La logique de l'énergie entretien avec Stéphane Lupasco

Donc j’ai créé une logique à trois termes qui tient compte des phénomènes énergétiques. C’est la logique-même de l’énergie. Le premier terme de ma logique est notre logique classique sur laquelle nous vivons encore et où nous avons une actualisation de l’identité, du non contradictoire. Mais cette actualisation n’est pas rigoureuse. A est actualisé et non-A est potentialisé sans qu’il soit réduit complètement. Le deuxième terme est une logique inverse, où s’actualise progressivement le non-A, c’est-à-dire l’hétérogène et se potentialise l’homogène : c’est la matière vivante. Nous avons enfin un troisième terme où nous assistons à une semi-potentialisation et une semi-actualisation de deux termes contradictoires et antagonistes c’est le psychique et le microphysique à la fois.

Extrait d’un entretien réalisé le 14 février 1987 avec Stéphane Lupasco.

SC : Stéphane Lupasco, vos travaux de logique et de systémologie commencent à être bien connus surtout en France, et j’aimerais commencer par vous demander comment vous avez entrepris vos recherches, il y a déjà environ cinquante ans ?

Stéphane Lupasco : Mes thèses de doctorat ont été publiées en 1935. J’ai commencé par la physique et la biologie en Sorbonne, et je me suis intéressé tout de suite à la physique quantique. J’étais, à l’époque, un des premiers à m’y intéresser, à un moment où elle était très peu connue en France, c’est-à-dire à partir du quantum de Planck, à travers Einstein et Heisenberg, et jusqu’à toutes les sciences quantiques : la physique ondulatoire de Louis de Broglie et la physique des quanta de Bohr et de Heisenberg.

Comment, alors, à partir de ces recherches, avez-vous élaboré ce système ? car sûrement, vous êtes passé par des phases…

S.L. : Oui. Eh bien, j’ai constaté en abordant la physique quantique qu’on était en présence d’une contradiction, dès le départ, dans le quantum de Planck qui est hv, où h est une valeur arithmétique discontinue et v une valeur ondulatoire continue. Mais, en vertu de la logique classique, personne n’admettait la contradiction, car pour cette logique, deux termes contradictoires s’annulent.

Einstein, par ailleurs, créa la théorie de la lumière basée sur les quanta, en prenant le photon comme quantum. Là aussi, j’ai constaté que la lumière est à la fois ondulatoire et corpusculaire. Par la suite, on a constaté, grâce à des expériences célèbres comme celles de Davidson et Germer, que la projection d’un faisceau d’électrons sur un prisme produit derrière ce prisme, des phénomènes ondulatoires. J’ai montré, à partir de ce phénomène extraordinaire, que les tentatives des physiciens de tout ramener à l’onde en créant la mécanique ondulatoire, ou de tout ramener au corpuscule par la physique quantique, étaient dictées par la logique classique qui refuse de voir dans les faits que j’ai cités, la preuve que la contradiction est fondamentale dans la nature de l’énergie.

Donc, vous êtes parti de la constatation de l’existence d’une contradiction fondamentale dans le quantum même de Planck, mais après, vous avez construit un système et vous avez généralisé la contradiction à toute la nature; alors comment s’est fait ce passage ?

S.L. : J’ai fondé une logique qui était précisément une logique du contradictoire, c’est-à-dire que j’ai introduit les notions éclectiques de potentialisation et d’actualisation pour aboutir à une logique à trois valeurs, grâce à un jeu réciproque d’actualisation et de potentialisation de l’homogène et de l’hétérogène; l’homogénéité et l’hétérogénéité étant des phénomènes contradictoires, puisque l’un est fondé sur l’identité et l’autre sur la différence…

Avant d’aller plus loin, pouvez-vous définir les termes d’hétérogénéité, d’homogénéité, d’actualisation et de potentialisation ?

