Claude Le Prestre
La plus vieille médecine du monde : l'acupuncture

Qu’est-ce que l’acupuncture, cette thérapeutique qui, à près de quarante siècles d’écart, a gardé les mêmes pou­voirs étonnants? Si nous nous reportons à l’étymologie latine, (acus, pointe, et punctura, piqûre) cela veut dire piqûre par objet pointu. L’action d’employer des aiguilles pour obtenir la guérison d’un malade est d’origine chi­noise et remonte à 5000 ans. Les Orientaux estiment, en, effet, que les maladies résultent du trouble de la force vitale, le K’i ou Énergie vitale, qui doit toujours être en équilibre entre deux forces opposées, le Yin et le Yang. Le diagnostic de la localisation et la nature de ce trouble sont révélés, à chaque poignet par la prise des pouls cor­respondant a un circuit déterminé de l’énergie vitale. La thérapeutique consiste à rétablir l’équilibre en enfon­çant de fines aiguilles d’or (pour tonifier) et d’argent (pour calmer ou « disperser ») en des points cutanés spéciaux en rapport avec des fonctions organiques ou psychiques et avec l’énergie vitale, et répartis sur des lignes appelées méridiens ou kings.

(Extrait de Les médecines différentes. Encyclopédie Planète. LDP 1970)

Janvier 1962. La petite Catherine B… (10 ans), qui souffre d’asthme depuis quatre ans, présente une violente crise rebelle aux thérapeutiques usuelles. Son médecin traitant fait appel à un médecin acupuncteur qui arrête la crise instantanément. Elle continue à être soignée par l’acupuncture et, en trois mois et douze séances, elle est définitivement guérie sans le secours d’aucun médica­ment.

L’empereur Houang-Ti, 3602 ans auparavant, donnait à ses médecins cet ordre qui ne manque pas de saveur : « Je regrette que mon peuple, arrêté par les maladies, ne s’acquitte plus des impôts qu’il me doit. Je ne veux plus qu’on lui donne de médicaments qui l’empoisonnent, mais qu’on le soigne uniquement avec les aiguilles de métal qui dirigent l’Énergie. »

Qu’est-ce que l’acupuncture, cette thérapeutique qui, à près de quarante siècles d’écart, a gardé les mêmes pou­voirs étonnants? Si nous nous reportons à l’étymologie latine, (acus, pointe, et punctura, piqûre) cela veut dire piqûre par objet pointu. L’action d’employer des aiguilles pour obtenir la guérison d’un malade est d’origine chi­noise et remonte à 5000 ans. Les Orientaux estiment, en, effet, que les maladies résultent du trouble de la force vitale, le K’i ou Énergie vitale, qui doit toujours être en équilibre entre deux forces opposées, le Yin et le Yang. Le diagnostic de la localisation et la nature de ce trouble sont révélés, à chaque poignet par la prise des pouls cor­respondant a un circuit déterminé de l’énergie vitale.

La thérapeutique consiste à rétablir l’équilibre en enfon­çant de fines aiguilles d’or (pour tonifier) et d’argent (pour calmer ou « disperser ») en des points cutanés spéciaux en rapport avec des fonctions organiques ou psychiques et avec l’énergie vitale, et répartis sur des lignes appelées méridiens ou kings.

Les aiguilles dont la mise en place est pratiquement indolore sont en général laissées un quart d’heure envi­ron. La piqûre de ces points cutanés produit d’abord un effet instantané de sédation de la douleur puis, par une action réflexe, apporte un effet de tonification ou de sédation de l’organe troublé, de la fonction dérythmée ou du psychisme déséquilibré.

L’acupuncture remonte au temps où l’homme possédait à l’état pur cette mentalité magique qui survit intuitive­ment en nous dans une certaine mesure. Les hommes pensaient alors que le corps était habité par des génies bienfaisants ou malfaisants. Les maladies, les douleurs ne pouvant être que le fait des seconds, on les combat­tait en les piquant au moyen d’épines, puis plus tard de poinçons de pierre polie, à l’endroit douloureux où ils étaient censés se cacher. Peut-être le sinanthrope (150000 ans avant J.-C.) soulageait-il ainsi ses douleurs… Il est probable que le premier but de ces piqûres était la sédation instantanée de la douleur. L’action indirecte ne fut découverte qu’ultérieurement grâce aux observations patientes et minutieuses qui, s’accumulant de siècle en siècle, formèrent ainsi peu à peu ce qu’on appellera l’acupuncture. Mais la transmission de ces observations ne se faisant qu’oralement, mêlée aux légendes et aux superstitions naturelles chez les peuples primitifs, ce n’est qu’en 3200 avant J.-C. qu’elle put se faire connaître grâce à l’écriture : à cette époque, l’empereur Chen-Nong, crai­gnant que la tradition orale ne suffise pas à conserver ses travaux, créa des caractères conventionnels formés de petites lignes droites ou brisées, sortes d’idéogrammes primitifs préfigurant ce que sera l’écriture chinoise.

Cet empereur peut être considéré comme l’inventeur de la médecine pour la Chine, car il fit connaître à ses sujets « les cinq sortes de graines les plus propres à la nourriture de l’homme et leur apprit à distinguer les cent sortes de plantes utiles. Il goûta lui-même les fruits de la terre, connut aussi les plantes vénéneuses et toutes celles dont la qualité ou les vertus peuvent contribuer à la santé et guérir les maladies ».

Après lui, les lignes brisées furent remplacées par des cordelettes nouées (3000 ans avant J.-C.), ces idéo­grammes primitifs étant en petit nombre, deux cents environ. Au siècle suivant, le chef et philosophe Fou-Hi les remplaça par ce que l’on peut appeler vraiment les premiers idéogrammes, les caractères Kho-teou, dont la signification de « têtards » indique bien la forme des traits irréguliers. Mais la véritable écriture chinoise ne fut inventée que 300 ans plus tard par « l’empereur jaune », Hoang-Ti, esprit lumineux qui domina son époque. On lui doit aussi l’invention du tissage, de l’attelage et de la monnaie. Il consigna dans des manuscrits toutes les observations antérieures concernant la médecine et en fit ainsi une véritable science.

Hoang-Ti est à l’origine du premier livre de médecine chinoise qui nous soit parvenu, le Nei-Tsing, qui, après avoir subi d’importants remaniements au cours des siècles, a trouvé sa forme définitive vers 200 ans avant J.-C., sous la dynastie des Han. Toutefois, l’acupuncture reste encore mêlée à beaucoup de mythologie, et il faut attendre l’ère chrétienne pour la voir s’en dégager un peu avec Roa-Tro (150 ans après J.-C.), qui perfectionna l’usage des pouls, enseigna l’acupuncture uniciste, c’est-à-dire à l’aide d’une seule aiguille, et utilisa le premier des produits à doses infinitésimales. Ce précurseur fut aussi un grand chirurgien faisant des anesthésies générales au chanvre indien, pratiquant des laparotomies et même des greffes d’organes.

Au cours des siècles suivants, se développèrent autour de l’acupuncture de nouvelles techniques, telles que la diététique, la culture physique, les massages et l’hygiène (sexuelle en particulier), sous l’influence du bouddhisme et du taoïsme [1]. Mais, en revanche, les tabous sociaux empêchèrent les progrès de l’examen clinique. À ce moment, il est dix fois plus difficile de soigner une femme qu’un homme. C’est probablement là l’origine de l’extraordinaire science des pouls que posséderont les Chinois. L’examen d’une personne importante, surtout si c’est une femme, est interdit par les convenances et puni par la loi. À travers un rideau ou un paravent, le médecin ne peut examiner à loisir que le bras et le poignet de son malade. C’est donc presque par nécessité que les Chinois ont découvert, à chacun des poignets, différents pouls variant en hauteur et en profondeur et présentant entre eux des différences fondamentales.

Pendant la dynastie des Song (960-1126), parut une Ency­clopédie impériale de Médecine qui est, en quelque sorte, un remaniement du Nei-Tsing, et, en 1070, une faculté pour l’enseignement de l’acupuncture fut créée à Pékin. Wang-Wei-To, artiste et médecin, fit couler, pour servir à l’enseignement, une statue en bronze grandeur nature où étaient indiqués tous les points d’acupuncture. Des copies entièrement creuses étaient remplies d’eau, et les points d’acupuncture perforant la statue étaient recouverts d’une mince pellicule de cire cachant les ouvertures : lorsque l’élève trouvait le point exact, l’eau jaillissait.

La médecine s’organisa avec des règles déontologiques bien précises, une loi punissant même les médecins igno­rants. De nombreux ouvrages furent alors écrits, mais faillirent être détruits lors de l’invasion mongole.

L’époque Ming (1368-1644) ne nous laissa pas que des porcelaines célèbres. On peut situer à cette époque une foule d’ouvrages sur l’acupuncture, traités obscurs qui atteignaient parfois cent volumes ! Cette prolifération désordonnée de traités rassemblant d’une façon confuse des techniques particulières entraînera, en Chine, jus­qu’au vingtième siècle [2], une sorte d’étouffement de l’acupuncture.

