Edward Hoffman
La voie de la splendeur une introduction à la kabbale hébraïque

(Revue Le chant de la licorne. No 28. 1989 La Kabbale (de la racine hébraïque leKaBeL, recevoir) figure parmi les plus anciennes traditions mystiques de notre monde. Durant environ quatre millénaires d’histoire juive, ce système ésotérique a guidé ceux qui étaient en quête d’une connaissance supérieure de l’esprit humain, du cosmos et de notre relation […]

(Revue Le chant de la licorne. No 28. 1989

La Kabbale (de la racine hébraïque leKaBeL, recevoir) figure parmi les plus anciennes traditions mystiques de notre monde. Durant environ quatre millénaires d’histoire juive, ce système ésotérique a guidé ceux qui étaient en quête d’une connaissance supérieure de l’esprit humain, du cosmos et de notre relation au divin.

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Pendant de nombreux siècles, la Kabbale a également exercé son attraction sur des personnes d’au­tres confessions, de par ses puis­santes méthodes d’éveil de notre potentiel de créativité et de trans­cendance. Ses éblouissantes pers­pectives poétiques ont longtemps inspiré artistes et écrivains et, en­core à l’époque moderne, de très nombreuses personnes commencent à prêter attention à ce fascinant moyen de croissance spirituelle.

La Kabbale a toujours été consi­dérée comme une vaste carte, co­hérente et détaillée, pour les explo­rateurs des mondes intérieurs et ex­térieurs. Ses royaumes spéculatifs et opératifs englobent la méditation et la guérison, l’intuition et l’extase, la vie après la mort et la réincarna­tion, ainsi que les structures ca­chées du cosmos. La Kabbale expli­que aussi comment chacun de nous peut véhiculer le flux divin dans le contexte de la vie quotidienne.

La mystique juive fut une tradi­tion exclusivement orale pendant des millénaires, transmise d’un maître spirituel à des disciples choi­sis. Le premier texte kabbalistique, le Sepher Yetsira (« Livre de la Création ») apparut du troisième au sixième siècle sur la terre d’Israël. Mais les idées kabbalistiques ne furent réellement couchées sur le papier qu’à partir de l’an mille deux cent, lorsque des ouvrages-clé comme le Zohar (« Livre de la Splen­deur ») furent introduits et commen­cèrent à circuler.

Le plus grand épanouissement du mysticisme juif eut lieu au XVIème siècle, époque à laquelle certains de ses adeptes les plus éminents vécurent et enseignèrent dans la ville de Safed, en Galilée. Une autre explosion de ferveur kabbalistique se déroula aux XVIIIème et XIXème siècles parmi les Juifs de l’Europe de l’Est. Ce mouvement, qui mettait l’accent sur des métho­des joyeuses, basées sur l’expé­rience, pour se rapprocher du di­vin, incluant le chant, la danse et la méditation sur un seul point, fut nommée Hassidisme (hassid signifie « homme pieux » en hébreu).

Mais on peut se demander de quelle manière la Kabbale concerne le chercheur spirituel aujourd’hui. Les six principes suivants fournis­sent une brève introduction aux enseignements kabbalistiques essen­tiels.

Le Cosmos est une unité, dont tous les aspects sont en interrela­tion.

Cette croyance est le concept le plus important de la Kabbale. Elle est fréquemment résumée dans le Zohar par des aphorismes tels que « comme c’est en haut, c’est en bas », et « ainsi, également, la sphère infé­rieure affecte la supérieure ».

La notion que chaque partie de l’Univers affecte intimement cha­cune des autres sous-tend virtuelle­ment tous les enseignements et les pratiques kabbalistiques. Rien, dans le Cosmos, n’existe isolé de l’en­semble. On peut plutôt dire que notre perception de séparation est considérée comme une sorte d’il­lusion, entretenue par notre champ de conscience particulier. La Kab­bale insiste sur le fait que, du mou­vement des étoiles au vol des oi­seaux, toutes choses sont intercon­nectées et interreliées.

L’un des principaux concepts de la Kabbale indique que pour que l’Univers existe, l’« Essence Di­vine » fut filtrée, ou canalisée vers le bas par degrés, à travers dix sphères d’énergie vibratoire, sépa­rées mais inextricablement liées entre elles, appelées Sefiroth. À propos des Sefiroth, le Zohar nous informe : « Tous les mystères de la foi sont contenus dans ces palais ».

Le postulat suivant concerne l’existence de quatre mondes de ma­nifestation, distincts mais interreliés, comprenant chacun ces dix ex­pressions de l’énergie divine. Ain­si, par exemple, chaque idée hu­maine (comme le projet de cons­truction d’une chaise par un menui­sier) passera à travers les mondes de l’émanation, de la création, de la formation et de la matière ou de l’action, avant d’émerger à la réali­té physique.