S.L. : Oui, justement. Nous sommes toujours en présence dans les phénomènes de l’énergie, de phénomènes qui sont à l’état de potentialisation et qui s’actualisent. Et je crois que sans cela, il n’y aurait pas de phénomènes. Et si l’énergie ne possédait que la possibilité de s’actualiser, il y a longtemps qu’elle se serait actualisée et le monde serait fini et terminé. Donc, s’il y a de l’énergie, s’il y a des phénomènes, s’il y a des objets, s’il y a cette table, s’il y a vous et moi, c’est que nous sommes en présence d’actualisation plus ou moins poussée de l’homogénéité qui potentialise l’hétérogénéité, ce qui nous donne la matière dite inerte.

Et à l’inverse, une actualisation de plus en plus dense de l’hétérogénéité qui potentialise l’homogénéité, c’est le phénomène vital. Je montre dans mes livres que toute matière vivante est fondée sur l’hétérogénéité. Nous avons là une matière-énergie qui actualise l’hétérogène et potentialise l’homogène.

On a déjà deux matières. J’ai exposé cela déjà au congrès international de philosophie en 1935. Mais à cette époque, je n’avais pas encore conçu ou aperçu qu’il y avait une troisième matière où les deux paramètres d’homogénéité et d’hétérogénéité sont dans un état de semi-potentialisation et de semi-actualisation antagoniste. Par conséquent, nous n’avons pas une matière, mais nous en avons trois, la dernière étant la matière microphysique et en même temps, la matière psychique.

Vous avez dit qu’il y a trois matières, mais quand nous regardons autour de nous, nous ne voyons que la matière macrophysique, donc la première de vos trois matières. Comment peut-on imaginer les deux autres matières ?

S.L. : Vous n’avez qu’à regarder ce qui ‘se passe dans un système vital, où une cellule lutte pour son hétérogénéité contre les forces extérieures d’homogénéisation…

Oui, mais ce que nous voyons dans le corps, c’est toujours la matière macrophysique…

S.L. : Mais si vous êtes biologiste, vous constaterez que votre corps est formé de cellules et d’éléments qui sont dans une continuelle hétérogénéisation, sans quoi nous serions identiques vous et moi. La biologie met en évidence la lutte de la cellule vivante contre les pressions homogénéisantes de l’extérieur.

Et puis, il y a une troisième matière.

S.L. : On la constate naturellement en microphysique, où on est en présence de phénomènes ondulatoires et corpusculaires et, comme je le disais tout à l’heure, tous les efforts des physiciens ont consisté à ramener tout à l’onde ou tout au corpuscule. Pourquoi? Précisément pour éviter la coexistence contradictoire de l’onde et du corpuscule. Je montre dans mes travaux qu’ils n’ont pas tenu compte de l’expérience elle-même en vertu de la logique classique de l’identité et de l’exclusion du contradictoire. Mais la microphysique met en évidence une donnée contradictoire de l’onde et du corpuscule, c’est à dire de l’homogénéité et de l’hétérogénéité.

Et vous ajoutez que cette même matière est une matière psychique…

S.L. : La troisième matière est constituée d’une semi-actualisation et d’une semi-potentialisation dans ce que j’ai appelé l’état T, T qui vient du tiers inclus.

En logique classique, le tiers est exclu : il n’y a pas de ou : c’est A ou non A. Mais ici, nous avons un semi-A et un semi-non A qui est la matière microphysique et la matière psychique.

Mais pourquoi est-ce aussi la matière psychique ?

S.L. : Je montre dans mes livres que le psychisme humain et même animal – quand il y en a – est constitué, précisément, par la coexistence de cette semi-actualisation et cette semi-potentialisation dans l’état T du tiers inclus…

Pouvez-vous donner des exemples ?

S.L. : En ce moment, je vous parle. Eh bien, pour vous parler, je suis dans un état de semi-actualisation et de semi-potentialisation. Je me dis : »Je vais répondre à la question que vous m’avez posée. » A ce moment-là, je vais actualiser le processus qui consiste à vous expliquer et à répondre à la question que vous me posez. Donc, à l’encontre de ce que l’on imagine, le psychisme est cette zone de l’organisation énergétique du système vital où demeure le conflit, la contradiction.

