Michelle Bompois-Meaux
La prière, entretien avec Regina Sara Ryan

J’ai foi en la réalité d’autres plans d’existence et dans le fait qu’ils communiquent avec nous. Je leur lance alors un appel. Car ils écoutent et leur présence a un impact sur le monde des humains. Plusieurs fois dans ma vie j’ai eu nettement l’impression qu’il existait une force, une guidance d’une force supérieure. Je ne peux pas le prouver, mais n’oublions pas non plus que, pendant des milliers et des milliers d’années, les êtres humains ont invoqué des mondes plus élevés que le plan terrestre, des mondes invisibles et pourtant inhérents au monde visible. Je ne peux pas prétendre que cela n’existe pas simplement parce que je ne le vois pas. J’ai foi dans le processus d’évolution de l’humanité, il y a plus que ce que nous voyons et touchons immédiatement.

Q : Régina, parlez-nous de votre relation à la prière.

RSR : J’ai grandi dans une famille catholique très pratiquante. Ma mère priait beaucoup et comptait sur Dieu pour qu’il la guide en tout. Nous étions sept à la maison et faisions chaque soir la vaisselle ensemble en disant le chapelet à voix haute. C’était quelque chose que ma mère nous encourageait à faire. J’avais aussi toujours un chapelet dans la poche et le réciter me remplissait de joie.

Cela dit, ce n’est pas évident de parler de la prière. Vous ne pouvez jamais être sûr que votre interlocuteur a la même définition de ce mot que vous, qu’il s’en fait la même représentation, qu’il en a la même expérience. Nous avons tous une relation unique à la prière, si tant est que nous en ayons une. La prière est pour moi la reconnaissance du fait qu’il existe quelque chose de plus élevé que le niveau strictement horizontal de l’existence humaine, qu’il y a des plans d’existence supérieurs. Prier, c’est prendre cela en compte dans l’équation de ma vie. Je ne suis pas seule ici-bas, j’ai la possibilité d’établir une communication avec ces différents domaines. Cette communication peut se présenter sous la forme d’un simple « je t’aime », par exemple, lorsque le souvenir de mon mari décédé monte en moi. Ce genre de prière est une manifestation d’amour intériorisé, qui peut s’accompagner de paroles, ou bien c’est un sentiment qui est là. La prière peut aussi être une louange, un élan intérieur d’adoration ou une bouffée de gratitude. Ce matin je suis allée marcher, la lumière était magnifique, il faisait très froid et tout était recouvert de givre. Que pouvais-je faire d’autre que contempler toute cette beauté et dire : « Gloire à Toi ! Merci ! ».

La prière peut aussi être une supplication. Nous, êtres humains, reconnaissons que, parfois nous ne sommes pas capables d’y arriver seuls, que nous avons besoin de toute l’aide possible. Je peux appeler mes amies et leur demander de m’aider, et je peux aussi faire appel à quelque chose de plus haut que moi. Je n’ai même pas nécessairement un visage ou un nom pour ce quelque chose, mais j’ai foi en son existence. Il y a des gens qui disent qu’il ne faut pas prier pour obtenir quelque chose. C’est leur point de vue, mais, personnellement, il m’arrive de le faire, tout en précisant chaque fois à la fin : « Seulement si c’est pour mon bien ». Ou « Seulement si c’est pour le bien de cette personne ». Quand je fais une prière de supplication, ce que je demande surtout, c’est une qualité divine, une qualité de puissance supérieure. Au lieu de prier pour avoir une nouvelle voiture, je prie pour recevoir le don de la gratitude, j’implore Dieu, j’implore l’Univers qu’il me soit donné les qualités qui me soutiendront dans mon travail, dans ma démarche.

Donc j’ai foi en la réalité d’autres plans d’existence et dans le fait qu’ils communiquent avec nous. Je leur lance alors un appel. Car ils écoutent et leur présence a un impact sur le monde des humains. Plusieurs fois dans ma vie j’ai eu nettement l’impression qu’il existait une force, une guidance d’une force supérieure. Je ne peux pas le prouver, mais n’oublions pas non plus que, pendant des milliers et des milliers d’années, les êtres humains ont invoqué des mondes plus élevés que le plan terrestre, des mondes invisibles et pourtant inhérents au monde visible. Je ne peux pas prétendre que cela n’existe pas simplement parce que je ne le vois pas. J’ai foi dans le processus d’évolution de l’humanité, il y a plus que ce que nous voyons et touchons immédiatement.

