Traduction libre
Une révolution de la simplicité : un impératif écologique et éthique pour protéger la vie sur Terre et assurer la justice pour tous les êtres
Journée mondiale de la simplicité, 12 juillet 2020
« Vivez simplement pour que les autres puissent vivre simplement. La simplicité est l’essence de l’universalité ».
Mahatma Gandhi
1 La simplicité permet de protéger la planète et de créer une justice écologique et économique
« La sagesse de la vie consiste à éliminer les éléments non essentiels. »
Lin Yutang
« Du désordre, trouvez la simplicité »
Albert Einstein
La crise de COVID-19 et le confinement ont eu un coût social et humain très élevé en matière de perte de vies humaines, de l’aggravation des crises de la faim, ainsi que de la perte des moyens de subsistance et du travail.
Mais c’est aussi un signal d’alarme qui nous rappelle que nous sommes « une humanité sur une planète ». Le confinement forcé a créé l’opportunité de réduire notre empreinte écologique, de vivre dans les limites de l’écologie et d’avancer avec précaution vers l’avenir, en embrassant toute forme de vie avec la conscience que, bien qu’elles soient toutes différentes, elles sont toutes interconnectées.
Le confinement dû au coronavirus nous a obligés à nous débarrasser du désordre et de la vitesse et à inviter l’humanité à faire la différence entre l’essentiel et le non essentiel.
En nous incitant à rester chez nous, la crise crée la possibilité de réaliser que, qui que nous soyons, où que nous soyons, nous sommes membres d’une même famille terrestre et partageons une maison commune, notre belle Terre.
Vivre sur la Terre avec d’autres êtres fait de la simplicité (se débarrasser du superflu) une obligation éthique et écologique. Nous pouvons prendre ce dont nous avons besoin pour maintenir notre vie, en vivant dans les limites écologiques et planétaires, et donc en laissant suffisamment d’espace écologique pour les autres êtres.
Nous partageons cette planète avec d’autres êtres, qui ont tous le droit de vivre et d’évoluer, dans la santé, le bien-être et la liberté. Tous les êtres ont besoin de leur part d’espace écologique et du droit de participer aux processus de vie qui assurent la nourriture et l’eau pour tous. Nous n’avons pas le droit de prendre la part des autres espèces, des autres humains et des générations futures. Lorsque nous extrayons davantage de la Terre, nous dépassons les limites de notre part légitime, nous perturbons les frontières planétaires, les limites écologiques et l’intégrité des espèces. Dans la toile de la vie, les espèces se soutiennent mutuellement. En privant les autres de leur part, on prive finalement les humains de leurs besoins fondamentaux et on aggrave les crises de l’alimentation et de l’eau, ainsi que la pauvreté, la faim et la famine. La durabilité et la justice sont liées parce que nous vivons dans un monde interconnecté.
Les humains ne sont pas séparés de la nature et ne lui sont pas supérieurs, ils font partie de la nature. Et certains humains ne sont pas supérieurs à d’autres humains. Personne n’a le droit éthique et écologique de prendre la part des autres.
La Terre est mise au bord du gouffre par l’appât du gain, par des sociétés géantes qui réalisent des superprofits au détriment de la nature et des gens, et par des citoyens ordinaires qui participent aveuglément, en tant que « consommateurs », à l’économie de l’appât du gain qui a pollué la terre et l’atmosphère, contribuant à déstabiliser les processus d’autorégulation par lesquels Gaia, la terre vivante, maintient la biosphère et le système climatique.
Prélever plus que sa part, dans l’aveuglement et l’indifférence à l’égard des droits de la Nature et des droits des autres, c’est de l’« Extractivisme », un crime écologique et éthique.
L’Extractivisme a été « naturalisé » par 500 ans de colonialisme, 300 ans d’industrialisation fossile et quelques décennies de mondialisation des entreprises, qui est une forme de recolonisation.
Alors que les mouvements pour la justice et la décolonisation se répandent dans le monde entier au temps du coronavirus, rappelons-nous que les racines de l’urgence sanitaire, de l’urgence écologique et de l’urgence économique de l’inégalité brutale sont les mêmes : l’appât du gain, le pouvoir et l’Extraction de la part des autres.
La pauvreté et la faim sont un sous-produit du colonialisme. Les Britanniques se sont appropriés 45 trillions de dollars des paysans indiens et les ont transférés en Grande-Bretagne, poussant plus de 60 millions d’Indiens à la famine.
La pauvreté et la faim sont le résultat de l’exclusivité et des pratiques égoïstes qui enferment les terres, les forêts et les pâturages communs, les semences et la biodiversité pour accumuler des richesses.