Un autre exemple : je veux m’acheter un paquet de tabac. Il y a dans mon cerveau, à ce moment-là, la notion d’aller chercher le paquet de tabac et en même temps, tout ce qui s’y oppose; par exemple, il pleut, je ne peux pas marcher, etc… Donc, dans mon psychisme, se trouve à l’état de semi-potentialisation et de semi-actualisation, à la fois, l’idée que je peux aller et l’idée que je ne peux pas aller. Ce genre d’expérience nous arrive à chaque instant. Je veux fumer ma pipe. Pour cela, je dois actualiser tous – les mécanismes moteurs qui me permettront de prendre ma pipe et de la bourrer de tabac, mais en faisant cela, je potentialise ou j’élimine tout ce qui s’y oppose; par exemple : je n’ai pas de tabac, alors il faut que j’aille en acheter, ou bien je ne peux pas fumer pour ne pas déranger mes voisins, etc…

Dans le psychisme, coexiste donc une contradiction entre ce que l’on peut faire et ce que l’on ne peut pas faire. Cela caractérise tous nos comportements. C’est très clair pour moi, et je trouve curieux qu’on ne l’ait pas remarqué avant.

On a vu que le microphysique et le psychique ont les mêmes aspects logiques, mais pourquoi représentent-ils la même matière, pourquoi ne pas dire que ce sont deux matières différentes mais qui possèdent les mêmes aspects logiques ?

S.L. : Parce que, comme on le sait depuis Einstein, toute la matière se réduit à de l’énergie. On ne peut parler aujourd’hui qu’en termes d’énergie. Le problème que vous me posez repose sur la vieille notion de matière. A partir du moment où tout est ramené à l’énergie, le problème qui se pose est de savoir comment cette énergie se systématise pour engendrer des systèmes différents comme la table, vous et moi, et quelle est la différence entre ces systèmes.

Et votre logique réussit à expliquer comment cela se fait…

S.L. : Jusqu’à mes travaux, la logique était fondée sur A ou non-A; il n’y eut jamais de logique qui disait A et non-A. On a vu des tentatives dans les logiques de l’école de Varsovie; ainsi Tarski et d’autres ont introduit un troisième terme, mais c’est un autre problème qu’on ne peut pas aborder ici. Mais ils n’ont pas été jusqu’au fond; ils ont considéré que ce troisième terme est « ni A ni non-A »; c’est un tour de passe-passe, car ils avaient de la difficulté à accepter, précisément, le contradictoire.

Donc j’ai créé une logique à trois termes qui tient compte des phénomènes énergétiques. C’est la logique-même de l’énergie. Le premier terme de ma logique est notre logique classique sur laquelle nous vivons encore et où nous avons une actualisation de l’identité, du non contradictoire. Mais cette actualisation n’est pas rigoureuse. A est actualisé et non-A est potentialisé sans qu’il soit réduit complètement.

Le deuxième terme est une logique inverse, où s’actualise progressivement le non-A, c’est-à-dire l’hétérogène et se potentialise l’homogène : c’est la matière vivante.

Nous avons enfin un troisième terme où nous assistons à une semi-potentialisation et une semi-actualisation de deux termes contradictoires et antagonistes c’est le psychique et le microphysique à la fois.

D’où est venue la potentialisation ? Car si on regarde l’histoire, on trouve que la conscience…

S.L : Je vous arrête, j’ai compris votre question. Le deuxième principe de la thermodynamique dit que l’entropie d’un système isolé augmente progressivement, autrement dit nous assistons à une actualisation progressive de l’homogénéité et à une potentialisation de l’hétérogénéité. Ce deuxième principe a été élaboré à partir de l’étude des phénomènes calorifiques. Mais pour qu’il y ait entropie, c’est-à-dire actualisation progressive de l’homogène et de l’identique, il faut tout de même qu’initialement cette homogénéité ait été dans un état potentiel et qui s’actualise, sinon il n’y aurait pas d’entropie progressive. On trouve donc dans la physique classique elle-même un passage de l’état potentiel à une actualisation progressive de l’énergie par l’entropie, si bien que, comme le disaient les physiciens de l’époque, en vertu du deuxième principe de la thermodynamique, l’univers lui-même se meurt car l’énergie, sous toutes ses formes allait vers une homogénéisation totale.