Alors cet Être, cet Esprit ou quel que soit le nom qu’on lui donne, j’entre en relation avec lui, même s’il ne répond pas. Je ne résiste plus à son influence. C’est comme lorsque je ne résiste plus à la pluie ; mon âme s’adoucit pour l’accepter et je suis en communion avec cette eau qui tombe du ciel. Il y a des gens qui sont tout le temps en train de râler sur le temps qu’il fait. Mais, pendant des siècles nos ancêtres ont invoqué les Esprits de la nature pour faire venir la pluie, le soleil, etc. C’est également là une forme de prière : on est en relation avec quelque chose de plus grand que l’on ne peut pas contrôler. Ne pas résister est une forme d’amour. La prière vise à créer une relation. Prier, c’est dire : « Je suis là ».

La réalité, c’est que nous aimons notre prochain. Nous nous inquiétons quand nous apprenons qu’un ami a eu une crise cardiaque. Spontanément nous voulons lui tendre la main, l’aider, le toucher, le réconforter, le prendre dans nos bras. C’est là un début de prière. Nous générons une énergie qui vient du cœur et cette énergie a un impact sur le monde. Nous savons cela intuitivement et, aujourd’hui, la physique quantique le confirme. Penser que ce phénomène s’applique uniquement aux particules nucléaires dans une énorme machine de laboratoire, ne pas croire qu’il s’applique aussi aux relations entre nous, revient à nier l’expérience de tout un chacun. Quand mon énergie est dirigée vers quelqu’un dans une intention aimante, elle le touche, l’émeut, le change, peut-être même le guérit. La prière est la reconnaissance d’un lien énergétique invisible avec le monde créé, sous une forme qui n’est pas nécessairement tangible sur le moment ou démontrable en laboratoire.

Q : La prière a-t-elle également un impact sur la personne qui prie ?

RSR : Plus je prie, plus mon silence intérieur grandit, plus je suis capable de rester assise dans le calme sans rien faire. Plus je suis capable d’entrer en communion avec le silence, l’amour et l’immobilité, et plus ma vie quotidienne ralentit, devient plus consciente, aspire à plus de compassion, à plus de générosité, aspire à servir. Reconnaître que je ne suis pas l’Alpha et l’Oméga de mon existence, que le réel est fait d’une multitude de forces invisibles, que j’ai peut-être même un ange gardien qui veille sur moi, m’oriente vers une attitude d’humilité. Dans ce silence et cette quiétude, certaines personnes qui sont dans le besoin viennent à mon esprit. Je n’ai pas de visions, mais il s’éveille en moi le désir de les servir, de les réconforter. Si je connais quelqu’un qui a soudain besoin d’être aidé, son nom monte en moi. C’est là aussi une forme de prière. Je me souviens de cette personne, je la bénis intérieurement, je la remets intérieurement entre les mains de l’Amour.

Essayer de faire de la prière la dynamique centrale de ma vie est en soi transformateur. Toutes les personnes que j’ai rencontrées et que je considère comme des personnes de prière possèdent une présence très fine et pleine de compassion.

Q : Pouvez-vous nous parler des différentes façons de prier ?

RSR : Il y a dans le bouddhisme tibétain une pratique très profonde que l’on appelle tonglen et que je décrirais ainsi : quand vous prenez conscience qu’une personne souffre, de tout votre cœur, de tout votre être, vous lui envoyez votre joie, votre bonne santé, votre force. Cette personne n’étant peut-être pas connectée ni soutenue intérieurement, vous inspirez sa souffrance et vous expirez dans sa direction une énergie de guérison et de bénédiction. Vous respirez cette énergie à sa place, pour elle. On pourrait penser que c’est du masochisme d’échanger son bonheur contre la souffrance de quelqu’un. Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que faire cela vous connecte à une énergie infinie d’amour, de guérison et de compassion. Le grand maître tibétain Chögyam Trungpa Rinpoche disait lui-même que personne ne savait comment fonctionne exactement cette technologie, mais qu’elle fonctionne à un niveau énergétique, et qu’elle impacte jusqu’au moindre atome.