La pauvreté et la faim résultent d’un système extractiviste d’agriculture industrielle mondialisée qui extrait la fertilité des sols, la valeur des agriculteurs qui travaillent dur, les laissant endettés et dépossédés, les poussant au suicide. Le système extrait la vie des espèces qui sont en voie d’extinction. Et il extrait la santé.
La crise du coronavirus est un produit de l’extractivisme.
La pauvreté, la faim et les maladies chroniques sont la conséquence de la cupidité des entreprises qui utilisent des poisons et des produits chimiques pour cultiver les aliments et les transformer. On tente maintenant de fabriquer des faux aliments et des aliments artificiels dans des laboratoires et de breveter chaque étape du processus, ce qui contribuera à de nouvelles avenues d’extractivisme et aggravera encore la crise alimentaire et sanitaire.
Chaque pas vers plus d’extraction, plus de complication, plus de manipulation, plus de concentration crée plus de demandes sur les ressources de la Terre, et enlève la juste part aux autres espèces et aux gens.
En distillant les enseignements de l’Isho Upanishad, Gandhi nous rappelle que La Terre a assez pour les besoins de tous, mais pas pour l’avidité de quelques personnes.
Le premier mantra de l’Isavasya Upanishad dit : « Isavasyam idam sarvam yat kim ca jagatyam jagat, tena tyaktena bhunjitha, ma gridhah kasyasvid dhanam » (Isa 1)
(L’Univers et la Terre sont imprégnés du divin et sont au bénéfice de tous les êtres. Nous devrions profiter des dons de la terre par le renoncement, non par l’avidité de possession et d’exploitation. Prendre plus que notre part pour satisfaire nos besoins, c’est voler les autres espèces, les autres humains et l’avenir).
Dans un monde interconnecté qui régénère la vie, extraire plus que sa part légitime en violant les limites écologiques de la régénération crée une crise écologique, et violer les limites éthiques de la justice crée la pénurie, la pauvreté et la faim dans la société. Lorsque les puissants s’approprient une part plus importante des dons de la Terre par le biais des modes de production et de consommation extractivistes qu’ils imposent, il en reste moins pour les autres.
Dans un monde basé sur l’avidité, le fait de prendre sans donner équivaut à dire « plus, c’est moins ». Plus pour les riches, les milliardaires, les puissants, c’est moins pour la Terre et les gens.
« Dans Less is More, Jason Hickel nous guide à travers l’interconnexion du colonialisme, les enclosures et le reste. Dans un monde écologiquement interconnecté, « moins, c’est plus ».
2. La simplicité permet de réduire notre empreinte écologique et d’augmenter notre Efficacité Écologique : dans un monde interconnecté, « moins, c’est plus »
« Moins, c’est plus »
Jason Hickel
« La simplicité est l’âme de l’efficacité »
Austin Freeman
L’efficacité découle du fait de faire, d’être efficace. En tant que citoyens de la Terre, nous sommes efficaces lorsque nous co-créons avec la Terre, que nous participons à ses cycles de vie conformément à ses lois afin de subvenir à nos besoins sans priver les autres êtres.
Efficace (adj.) : Fin du 14e siècle, « faire, produire un effet immédiat, actif, efficace », de l’ancien français efficient et directement du latin efficientem (nominatif efficiens) « efficace, efficient, producteur, actif », participe présent de efficere « travailler, accomplir », forme assimilée de ex « hors » (voir ex-) + facere « faire » (de la racine PIE *dhe- « poser, mettre »). Le sens de « productif, compétent » date de 1787.
La simplicité est écologiquement efficace car elle nous permet de produire plus pour plus d’êtres, en utilisant moins de ressources et d’énergie.
« Efficacité » est un terme mal et sur utilisé dans le contexte de l’utilisation très maladroite et inefficace des ressources et de l’énergie dans le système de production industrielle. L’agriculture industrielle qui détruit les petites exploitations agricoles a été justifiée par des motifs d’« efficacité ». Cette pseudo-efficacité est maintenant utilisée pour promouvoir l’agriculture numérique et l’agriculture sans agriculteurs. Remplacer des systèmes productifs et biodiversifiés par des monocultures dans les forêts et les fermes est qualifié d’efficace. Extraire plus d’eau que ce qui peut être régénéré et renouvelé dans nos rivières et dans le sol est défini comme efficace. La destruction des économies artisanales produisant des aliments et des textiles de haute qualité, pour produire de la malbouffe et des vêtements de qualité inférieure, avec des ouvriers travaillant à la chaîne dans des usines géantes et consommatrices d’énergie et de ressources, a été justifiée par des raisons d’efficacité. Aujourd’hui, la robotique et l’intelligence artificielle sont promues à remplacer les travailleurs dans les usines et les enseignants dans les écoles. Le commerce électronique supprime les moyens de subsistance des petits commerçants et des petits détaillants en industrialisant la distribution pour des raisons d’efficacité.
