Patrick Lebail
La dualité et la mort mentale

Dualité : Quand tous les éléments du monde paraissent être séparés, indépendants, en relation chacun avec d’autres, on éprouve que le monde est « duel » : il paraît constitué « d’objets indépendants » (4-82) dans cette optique, c’est la nôtre évidemment : « Objets indépendants » = objets qui ont chacun un être propre.

(Revue Panharmonie. No 173. Septembre 1978)

Le titre est de 3e Millénaire

Compte rendu de la réunion du 28.4.1978

Etude de la Gaudapada-Karika ; versets 4-75 4-100

Nous étudions la fin du texte. Elle comporte en forme de conclusion un rappel des notions dégagées par le Maître.

Commençons par celle-ci :

Dualité : Quand tous les éléments du monde paraissent être séparés, indépendants, en relation chacun avec d’autres, on éprouve que le monde est « duel » : il paraît constitué « d’objets indépendants » (4-82) dans cette optique, c’est la nôtre évidemment : « Objets indépendants » = objets qui ont chacun un être propre.

Le monde de la dualité est « vrai », les lois de la Nature s’y appliquent ainsi que les coutumes sociales, la morale, etc. C’est celui de l’expérience.

Par opposition : la non-dualité est ce qui est « réel » (et non pas seulement « vrai »). C’est ce que le monde a de permanent derrière les changements, de non-différent derrière la différence, d’intemporel derrière la Durée.

Des objets « indépendants » apparaissent à un moment donné, comme conséquence d’un ensemble de « causes » : ils sont produits par des causes. La « causalité », la « production » sont les caractéristiques du monde « vrai », du monde « duel ».

(Dualité)                      (Non-dualité)

(Vérité )          <–>    (Réalité)

(Causalité)                   (Non-causalité)

(Production)                (Non-production)

(Naissance)     <–>    (Non-naissance)

(Mort)                          (Non-mort)

Le milieu mental (le psychisme) est l’ensemble des réactions que nous appelons « expérience ». On peut le considérer comme véhicule ou lien de celle-ci : il est alors « vrai »… mais aussi comme l’origine de cette dernière, c’est-à-dire son arrière-plan ou mieux « ce qu’elle est » en réalité. Il est alors « réel ».

Dans le monde « vrai » de l’expérience, le nôtre, nous trouvons une « vérité » centrale, notre « moi ». Dans le non-monde de la non-expérience, plus profond et où s’enracine le monde, il y a l’aspect réel du « milieu mental » = « Soi ».

Le maître tente de nous faire comprendre cet enseignement en attirant notre attention sur une imperfection de notre mécanisme mental : la croyance en la causalité et par là « l’attachement à ce qui est irréel ». (4-79).

Irréel = « vrai »

Si l’on vient à percevoir intuitivement (subitement ! § 4-81) que cette équation est vérifiée, il y a « illumination ». Les perturbations engendrées en vous par le monde (interne et externe au corps) disparaissent instantanément. Il y a douceur et paix (4-86).

« Le Soi » engendre en lui-même le monde en tant que spectacle ; nul ne peut s’apercevoir aisément que c’est lui qui est là. « Le Seigneur se dissimule volontiers » (4-82).

Le Haut Savoir n’est pas l’aboutissement d’un travail intellectuel, bien que ce dernier soit indispensable. Il est en effet l’effet d’un complet détachement, analogue à celui qu’un adulte comparé à un enfant, peut ressentir spontanément à l’égard de quelque poupée.

Une erreur serait d’imaginer que l’Illumination, le Haut-Savoir, provienne d’une acquisition. Il est immanent en tout être mais dissimulé par les imperfections des organismes. L’ascèse essentielle est « purgative » : c’est une voie de dépouillement.

Elle débouche de « l’équilibre sans naissance » (4-95).

Le Maître conclut en insistant sur la nécessité de ne plus voir de relations entre les choses (4-97). Vivre sur la vie dans sa « vérité », pour sûr : mais « savoir ».