Pour revenir à votre question, si j’apprends que vous êtes malade et si je ressens immédiatement l’envie de vous servir, si je vous envoie la force de guérison que je possède, si j’inspire la douleur que vous ressentez et expire à la fois mon désir de vous guérir et l’amour que j’ai pour vous, mon énergie, ma force, alors je ne peux pas imaginer que cela n’ait pas aussi un effet positif sur moi. Surtout, sachant que ce n’est pas « mon » amour, mais un amour infini qui est envoyé à travers moi. Je ne prétends pas définir le tonglen comme Chögyam Trungpa Rinpoche le ferait, mais c’est ce que j’en comprends. Ils disent dans cette tradition : « Je suis prêt à vous donner la paix qui m’habite présentement ». Donner notre paix à autrui ne nous en prive pas, même s’il y a dans cette pratique un aspect sacrificiel. C’est un peu comme si j’échangeais mon bonheur pour que vous en ayez un peu. C’est une pratique d’une grande maturité, d’une profondeur que je ne prétends pas posséder. Mais je pense que c’est quelque chose avec laquelle nous pouvons travailler, si prier nous intéresse.

On retrouve cette approche et cette dimension dans toutes les traditions. Le Christ, ainsi que le prophète Mahomet, étaient des maîtres de sagesse, et les vérités qu’ils ont enseignées se retrouvent aussi bien dans le judaïsme que dans l’hindouisme ou le chamanisme. Dans la tradition monastique chrétienne, il y a une prière que l’on appelle la « prière du cœur ». À force d’être dite et redite intérieurement, cette prière finit par s’installer d’elle-même dans le cœur et ne s’arrête plus. Le grand maître indien Ramana Maharshi parle de « déposer l’esprit dans le cœur ». Et on trouve chez les soufis une pratique qui consiste à générer dans le cœur le rappel du Bien-Aimé jusqu’à ce qu’un feu intérieur s’allume et prenne l’ascendant sur tout le reste. Dans les cérémonies chamaniques, certains rites sacrificiels pour le bien de la tribu et de la terre sont exécutés par un officiant se tenant au centre d’un cercle de danseurs. Là encore, le cœur a une place centrale. La communication ne se fait pas par des mots, mais par le centre énergétique du cœur. Elle élève l’être et embrasse un champ bien plus large du réel.

Q : Comment sait-on qu’une prière ne vient pas seulement du mental ?

RSR : Nous sommes tous capables de faire intuitivement la différence entre quelque chose de purement intellectuel et un élan d’amour authentique. Un jeune papa tient son bébé dans les bras et se sent si ému, si miraculeusement émerveillé qu’il reste sans voix. Quand il aura déposé son enfant dans son berceau et retrouvé ses amis, peut-être se mettra-t-il à parler sans pouvoir s’arrêter : « C’est génial, je n’ai jamais rien vu de plus beau ! C’est formidable ! C’est la première fois que je vis quelque chose comme ça ! » Si on l’aide à en prendre conscience, il sentira bien la différence entre ces deux états, celui où il est émerveillé et saisi de révérence, et celui où il décrit son expérience et la personnalise : « Mon bébé, le plus beau de tous les bébés… »

Q : Que diriez-vous à quelqu’un qui souhaite commencer à prier ?

RSR : Avoir sincèrement le désir de prier est déjà une sorte de grâce. On se sent vulnérable face à quelque chose que l’on pressent être très grand. Désirer sauter en parachute ne se situe pas au même niveau que désirer explorer une autre dimension de soi-même. Vouloir explorer le domaine de l’amour, c’est avoir déjà mis un pied sur la voie. L’étape suivante sera de prier et de voir ce qui se passe. Progressivement la différence deviendra plus claire entre le bla-bla-bla du « moi, moi, moi » et ce qui appartient à un désir de sagesse, d’un désir de servir, d’aimer, de rendre gloire, d’invoquer quelque chose de plus haut que soi.

Nous ne pouvons pas savoir si notre prière est entendue — à moins d’en être informés directement par un ange descendu du ciel… Nous prions donc souvent parce que c’est, en soi, tout ce dont nous avons besoin. Il n’y a pas de grand bonhomme assis sur un nuage en train de tout comptabiliser : « Bon, elle a dit ça 500 fois, je vais la récompenser  ». Le simple fait qu’une personne soit dans mon cœur, que j’invoque sur elle une bénédiction d’amour et que je ressente moi-même cette bénédiction signifie que ma prière est entendue. La personne va peut-être mourir, peut-être vivre encore 25 ans. Mais sur le moment, je sais que ce que j’ai fait est réel. Elle est là, la récompense. Nous n’avons pas besoin de preuves.

Q : Y a-t-il encore d’autres façons de prier ?