Dans un réseau de vie fragile et interconnecté, c’est de la pseudo-efficacité.
L’économie extractive linéaire est basée sur l’extraction illimitée, la marchandisation et les profits. En rompant les cycles écologiques de renouvellement de la nature, elle crée la pénurie, le gaspillage et la pollution, et ne laisse aucune place à la protection de la nature et de la communauté. Elle n’a pas de place pour l’éthique du don. Elle appauvrit la nature et la société, qu’il s’agisse de l’extraction de minéraux, de l’extraction de connaissances par la Biopiraterie, de l’extraction de « gènes » par l’extraction génétique, de l’extraction de données personnelles par l’extraction de données, ou de l’extraction de loyers et de redevances pour les semences, l’eau, la communication, l’éducation et les soins de santé privatisés. Elle crée de la pauvreté, de la dette et des déplacements. Elle crée des déchets — pollution, ressources gaspillées, personnes gaspillées, vies gaspillées. Elle crée un monde sans travail, mais imagine que les personnes sans travail seront toutes des « consommatrices » de malbouffe, de vêtements de mauvaise qualité et de communications de masse. C’est cette machine à extraire de l’argent qui a conduit à l’ascension des 1 % et à la mise au rebut des 99 %.
Le mot « économie » est dérivé du mot grec pour maison, Oikos, et signifie le soin et la gestion de notre maison. Un processus qui dépossède les gens et les espèces de notre maison commune n’est pas une « économie ». C’est une guerre contre la Terre et ses habitants.
L’extractivisme linéaire indique que plus d’extraction signifie plus de croissance globale, créant une illusion de « plus » dans la réalité de « moins » pour la nature et la société.
En poursuivant la pseudo-efficacité du « plus, c’est moins », nous avons été contraints de remplacer le recyclage de la matière organique pour la fertilité des sols par des engrais artificiels qui ont détruit la biodiversité, épuisé les sols et l’eau, désertifié les terres, créé des zones mortes dans l’océan et contribué aux gaz à effet de serre et au changement climatique.
L’industrialisation, l’extractivisme et les monocultures cachent les coûts réels des systèmes de production industrielle pour la Terre et la société. La lourde empreinte des ressources et de l’énergie qui a poussé les écosystèmes et les communautés à s’effondrer est rendue invisible, et la destruction des sols, de l’eau et de la biodiversité est laissée comme une externalité dont les coûts sont supportés par les autres espèces et les pauvres. La pseudo-efficacité crée la pénurie. Dans la nature, cette pénurie créée par une extraction supérieure aux limites écologiques est à l’origine des crises écologiques. Dans la société, l’extractivisme, qui prive les gens de leurs ressources et de leurs moyens de subsistance, est à l’origine des crises de la faim, de la pauvreté et de la dépossession.
Un paramètre illusoire qui a été utilisé pour imposer une agriculture industrielle gaspilleuse et inefficace est le « rendement par acre ». Le « rendement par acre » ne nous dit rien sur l’état de la terre, de la biodiversité, de l’eau et de l’agriculteur qu’un système agricole laisse derrière lui. Elle ne mesure pas la production totale de biodiversité, la qualité des aliments ou les ressources et l’énergie utilisées, mais uniquement le poids des produits toxiques vides sur le plan nutritionnel, même si la plupart des produits agricoles sont utilisés comme matières premières pour les biocarburants et l’alimentation animale.
[Vandana Shiva, Who Really Feeds the World (Qui nourrit vraiment le monde), Women Unlimited, North Atlantic, Feltrinelli, Capitan Spring]
La machine à fric extractiviste utilise des ressources réelles et des personnes réelles comme « intrants » et les transforme en marchandises à échanger et en déchets à jeter — nature gaspillée, personnes gaspillées.
Et au lieu de prendre en compte les ressources, les produits chimiques, l’énergie, le capital qui sont des intrants intensifs dans l’agriculture industrielle, elle ne compte que les « gens », les « agriculteurs », la « main-d’œuvre » comme intrants.
