui nous semblait être en opposition.

Parlant du tantrisme : On a reproché au tantrisme cette manière de voir et de parler tout le temps de questions sexuelles. Et pourtant les enfants sont faits comme cela. Il en est de même dans tous les domaines physiques, psychologiques ou affectifs. Il y a toujours une inspiration, un instrument et une matière qu’il faudra transformer. Au lieu d’avoir deux armées qui s’affrontent, vous apercevez que vous avez devant vous une grande armée qui veut construire quelque chose, précisément parce que, en apparence, il y a des qualités opposées. Elles vont se compléter et accomplir quelque chose de neuf que justement vous cherchiez !

Une participante propose de voir comment on peut remédier aux oublis psychologiques profonds et comment l’enfant peut prendre conscience de sa structure psychique dans ses deux fonctions fondamentales, masculin-féminin, positif-négatif, etc., afin de pouvoir se développer réellement.

M. Monod-Herzen : J’aimerais mieux commencer par ces choses élémentaires plus simples : vous pouvez toute la journée vous dire : « Je ne peux pas, je n’admets pas » ou, au contraire « j’adore » et découvrir combien ces réactions sont pour la plupart, artificielles. Quand on est capable de se regarder et de réagir : « Non, j’ai autre chose à faire », alors on peut aborder les problèmes dont vous parlez, qui sont beaucoup plus difficiles et qui ne peuvent se résoudre que par des techniques d’analyses psychologiques. J’aimerais mieux faire le moins de théorie possible et montrer des choses applicables que vous pourrez faire pendant tout le mois et, lorsque nous nous reverrons, vous nous direz ce que vous avez pu constater. C’est sur les soi-disants petites choses qu’on acquiert la force d’aborder les grandes. Demandez-vous : « Pourquoi est-ce que je n’aime pas ceci ? Et bien je n’aime pas ceci parce que une fois… » Lorsque vous avez compris que la raison se situe dans le passé, rendez-la au passé en en gardant la leçon. Les moines bouddhistes Zen répètent tout le temps : « Ici et maintenant ! » En vous rendant compte d’où vient votre réaction, vous vous sentirez libéré et devant une richesse qui est le souvenir véritable dont vous pourrez vous servir efficacement pour le futur. Cela ne vous prive pas de votre expérience, mais cela la purifie de tout ce que vous lui avez ajouté de faux. Il ne faut ni vous crisper, ni tomber dans l’indifférence, assumer les faits avec lucidité. Vous vous trouverez alors en possession d’une énergie intérieure que vous ne gaspillerez plus. C’est le commencement de la maîtrise, c’est le moyen de bien gérer votre capital. Même an point de vue sportif cela donne une facilité de mouvement et d’adaptation aux circonstances du jeu.

Nous sommes dans une société de consommation et les gens qui veulent la combattre demandent tout le temps à consommer davantage. Ils sont en contradiction avec eux-mêmes et par conséquent leur vie ne peut pas réussir. Nous avons le droit d’avoir tout ce qui peut contribuer à notre développement intérieur, c’est fondamental.

Une participante : C’est peut-être parce que les gens n’ont plus conscience de leurs valeurs intérieures et qu’ils s’identifient aux choses matérielles. Ils ont l’impression que ce sont elles et le luxe qui leur donne de la valeur.

M. Monod-Herzen : On les éduque comme cela, on les pousse vers une illusion considérable : notre valeur n’est pas dans ce que nous paraissons extérieurement, mais dans ce que nous devenons. Nous sommes fiers de choses qui sont purement extérieures. Laissons faire les gens, il faut les respecter même dans leurs faiblesses.

Dans l’exercice d’une fonction vous avez à tenir compte des gens avec lesquels vous êtes en contact. S’ils attendent de vous que vous arriviez vêtus de soie, il faut le faire. Je trouve parfaitement déplacé et faux de dire la messe en costume civil. C’est une question de respect pour les autres.

Réponse à une question : Les réactions sont presque toujours des réactions d’opposition. Mais elles peuvent aussi être bienveillantes et d’encouragement. Supposez que vous êtes amené à cause de n’importe quoi à dire « non » à une personne. Si vous le dites aimablement, c’est toujours « non », mais vous obtenez beaucoup moins de réactions. Vous désarmez votre interlocuteur qui reviendra vous trouver sans s’attendre à quelque chose de désagréable. Evidemment c’est un effort à faire sur vous-même. Vous ne pouvez pas changer les autres, vous ne pouvez changer que votre attitude à leur égard. Agissez de même à votre égard. Ne vous considérez pas comme un grand coupable, ni comme un être merveilleux, n’y pensez pas. L’important est de savoir quelles sont en vous les choses à éliminez et lesquelles vous devez construire par-dessus.