RSR : J’hésite toujours un peu à parler des différentes façons dont la prière peut se manifester, car, si je décris ce que je fais ou ce qui se passe pour moi, les gens risquent de se comparer et de se croire plus ceci ou moins cela. Or, il est très important de savoir que l’amour entre la création et moi est une relation absolument unique et personnelle. Il y a des personnes qui ont besoin de prier avec des mots, soit qu’elles ont lu quelque part, soit qu’elles ont elles-mêmes écrit. Pour d’autres, leurs prières se manifesteront par un transfert intense de l’esprit vers le cœur et le souffle. Pour d’autres encore, il s’agira plutôt d’un mouvement de détente et de réceptivité. J’aime l’expression « se déposer en Dieu », « se déposer dans l’amour divin ». Nous passons tellement de temps à faire, faire, courir, toujours courir. C’est facile de dire qu’il ne faut pas faire, qu’il faut être. Oui, c’est vrai, aucun doute là-dessus. Mais qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Chez ceux qui ne sont pas toujours en train de courir, qui sont capables de se déposer, de se reposer dans ce qu’ils sont, dans les circonstances qui sont les leurs, dans l’instant qui est là, il y a une qualité de détente tout à fait perceptible. Ce qui ne les empêche pas bien sûr d’accélérer quand c’est nécessaire.

Donc oui, quelque chose se développe progressivement dans l’être. C’est un peu comme s’asseoir au bord d’une rivière et regarder les feuilles et les branches mortes entraînées par le courant, tout en portant son attention sur la rivière elle-même. Les mystiques parlent de s’abandonner, de se déposer, d’être simplement là, sans rien faire, parfois même jusqu’à perdre toute conscience de soi. Je crains un peu ce genre de termes, car ils donnent l’impression qu’un travail acharné est nécessaire pour arrêter le mental. Or, ce n’est pas mon approche, qui consiste plutôt à ouvrir le cœur et à me reposer dans l’amour.

Notre culture est une culture de résultats et de croyances dans les seules capacités individuelles. Je me surprends moi-même continuellement à planifier, à croire que, si je ne fais pas telle ou telle chose, elle ne se réalisera pas. Alors que j’ai constaté maintes fois que, lorsque je me détends, quand j’arrête de vouloir tout contrôler et aborde un projet dans cette humeur de lâcher-prise, quelque chose de magique se produit. Si nous avons reçu enfants une éducation religieuse, on nous a dit que Dieu habitait tout là-haut, qu’il nous écoutait et répondait à nos prières. Une fois adultes, nous jetons souvent le bébé avec l’eau du bain. Nous voulons des preuves immédiates et l’approbation du groupe est devenue plus importante que notre propre intuition. Nous considérons les anges comme une invention de la Renaissance, et pensons que seuls les peuples primitifs sans éducation prient pour faire venir la pluie. La notion d’intelligence de la machine, la croyance en l’individu comme centre du monde, gagnent sans cesse du terrain. C’est comme une compétition entre le domaine spirituel et le domaine de l’accomplissement individuel. Beaucoup parlent du catholicisme comme s’il émanait d’une vieille nonne aigrie qui leur aurait asséné ce qu’ils étaient censés faire et ne pas faire. Ils ne font jamais référence à la sagesse du message chrétien, à savoir que l’amour est la seule chose qui compte. Ils refusent d’être dupes et du coup rejettent tout en bloc.

Il est tout à fait sain de douter, le doute fait partie de la condition humaine. Mais attention, il peut être aussi une dynamique pernicieuse difficile à surmonter. C’est un piège de vivre sa vie en étant convaincu que tout ce que l’on croit et tout ce que l’on fait est la seule vérité qui soit ; ne jamais avoir de doute est une chose horrible à imaginer. Mais douter de tout est un enfer. Pour moi, les deux extrêmes sont un enfer. Certaines personnes prétendent posséder des certitudes absolues et répètent sans arrêt : « C’est Jésus qui m’a poussé à faire ça. C’est Jésus qui a fait en sorte que telle ou telle chose se produise ». Elles sont catégoriques, et gare à vous si vous les remettez en question ! Elles vous diront sans ambages que c’est vous qui vous trompez. D’un autre côté, il y a des gens qui doutent de tout, ne croient en rien. Ce qui peut réconcilier ces deux approches, c’est un nouveau type d’écoute, un nouveau type d’acceptation. Dans mon livre, Praying Dangerously [1], j’ai écrit tout un passage sur ce que je ne sais pas de la prière. C’est toujours intéressant d’écrire sur un sujet à partir de ce que l’on ne sait pas. Je ne sais pas s’il y a un Dieu, je ne sais pas si Dieu entend mes prières, je ne sais pas. Quand on reconnaît honnêtement son ignorance, tout le sérieux de cette affaire commence à s’estomper, à s’apaiser.