Ces trésors de science médicale restèrent ignorés de l’Occident pendant des millénaires. C’est au milieu du XVIIe siècle seulement que des jésuites, ayant séjourné en Chine, rapportèrent dans leurs lettres des « faits curieux observés par les savants et les lettrés de ce pays ». En 1671, le R.P. Harvieu publia le premier livre sur la méde­cine orientale sous le titre : Les secrets de la médecine des Chinois consistant en la parfaite connaissance des pouls, envoyés de la Chine par un Français, homme de grand mérite. Mais c’est Ten-Rhyne, chirurgien hollandais, qui le premier, en 1683, fit paraître à Londres un ouvrage en latin centré sur l’acupuncture : c’était le traité Dissertatio de Acupunctura. Le Dr Berlioz, père du compositeur (qu’il destinait d’ailleurs à la médecine), publia en 1816 un Mémoire sur l’acupuncture. Il y exprimait son étonnement de la voir si peu utilisée. « Depuis un siècle, écrit-il, que ce moyen curatif est connu en Europe, aucun médecin ne l’a employé jusqu’ici. » À la suite de Berlioz, aux environs de 1825, de nombreux traités furent écrits, notamment par Morand, Dantu, Pelletan, Sarlandière et Cloquet. C’est à ce dernier surtout que l’on doit la diffusion de l’acupuncture. « Partout enfin on parle de l’acupuncture dans les salons comme à l’Institut » (J. Morand).

La nouvelle thérapeutique aura d’autant plus de succès qu’elle ne trouve en face d’elle qu’un arsenal insuffisant : cautères, sinapismes, saignées, bains froids, sangsues, préparations mercurielles… Mais telle qu’elle était pratiquée à l’époque, elle nous paraît aujourd’hui bien dangereuse. En effet, pour diminuer les douleurs d’une grossesse, on n’hésite pas à introduire une aiguille à tra­vers la matrice jusqu’au fœtus afin de lui calmer les nerfs ! De même, on traverse la paroi stomacale pour arrêter un hoquet et on se risque à perforer le cœur !

En dépit d’une technique parfois aberrante, les appli­cations de l’acupuncture à cette époque se révèlent toutefois souvent judicieuses. C’est son expérience qui a conduit Jules Cloquet à dire à l’Institut et à l’Académie royale de médecine : « L’acupuncture agit essentiellement sur les douleurs, quelle que soit la cause, quel que soit le siège. » Et, parallèlement à l’application, de nombreuses recherches anatomopathologiques et électrophysiolo­giques étaient effectuées ; mais les expériences étaient trop dispersées et avec des moyens encore trop précaires pour apporter des résultats intéressants.

En 1863, Dabry de Thiersant, ex-consul de France en Chine, publia un livre très complet et très détaillé sur la Médecine chez les Chinois. Il y étudie « les pouls chinois » et leur signification, indique des remèdes chinois compliqués, étudie avec précision les méridiens et les points d’acupuncture, et dessine des planches anato­miques claires, mais sans repères musculaires ou osseux. Enfin, de nos jours, Soulié de Morand, consul de France en Chine, enthousiasmé par les guérisons dont il est le témoin, recueille le plus possible de textes et s’initie à cette merveilleuse thérapeutique. De retour en France, en 1927, il rencontre le Dr Ferreyrolles qui, séduit à son tour, lui demande de traduire les livres chinois anciens qu’il possède. Soulié de Morand accomplit un travail remarquable et, en 1934, fait paraître un livre important, son Précis de la vraie acupuncture chinoise. Il peut être considéré comme le véritable intro­ducteur de la médecine chinoise en Europe. Après lui, le Dr de La Fuÿe apporta à l’acupuncture toute la rigueur que lui avaient conférée ses études médicales.

Grâce à de nombreuses observations, il put établir des planches anatomiques très précises, avec des repères musculaires et osseux. Il s’attacha à faire connaître l’acu­puncture par son enseignement et son traité, l’Acu­puncture chinoise sans mystères, destiné à permettre à tous les médecins de s’initier à cette thérapeutique.

Pour bien comprendre l’idée maîtresse de l’acupuncture, il importe auparavant de saisir l’essentiel de la philoso­phie d’Extrême-Orient, mère de la médecine chinoise.

Une philosophie de l’énergie

Cette philosophie naquit il y a trois mille ans sur un pla­teau de la Chine centrale où s’étaient fixées d’anciennes peuplades nomades dont le chef se nommait Fou-Hi. Ce chef légendaire avait, dit-on, institué le mariage, inventé des instruments de musique, domestiqué des animaux, cultivé des mûriers pour l’élevage des vers à soie. Mais, surtout, il avait créé un système philosophique qui devint la base doctrinale de l’acupuncture, auparavant soumise à l’empirisme.

La tradition nous rapporte que Fou-Hi « considéra l’alter­nance de la lumière et de l’obscurité. L’une était la bien­faitrice de l’humanité, l’autre son ennemie. Ce va-et-vient régulier (l’origine de toute vibration) qui nous fait travailler, qui nous repose, qui fait pousser les feuilles au printemps et les fait tomber au automne était bien le phénomène fondamental. Le même va-et-vient, la même opposition furent découverts dans toute la nature. Le jour fini, la nuit ne tarde pas à tomber. Avant que la nuit ne parte, le jour est déjà préparé. Le jour, c’est donc le commencement de la nuit. Rien n’est donc fini, toutes les choses sont en évolution, dépendantes et liées. La Naissance est déjà le germe de la Mort. »

Fou-Hi caractérisa ces innombrables oppositions en deux catégories. Dans la première, qu’il nomma Yang, se ren­contrent les propriétés suivantes : clarté, solidité, élasti­cité, résistance, compression, chaleur, lourdeur, bref la Plénitude, le Positif. La deuxième, qu’il nommé Yin, groupe les propriétés négatives que voici : obscurité, sou­plesse, douceur, liquidité, fragilité, expansibilité, froid, bref le Vide, le Négatif. Fou-Hi conclut donc que la nature intime de l’univers se manifeste par les activités positives du Yang et négatives du Yin comme si cet univers s’était trouvé tout à coup polarisé en deux prin­cipes, cette double polarisation donnant naissance à tous les êtres vivants et à toutes les choses. Toutefois, aucun être n’est ni purement Yang positif, ni purement Yin négatif : tous sont des manifestations très variées des combinaisons de ces deux activités fondamentales et universelles Yin et Yang, de l’oscillation des forces Yin et Yang dans des proportions infiniment variables.

On arrive ainsi à la loi unique, au principe universel : le Tao. « L’univers, c’est l’oscillation des deux activités Yin et Yang, et leurs vicissitudes. » Les Chinois représentent ce principe par un symbole, une figure géométrique, le Tao, signifiant que rien n’est Yin absolu, rien n’est Yang absolu. C’est pourquoi chaque partie de ce symbole comporte un petit cercle représentant une par­celle de l’activité opposée. Le Yin est en opposition exacte avec le Yang, mais aucune activité n’est absolue : c’est la représentation synthétique de l’oscillation universelle.

Les énergies Yin et Yang se manifestent dans la matière par cinq éléments : le bois, le feu, la terre, le métal, l’eau. À chacun de ces éléments correspond un climat, une planète, une couleur, une expression, un organe. Ainsi le bois produit le feu ; en remplaçant le bois et le feu par les organes qui leur correspondent, nous voyons donc que le foie favorise la fonction du cœur. Mais le feu détruit le métal : le cœur met en danger le poumon qui corres­pond au métal. Le bois étant sans action sur le métal, le foie n’aura donc pas d’influence sur les poumons. Mais cette théorie qu’on appelle la théorie des cinq éléments n’a été considérée par les Chinois que comme un moyen mnémotechnique.

Le taoïsme appliqué à l’homme

« Tout est dans tout », dit un aphorisme chinois. Si l’univers entier est soumis à la loi d’équilibre, l’homme, faisant partie intégrante du cosmos de même que tout être vivant, doit, lui aussi, subir les mêmes lois. Il reçoit l’énergie fondamentale sous ses deux formes manifestées : du cosmos, une énergie Tsri, parcelle du Yang ; de la terre, une énergie tellurique Siue, parcelle du Yin.

La première énergie est externe, provenant des aliments et absorbée par des organes qui sont Yang. La seconde est interne et résulte de la transformation précédente : c’est le sang avec ce qui le contrôle et le fait circuler par des organes qui sont Yin. Lorsque ces deux forces Yin et Yang sont en nous dans un parfait équilibre, l’énergie circulant alors dans l’organisme selon un trajet bien précis, c’est la santé. Si l’équilibre est rompu, l’énergie circule soit par excès, c’est la maladie Yang, soit par défaut, c’est la maladie Yin. Cette rupture se manifeste par une sensation douloureuse spontanée ou provoquée en certains points de la peau, points dont la localisation indique les organes perturbés.