Je voulais aussi dire par ma question, que si l’on prend votre logique en compte, il faudra en déduire que les trois matières macrophysique, biologique, psychique ou microphysique, existaient de tout temps. Comment peut-on imaginer un psychisme avant l’apparition des êtres vivants ?

S.L. : Eh bien, tout d’abord une logique est une logique. Elle se suffit à elle-même. Quand on crée une logique, elle peut être constatée après ou non, exactement comme en physique, par exemple, où des hypothèses sont émises pour être ensuite infirmées ou confirmées. Donc ma logique généralisée est une logique autosuffisante en tant que logique; par la suite, on peut vérifier si elle est valable ou non.

Oui bien sûr. Mais on peut, à juste titre, poser cette question puisque votre logique postule la coexistence de ces trois matières, même avant l’apparition des êtres vivants.

S.L. : Oui, elle existait. Mais elle était inobservable. Les êtres vivants sont là avant ma logique que j’ai appliquée aux systèmes vivants; donc même s’il n’y avait pas d’êtres vivants, elle aurait continué à avoir une valeur en tant que logique. Donc au départ, le problème qu’il y ait des phénomènes qui viennent la justifier ou non ne se pose pas. C’est par la suite que l’on peut en faire le constat.

Vous différenciez donc votre logique d’un fait expérimental, et vous dites qu’une logique se suffit à elle-même si elle est cohérente, mais qu’après, elle peut être vérifiée par l’expérience ou non…

S.L. : Exactement. Et il se trouve qu’elle est vérifiée. Mais ma démarche n’a pas consisté à créer d’abord une logique et puis à l’appliquer aux faits. Je suis parti de l’expérience, des faits, et j’ai constaté par induction ce que j’ai décrit sur les trois matières. Mais par la suite, je peux dire que je pouvais, en effet, créer et élaborer cette logique et puis la vérifier par les faits.

Une autre question vient de ce qu’à partir de votre logique on peut déduire que la mort est une potentialisation…

S.L. : La mort n’existe pas parce que, dans la mort, le système vital et le système psychique basculent dans le système physique; celui-ci, en s’actualisant, potentialise cela. Si bien que la mort est ainsi impossible au sein de cette logique, dans la mesure où on l’accepte.

Et qu’en est-il avec la conscience ?

S.L. : Pour moi, la conscience est, à l’encontre de ce que l’on croit, la potentialisation de l’objet. En étant conscient de ce papier, je suis le siège de la potentialisation de ce papier. Tout ce qui est conscience est une potentialisation. Un exemple dans le système immunitaire qui est très amusant : un colibacille a besoin de sucre; à ce moment-là, il est conscient. Il est conscient du sucre à l’état potentiel et alors, il va actualiser cette potentialité consciencielle qui est le sucre et il va aller le chercher. Il y a d’autres exemples: une immunoglobuline est en présence d’un antigène; l’antigène, en tant qu’ennemi, occupe sa conscience; elle va donc donner l’ordre de création d’anticorps qui vont digérer l’antigène.

La conscience apparaît dans tous les domaines : psychique et érotique. Quand un animal ou un homme se trouve soumis à une pulsion sexuelle, sa conscience se meuble de la femelle pour un mâle, d’un mâle pour la femelle, etc… Ce qui va se passer, c’est précisément l’actualisation de cette conscience. Au moment où la conscience s’actualise, elle devient inconsciente. En effet, au fur et à mesure que la copulation se passe, la conscience de l’acte sexuel tombe dans le subconscient; elle ne disparaît pas, elle est subconsciente. L’actualisation est toujours subconsciente et c’est la potentialisation qui est consciente; à ce moment-là, dans ces conditions, dans la mesure où la potentialisation existe dans les phénomènes physiques mêmes, on peut dire qu’une pierre a une certaine conscience. Un grain de sable par exemple, qui potentialise l’univers par son actualisation, est un centre du monde. Un grain de sable, c’est un centre du monde, en tant qu’actualisation du grain de sable; eh bien, le monde tout autour, pour le grain de sable, c’est la conscience qu’il a du monde extérieur. Mais une conscience sans conscience de la conscience.