Q : Quelles différences voyez-vous entre la méditation, le rappel de soi et la prière ?

RSR : J’ai beaucoup de gratitude d’avoir été initiée à la pratique de l’observation de soi et du rappel de soi [2]. Pendant des décennies, la dimension du corps et du centre énergétique du cœur n’était pas vraiment présente dans mon apprentissage de la prière. Le plus important était le cœur, mais c’était davantage un « cœur-esprit ». Je ne traitais pas avec l’ensemble du corps physique. Gurdjieff fut l’un des premiers à faire intervenir ce qu’il appela les centres inférieurs du corps. Cette approche a donné une tout autre dimension à ma prière. Je ne priais plus comme une entité désincarnée, mais comme un être pleinement humain. Mon désir était que l’être-corps tout entier soit mobilisé et exprime sa gratitude pour le simple fait d’exister. Le travail d’observation et de rappel de soi m’a fait réaliser à quel point nous vivons exclusivement dans le mental, que celui-ci a la mainmise sur tout ce que nous faisons et toujours en fonction de ce qu’il veut, lui, et combien cette façon de vivre est égoïste et restrictive. Or, le fait est que Dieu ne se trouve que dans le moment présent. Le seul endroit où nous pouvons trouver Dieu est maintenant. La pratique de l’observation de soi et du rappel de soi ne peut se faire que maintenant, maintenant, maintenant. « Reviens, reviens, tu es parti, reviens, reviens ». On ne peut pas prier hier, on ne peut pas prier demain. Quand je marche et que je prends conscience que je marche et quand je regarde autour de moi, ce qui monte est une prière qui vient du corps tout entier, une prière organique. Bien sûr, je peux réfléchir à mon expérience et repartir dans l’intellect, mais la première impulsion, cet « étonnement radical » dont parle le rabbin Abraham Joshua Heschel, est une prière. Et elle ne se produit que dans l’instant présent.

Pour ce qui est de la différence entre méditation et contemplation, même s’il existe de nombreuses définitions, tracer des lignes précises entre ces deux dynamiques ne m’intéresse pas vraiment. Cela dit, j’aime beaucoup ce que le Père William McNamara a dit sur la contemplation que c’est « un long regard affectueux sur ce qui est réel ». Quant à Tessa Bielecki, une carmélite américaine contemporaine que je considère comme une grande dame de prière, elle affirme que la méditation est une préparation à la contemplation, et le travail physique une préparation à la méditation. Méditer, lire, se concentrer dans un corps détendu nous ouvre à un état plus silencieux semblable à un repos profond en présence de l’amour, en présence de Dieu.

Q : Il est rare aujourd’hui de parler librement de prière en société. Pensez-vous que nous ayons perdu une certaine innocence ?

RSR : Dans certains milieux, si je proposais au cours d’une soirée de prier un moment ensemble, les gens penseraient que j’ai perdu la tête. Mais je me souviens de la visite d’une femme pasteur qui avait lu Praying Dangerously et qui voulait me rencontrer. Nous étions un petit groupe d’amis à discuter dans le salon quand elle a soudain proposé que nous priions ensemble. Nous avons spontanément accepté et c’était magnifique. J’ai une amie qui fait partie depuis des années d’une communauté spirituelle hindoue et qui a, elle aussi, un don pour ouvrir des espaces de prière. Nous menons souvent des ateliers d’écriture ensemble et je lui demande toujours de commencer la journée par une invocation. Sa prière est toujours d’une très belle profondeur. Elle n’invite pas simplement à faire silence et à chanter « Om » pendant une minute ou deux. Non, elle parle simplement de l’amour et du désir qui l’habite.

Il y a cette injonction dans notre société à ne plus faire ce genre de choses. Mais si quelqu’un ose et y met toute sa passion, cela fait une énorme différence et cela nous informe de ce que nous avons perdu. C’est très puissant de prier en groupe. Et je ne parle pas seulement de méditer ensemble, je parle de prier avec d’autres.

Q : Que conseilleriez-vous à quelqu’un qui n’a jamais prié, mais souhaite commencer ?