L’énergie circule à la surface du corps en suivant des lignes appelées méridiens (King) qui ne correspondent nullement au trajet anatomique d’un nerf, d’une artère ou d’une veine. Ces méridiens, bilatéraux, au nombre de douze de chaque côté, sont chacun l’expression d’un organe. Les Chinois ont donc reconnu l’existence de douze organes qui rassemblent parfaitement toutes les fonctions du corps.

Les douze organes ont été divisés en deux catégories :

Les organes ateliers ou d’élaboration. — Ces organes sont Yang, transformant les aliments en énergie et en sang. Ce sont l’estomac, l’intestin grêle, le gros intestin, la vésicule biliaire qui transforme l’énergie élaborée par le foie, et la vessie qui régularise les reins. Il existe un sixième organe atelier, appelé le triple-réchauffeur et cor­respondant à l’action physique de l’ensemble des sys­tèmes respiratoire, digestif et génito-urinaire.

Les organes trésors ou de réserve. — Ces organes sont Yin et mettent en réserve l’énergie. Ce sont le cœur, les poumons, l’ensemble rate-pancréas, le foie, les reins, et enfin le système circulatoire total associé aux organes sexuels appelé l’enveloppe du cœur-sexualité.

L’énergie circule le long des méridiens sans qu’il y ait jamais interruption, toujours dans le même sens, allant successivement d’un organe atelier à un organe trésor, symétriquement. L’intensité de cette circulation n’est pas la même chez tous les êtres : elle varie selon un cer­tain nombre de facteurs tels que le sexe, la fatigue, les traumatismes psychiques, et selon des influences cosmiques telles que les saisons et les phases lunaires. Mais l’alternance jour-nuit est le facteur le plus important : chaque organe présente un maximum d’activité corres­pondant à un maximum d’énergie de son méridien pen­dant deux heures de la journée, par exemple la vésicule biliaire de 23 h à 1 h, le foie de 1 h à 3 h, le poumon de 3 h à 5 h, etc. Quel médecin de notre époque ne connaît les crises vésiculaires de minuit et les crises d’asthme de 4 h du matin [3] ?

Outre ces douze méridiens bilatéraux dans lesquels cir­cule l’énergie, les Chinois ont indiqué deux méridiens supplémentaires médians, l’un antérieur, le vaisseau conception, l’autre postérieur, le vaisseau gouverneur; ils correspondent non à des organes, mais à des fonctions physiologiques [4]. Ainsi, nous l’avons dit, si cette énergie fondamentale circule normalement, c’est la santé. Dès qu’elle est perturbée par une agression externe ou interne, il y a maladie. Selon cette conception des Chi­nois, c’est en effet le terrain qui compte, qui doit être traité, la phase aiguë n’étant qu’un épiphénomène : « La maladie n’est pas l’invasion, mais ce qui précède l’inva­sion. »

Sur chaque méridien se situent un certain nombre de points : c’est l’action sur ces points, au moyen d’aiguilles de métal, qui permet d’augmenter ou de diminuer la quantité relative d’énergie dans un méridien particulier, et ainsi de rétablir l’équilibre de l’énergie, ce qui est la tâche essentielle du médecin.

Les points, au nombre d’environ huit cents, ont été déter­minés empiriquement par les Chinois ; mais les mesures utilisées pour les repérer en cours de traitement étaient le pouce ou une phalange du pouce du malade lui-même, ce qui manquait de précision. Le Dr de La Fuÿe les a localisés par rapport à des repères anatomiques précis et connus par tous les médecins.

En Chine, le nom de chaque point était une image, par exemple un point contre l’anxiété s’appelait « divine sérénité », un point pour exciter les reins « sourdre de nouveau ». Certaines images sont humoristiques [5].

Ne pouvant utiliser de telles traductions, les points sont désignés en Occident par des numéros d’ordre avec une indication du méridien où ils se trouvent, par exemple « 36e Estomac », « 1er Rein », etc.

Chaque méridien bilatéral comporte six points essentiels :

1° Le point de tonification, dont le rôle est de donner du tonus à un organe malade par insuffisance d’énergie (atrophie, insuffisance de sécrétion, etc.).

2° Le point de dispersion, dont le rôle est de calmer un organe malade par excès d’énergie (hypertrophie, hyper­sécrétion, spasmes, contractures, etc.).

3° Le point-source, dont l’action renforce la tonification ou la dispersion de l’organe et régularise ses fonctions.

4° Le point-assentiment, point spécial qui a la particula­rité, quel que soit le méridien auquel il appartient, d’être toujours placé sur le trajet du méridien de la vessie ; il apporte son assentiment (ou action secondaire) à celui du point tonifiant ou du point calmant.

5° Le point-héraut, autre point spécial qui attire l’atten­tion du médecin sur les troubles du méridien auquel il est rattaché : c’est en effet un point dont la douleur est spontanée et qui est toujours placé anatomiquement sur du méridien malade ou à proximité immédiate.

6° Le point de passage, qui relie entre eux deux méridiens.

Les points d’acupuncture sont donc répartis le long de ces lignes bien déterminées, les douze méridiens bila­téraux :

Méridien du poumon : Méridien Yin avec un courant d’énergie centrifuge allant de la poitrine à l’extrémité du pouce. Il comporte onze points.

Méridien du gros intestin : Méridien Yang avec un courant d’énergie centripète allant de l’index à la tête. Il comporte vingt points.

Méridien de l’estomac : Méridien Yang avec un courant d’énergie centrifuge allant de la tête au pied. Il comporte quarante-cinq points.

Méridien de rate pancréas : Méridien Yin avec un courant d’énergie centripète allant du pied à la poitrine. Il comporte vingt et un points.

Méridien du cœur : Méridien Yin avec un courant d’énergie centrifuge allant de l’aisselle à la main. Il comporte neuf points.

Méridien de l’intestin grêle : Méridien Yang avec un courant d’énergie centripète allant de la main à la tête. Il comporte dix-neuf points.

Méridien de la vessie : Méridien Yang avec un courant d’énergie centrifuge allant de la tête aux pieds. Il comporte soixante-sept points.

Méridien des reins : Méridien Yin avec un courant d’énergie centripète allant du pied à la poitrine. Il comporte vingt-sept points.

Méridien du maître du cœur : Méridien Yin avec un courant d’énergie centrifuge allant de la poitrine à la main. Il comporte neuf points.

Méridien du triple-réchauffeur : Méridien Yang avec un courant d’énergie centripète allant de la main à la tête. Il comporte vingt-trois points.

Méridien de la vésicule biliaire : Méridien Yang avec un courant d’énergie centrifuge allant de la tête au pied. Il comporte quarante-quatre points.

Méridien du foie : Méridien Yin avec un courant d’énergie centripète allant du pied à la poitrine. Il comporte quatorze points.

Vaisseau conception : Il ne fait pas partie du circuit général de l’énergie, mais est relié à celui-ci par des canaux secondaires. Il va du périnée vers le menton et comporte vingt-quatre points. Vaisseau gouverneur : Lui non plus ne fait pas partie du circuit général de l’énergie. Il va du coccyx à la gencive supérieure et comporte vingt-sept points.

Les quatorze pouls chinois

Comment le médecin connaîtra-t-il avec certitude les méridiens sur lesquels doit se porter son action et, par conséquent, les points à puncturer?

En dehors des moyens d’investigation classiques, il dis­pose des méthodes de diagnostic des Chinois afin de déterminer le déséquilibre relatif de l’énergie, autrement dit de reconnaître les méridiens en excès ou en défaut d’énergie (en « plénitude » ou en « vide »).

La perturbation d’énergie dans un organe se reflète le long du méridien correspondant par certains points qui deviennent sensibles à la pression [6].

Mais c’est surtout par l’étude des pouls que les Chinois ont découvert une méthode permettant le diagnostic des perturbations de l’énergie, même avant tout symptôme pathologique. Dans l’Antiquité, ils avaient déjà étudié les pouls en de nombreux endroits du corps, au niveau des artères carotides, pédieuses et fémorales. Mais c’est la gouttière radiale qui prévalut par sa facilité d’accès, comme en Occident [7]. Toutefois, en Occident, un seul pouls est considéré, tandis qu’en Orient il peut être dis­tingué quatorze pouls. En effet, trois régions vont être discernées le long de la gouttière radiale, selon l’emplace­ment où le médecin pose ses doigts, et, sur chacun de ces emplacements, deux niveaux, ce qui permettra de diffé­rencier les pouls superficiels et les pouls profonds ; il existe également un niveau moyen au poignet droit comportant deux pouls. Cette méthode nécessite une pression plus ou moins forte des doigts sur la gouttière radiale, et surtout une sensibilité digitale qui permettra de percevoir les différentes pulsations.

Chaque pouls (six au poignet gauche, huit au poignet droit) correspond à un organe. Selon la sensation que le médecin perçoit à chaque emplacement et niveau, il lui attribuera une valeur faible, forte ou normale.