Mais la nature et l’homme ne sont pas des « intrants », ils ne sont pas des « matières premières ». Les vrais agriculteurs sont engagés dans l’agriculture dans son sens originel — « se soucier de la terre ». Lorsqu’ils pratiquent une agriculture biologique écologique et biodiversifiée, ils produisent des aliments vivants, nourrissants et biodiversifiés, nécessaires à la santé, et régénèrent aussi la santé de la terre, du sol et de la biodiversité. La nature et les agriculteurs écologiques sont les cocréateurs dans un véritable système alimentaire. Ils ne sont pas des intrants inertes et morts.
Les mesures et les paramètres de pseudo-efficacité et de pseudoproductivité de l’agriculture industrielle sont des instruments qui rendent aveugles aux alternatives à l’agriculture industrielle, et imposent ainsi la poursuite de la guerre contre la terre et les agriculteurs comme une fatalité.
Mais les alternatives existent, et elles sont écologiquement efficaces.
Navdanya a remplacé le « rendement par acre » par la « santé par acre » et la « nutrition par acre ». En changeant une mesure fausse et trompeuse de l’agriculture industrielle telle que nous la connaissons, il devient possible de voir que la conservation de la biodiversité est la base de la sécurité alimentaire. Les monocultures chimiques produisent moins de nourriture pour le sol, les humains et les autres êtres. Si nous changeons de paradigme et de mesure, nous pouvons voir que la protection de la nature, la réduction de nos exigences de ressources et d’énergie, est la seule façon de produire suffisamment de nourriture pour tous.
https://www.navdanya.org/attachments/Health%20Per%20Acre.pdf
Aujourd’hui encore, 80 % des aliments que nous consommons proviennent de petites exploitations. Nous pouvons faire en sorte que 100 % des aliments sains proviennent de jardins et de petites exploitations. Non seulement tout le monde aurait accès à de la bonne nourriture, mais personne n’aurait besoin de souffrir de la faim quand nous produisons plus de nourriture par acre. Ce sont 75 % des terres qui sont dégradées par l’agriculture industrielle pour produire seulement 20 % de nourriture de mauvaise qualité peuvent retourner à la régénération des forêts, des écosystèmes et des prairies. Les invasions dans les forêts amazoniennes et indonésiennes par l’agrobusiness mondial pour produire des marchandises cesseront. Les forêts pourront être laissées aux populations autochtones et aux autres espèces qui y vivent. Et nous n’aurons pas à être enfermés pendant des mois dans nos maisons à cause d’un système industriel inefficace, gaspilleur, avec un appétit illimité de ressources et de profits qui envahit les maisons des autres, et qui crée une pandémie.
Parce que les systèmes agricoles écologiques travaillent avec la nature, et non contre ses lois, ils régénèrent la capacité de la terre à nous nourrir et augmentent l’efficacité écologique. En utilisant une unité d’énergie externe, nous produisons dix unités de nourriture saine et bonne.
D’autre part, l’agriculture industrielle, dite « efficace », utilise 10 unités d’énergie pour produire une unité de nourriture. L’élevage industriel, dit « efficace », nécessite 100 unités de protéines pour produire une unité de protéines animales. Les animaux sont à l’étroit dans un petit espace, mais cela cache l’ombre des acres pour cultiver le soja OGM afin de nourrir les animaux dans les systèmes d’élevage industriel. Il en va de même pour l’aquaculture.
Amory Lovins a utilisé le terme « esclaves de l’énergie » pour désigner l’énergie cachée utilisée dans les systèmes industriels inefficaces et les sociétés industrielles qui remplacent la production centrée sur les personnes. Selon lui, en 1975, un Américain moyen avait 250 fois plus d’esclaves énergétiques qu’un Nigérian. « En matière de main-d’œuvre, la population de la Terre n’est donc pas de 4 milliards, mais d’environ 200 milliards, le point important étant qu’environ 98 % d’entre eux ne mangent pas d’aliments conventionnels » (Amory Lovins, World Energy Strategies, Londres, 1975).
Avec une population actuelle de 7,7 milliards de personnes vivant sous l’emprise d’une industrialisation forcée et d’une numérisation à forte intensité énergétique, la population des « esclaves énergétiques » s’élève à plus de 3,35 billions de personnes. Chaque étape du déplacement des personnes réelles et de leur remplacement par 250 esclaves énergétiques est à l’origine de la crise climatique, de la destruction des forêts et de la biodiversité, de la crise du chômage, de la misère des agriculteurs et de la remplaçabilité des personnes. La Terre et la société ne peuvent continuer à porter ce fardeau insupportable de la pseudo-efficacité des systèmes industriels.
La pseudo-efficacité dissimule l’empreinte écologique complète d’un système de production, ainsi que les coûts réels à travers les externalités et les subventions. Elle choisit un minuscule fragment technologique d’un système entier et le présente comme plus efficace, même si le système dans son ensemble est grossier, violent, inefficace et destructeur.