RSR : Je lui dirais tout d’abord que désirer prier est le premier pas. Ce désir dit : « Il y a quelque chose qui me manque et que je veux. Il y a quelque chose de réel que j’aimerais développer. J’ai rencontré quelqu’un et j’ai été inspiré par ce qu’il ou elle dégageait ». Ensuite on peut commencer par cette prière très simple : « Je ne sais pas ». Implorer ce que l’on ne connaît pas, appeler l’Inconnu, le Bien-Aimé : « Je ne sais pas qui tu es. Je ne sais pas ce que je suis en train de faire avec tout ça, je sais seulement que dans mon cœur, il y a ce désir d’amour, je désire quelque chose de plus, je désire servir, je désire être en communion. Aide-moi. Seigneur, aie pitié, aide-moi ». C’est là je pense une vraie prière. « Je ne sais rien. Peux-tu m’aider ? » Il y a dans ces mots une authentique humilité. Il ne s’agit pas de dire : « Je ne suis qu’un ver de terre, la pire créature qui soit ». Non, c’est plutôt : « Je suis un être humain. Et je suis perdu ». Comme dans la chanson Amazing Grace. « J’étais perdu, mais maintenant je suis trouvé. J’étais aveugle, mais maintenant je vois ». Le simple fait de savoir qu’il est possible d’être trouvé est une grâce extraordinaire.

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Michelle Meaux-Bompois est traductrice : elle a traduit, entre autres, le livre Paroles de feu et de foi : du haut de la falaise de Lee Lozowick (2015), et de la série La dualité illuminée : essais sur l’art, la beauté, la vie et la réalité telle qu’elle est de Lee Lozowick.

Regina Sara Ryan est écrivaine et éditrice professionnelle. Elle a été enseignante au Prescott College, à Prescott, en Arizona (1989-1995), et demeure conseillère pour les étudiants diplômés dans les domaines de la théologie et de la psychologie.

Regina est coautrice du Wellness Workbook et de Simply Well : Choices for Healthy Life, avec John W. Travis, M.D., ainsi qu’auteure de No Child In My Life ; Everywoman’s Book of Common Wisdom ; The Woman Awake: Feminine Wisdom for Spiritual Life ; After Surgery, Illness, or Trauma: 10 Practical Steps to Renewed Energy and Health ; et Praying Dangerously: Radical Reliance on God.

Une biographie approfondie d’un saint du sud de l’Inde (hindou), intitulée Only God: A Biography of Yogi Ramsuratkumar, a été publiée en 2004. Ses projets d’écriture les plus récents portent sur des questions liées à la santé des enfants, notamment Breastfeeding: Your Priceless Gift to Your Baby and Yourself et We Like to Move: Exercise is Fun.

Des extraits de ses œuvres ont été publiés dans des anthologies contemporaines d’écrits spirituels de femmes, notamment Sacred Voices: Essential Women’s Wisdom Through the Ages, de Mary-Ford Grabowsky, ainsi que dans Unity Magazine. Regina détient une maîtrise en communication interpersonnelle de l’Université d’État du Colorado, à Fort Collins, Colorado.

Ancienne religieuse catholique, Regina étudie la contemplation et la mystique dans plusieurs traditions depuis plus de trente-cinq ans. Après avoir quitté le couvent au début des années 1970, elle a exploré de nombreuses autres traditions religieuses et a été particulièrement inspirée par la vie des grandes femmes de l’hindouisme, du christianisme, du judaïsme, du bouddhisme et du soufisme. Ses explorations ont donné naissance à ses ouvrages The Woman Awake et Praying Dangerously. Depuis 1980, en plus de son travail d’écriture, elle a œuvré dans des cadres de retraite spirituelle et anime aujourd’hui plusieurs ateliers très populaires aux États-Unis et en Europe, notamment : « Former l’attention pour la prière » ; « Rencontres avec des femmes remarquables », sur la nature féminine de la divinité ; et « Écrire pour rentrer chez soi », sur l’écriture de journal comme voie d’enrichissement spirituel et de transformation personnelle.

Publication en français : L’Insoutenable Absence. Comment Peut-On Survivre À La Mort De Son Enfant ! (éditions de L’Homme)

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1 Prier dangereusement. Traduction française à paraître en octobre 2025.

2 Voir les deux très bons livres sur ce sujet écrit par Red Hawk et publié par Hohm Press : L’observation de soi – l’éveil de la conscience et Le rappel de soi – le chemin de l’amour qui ne juge pas.