Si un pouls déterminé est reconnu comme faible, cela indique que l’organe correspondant est malade par « vide », par défaut, c’est une maladie Yin. Il faut remplir cet organe, tonifier ses fonctions, donc tonifier le Yin : on piquera les points tonifiants du méridien en relation. Si, au contraire, la violence du pouls montre que l’organe est malade par « excès », par maladie Yang, il faudra vider cet organe, calmer, donc disperser le Yang : on piquera les points sédatifs du méridien. Il est à noter que les pouls droits et gauches se correspondent deux à deux suivant une règle baptisée « mari et femme », chaque pouls gauche dominant l’homologue droit.

L’étude et l’interprétation de la pulsologie chinoise paraissent au médecin occidental d’une grande difficulté : difficulté matérielle, car elles exigent une sensibilité parti­culière de son toucher ; difficulté spirituelle, car elles heurtent ses habitudes anatomiques et physiologiques.

En effet, pour la médecine occidentale, les pulsations sont en rapport direct avec la force du cœur, le retentissement du fonctionnement des autres organes n’étant qu’accessoire. De même, elle ne considère anatomique­ment l’artère radiale que comme un simple tuyau dans lequel les pulsations n’auraient aucune raison d’être diffé­rentes selon les niveaux.

Il est cependant prouvé que la pulsation ressentie n’est pas due à la masse sanguine, mais à une vibration qui se propage beaucoup plus rapidement. Cette vibration est en réalité, pour un niveau donné, l’écho de la vibration du cœur dans un organe donné. Les doigts sensibles de l’acupuncteur perçoivent donc l’onde en retour : c’est en somme un phénomène assimilable au radar…

L’avantage, pour le médecin acupuncteur, est de déceler par la prise des pouls l’organe atteint et de vérifier son diagnostic par des examens cliniques classiques.

Des aiguilles d’or et d’argent

L’instrument du médecin acupuncteur est constitué par une série d’aiguilles d’or et d’argent qui doivent être assez rigides pour ne pas plier et assez souples pour ne pas se rompre. En effet, les Chinois, après leurs premières aiguilles de pierre, de bambou, d’os ou d’ivoire, utili­sèrent dès l’apparition du métal des aiguilles de cuivre venant des mines des monts Tsrinn en Chine du sud ; puis le fer remplaça le cuivre [8]. Enfin, l’or et l’argent rempla­cèrent le fer.

Il existe deux sortes d’aiguilles, les aiguilles japonaises et les aiguilles chinoises. Les aiguilles japonaises sont de longues aiguilles fines (1/10 de millimètre de diamètre) utilisées à l’aide d’un tube métallique, au milieu duquel l’aiguille joue le rôle de mandrin. Les aiguilles chinoises sont plus rigides et plus courtes (environ 3 centimètres de long). L’extrémité non pointue est terminée par un petit manche, d’un demi-centimètre de longueur, consti­tué par un enroulement de fils du même métal qui faci­lite le maniement. Elles ont en moyenne un demi-milli­mètre de diamètre.

Les plus couramment employées en Europe sont les aiguilles chinoises ; mais les aiguilles japonaises ont aussi leurs adeptes, ainsi que les moxas [9].

L’aiguille, stérilisée, légèrement tiédie pour éviter une défense de la peau, est enfoncée selon les besoins à une profondeur variant d’un millimètre jusqu’à deux centi­mètres dans les masses musculaires importantes. L’intro­duction des aiguilles, lorsqu’elle est correctement effec­tuée, est pratiquement indolore. Les aiguilles sont laissées en place durant un temps qui varie de quelques secondes pour les névralgies aiguës à un quart d’heure environ pour les traitements fonctionnels, et même plusieurs heures ou plusieurs jours pour l’« acupuncture à demeure » utilisée seulement dans les névralgies rebelles. Les aiguilles étant mises en place, le malade, qui doit être seul dans une petite pièce calme, à l’ambiance repo­sante, de préférence sur un lit de relaxation, oublie ses aiguilles et s’endort même parfois. Le nombre des aiguilles (généralement six à douze) varie suivant la nature du trouble à traiter.

Il existe une différence d’action suivant le métal de l’aiguille. Quand le médecin acupuncteur s’est aperçu, à l’examen, qu’un organe présentait un manque d’énergie, il le tonifie en employant des aiguilles d’or placées sur le point tonifiant de son méridien. Si l’organe avait, au contraire, présenté un excès d’énergie, il l’aurait dispersé au moyen d’aiguilles d’argent placées sur le point de dis­persion de son méridien. Mais à partir d’un tel principe, en apparence très simple, la pratique de l’acupuncture exige une connaissance de rapports complexes, ainsi que nous allons le montrer par un exemple. Imaginons un malade qui vient voir le médecin acupuncteur en se plaignant de troubles digestifs divers. Il est indispensable qu’avant tout examen oriental le médecin procède à un interrogatoire minutieux et à un examen clinique appro­fondi. Le médecin acupuncteur moderne doit posséder une formation médicale classique, car il va se trouver devant des cas qui ont pu paraître, auparavant, des mala­dies fonctionnelles, mais qui cachent une réalité lésion­nelle. Les pouls, en indiquant seulement, quoique de ma­nière très précise, un trouble de l’énergie dans un organe, ne peuvent faire sentir la différence.

Dans l’exemple choisi, le malade ne présente finalement aucune lésion organique et l’examen des pouls au poignet gauche va montrer un pouls de la vésicule biliaire Yin, c’est-à-dire un défaut de l’énergie dans le méridien de cet organe. Il va falloir tonifier ce méridien par une aiguille d’or au point tonifiant qui est, pour le méridien de la vésicule biliaire, le 43e situé sur le pied, à la base du quatrième orteil. (Les points sont souvent éloignés de l’organe à traiter : ainsi, pour la sinusite, le point « guéris­seur » est le Ro-Kou situé sur le dos de la main près de la base du pouce).

Mais l’acupuncteur ne se contente pas de ce point toni­fiant. Il doit se plier à une véritable dialectique, à une série de rapports entre les méridiens, qui sont exprimés par certaines règles.

Règle « mère-fils »

L’énergie parcourt successivement chaque méridien. Cet ordre est le suivant : poumons, gros intestin, rate-pan­créas, cœur, intestin grêle, vessie, reins, enveloppe du cœur-sexualité, triple-réchauffeur, vésicule biliaire, foie. Et, du foie, l’énergie va aux poumons, et le cycle recommence.

Pour les Chinois, le méridien précédant le méridien de l’organe malade s’appelle la « mère » et le méridien sui­vant, le « fils ». Ce langage imagé a une signification thérapeutique. Si l’on veut tonifier un organe déterminé, la vésicule biliaire comme dans l’observation dont il s’agit, on doit non seulement puncturer les points spéciaux tonifiants de la vésicule, mais aussi tonifier l’organe qui précède, le triple-réchauffeur, et calmer en même temps l’organe qui le suit, le foie. Cela se fera par le 3e point du triple-réchauffeur, situé à la face dorsale de la main, et par le 2e point du foie, situé à la face dor­sale du pied.

Si l’on avait voulu obtenir un effet calmant sur la vési­cule, il aurait fallu, bien entendu, faire l’inverse, c’est-à-dire calmer le triple-réchauffeur et tonifier le foie, le point calmant de la vésicule biliaire ayant été puncturé à l’argent.

Règle « époux-épouse »

Nous avons vu que les organes dont le pouls est à gauche dominaient les organes correspondants dont le pouls est à droite. Il est donc indiqué d’agir sur les deux « époux » si l’un est malade. Dans l’exemple choisi, on agira donc aussi sur le méridien de l’estomac, qui est l’homologue, en puncturant le 41e point de l’estomac.

Cela fait donc quatre points à piquer, mais le malade aura huit aiguilles puisque les méridiens sont bilatéraux (le 43e de la vésicule biliaire, le 3e du triple-réchauffeur, le 2e du foie, et le 41e de l’estomac).

En outre, le praticien ne devra pas perdre de vue la règle midi-minuit. Elle exprime que chaque méridien est relié à celui dont le maximum d’activité est séparé de douze heures de son propre maximum Les vingt-quatre heures étant divisées en un « jour » Yang de minuit à midi et une nuit » Yin de midi à minuit, l’action sur un méridien se répercutera sur le méridien en rapport avec lui, d’après cette règle. Le méridien du cœur se trouvera donc tonifié en même temps que celui de la vésicule biliaire ; de même, puisque l’acupuncteur a tonifié le méridien-mère, le triple-réchauffeur, cela entraîne une tonification du méridien rate-pancréas ; et, puisqu’il a calmé le méridien-fils, le foie, il a calmé aussi le méridien de l’intestin grêle.

Dans un traitement d’acupuncture, le nombre des séances est proportionnel à la gravité de la maladie. Dans les maladies anciennes, les premières séances sont d’abord séparées par trois ou quatre jours environ, puis elles vont en s’espaçant pour atteindre rapidement des intervalles d’un mois ou même de trois mois afin de consolider les résultats acquis.