[Vandana Shiva, Violence of the Green Revolution (Violence de la révolution verte)
Vandana Shiva et al , Ecology and the Politics of Survival (L’écologie et la politique de la survie)]
Comme Navdanya l’a démontré au cours de trois décennies de pratique et de recherche, « Moins, c’est plus » dans les systèmes alimentaires.
Nous pouvons, nous devons, réduire notre empreinte écologique et augmenter l’empreinte de notre cœur, de notre tête et de nos mains pour subvenir à nos besoins en régénérant la terre.
Dans un monde écologiquement interconnecté, moins nous prenons et plus nous donnons à la nature et à la communauté, plus nous avons.
3 La simplicité permet de passer de l’extractivisme à des économies circulaires de solidarité fondées sur le soin, la compassion et le don
« Car c’est en donnant que l’on reçoit »
Saint-François
« Cent fois par jour, je me rappelle que ma vie intérieure et extérieure dépend du travail des autres hommes, vivants et morts, et que je dois m’efforcer de donner dans la même mesure que j’ai reçu et que je reçois encore ».
Albert Einstein
La conscience que nous sommes membres d’une famille terrestre interdépendante, liés les uns aux autres et dépendants les uns des autres, rend la compassion naturelle. Lorsque nous ne considérons pas les autres comme des objets et des matières premières à exploiter, mais comme nos relations, comme des membres vivants de notre famille, notre premier réflexe est de prendre soin d’eux, de partager et de donner.
Et eux aussi nous donnent. Ce dont nous avons besoin est reçu comme un cadeau. De telles économies du don et de l’attention sont la base de l’économie de la nature. Elles sont à la base de toutes les économies indigènes. Et elles sont à la base des nouvelles économies de soins et de solidarité qui émergent partout.
L’extractivisme nous a fait croire que l’économie consiste à faire des profits. Aristote appelait cela « Chrematistics », l’Art de gagner de l’argent, qu’il différenciait de l’Oikonomia, l’Art de vivre.
L’Art de vivre consiste à nourrir la vie — la vie de tous les êtres sur la Terre, y compris notre famille humaine. L’Art de vivre, c’est créer et participer à des économies vivantes qui soutiennent la vie. La vie crée des économies vivantes qui sont basées sur l’éthique de Saint-François selon laquelle « c’est en donnant que l’on reçoit ».
Dans l’agriculture biologique et écologique, nous appelons ce principe « la loi du retour ».
Les économies vivantes sont donc des économies circulaires basées sur la conscience des cycles de la nature et sur notre devoir de rendre à la terre afin de maintenir et de régénérer ses cycles. La terre nous donne de la nourriture. Lorsque nous rendons une partie de ses dons organiques au sol, nous agissons selon la loi du retour et créons une économie circulaire du cycle de nutrition, nous soutenons le réseau alimentaire qui est le réseau de la vie. Lorsque nous rendons la matière organique à la nature, en tant que nourriture pour les organismes du sol, elle continue à nous donner de la nourriture. Le travail de restitution est notre travail, notre gratitude, notre unité. Nous donner de la nourriture est le travail complexe de la nature — à travers le réseau alimentaire du sol, sa biodiversité, son eau, le soleil, l’air.
La Terre nous donne des graines. Nos ancêtres ont cocréé avec elle pour multiplier sa diversité. Lorsque nous conservons les graines et que nous les semons en cadeau à la Terre, elle les reproduit et les multiplie. Lorsque nous partageons les semences dans le patrimoine commun, la souveraineté des semences se développe, la souveraineté alimentaire se développe.
La terre nous donne de l’eau. Lorsque nous agissons pour conserver l’eau, nous nous engageons dans l’oikonomie du don et créons l’économie circulaire du cycle hydrologique, le cycle de l’eau. Lorsque nous partageons l’eau dans les biens communs, nous créons des économies du don et du partage. La terre nous donne des graines. Lorsque nous conservons et partageons les graines, nous créons des économies intemporelles de la continuité de la vie. Nous participons au cycle de la vie.
Toutes les crises écologiques sont la rupture des cycles de la nature — de la nutrition, de l’eau, de la vie — et la transgression de ce que l’on appelle les frontières planétaires.
Dans l’économie circulaire, nous redonnons à la société. Les richesses sont partagées. Les richesses circulent. Dans les économies circulaires, la richesse ne se concentre pas dans quelques mains. La richesse n’est pas extraite, et ne crée donc pas la polarisation entre les 1 % et les 99 %.