Alors, pour en revenir au problème que vous posiez, dans la mort, c’est le système vital qui actualise le système physique puisqu’il bascule, en tant que cadavre, dans les lois physico-chimiques; mais une auto-potentialisation parallèle est impliquée qui est la conscience de ce qu’il a été en tant que réceptacle. J’ai dit : si parmi vous, il y a des gens qui veulent se suicider, perdez cet espoir parce que vous ne mourrez pas; vous ne pourrez pas vous suicider!

Pour vous, l’existence a-t-elle un sens ?

S.L. : La question est très intéressante. Il y a trois significations selon les trois systématisations possibles…

Je demande s’il y a un sens qui englobe les trois termes de votre logique; autrement dit, votre logique parle de la structuration de l’énergie; mais l’énergie elle-même, qu’est-elle ?

S.L. : C’est un problème métaphysique qui dépasse l’expérience scientifique. L’énergie existe, mais son sens ?!…

Est-ce que tout ce qui existe rentre dans votre logique, ou bien existe-t-il des phénomènes qui n’y rentrent pas ?

S.L. : Oui, la question est très importante et je l’aborde dans mes livres. Tout ce qui est donné dans la conscience et dans l’inconscience, tout ce qui est existentiel, tout ce qui existe, est toujours défini « par rapport à »; l’hétérogénéité par rapport à l’homogénéité, la contradiction par rapport à la non-contradiction, etc. Les sensations se définissent également les unes par rapport aux autres. Mais il existe une expérience tout à fait singulière qui est l’affectivité, que je ne peux pas réduire à de l’énergie. L’affectivité n’est pas de l’énergie. Et si vous me demandez ce que c’est, je ne saurai vous répondre. L’affectivité EST. C’est précisément la seule donnée ontologique de notre expérience. J’ai mal à une dent. Vous allez me dire naturellement, si vous avez mal à une dent, c’est la dent qui vous fait mal. Je connais très bien quelle est la composition d’une dent; je connais très bien quel est le nerf qui me fait mal; mais entre la composition atomique, moléculaire de ma dent, et la douleur que j’éprouve, il n’y a pas de rapport. De même pour le plaisir : j’ai très soif; je prends un verre d’eau et j’éprouve un grand plaisir. Entre le plaisir que j’éprouve et l’eau qui passe dans mon gosier, il n’y a aucun rapport, il n’y a pas de relation, elle se suffit à elle-même ontologiquement. C’est difficile à comprendre.  L’affectivité n’est pas logique. Ni logique, ni illogique, elle est alogique. Elle est l’Etre même.

Il est bizarre d’arriver à un terme qui n’est pas énergétique, mais qui se manifeste pourtant énergétiquement.

S.L. : Le monde est très bizarre. Vous me posez une question métaphysique suprême, pourquoi l’énergie existe, etc… Chacun peut répondre à sa façon à ces questions. Mais l’affectivité est une donnée non énergétique qui se trouve dans des systèmes énergétiques…

Ce sont donc les systèmes énergétiques qui lui permettent de se manifester; mais quelle est la relation ?

S.L. : Comme je viens de l’expliquer, c’est la contradiction qui fait se manifester la donnée ontologique de la douleur. Quand un système est inhibé, ou dans un état de conflit, et puis cesse d’être dans cet état, il y a à ce moment-là une sensation de plaisir. Le plaisir et la douleur sont associés au contradictoire et au non-contradictoire, sans faire partie de l’énergie. La preuve en est que l’on peut faire disparaître l’affectivité par l’anesthésie; on ne sent rien. Là est le grand mystère. Que serait la destinée de l’homme et de l’animal s’il n’y avait pas la présence de l’affectivité ? C’est difficile à concevoir.

Il y a ici un parallélisme Leibnizien. Leibniz a été le seul à avoir émis la notion de parallélisme entre certaines données. Et là, il y a un parallélisme entre les phénomènes contradictoires et non-contradictoires provoquant la douleur ou le plaisir, et les phénomènes affectifs eux-mêmes. Mais le sens de ce parallélisme n’est pas du domaine de la science.