Dans les maladies récentes, une seule séance peut suffire parfois pour obtenir soit une guérison, soit une amélio­ration très nette.

Parallèlement à cette méthode thérapeutique générale, il existe d’autres moyens d’action plus localisés. Dans une entorse, par exemple, on emploie la méthode locale, car le fait de piquer une aiguille d’argent (Yin) au centre d’une zone douloureuse entraîne la disparition de la dou­leur. Cette méthode très primitive, puisqu’elle est à l’ori­gine de la découverte de l’acupuncture, n’est utilisée par le médecin acupuncteur que comme adjuvant du traite­ment proprement dit, et seulement dans le cas de dou­leurs vives. Comme elle n’entraîne pas la guérison, mais seulement une sédation de la douleur, elle ne constitue pas un traitement en soi, sauf dans les cas localisés où la douleur est précisément le seul trouble à traiter. Le Pr Leriche se demandait d’ailleurs si les injections clas­siques de novocaïne dans de tels cas entraînent la guéri­son rapide par l’effet du produit, ou simplement par suite de la piqûre de la zone douloureuse.

Il existe aussi la méthode dite périphérique : si la dou­leur affecte une zone importante, s’il y a une inflammation ou un œdème, ce sont les points sensibles, situés autour de la zone perturbée, qui seront piqués superfi­ciellement par des aiguilles d’argent calmantes. C’est ainsi que l’on soigne les brûlures, les plaques d’eczéma, car dans ces cas on ne peut piquer directement l’endroit dou­loureux. Ces dernières applications n’étant qu’un « tra­vail d’un ouvrier de deuxième ordre », comme disaient les Chinois, on peut parler de thérapeutique par l’acu­puncture seulement lorsque le traitement consiste à rétablir le déséquilibre relatif de l’énergie dans un organisme entier, et non dans une partie du corps considérée isolément.

D’autres méthodes et d’autres techniques instrumentales ont été utilisées afin de perfectionner l’effet du traite­ment oriental.

— L’aiguille à demeure du Dr de La Fuÿe : aiguille à tête plate placée à l’aide d’une pince spéciale, utilisée dans les névralgies rebelles.

— La méthode de l’Ou Rou : ce sont des piqûres rapides (une demi-seconde) effectuées sur les points chinois avec une seule aiguille.

— Les massages de la peau au niveau des points chinois peuvent être utilisés : ils sont effectués par l’ongle de l’index avec un mouvement circulaire, dans le sens des aiguilles d’une montre pour tonifier, dans le sens contraire pour disperser.

— Points du pavillon de l’Oreille : Le Dr Nogier a assimilé la forme du pavillon de l’oreille à celle d’un fœtus renversé. Partant de cette idée, il a trouvé des points correspondant aux points chinois classiques pou­vant servir de diagnostic et de thérapeutique.

— Électropuncteur du Dr de La Fuÿe : un courant à haute fréquence est envoyé dans les aiguilles afin d’ac­croître leur action.

— Punctomètre de Brunet-Grenier, utilisable pour la gal­vanopuncture (mais il est surtout employé comme détecteur, comme nous le verrons plus loin).

— Ultratone de Walter, qui utilise des ultra-sons de un million de périodes-seconde en moyenne, envoyés au niveau des points d’acupuncture par l’intermédiaire d’un localisateur métallique effilé.

— Sonopuncteur de Martiny, sorte d’appareil vibrateur émettant des ondes sonores qui sont tonifiantes lorsque la fréquence est élevée, dispersantes quand elle est basse, etc.

Mais de toutes ces méthodes, rien ne vaut la puncture précise au moyen d’une aiguille d’or ou d’argent d’un point chinois déterminé par l’examen minutieux du malade.

Deux médecines se rencontrent : acupuncture et homéopathie

Mais une question se pose : alors que les Orientaux pos­sédaient cette science des points cutanés depuis si longtemps, pourquoi était-elle ignorée en Occident? Comment les médecins occidentaux n’ont-ils pas compris, pendant des siècles, la relation existant entre certains points douloureux au toucher et les troubles fonctionnels ou lésionnels? Certainement, parce que les médecins occidentaux ne mettaient pas la même minutie dans leurs observations, la même patience, la même humilité ; et peut-être, tout simplement, parce que la civilisation chinoise avait de l’avance, dans certains domaines, sur la civilisation occidentale.

Cependant, il y a une centaine d’années, un médecin allemand, Weihe, écrivit : « Toutes les maladies des dif­férents viscères et systèmes projettent sur la topographie du corps, même à l’état d’incubation et plus tard de plus en plus, des points hypersensibles ou névralgiques que l’on reconnaît facilement à la pression. » Il établit ainsi que tel malade traité par un médicament homéopa­thique déterminé présentait un point cutané précis et constant qui devenait douloureux, soit spontanément, soit à la pression, et il arriva ainsi à localiser 195 points, répartis sur des lignes plus ou moins verticales. Mais ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que le Dr Weihe ignorait tout de l’acupuncture et que, tel Pascal enfant réinven­tant les propositions d’Euclide, il redécouvrait le prin­cipe chinois. En effet, sur les 195 points indiqués par Weihe, 147 correspondent, du point de vue anatomique, exactement à 147 points chinois ! Il désignait ces points par le produit correspondant, chaque point douloureux étant l’indication d’un médicament homéopathique. Le rapprochement entre l’acupuncture et l’homéopathie fut confirmé par Soulié de Morand et par le Dr Feyrrerolles, en 1929.

Le Dr de La Fuÿe a donné une envergure considérable à cette association (tout en considérant d’ailleurs qu’il ne fallait pas partir des points de Weihe pour aboutir aux points chinois, mais, au contraire, partir des symptômes des points chinois pour arriver aux médicaments homéopathiques correspondants).

En effet, à chaque point chinois correspond également l’indication d’un médicament homéopathique. La super­position des indications des points chinois et des médi­caments homéopathiques a donné naissance à une science que le Dr de La Fuÿe a nommée l’homéosiniatrie. Beaucoup de médecins homéopathes s’aident de l’acupuncture car, dans les cas de douleur en particulier, la réaction de soulagement est plus rapide.

Les adversaires de l’acupuncture prétendent souvent qu’on ne peut expliquer scientifiquement son action [10]. Ils ne nient pas les résultats obtenus, mais, leur attribuant en quelque sorte une origine magique, ils pensent qu’il est impossible de considérer avec sérieux cette thérapeu­tique. Avant tout, on doit répondre que l’acupuncture fait partie d’une conception d’ensemble de la vie telle que l’a élaborée l’Orient.

La vérité d’une tradition : la tentative moderne d’explication

L’approche de la réalité selon la conception occidentale, au moyen d’un code scientifique précis, semble être plus spectaculaire. Mais elle ne peut rayer une évolution de pensée parallèle, nier la conception de milliards d’indi­vidus situés, pour ainsi dire, sur une autre planète et qui peuvent fort bien plaider au nom d’une civilisation moins technique, mais plus humaine.

C’est un raisonnement qui commence à être entendu en Europe et en France, tout au moins par des hommes qui accèdent enfin à une prise de conscience universelle. Toutefois, dans notre société cartésienne, il faut toujours aller plus loin que l’affirmation de la foi selon l’évidence des résultats obtenus. L’éducation médicale actuelle demande, en effet, pour faire la preuve, non pas seule­ment une observation thérapeutique, mais aussi des contrôles physiologiques enregistrables, mesurables, répertoriables. La complexité d’une telle expérimen­tation est immense, d’autant plus que l’acupuncteur agit sur l’organe malade et non sur l’organe sain ; mais on peut dire qu’elle a été abordée par des chercheurs de divers pays.

Tout d’abord, il existe une tentative d’appréciation instru­mentale du caractère physique particulier des points et du déséquilibre énergétique. Ces recherches sont, malgré la technicité moderne, dans la ligne traditionnelle la plus pure puisqu’elles tendent à justifier l’énergie et sa circu­lation dans les méridiens. Ces recherches sont d’ordre électrique et thermique.

Recherches électriques, pour mesurer la résistance de points cutanés privilégiés qui semblent superposables aux points d’acupuncture, mesure qui permet donc la locali­sation du point. Ces travaux, accomplis en France par Niboyet et par Brunet, en Allemagne par Voll, au Japon par Nakaya et Manaka, en Chine populaire par Chang Hie Hou et par T’an Chou Tien, avaient tous pour but d’élaborer des appareils détecteurs de points [11]. Certains de ces appareils visent à établir aussi une mesure qui exprimerait le caractère pathologique du point et du méridien. Par ailleurs, la perméabilité électrique des points est étudiée en rapport avec l’utilisation de drogues, telle que l’atropine, la pilocarpine, la novocaïne.

Recherches thermiques, comme le test d’Akabane [12]. Dans ce domaine, citons aussi au Japon les travaux de Manaka, en France et en Allemagne ceux du Pugnaire et d’Hubert Schmit.