Et la précarité des conditions de vie des 99 % a créé une nouvelle classe que Guy Standing appelle les « précaires (Precariate) ». Si la révolution industrielle nous a donné la classe ouvrière industrielle, le prolétariat, la mondialisation et le « libre marché » qui détruit les moyens de subsistance des paysans en Inde et en Chine par l’accaparement des terres, ou les chances de sécurité économique pour les jeunes dans ce qui était les pays industrialisés riches, elle a également créé une classe mondiale de précaires. Nous aurions pu, pendant le confinement, créer une très grande classe de personnes remplaçables, de personnes à jeter.
L’économie circulaire réapprovisionne la nature et la société. Elle crée de la suffisance et du bien-être pour tous. En prenant soin de la Terre et de la société, une diversité de travaux significatifs et créatifs est possible. Elle est basée sur la loi du retour de la nature. Dans la nature, il n’y a pas de déchets, pas de pollution.
Lorsque les économies sont circulaires, chaque être vivant, chaque lieu, est le centre de l’économie, et la nature et la société évoluent et émergent de multiples systèmes auto-organisés, comme les milliards de cellules de notre corps.
Les économies circulaires, en tant qu’économies vivantes, sont par nature biodiversifiées, allant de l’intime et du local au global et au planétaire.
4 La simplicité contribue au bien-être et au bonheur de tous en favorisant l’« unité » et la « suffisance »
« Simplicité, Simplicité, Simplicité !…. Nous sommes heureux en proportion des choses dont nous pouvons nous passer »
Henry David Thoreau
« Le bouddhisme enseigne que la joie et le bonheur naissent du lâcher-prise… Il y a des choses auxquelles vous vous êtes accroché qui ne sont vraiment pas utiles et qui vous privent de votre liberté. Trouvez le courage de les laisser partir ».
Thich Nhat Hanh
Le bonheur ne réside pas dans la possession de choses : le bonheur réside dans le contentement du cœur. Lorsque nous savons que c’est assez, nous en avons toujours suffisamment ; et lorsque nous ne savons pas que c’est assez, quelle que soit la quantité que nous possédons, ce n’est jamais suffisant.
Satish Kumar
L’extractivisme et le consumérisme ont créé l’illusion que plus nous utilisons les ressources pour une production et une consommation illimitées, plus nous accumulons, plus nous avons, plus nous serons heureux. Il y a de nombreuses années, j’ai vu un panneau d’affichage indiquant « Bonheur à vendre » devant les nouveaux centres commerciaux qui se construisaient à Gurgaon.
Mais le bonheur ne s’achète pas. Le bien-être n’est pas une marchandise.
Le modèle économique dominant, fondé sur une croissance illimitée sur une planète limitée, conduit à un dépassement de l’utilisation humaine des ressources de la planète. Cela conduit à une catastrophe écologique.
Elle conduit également à un accaparement intense et violent des ressources restantes de la planète par les riches au détriment des pauvres. L’accaparement des ressources est un ajustement par les riches et les puissants à une base de ressources en diminution — terre, biodiversité, eau — sans ajuster l’ancien paradigme de croissance illimitée et intensive en ressources à la nouvelle réalité. Son seul résultat peut être une pénurie écologique pour les pauvres à court terme, avec une aggravation de la pauvreté et des privations. À long terme, cela signifie l’extinction de notre espèce, car la catastrophe climatique et l’extinction d’autres espèces rendent la planète inhabitable pour les sociétés humaines. Échouer à accomplir un ajustement écologique conformément aux limites planétaires et à la justice écologique est une menace pour la survie de l’humanité.
L’ajustement est un impératif. Cependant, différentes voies sont proposées. Il y a un ajustement structurel imposé par les riches, que l’on appelle « austérité ». L’austérité forcée, basée sur l’ancien paradigme extractiviste, permet aux 1 % de super riches, aux oligarques, aux milliardaires, de s’emparer des ressources de la planète tout en écartant les 99 % de l’accès aux ressources, aux moyens de subsistance, aux emplois et à toute forme de liberté, de démocratie et de sécurité économique.
Les riches, les milliardaires, les entreprises et les institutions qu’ils contrôlent tentent d’imposer un ajustement qui fait payer la terre, les pauvres et les travailleurs. Ils veulent démanteler les droits des travailleurs, les droits de l’homme et les lois qui protègent l’environnement, déréglementer le commerce et la cupidité, privatiser les biens publics, marchandiser, breveter et financiariser la nature et les êtres humains.
Cependant, l’extraction de plus de ressources en laisse moins pour les autres, ce qui contribue à l’accélération et à l’approfondissement des crises écologiques, ainsi qu’aux crises de la faim et de la pauvreté. Cela poussera le monde vers un effondrement écologique et économique.