Une participante : Je crois que c’est un chemin très difficile, parce que dès l’enfance on vous inculque cette notion de bien et de mal.

M. Monod-Herzen : Si j’ai fait exprès quelque chose de défendu, je reconnais volontiers que c’est mal, non pas la chose que j’ai faite, mais l’intention que j’ai eue. Si je l’ai fait par ignorance, je ne suis pas coupable, c’est regrettable, mais ce n’est pas mal. Quant au bien? Observez les cas où nous le faisons pour nous donner une satisfaction à nous-mêmes C’est l’égo qui se gonfle

Quel est le critère du bien et du mal ? La réponse m’a été donnée par un bouddhiste : si nous pensons que nous avons des vies successives, le mal c’est tout ce qui peut avoir des conséquences douloureuses dans cette vie ou dans une autre. Le bien c’est tout ce qui peut avoir des conséquences heureuses. Ne limitez pas votre vie à celle-ci. Nous ne pouvons donc pas juger de ces choses, ignorant quand viendra l’échéance. Et ne nous occupons pas tellement de cela, il faut faire ce que nous sentons devoir faire.

Sur le karma : Il ne faut pas voir le karma comme un objet qui a une forme bien établie. C’est disons une certaine quantité d’énergie qui doit se manifester. On ne peut pas la détruire. C’est comme une loi naturelle : vous avez fait quelque chose, les conséquences sont inévitables. Mais vous pouvez aménager la façon dont vous « l’épuisez ». On peut de même aménager la joie, vous pouvez la mettre à profit pour rayonner vers d’autres Dans ce cas vous créerez un bon karma, vous avez créé un bonheur possible qui va se propager. C’est pour cela qu’il y a des Maîtres Spirituels. Le Bodhisattva, au seuil du Nirvana, choisit de rester dans le monde et de partager avec les autres l’expérience qu’il a faite. Vouloir faire des progrès pour soi est encore de l’égoïsme. Le faire pour être plus utile, pour manifester, pour rayonner davantage, ça, c’est excellent. Le grand danger, c’est « l’égo spirituel » même chez des êtres absolument sincères, parfaitement désintéressés et souvent remarquables par certains côtés.

Compte rendu de la rencontre du 8.11.1978

Conformément à ce qui avait été décidé, les participants rendent compte de leurs expériences. L’un a remarqué qu’il se dépêchait dans ce qu’il faisait pour pouvoir le plus vite possible passer à autre chose. Les conséquences en étaient la fatigue, une tension nerveuse et un travail mal fait. En ayant pris conscience, tout naturellement et sans effort, il s’est efforcé d’être présent à ce qu’il faisait et il s’est aperçu que finalement cela allait aussi vite et éliminait la fatigue.

Une participante a compris la nécessité de développer sa vigilance et de centrer ses pensées sur ce qu’elle faisait.

M. Monod-Herzen : L’attention est la clé de tout ce qui suit. C’est tellement vrai qu’il y a une méthode pour développer l’attention chez les enfants, à la suite de laquelle on s’est aperçu que des enfants que l’on croyait intelligents ne l’étaient pas et que d’autres que l’on ne croyait pas intelligents, l’étaient.

Un participant : se demandait pourquoi certains actes sont manqués et il s’est aperçu que chaque fois qu’il agissait de travers, cela était dû à un décalage de son être parce qu’il agissait avant de ressentir la chose.

Une autre participante : avoue que lorsqu’un contexte nouveau lui déplaît, elle se réfugie dans ses rêves. Tandis que lorsque cela lui plaît elle se sent parfaitement à l’aise. Il faut, dit-elle, toujours prendre conscience de ce qu’on ressent.

M. Monod-Herzen : C’est un manque d’unité extrêmement gênant.

Un autre participant essaye d’appliquer à son travail une prise de conscience plus grande. Il a remarqué qu’un changement se produisait, mais se demande si ceci provient de cela.

M. Monod-Herzen : Si la prise de conscience n’y était pas pour grand-chose, vous n’en seriez pas conscient ! En ce qui me concerne, personnellement, je me suis rendu compte que souvent quand je devais faire quelque-chose, je me trouvais toutes les excuses pour en retarder l’exécution. Et je me suis aperçu que quatre fois sur cinq que la raison en était que j’avais fait dans le passé une expérience ou très agréable ou très désagréable qui était plus ou moins évoquée au moment où je devais agir.