Un autre domaine de recherches, divisé d’ailleurs en plusieurs voies, a été le contrôle physiopathologique de l’action des punctures. Par exemple, certains auteurs recherchent des variations, après traitement par l’acu­puncture, et selon les points puncturés, de nombreux paramètres biologiques tels que l’électrophorèse ou la numération globulaire [13].

En dehors de ces recherches électriques et physiolo­giques, une autre ligne de recherches a pour but d’assi­miler le courant d’énergie à la transmission nerveuse. Nous sommes de ceux qui pensent que c’est grâce à cette théorie nerviste que l’acupuncture trouve sa plus forte justification scientifique.

Rappelons les différents modes de transmission de l’influx nerveux :

1) Les réflexes courts, c’est-à-dire : peau, moelle, muscles. C’est le réflexe de Mackensie : une excitation produit un réflexe sensitif, court, viscéral, qui provoque à son tour une excitation dans la zone métamérique correspondante. Ce qui est perçu, ce sont les contractions musculaires, les perturbations sensitives cutanées de la zone correspon­dante, d’où cette notion : « L’anesthésie cutanée est l’un des moyens les plus pratiques pour supprimer ou atté­nuer les douleurs sous-jacentes. » Une partie de l’acu­puncture, l’action loco dolenti, utilise ces réflexes courts.

2) Les réflexes moyens qui suivent la voie efférente sym­pathique, la corne latérale de la moelle et parviennent au centre diencéphalique et au thalamus. Des travaux histo­pathologiques, entrepris à la Faculté de médecine de Paris par le Pr Coujard et publiés en 1957, apportent une série d’expérimentations précises, probantes, officielles et peu connues, prouvant le retentissement à distance des lésions du sympathique périphérique.

C’est également ces réflexes moyens qui interviennent dans les problèmes des zones de Hirata et des zones de Head [14].

3) Les réflexes longs : peau, nerf sensitif, corne posté­rieure de la moelle, faisceau spinothalamique, thalamus et noyau ventral du thalamus — et, de là, projection vers la pariétale ascendante et vers les zones frontales anté­rieures. Ces réflexes interviennent, pour Pavlov, dans les inhibitions corticales.

Si nous envisageons comparativement ces trois réflexes, nous pouvons remarquer que le réflexe court n’a qu’un intérêt limité car il n’intéresse qu’une partie de l’acu­puncture, et que le réflexe long demande une expéri­mentation très précise dans des laboratoires spécialisés. Le plus abordable est le réflexe moyen. Pour l’étudier, il est nécessaire de trouver des paramètres simples, facilement explorables et enregistrables.

Un paramètre simple est le rythme respiratoire ou le rythme cardiaque, ce dernier bénéficiant actuellement d’un appareillage très sensible. Les variations du rythme cardiaque, en fonction des éléments parasites tels qu’émo­tions et repas, ou des éléments neurovégétatifs, tels que le réflexe oculocardiaque, sont bien codifiés. Le problème de la variation expérimentale du rythme, autrement dit de la conductibilité, est facilement résolu : outre qu’il est commun de rencontrer des tachycardies fonctionnelles ou lésionnelles, il est possible de faire varier ce rythme par l’injection de drogues telles que l’adrénaline, par exemple. L’électrocardiogramme est un des critères les plus com­modes sur lesquels on peut fonder une expérimentation. Ces recherches sont actuellement en cours en Russie et activement poursuivies en France par le docteur Daniaud et par le docteur Craffe dans le cadre de l’Organisation pour l’étude et le développement de l’acupuncture.

Une médecine psychosomatique?

Mais d’autres possibilités s’offrent de mieux comprendre l’acupuncture. Pavlov a parlé de la force exceptionnelle et de la facilité de propagation qu’acquiert l’induction négative, autrement dit l’inhibition au niveau des régions corticales, vers les éléments périphériques. Il a écrit en outre : « Le fait que chaque point de la peau a sa projec­tion en un point correspondant de l’écorce cérébrale montre clairement l’avantage qu’offrent en physiologie les analyseurs cutanés pour l’étude des processus d’inhi­bition, car les analyseurs cutanés sont accessibles à toute l’étendue de la peau. »

Mme Tchou Lien a estimé que, quoique les procédés d’excitation employés par Pavlov soient différents de ceux de l’acupuncture du point de vue de la correction des troubles de l’équilibre dans l’écorce cérébrale par l’excitation des récepteurs sensitifs cutanés, ces faits sont identiques à ceux que nous observons en clinique avec l’acupuncture. Dans cette optique, l’acupuncture va donc être envisagée comme une thérapeutique dynamique des états d’inhibition, ces états d’angoisse ayant entraîné un transfert sur des organes ou des fonctions (ce que l’on nomme une corporéisation).

Il devient de plus en plus évident que, à côté de la patho­logie classique d’organes, il existe une autre pathologie échappant aux lois des matières fondamentales apprises à la faculté. Des médecins sont amenés à dépasser le dogme organiciste qui ne nous introduit qu’à un aspect partiel de l’homme, son aspect matériel, objectif, mais non à l’homme total. L’incompétence thérapeutique classique est totale à l’égard de ces malades de plus en plus nombreux que certains médecins nomment des fonctionnels, des psychiques, de névrotiques, etc. Depuis longtemps, comme l’ont souligné de nombreux auteurs, et principalement le Dr Solié (Médecine et homme total), seule la pathologie d’organe a été envisagée. Il est ainsi oublié qu’un organe ne constitue qu’une partie d’un tout nommé l’organisme, et qu’un trouble quelconque d’une partie peut retentir, soit par continuité ou contiguïté, soit par voie neuro-hormonale, sur une autre partie de cet organisme ou sur celui-là dans son entier, et vice versa. De ces constatations est née, à côté de la pathologie classique organique, une autre pathologie existentielle ou psychosomatique ou cortico-viscérale. L’homme a acquis au cours de son évolution une moelle épinière, un bulbe, un hypothalamus, un cortex, c’est-à-dire des moyens d’entrer en rapport avec le monde, qui ne sont plus seulement digestifs comme chez un vulgaire cœlentéré.

Non seulement un organe malade fait partie d’un orga­nisme, d’un tout, mais ce tout est lui-même relié avec le milieu social et la civilisation, avec son « être dans le monde ».

L’espèce humaine est actuellement au bord d’une muta­tion aussi importante que celle qui conduisit les Primates aux Hominiens par l’acquisition de la station verticale. Un saut si prodigieux ne va pas sans de profonds boule­versements, tout particulièrement dans l’âme individuelle et collective, sans pour autant nier l’importance des fac­teurs physiques. L’écrivain russe Merejkovski écrivait déjà, il y a une trentaine d’années : « Le drame des nouvelles générations, c’est que les anciens dieux sont morts et les nouveaux pas encore nés. »

L’homme moderne qui parvient mal à diriger son énergie psychique vers ces nouveaux dieux, par suite des sollicitations et des agressions matérielles de plus en plus nombreuses, va fuir vers des préoccupations d’ordre inférieur : il va en quelque sorte matérialiser cette énergie au niveau de certaines zones du corps prédisposées par leur faiblesse constitutionnelle, ce qui entraînera une maladie. La maladie est donc une régression, un retour à un stade d’évolution antérieur et devient alors l’expres­sion d’une « relation-au-monde » faussée : de plus en plus l’homme ne peut assumer sa vie, et tout ce qui le trouble va devenir maladie.

Le médecin doit alors agir comme tout être qui tente d’en guérir un autre, par ce qu’on appelle le complexe auto­rité-confiance, qui est le plus grand médicament mis à la disposition de l’homme. Mais s’il emploie l’acupuncture, il interviendra avec plus d’efficacité dans les maladies chroniques, expression fré­quente d’une difficulté à vivre : car, d’une part, il peut supprimer rapidement la douleur, ce qui va aider à la récupération psychique du malade ; et, d’autre part, la puncture des points cutanés va retentir dans les zones hypothalamiques où s’intègrent à la fois les sollicitations émotionnelles et les sollicitations organiques.

Indications et limites

Ainsi, sans présenter le péril de l’analyse qui peut faire dangereusement surgir des éléments émotionnels bien assimilés, ni le danger des tranquillisants qui mettent un brouillard entre le « moi » et la réalité, sans l’insuffisance et parfois la nocivité des multiples médicaments allopathiques, l’acupuncture va permettre à l’homme de tenter de retrouver son énergie, donc un équilibre psychosoma­tique qui était précédemment perturbé.

L’acupuncture est une méthode diagnostique, mais aussi une thérapeutique au même titre que l’allopathie. De par son origine, elle devrait s’adresser surtout à l’homme qui commence à être malade, et même être utilisée préventivement. Mais les habitudes occidentales ne provoquent pas le désir de l’homme d’aller consulter son méde­cin quand il se sent bien portant : il va le voir lorsque le signal de la maladie est apparu.