Il y a un autre paradigme qui émerge et qui est partagé par certains gouvernements et les nouveaux mouvements des 99 %, le paradigme de la simplicité volontaire, de la réduction de notre empreinte écologique tout en augmentant le bien-être humain pour tous. Au lieu d’une austérité forcée qui aide les riches à devenir super riches et les puissants à devenir totalitaires, la simplicité choisie nous permet à tous de nous adapter écologiquement, de réduire la surconsommation des ressources planétaires et de partager les ressources équitablement comme un bien commun, de sorte que personne ne soit privé des besoins fondamentaux que sont la nourriture et l’eau. La simplicité choisie nous permet de nous adapter socialement et politiquement pour renforcer la démocratie et défendre notre vie indivisible et notre liberté. La simplicité, en tant que choix écologique, économique et social conscient, crée une voie d’adaptation économique basée sur le respect des frontières planétaires et des limites écologiques, basée sur la justice et l’équité, basée sur la récupération des biens communs et la résistance à la privatisation des ressources.
Les gens recherchent une démocratie terrestre, basée sur la liberté et le bien-être de tous les êtres. Les gens défendent les réglementations visant à empêcher le pillage des ressources naturelles et des biens publics. Ils exigent que les riches paient des impôts et que ceux qui causent des dommages à la nature soient tenus pour coupables de crimes écologiques contre la nature et l’humanité.
Les citoyens veulent mettre fin au cloisonnement des biens communs et à la collecte de redevances pour les biens publics qui leur appartiennent.
Les gens se réapproprient et régénèrent les biens communs que sont la biodiversité, l’eau, la terre, la nourriture, la santé, la connaissance, la communauté et la démocratie.
L’austérité forcée fait payer aux pauvres et aux familles qui travaillent les excès de l’avidité et de l’accumulation sans limites des super riches. La simplicité choisie met fin à ces excès et nous permet de nous épanouir dans une démocratie terrestre où les droits et libertés de toutes les espèces et de tous les peuples sont protégés et respectés.
La simplicité contribue à la régénération de la Terre, de son sol, de son eau, de sa biodiversité, ce qui permet de conserver la nature et d’en laisser davantage aux générations futures. La simplicité dans la production est synonyme d’autoapprovisionnement, d’autodépendance et d’autosuffisance par les gens (Swadeshi). En régénérant les systèmes vivants et la biodiversité, la simplicité contribue à l’affranchissement des apports extérieurs et du contrôle extérieur. En ne dépendant pas des apports extérieurs de capitaux, de produits chimiques, de ressources et d’énergie, elle ne gaspille pas les ressources, ne pollue pas, ne détruit pas la capacité de régénération de la nature ou le potentiel créatif des personnes. Et elle ne piège pas les gens dans des cycles d’endettement et de dépossession. Elle crée la possibilité d’émergence d’économies locales, vivantes, circulaires et solidaires.
La simplicité est la base de la liberté, de la vie personnelle à la vie politique, de la vie locale à la vie planétaire, et permet de se libérer de la dépendance et du contrôle par l’auto-organisation, l’autogestion et l’autodétermination (Swaraj). Elle nous permet de développer des démocraties vivantes et participatives qui sont le fondement de la démocratie terrestre.
Le système alimentaire industriel basé sur les combustibles fossiles et les produits chimiques, qui repose sur l’illusion d’une croissance illimitée et d’une absence de limites dans la nature ou la société, joue un rôle majeur dans l’urgence planétaire. Il ne parvient pas non plus à nourrir les gens. Un milliard de personnes ont faim. Ce système détruit également les forêts et crée de nouvelles maladies infectieuses telles que le coronavirus, le SRAS, le MERS ou l’Ebola.
Dans Hind Swaraj, Gandhi a critiqué la civilisation industrielle basée sur les combustibles fossiles en déclarant que « cette civilisation cherche à accroître le confort corporel, et elle échoue misérablement même en le faisant ».
L’explosion rapide des maladies chroniques liées à l’alimentation industrielle, telles que l’obésité, le diabète et les cancers, est le résultat de l’incapacité de l’agriculture industrielle à assurer le confort corporel, la santé et le bien-être.
Gandhi a également prédit que « cette civilisation est telle qu’il suffit d’être patient pour qu’elle s’autodétruise ».
Nous vivons une période de destruction accélérée de la civilisation industrielle basée sur les combustibles fossiles par la destruction écologique de la planète.
Le GIEC a averti que nous avons dix ans pour limiter la catastrophe du changement climatique.