Et M. Monod-Herzen cite l’exemple de gâteaux qu’il avait autrefois eu plaisir à manger, mais que maintenant, ayant un régime le lui interdisant, il avait beaucoup de mal à ne pas céder à la tentation !

J’ai voulu, dit-il, trouver une explication chez de bons auteurs. Les Bouddhistes disent que nous avons en nous un véritable magasin de brocanteur avec sur différents rayons des souvenirs plus ou moins bien étiquetés et sur d’autres, des projets d’avenir. Ce qu’il y a de terrible c’est que ces objets ont une action dynamique et qu’ils agissent sur nous à propos de n’importe quelle question extérieure. « Et votre grande illusion disait le Bouddhiste, c’est de croire que vous avez une personnalité et que c’est vous qui agissez, quand, en réalité, c’est l’impulsion d’une image passée ou d’un projet futur qui vous fait marcher. » Nous ne sommes presque jamais nous-mêmes, nous sommes un peu l’image du passé ou de l’avenir que nous imaginons. Et comme le disait également ce Bouddhiste nous possédons nous, Européens, une excellente formule, celle de « lâcher prise ». Lâcher prise pour se défendre avant des exercices physiques, lâcher prise avec le passé, mais sans violence, tout naturellement. Ces souvenirs constituent bien sûr une richesse. A nous de bien les utiliser au lieu de nous laisser utiliser par eux, sans quoi nous serions complètement investis par notre passé et nous en oublierions le présent qui est le seul moment qui nous permette de « choisir ici et maintenant ».

Que j’aime ou que je n’aime pas importe peu, le choix doit se faire indépendamment. Mais dans ce cas, qui est-ce qui prend la décision ?

Une participante : Comment savoir si c’est le « moi » ou si c’est « l’être » ?

M. Monod-Herzen : Cela se trouve très bien dit dans la Bhagavad Gîta. Ce que nous appelons notre personnalité a trois aspects différents : notre être physique, nos réactions affectives et nos réactions mentales. Elles correspondent vaguement à trois régions du corps : la partie matérielle que les Indiens appellent le domaine de la réalisation, la partie du cœur et la partie cérébrale qui est la plus élevée. Elle est là pour nous faire déterminer notre mode d’action. Il y a la pensée, la parole et l’action. Le mental n’est pas fait pour nous faire découvrir la Vérité, ça c’est autre chose. Souvent en se réveillant on trouve la solution d’un problème qu’on n’arrivait pas à résoudre la veille. Ce qui n’empêche qu’on a parfois du mal à le justifier. Or pendant le sommeil le mental est au repos. La Vérité est trouvée par intuition directe, encore faut-il que le travail du mental ait préparé la maison pour recevoir cet invité, qu’il trouve la possibilité de se manifester. La première chose à faire, c’est de désencombrer le mental du passé et de l’avenir.

L’intuition fait partie de nos possibilités, seulement nous l’utilisons mal et peu. Souvent nous la passons par un crible; par des vitres colorées. Il faut la laisser venir et avoir confiance. Elle nous donne une certaine forme de Vérité. Son origine est notre « Je » dont le « moi » n’est qu’un reflet, un moi d’utilité au-dessus duquel il y a quelque chose qu’on appelle parfois le « Soi ». Pour l’appréhender il faut le calme, le « lâcher prise » qui me semble être le maître-mot d’une première étape.

Un participant : N’y a-t-il pas toujours besoin d’une structure ? Et ce que vous venez de dire n’a-t-il pas un rapport avec les trois inconscients, l’inconscient individuel qui est le passé personnel dans lequel il faut mettre de l’ordre, l’inconscient de l’espèce qui serait précisément cette intuition et l’inconscient universel qui en serait la source ?

M. Monod-Herzen : Je n’en sais rien. Je vous parle autant que possible d’un point de vue expérimental. Il y a plusieurs théories là-dessus, personnellement je n’ai pas fait de choix. Je me contente de balayer la maison pour pouvoir utiliser ce que je peux avoir.

Que l’intuition touche à une partie de nous qui est inconsciente, d’accord. Mais quand je la connais, c’est le moment où elle devient consciente. C’est cela la source d’énergie et de connaissance que nous n’utilisons pas.