L’apologie d’une méthode ne doit pas entraîner la négation des autres modes de traitement : en effet, l’insu­line, les antibiotiques, la cortisone, etc., sont dans cer­tains cas irremplaçables.

Que peut alors l’acupuncture ?

D’une façon générale, l’acupuncture est la thérapeutique de la douleur, elle procure en effet le soulagement parfois instantané et définitif de la douleur sous toutes ses formes : sciatiques, névralgies, lombalgies, céphalées, douleurs articulaires, rhumatismales, douleurs dentaires.

Dans une lombalgie, par exemple, la douleur est provoquée davantage par la contracture de défense des muscles entourant la lésion, que par la lésion elle-même, minime en général : l’acupuncture va calmer cette tension et faire disparaître la douleur, qu’elle soit pas­sagère ou chronique. En dehors de cette action spéci­fique sur la douleur, l’acupuncture peut intervenir dans un grand nombre de maladies. Tous les médecins voient dans leur clientèle deux types de malades : les malades organiques purs, tels ceux qui présentent un cancer du rein, une lithiase vésiculaire, une tuberculose pulmonaire, une grossesse extra-utérine, etc., pour lesquels l’acupuncture ne peut agir que comme sédatif. Ce sont les malades que le médecin acupuncteur, par l’interroga­toire, l’examen clinique rigoureux, avec l’aide de la radiologie ou du laboratoire, doit savoir reconnaître et adresser à un confrère spécialisé ou non. Il peut alors calmer une douleur ou une angoisse provoquée par la lésion.

Le deuxième groupe, est celui des malades chez lesquels la relation au monde est perturbée, qui vont en quelque sorte fuir leur vie.

Si ces malades fuient dans une sphère imaginaire encore en rapport étroit avec leur cadre familial ou social, c’est une névrose d’angoisse (la dépression nerveuse), où l’acu­puncture va constituer un traitement remarquable. Si leur sphère imaginaire est en quelque sorte détachée de l’existence réelle, c’est une psychose qui demande un traitement neuropsychiatrique classique, et l’acupuncture est « dépassée ».

Si ces malades fuient dans la corporéité, c’est-à-dire s’ils ont créé une sphère imaginaire non autour d’eux mais en eux, ils vont présenter des troubles fonctionnels parti­culiers qui pourront être traités par l’acupuncture. Tels sont :

Les troubles cardio-vasculaires : hypertension, hypo­tension, fausse angine de poitrine, douleurs précordiales, tachycardies, extra-systoles, etc.

Les troubles digestifs : vomissements, nausées, crampes d’estomac, « crises de foie » (qui ne sont en général que des spasmes de la vésicule), appendicite chronique, colite, constipation chronique, etc.

Les troubles sexuels : règles perturbées, frigidité, impuissance, etc.

Les troubles cutanés : eczéma, herpès, psoriasis, urticaire, furonculose, acné, etc.

Les troubles pulmonaires : asthme, emphysème, toux rebelle, trachéite, etc.

Les troubles ophtalmiques : myopie, conjonctivites, etc.

Les troubles auditifs : bourdonnements, surdité, etc.

Les troubles de l’appareil respiratoire supérieur : sinusites, rhinites, enrouements, etc.

Tous ces malades pourraient être guéris en général par l’allopathie. Mais il arrive que les médicaments entraî­nent une réaction de défense de l’organisme, une sorte d’intolérance provoquant ainsi une autre maladie par agression. Or, l’acupuncture n’introduit aucun produit chimique dans l’organisme. D’autre part, le médicament est déterminé pour un cas particulier, pour une zone par­ticulière, et néglige le malade dans son ensemble. Au contraire, l’acupuncture va modifier son milieu, et le médecin, au lieu d’appliquer une prothèse médicamen­teuse, va s’occuper de l’homme dans sa totalité.

Son action dans les maladies infectieuses n’est pas à négliger ; mais elle doit être utilisée dans l’ombre des antibiotiques, s’il s’agit d’une affection grave, afin de tenter de stimuler les défenses du malade. Toutefois, dans une sinusite, elle peut être employée seule avec des résultats constants comme dans les maladies infectieuses bénignes.

L’acupuncture va donc agir essentiellement lorsque la maladie a revêtu des formes chroniques : mais, aujour­d’hui, les maladies chroniques dépassent quantitative­ment toutes les autres !

En conclusion, même si son support philosophique et énergétique n’est considéré que comme une trame commode, même si la pulsologie n’a plus la même valeur absolue qu’autrefois, l’acupuncture n’en demeure pas moins une réalité médicale et une thérapeutique que la médecine d’aujourd’hui ne peut plus ignorer et qu’elle sera tôt ou tard obligée d’intégrer.

Elle permet de suppléer la carence de cette médecine dont le matérialisme trop exclusif ne sait plus répondre à l’aspiration verticale de l’homme, cet homme qui devrait utiliser son aventure pour en faire non plus un vagabondage, mais un accomplissement.

Docteur CLAUDE LE PRESTRE

[1] Religion populaire chinoise élaborée vers les IIIe et IVe siècles avant J.-C. Comprenant encore une part importante de la religion ancienne que Confucius avait tenté de réformer, elle a sans doute subi l’influence de la philo­sophie mystique de Lao-Tseu, mais fut complètement déformée par ses disciples. Le taoïsme a ainsi transformé l’immortalité spi­rituelle de Lao-Tseu en recherche de l’immortalité matérielle par une sorte d’élixir de longue vie et a incorporé ces idées à son fond ancien de sorcellerie et de démonolâtrie.

À côté de trois dieux fonda­mentaux, on trouve une infinité de divinités pour chacune des forces de la nature, pour cha­cune des vertus et même pour chaque ville ou chaque village. La plupart de ces dieux sont des esprits de personnes ayant vécu et ayant été divinisées en recon­naissance des services qu’elles ont rendus. Le taoïsme possède un corps de religieux qui reconnaissent l’au­torité spirituelle d’un souverain pontife héréditaire. On distingue les moines solitaires et les prêtres vivant de la vie habituelle. Les cérémonies consistent en proces­sions et en sacrifices. En outre, et c’est l’élément le plus ancien du taoïsme et sans doute le plus fidèlement respecté, il y a dans chaque maison une salle réservée au culte du dieu ancestral ; des offrandes sont faites journellement devant les tablettes qui le représentent et, à certaines fêtes, sur son tombeau.

[2] En Chine, la connaissance des méthodes médicales occidentales avait aussi contribué, pendant un demi-siècle, à diminuer l’impor­tance de la médecine tradition­nelle. Mais il existe actuellement de très importants centres d’acupuncture à Pékin, Canton, Nankin et Shangaï. En outre, depuis 1958, le gouvernement populaire oblige tous les médecins à étudier l’ancienne médecine. Au Japon, après s’être ralliés eux aussi aux méthodes occidentales, les médecins japonais emploient maintenant la médecine tradition­nelle en même temps que la mé­decine moderne. L’acupuncture est très répandue en France (environ 1200 méde­cins la pratiquent couramment), bien qu’il n’y ait aucun ensei­gnement officiel. Mais elle ne doit être pratiquée que par un docteur en médecine ; les chirurgiens-dentistes ont le droit de l’utiliser contre la douleur, et les masseurs peuvent faire des mas­sages à l’ongle sur des points d’acupuncture. Elle est reconnue par la Sécurité sociale.

En Allemagne, en Italie, en Bel­gique et dans les pays nor­diques, l’acupuncture est en expansion. En U.R.S.S., elle est enseignée dans les Facultés de médecine et les laboratoires de physiothérapie d’État, à Moscou, Leningrad et Kazan.

[3] D’assez bonne heure, les Chi­nois ont eu des notions relative­ment exactes sur l’emplacement, le poids, la forme, les fonctions, les relations des organes entre eux. Mais ces notions étaient encore bien simples car les exa­mens ne pouvaient se faire que sur les cadavres des suppliciés. Ce n’est qu’il y a cent cin­quante ans, lors d’une grosse épi­démie de peste, que le Dr Wang Chin Jao put, pendant dix jours, examiner des cadavres déchique­tés par les chiens ou autres ani­maux.

[4] L’énergie circule donc dans douze méridiens bilatéraux, et deux méridiens spéciaux appelés vaisseau conception et vaisseau gouverneur. Quand des troubles pathologiques produisent un excès d’énergie, cette dernière emprunte des canaux de dérivation appelés mé­ridiens extraordinaires ou vais­seaux merveilleux.

Ces vaisseaux présentent trois caractéristiques :

1) Ils ne comportent pas de points particuliers ;

2) Ils n’ont qu’un point de commande dit point maître ;

3) L’énergie dans tous les vais­seaux merveilleux est ascen­dante.

Il y a huit vaisseaux merveil­leux.

Le vaisseau de la conception et le vaisseau gouverneur sont à la fois des vaisseaux merveilleux, car ils sont commandés par un point maître, et des méridiens ordinaires, car ils sont parcourus en permanence par l’énergie. Mais ils sont purement fonction­nels, ne répondant pas à un orga­ne déterminé ; on ne les perçoit pas dans la gouttière radiale, et les points d’acupuncture situés sur leur trajet ne sont indiqués que par l’examen clinique.