Quel accueil a été réservé à vos travaux par les scientifiques et les logiciens ?

S.L. : Les scientifiques tout autant que les philosophes sont attachés à leurs habitudes, surtout à éliminer toute contradiction qui peut apparaître dans les phénomènes ou dans la pensée. Donc, je me suis heurté à une opposition radicale, et j’ai été pour ainsi dire honni par la plupart des chercheurs. Mais d’autres ont accueilli avec satisfaction ces travaux, et ont accepté mes démonstrations dans environ quinze livres.

Merci, Stéphane Lupasco.

Sur l’œuvre de Lupasco et l’accueil qu’elle a reçu lire en particulier le livre de Basarab Nicolescu Qu’est-ce que la réalité? Édition Liber 2009.

Extrait de Wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/St%C3%A9phane_Lupasco :

Stéphane Lupasco (1900-1988) est un philosophe  français d’origine roumaine, auteur de la Logique dynamique du Contradictoire, fondée notamment sur la notion de Tiers inclus. Cette logique générale, englobant la logique classique comme un cas particulier, vise à rendre compte du devenir tri-polaire de la matière-énergie : la matière-énergie macrophysique, la matière-énergie vivante et la matière-énergie psychique, les « trois matières » pour reprendre le titre de son livre le plus célèbre. Né le 11 août 1900 à Bucarest, il a vécu et travaillé à Paris où il est mort le 7 octobre 1988. Son influence sur la pensée du XXe siècle est encore peu étudiée.

Livres de Lupasco


  • Dehors…, Stock, Paris , 1926.
  • Du devenir logique et de l’affectivité, Vol. I – « Le dualisme antagoniste et les exigences historiques de l’esprit », Vol. II – « Essai d’une nouvelle théorie de la connaissance », Vrin, Paris, 1935 ; 2ème édition conforme à la 1° : 1973.(thèse de doctorat)
  • La physique macroscopique et sa portée philosophique, Vrin, Paris, 1935 (thèse complémentaire).
  • L’expérience microphysique et la pensée humaine, Fundatia Regala Pentru Literatura si Arta, (en français avec « Considérations préliminaires »), Bucarest, 1940 ; 2ème édition : P.U.F., Paris, 1941; 3ème édition : Le Rocher, Coll. « L’esprit et la matière », Monaco, 1989, préface de Basarab Nicolescu.
  • Logique et contradiction, P.U.F., Paris, 1947.
  • Le principe d’antagonisme et la logique de l’énergie – Prolégomènes à une science de la contradiction,éd. Hermann, Coll. « Actualités scientifiques et industrielles » , n° 1133, Paris, 1951 ; 2ème édition : Le Rocher, Coll. « L’esprit et la matière », Monaco, 1987, préface de Basarab Nicolescu.
  • Les trois matières, Julliard, Paris, 1960 ; réédité en poche dans la Collection 10/18, 1970 ; 3ème éd.: Cohérence, Strasbourg, 1982.
  • L’énergie et la matière vivante, Julliard, Paris, 1962 ; 2ème édition : Julliard, Paris, 1974 ; 3ème édition : Le Rocher, Coll. « L’esprit et la matière », Monaco, 1986.
  • Science et art abstrait, Julliard, Paris, 1963.
  • La tragédie de l’énergie, Casterman, Paris, 1970.
  • Qu’est-ce qu’une structure ? Christian Bourgois, Paris, 1967.
  • Du rêve, de la mathématique et de la mort, Christian Bourgois, Paris, 1971.
  • L’énergie et la matière psychique, Julliard, Paris, 1974 ; 2ème édition : Le Rocher, Coll. « L’esprit et la matière », Monaco, 1987.
  • Psychisme et sociologie, Casterman, Paris, 1978.
  • L’univers psychique, Denoël-Gonthier, Coll. « Médiations », Paris, 1979.
  • L’homme et ses trois éthiques, en collaboration avec Solange de Mailly-Nesle et Basarab Nicolescu, Le Rocher, Coll. « L’esprit et la matière », Monaco, 1986.