« Nous sommes tous liés matériellement à l’univers tout entier, continue-t-il, puis, nous-mêmes, nous avons à prendre nos responsabilités et là nous retrouvons le « moi ». C’est ce qui nous permettra d’aller plus loin dans la mesure où nous acceptons ce cheminement. Si je vois suffisamment loin, je peux, parce que l’intuition n’a pas de limite à ce point de vue là, sentir que « c’est cela qui est à faire » et que la Gîta appelle : « la chose qui est à faire. »

Un participant : Si le passé nous utilise sans que l’on ne s’en rende compte, n’y a-t-il pas une possibilité d’empêcher le passé de s’exprimer, en supprimant les causes qui font qu’il nous utilise ? En prenant l’idée du gâteau sucré qui m’est défendu, si j’en rejette l’idée, ce souvenir va toujours rester sous forme de manque ? Est-ce que le fait de manger pleinement ce gâteau, ne fera pas cesser cette envie ?

M. Monod-Herzen : Vous venez de toucher une question qui est célèbre : n’y a-t-il pas deux façons de vaincre la tentation, celle de lui résister et celle de lui céder : Ni l’une, ni l’autre ne sont bonnes. Si vous refusez d’autorité de manger le gâteau sucré, le souvenir, le passé étant là, si vous n’avez pas lâché prise sur ce passé, il reviendra inévitablement. Si vous cédez et que cela vous donne une bonne crise de diabète, momentanément vous ne recommencerez pas. Seulement vous en avez renforcé le souvenir ayant accepté de courir un certain risque pour le contenter, donc il reviendra certainement.

Il s’établit alors une longue controverse à ce sujet. Puis répondant à l’avis d’un participant, à savoir qu’il faut expérimenter pour faire un choix, M. Monod Herzen répond : Le premier devoir de chacun c’est de se renseigner. Il faut essayer de faire l’expérience dans la mesure du possible ou bien demander l’avis de gens en lesquels on a suffisamment confiance.

Une participante : Si j’ai une décision à prendre et si je ne sais pas ce qui est bon ou mauvais pour moi, comment savoir alors si c’est « l’être » qui m’informe ou si c’est le « moi » qui subrepticement se glisse… oui, c’est très bon…

Un participant : Je crois qu’il y a nécessité d’un certain travail dans ce sens, afin de pouvoir percevoir toutes ces vibrations, toutes ces résonnances.

M. Monod-Herzen : Ce que vous préconisez a un nom : méditation. Quand grâce à des exercices physiques votre corps est à la fois détendu et bien assoupli, vous prenez une position stable et confortable, vous essayez de faire le calme en vous. La première des choses sera de vous rendre compte de tout ce que vous avez en vous-même et qui, à ce moment, remonte à la surface dans votre pensée. Alors de deux choses, l’une, ou bien vous acceptez de dépenser de l’énergie pour ce petit cinéma intérieur, ou bien vous récupérez cette énergie pour en faire ce que vous en voulez. Pour cela il faut du temps et du travail.

Quand on a l’habitude de la méditation, une des premières choses que l’on recherche c’est d’obtenir la détente intérieure. Pour l’assurer il est quelquefois commode de choisir un sujet comme par exemple la respiration. Donc vous méditez, c’est-à-dire vous laissez votre pensée mentale dans un certain cercle dont elle ne sort pas. Lorsqu’on arrive à cela la méditation déteint sur toute la journée. La paix que vous avez eue le matin de façon presque complète pendant cinq ou dix minutes, vous allez l’avoir de façon naturelle dans le reste de la journée. La méditation n’est pas un exercice artificiel, elle remet les choses en place. J’ai connu des êtres qui étaient tout le temps en état de méditation tout en étant extrêmement actifs. La Mère de l’Ashram de Pondichéry était d’une activité remarquable, elle dormait à peu près quatre heures par nuit et le reste du temps elle travaillait sans jamais se presser, sans jamais s’énerver. Quand elle faisait quelque chose, elle le faisait avec tout son être, totalement, avec ce qu’il fallait physiquement, avec le sentiment voulu et la pensée exacte. Ça c’est un état dont on peut dire qu’il est une méditation continuelle. Mais surtout, elle ne le faisait pas exprès.

Dans la méditation permanente, tout l’être est impliqué.

Un exercice classique consiste à entendre des mantras, des sons qui sont chantés ou des cloches, des gongs qui sont frappés à un certain moment et à écouter le prolongement de ce son en suivant sa diminution d’intensité, de faire attention à sa propre réponse intérieure, à se sentir pénétré par le son soi-même, c’est-à-dire de suivre sa sensation aussi loin que possible, même mentalement. Et cela dure, alors que l’oreille n’entend plus rien. C’est l’image de départ de quelque chose de tout à fait naturel d’un état de transmission et d’un passage au-delà.