[5] Tel le point particulier aux len­demains de fête trop copieusement arrosée qui a pour nom « paiement cruel ». Citons aussi le point « moindre marchandage », ainsi nommé parce qu’il est situé au centre de la région du pouce que les Chinois mon­traient pour arrêter les enchères lors d’un marchandage. Les Japo­nais avaient aussi un certain réa­lisme puisqu’ils avaient appelé « point de la geisha » le point qui guérit l’impuissance.

[6] Il est utile, pour le diagnostic, d’observer les « grains de beauté » du malade. En effet, le Dr de La Fuÿe avait constaté ce fait curieux : dans les cas de maladies chroniques le point dou­loureux spontané devient parfois visible par la présence d’un nævus. Ce nævus indique alors l’organe qui est ou a été atteint, selon le méridien sur lequel il est situé. Après guérison, ces nævi cessent d’être douloureux.

L’emplacement des verrues, des molluscums ou tumeurs molles de la peau, des « taches de vin » peut même indiquer les organes qui, quelquefois dès la nais­sance, doivent et devront être surveillés. Par exemple, la présence d’une verrue à l’un des angles nasogé­niens (aile du nez) au point précis où se termine le méridien du gros intestin (20e point) indique qu’il s’agit de malades souffrant ou ayant souffert de troubles intestinaux chroniques.

[7] Hippocrate (377 avant J.-C.) distinguait dans les pouls cer­taines qualités telles que faiblesse, grandeur, force, fréquence. Galien (IIIe siècle après J.-C.) décrivait les pouls abdominal, stomacal, hépatique, céphalique et ajoutait : « L’affection d’une partie peut exciter des variations dans les mouvements des artères ». Rufus d’Éphèse (IVe siècle après J.-C.) notait le pouls dicrot ou rebondissant, etc.

[8] « À cette époque (quelques siècles avant l’ère chrétienne), la fabrication des aiguilles donnait lieu à une profession spéciale que seuls pouvaient exercer les déten­teurs d’une autorisation de l’Empereur, figurée par une lettre portant le sceau impérial. On utilisait un métal très pur, venant de fers de flèche (réputés toujours inaltérables) ou de mors de cheval sans défaut.
» Ces aiguilles subissaient plu­sieurs traitements : elles étaient chauffées dans de l’argile, mises dans diverses liqueurs aqueuses en ébullition, puis plongées dans la graisse ; ou bien soumises à des décoctions de certaines mixtures à base de cervelle, lait de femme, soufre, ache, noix d’arec, origan, etc. Pour les polir, on les piquait en terre un grand nombre de fois ». Extrait de la thèse du Dr Roger Baptiste.

[9] Le nom de moxas vient d’un mot japonais formé de Mo, brûlé, et Kuso, herbe. Les moxas ont été connus en Chine en même temps que l’acu­puncture. Ils consistent en un petit cône d’armoise que l’on fait brûler sur les points d’acu­puncture. Les moxas ont été uti­lisés comme tonifiants : ils ont d’excellents résultats dans les ma­ladies Yin, sur les rhumatismes, les œdèmes, les dermatoses. Ils sont surtout employés au Japon ; mais on peut observer leur uti­lisation aux Philippines, aux Indes, en Arabie, en Perse, en Turquie, en Laponie et même en Égypte. On rapporte que, lors de la campagne d’Égypte, Larrey, chirurgien de Napoléon, les em­ploya contre un lumbago tenace de Bonaparte.

L’armoise a été quelquefois rem­placée par de la moelle de jonc, de l’aconit, de l’encens ou même de l’amadou. En Europe, les utilisateurs actuels de la moxibustion emploient un matériel électrique, ce qui est moins douloureux et ne laisse pas de cicatrices.

[10] L’art vétérinaire apporte un argument capital à la réalité de l’acupuncture, car il interdit d’opposer désormais l’argument bien connu de la suggestion et du placebo. L’utilisation de l’acupuncture en art vétérinaire est d’application récente. Les Chinois ne la men­tionnent dans aucun livre et elle n’existait probablement pas. Mais la règle de l’énergie vitale est trop générale pour ne pas englo­ber, dans le règne animal, au moins les vertébrés supérieurs. Une des premières tentatives d’acupuncture vétérinaire re­monte à 1836. Elle est due à Flamens qui en fait mention dans son Recueil de Médecine vétérinaire. I1 relate la guérison d’un bœuf pa­ralysé, par « 30 aiguilles de trois pouces implantées à l’aide d’un petit maillet à droite et à gauche de l’épine lombaire et à la pro­fondeur d’un pouce et demi ». Velpeau fit aussi quelques essais sur des chats, des chiens, des lapins, mais davantage à titre expérimental qu’à titre thérapeu­tique.

En 1943, le Précis d’acupuncture, de Lavergne, mentionne les pre­mières piqûres curatives. Enfin, en 1950, Lepetit fait une thèse sur l’acupuncture vétérinaire et note la docilité des petits animaux et leur insensibilité apparente aux piqûres. Il constate aussi la dif­ficulté de transposer les points sur les animaux. Comme nous l’avons vu, beaucoup de points sont si­tués sur les extrémités : or le cheval, par exemple, n’a plus qu’un doigt puisqu’il est onguli­grade.

Les travaux les plus récents sont ceux du Dr Milin qui étudie depuis plusieurs années à l’École d’Al­fort. Son œuvre est à ce jour la plus importante. Il a pu établir une table déjà fort détaillée de plus de cent points utilisables sur le cheval et le chien.

[11] En 1945, le Dr Manaka, ayant effectué des recherches sur l’ex­ploration galvanométrique de la peau, avait établi que des points de moindre résistance correspon­daient aux points chinois. Le Dr Niboyet ayant suivi la même expérimentation, ils construisirent respectivement des appareils détecteurs.

En 1955, le Dr Brunet et l’ingénieur Grenier ont présenté un appareil d’une grande sensibilité, fondé sur le principe du pont de Wheatstone et appelé le puncto­mètre.

Puis ils construisirent en 1958 un appareil plus précis, nommé par eux la « balance électronique ». En l’occurrence, l’idée directrice de Brunet et Grenier a été d’obte­nir, avant toute tentative de traitement et quel que soit le cas con­sidéré, un diagramme rendant compte objectivement des pertur­bations du circuit énergétique. Ce furent les points d’extrémité (si­tués aux doigts et aux orteils) qui furent choisis pour appliquer les électrodes.

Le punctomètre initial fut ainsi transformé par :

1″ la mise en place d’une pointe détectrice à pression contrôlée ;

2″ l’élimination de tout courant entre les électrodes, tout en con­servant une sensibilité suffisante pour que la déviation galvanomé­trique maximale puisse être jugée sans adjonction de systèmes op­tique ou acoustique pouvant nuire à la susceptibilité de l’instrument ;

3″ la compensation de la perte, au niveau du point examiné, d’une certaine quantité d’électrons né­cessaires à actionner le système galvanométrique, au moyen d’un dispositif de contrage : un po­tentiomètre permet de ramener à zéro l’aiguille du galvanomètre, neutralisant par ce moyen sa dé­viation.

Pour réaliser les courbes, on note les chiffres lus sur le cadran du potentiomètre après contrage et traduits en microwatts.

[12] Le test d’Akabane consiste à frapper doucement chaque point terminal des méridiens (sur les doigts et les orteils) avec une ba­guette, jusqu’à ce que ces points deviennent douloureux. Le nombre des coups nécessaires est différent pour un même méridien selon qu’il s’agit de celui de droite ou de gauche, quand l’éner­gie de ce méridien est perturbée. Akabane puncture alors le point-assentiment de ce méridien (point situé obligatoirement sur le mé­ridien de la vessie) : la différence thermique obtenue par les chocs de la baguette disparaît alors rapidement, ainsi que les symp­tômes de la maladie.
[13] Les modifications de la formule sanguine ont été prouvées depuis plusieurs années. À la suite de la piqûre du 39e point de la vessie, par exemple, le nombre de glo­bules rouges, de globules blancs et le taux d’hémoglobine aug­mentent (si cette piqûre a été faite chez un malade atteint d’ané­mie). Cette augmentation n’est pas seulement transitoire comme cela se passe si les piqûres sont faites sur d’autres points, mais définitive. C’est une des grandes preuves indiscutables de l’action de l’acupuncture.
[14] Hirata décrivit en 1913 douze zones sur la tête, le tronc et les membres, avec leurs correspondances organiques. Ces zones sont souvent le siège d’eczéma et les points situés aux croisements de ces zones et du méridien en cause montrent une grande sensibilité. Head, en 1901, avait décrit éga­lement un grand nombre de ré­gions où la sensibilité à la dou­leur était plus forte, régions cor­respondant à différents organes et qu’il nommait dermatomes.