Il nous encourage d’avoir foi dans la perfection de notre nature foncière, en dépit des erreurs innombrables de notre entendement : c’est ce qui doit nous inciter à un effort vers un éclaircissement.

***

Le traité se conclut (4-98, 99) par une déclaration ou les ambiguïtés du sanskrit peuvent désigner aussi bien un Maître védantique que le Bouddha.

Et Gaudapada achève son ouvrage en se prosternant profondément.

Ce remarquable résumé de l’étude de la Gaudapada-Karika entreprise au cours des séminaires chez Patrick Lebail et que celui-ci a bien voulu nous communiquer, montre leur profond intérêt et la portée de leurs enseignements. Il est extrêmement difficile d’en donner un aperçu aussi clair et exhaustif qui postule une vaste connaissance et compréhension des textes que seul notre « animateur » pouvait ainsi exposer.

Nos lecteurs se rendront compte de la valeur de ce « Groupe », ce dont les résumés précédents ne pouvaient témoigner.

« La mort mentale »

Il s’agit de l’élimination d’une partie du psychisme qui non seulement ne nous est pas utile, mais nous dissimule la Réalité : « nous prenons le  Soi pour autre chose ».

Comparaison : « l’état naturel » (Ramana Maharshi) avec « l’état compliqué », le nôtre. Quelle est la différence ? Elle réside dans une structure de désirs au sein de notre psyché. Un désir n’est pas seulement celui qui naît en nous envers quelque objet, c’est aussi et surtout sa source subconsciente, un complexe de désirs.

Une vie débarrassée de ce complexe serait « naturelle » ; celle du « bien-aise » en contraste avec le « malaise » auquel nous sommes si habitués que nous le prenons pour un état « naturel ».

Mais dès lors, quel est le sens de notre vie ? Sans attraits pour rien, ne serait-elle pas insipide ? Et pourquoi en vient-on à se poser de telles questions ? La réponse est facile à trouver : elles sont dues à notre malaise interne nous ne sommes pas du tout rassurés ! Dans « l’état naturel » aucune question ne se poserait…

Plus précisément notre complexe de désirs se manifeste continuellement par notre constante tentation de changer notre situation pour que cette dernière devienne plus agréable. Alors nous nous sentirons plus rassurés, un peu plus loin de la mort. Impossible d’envisager de « ne plus vouloir changer la situation » dans l’état actuel de nos réflexes. Un autre éclairage est nécessaire.

Discernons les deux sortes de désir :

— désir centripète, d’éprouver ;

— désir centrifuge, d’agir.

Pour nous, « vivre c’est éprouver » ! C’est aussi agir. Le point commun, le centre du complexe, est le besoin de conforter notre « moi » : le moi, c’est le foyer des désirs.

Disparition des désirs

disparition du moi

« mort mentale »

……    mort du malaise !

« état naturel »

Cette « mort mentale » est seulement une simplification psychique. Nos possibilités restent intactes, notre relation avec autrui devient parfaite, « nul être ne nous est plus étranger ».

Nous n’éprouvons plus d’avidité. Au lieu d’évaluer tous nos objets d’expérience en raison de ce qu’ils peuvent nous apporter de plaisir ou de gêne, nous cohabitons avec eux dans un climat de parfaite sécurité. Rien n’est hostile, tout est beau…

Mais nous ne voulons pas « abandonner » : Voici le nœud gordien : « abandonner » au sens plein, ce serait « la mort mentale ». Dans notre myopie nous ne pouvons apercevoir que cela serait celle d’une illusion. Mais combien de nous ne se cramponnent-ils pas à des chimères ?

Il y a un nom pour cette attitude, c’est celui de la crampe. Cette crampe, la crispation sur un « moi » irréel, est précisément la source de notre malaise. Rappelons-nous que nombre de psychopathes redoutent avant tout ce que nous appellerions une guérison et qui leur semblerait leur mort — c’est-à-dire très justement, celle de leur état actuel. Au dire des « Illuminés » — il y eut, il y en a peut-être — notre état actuel à nous a les stigmates d’une maladie mentale.

« mort mentale » – guérison

« état naturel »