Comme le montrent mon livre Soil, not Oil et d’autres rapports, 50 % des émissions de gaz à effet de serre à l’origine du chaos climatique proviennent d’un système alimentaire industriel motivé par la cupidité et basé sur les combustibles fossiles et les produits chimiques (Vandana Shiva, Soil Not Oil).
Et les mêmes technologies négligentes et violentes qui polluent l’atmosphère dégradent également les terres et conduisent les espèces à l’extinction.
Selon le Groupe intergouvernemental sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), environ un million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction, dont beaucoup en l’espace de quelques décennies, soit plus que jamais dans l’histoire de l’humanité.
Environ 200 espèces sont menacées d’extinction chaque jour. Les insectes et les oiseaux disparaissent rapidement. Nous vivons la sixième extinction de masse. Et nous pourrions faire partie des millions d’espèces qui disparaissent si, dans nos esprits et nos pratiques, nous ne passons pas de l’extractivisme, et d’une empreinte écologique lourde et maladroite, à des économies de soins, de la cupidité au partage, de la violence à la non-violence.
L’avertissement que les scientifiques donnent aujourd’hui, Gandhi l’a donné il y a un siècle.
Des illusions telles que le PIB ont été impitoyablement et inconsidérément imposées à l’humanité, nous poussant à violer les limites écologiques de la planète et les limites sociales et éthiques fixées par la dignité humaine et l’égalité entre les hommes.
Le PIB est une mesure erronée.
Le PIB mesure ce qui est extrait et échangé à des fins lucratives, et non ce qui est produit et consommé pour répondre aux besoins essentiels de base, ni la nourriture, l’eau, les ressources et l’énergie qui circulent dans la nature pour soutenir les cycles et les systèmes écologiques. Une illusion et une construction habillée d’un chiffre ne le rendent pas « neutre ». Le PIB a une relation d’extraction à sens unique avec la nature et la société, avec l’économie de la nature et l’économie de la subsistance et des soins.
La « croissance », en tant que moteur de la destruction écologique et de la création de pauvreté, n’est pas mesurée par le PIB.
http://www.kontext-tv.de/en/broadcasts/vandana-shiva-how-growth-creates-poverty-and-climate-chaos
Dans les économies réelles, la vie se développe et s’épanouit, la biodiversité se développe, les plantes se développent, les organismes du sol se développent, les communautés se développent, les enfants se développent, le bien-être et le bonheur se développent.
Dans le monde entier, on s’interroge sur le PIB en tant que mesure.
Le Bhoutan est passé du produit national brut au bonheur national brut et au bien-être.
Une commission présidée par Joe Stiglitz et conseillée par Amartya Sen a été mise en place par le président français Nicolas Sarkozy pour examiner les limites du produit intérieur brut (PIB). Le rapport final de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social appelle à une meilleure information et à des mesures plus riches que le PIB pour guider la politique économique, évaluer le progrès social et examiner quelles autres mesures devraient être utilisées pour évaluer la qualité de vie. La Commission Sarkozy lance un appel pour de meilleures données et des mesures plus fortes.
La Nouvelle-Zélande a créé un « budget bien-être » qui privilégie le bien-être à la croissance économique.
En tant que citoyens de la Terre, nous pouvons nous éloigner des prisons que constituent les constructions trompeuses des puissants, comme le PIB, qui cachent une avidité sans limites. Nous pouvons retourner à la Terre, et à travers notre Terre, vivre notre plein potentiel humain avec d’autres êtres.
Dans un monde vivant et interconnecté, la simplicité nous montre le chemin de la satisfaction, du bonheur et du bien-être sans violer les droits des autres. Le sens et la satisfaction de la vie viennent de l’« être » et non de l’« avoir », des relations ou de l’attention, de la compassion et de la mutualité, et non de l’accumulation de « choses » et de l’appropriation violente de la richesse des autres.
La simplicité est la conscience et la conscience de l’« Unité » et de la « Suffisance ».
Comme je l’ai écrit dans mon livre « Making Peace with the Earth » (Faire la paix avec la Terre) :
La « suffisance » est devenue vitale pour l’expérience d’une liberté qui inclut la liberté de tous les êtres et de toutes les personnes.
La « suffisance » crée les conditions de la paix, tant la paix avec la nature que la paix entre les hommes. La cupidité est à l’origine des conflits liés aux ressources, des guerres avec la Terre et des guerres contre l’homme.
La « suffisance » est basée sur le souci de la Terre et de la société. Cette attention crée l’impératif du partage, de la récupération des biens communs. Et une culture du partage est une culture de la paix.
La « suffisance » est la base de la démocratie et de la citoyenneté terrestres.