Toutefois, malgré la vaste éten­due des royaumes qui nous entou­rent, la Kabbale affirme que les actions de chaque personne réson­nent comme un écho partout dans l’Univers. Il y a un fort impératif éthique dans la pensée kabbalisti­que, et on considère que les actions humaines sont lourdes de consé­quences. Dans un univers où tous les éléments sont en continuelle relation, même les actions les plus minimes retentissent sur le fonc­tionnement de l’ensemble. Comme le Zohar l’indique de manière répétée, « chaque mot que l’homme prononce, qu’il soit bon ou mau­vais, provoque une vibration dans la sphère supérieure ».

Les forces de création consistent en de perpétuelles interactions entre une force active et une force passive.

Selon la Kabbale, tous les ni­veaux de création, de l’origine de l’univers physique lui-même à la plus simple des actions humaines, impliquent un équilibre ou une syn­thèse entre deux composantes. L’une, appelée le Roi, est active et centrifuge ; l’autre, la Reine ou Shekhinah, est réceptive et englobante.

« Maintenant, observe un profond et saint mystère de foi », déclare le Zohar dans un passage, « le symbo­lisme des principes masculin et féminin de l’univers… qui forment ensemble une unité parfaite. » Ou, dans un autre passage du Zohar, « toute chose ne comprenant pas des éléments masculins et féminins n’est pas une vraie chose ». La Kabbale insiste instamment sur le fait que chaque chose dans le cosmos mani­feste ce principe. Bien que des qualités telles que l’activité et la passivité, la virilité et la féminité, la clarté et l’obscurité apparaissent à notre conscience ordinaire sépa­rées et effectivement contradictoi­res, la tradition kabbalistique souli­gne qu’en fait, elles sont une.

Commentant le verset biblique de la Genèse « et Dieu sépara la lu­mière de l’obscurité », le Zohar explique : « Jusqu’à ce point, le principe masculin était représenté par la clarté et le féminin par l’obscurité. Ils furent ensuite unis ensemble et faits un. Ce qui sert à distinguer la lu­mière de l’obscurité n’est qu’une différence de degré ; toutes deux sont de la même nature, car il n’y a pas de lumière sans obscurité ni d’obs­curité sans lumière. »

La Kabbale enseigne qu’une personne avisée est capable de dis­cerner cette harmonie en toute chose et qu’en fait, la conscience de cette harmonie est considérée comme la base des états d’esprit les plus élevés. Ainsi, en chacun de nous, les besoins de l’intellect doivent être contrebalancés par les be­soins du corps ou des émotions. De la même façon, notre tendance à l’extraversion doit être compensée par un besoin de solitude, et vice versa. La Kabbale peut également nous amener à considérer que no­tre approche actuelle, technologi­que du savoir produit inévitable­ment une perspective limitée du potentiel humain sans sa contrepar­tie réceptive et holistique.

La mystique juive indique aussi que le temps et ses sous-parties ont également des qualités actives et passives. Ainsi, selon le Zohar, chaque saison ou moment particu­lier est régi, à des degrés variables, par le Roi ou la Shekhina. Curieu­sement, les recherches récentes sur les biorythmes humains laissent à penser que les individus, au cours de leur vie de tous les jours, subis­sent d’innombrables changements subtils dans leurs processus biolo­giques. Bien que cette évidence ne soit pas encore démontrée par la science moderne, il apparaît que, pour jouir d’une santé mentale et physique optimale, nous devrions programmer nos activités en har­monie avec celles qui sous-tendent les cycles diurnes, mensuels ou sai­sonniers.

L’être humain est un microcosme de l’univers

La troisième croyance de la Kab­bale, l’une des plus importantes, est que l’être humain représente une manifestation directe de « l’Essence Divine ». Pour saisir pleinement le fonctionnement du cosmos, il est nécessaire, selon la Kabbale, de comprendre l’esprit et le corps humains. « Car il n’est pas de mem­bre du corps humain, explique le Zohar, qui n’ait sa contrepartie dans le monde dans sa totalité ». Ou, comme il est dit plus loin, « il est évi­dent que les substances composant le corps d’un homme appartiennent aux deux mondes, c’est-à-dire au monde d’en bas et au monde d’en haut. »

L’un des buts ultimes de la tradi­tion kabbalistique est que chacun parvienne à harmoniser ou équili­brer ces forces apparemment con­flictuelles, à l’intérieur comme à l’extérieur de lui-même. On consi­dère que ces forces reflètent les énergies, plus vastes, inhérentes au cosmos lui-même.

Un autre concept kabbalistique concerne le fait que l’esprit et le corps sont intimement liés. La Kab­bale enseigne que toutes les émo­tions, comme la joie, la colère, la tristesse… ont un effet sur l’ensem­ble des fonctionnements biophysi­ques de l’individu. Par exemple, le Zohar indique que « la colère, con­trairement aux fautes qui polluent seulement le corps, souille égale­ment l’âme et, de fait, l’être dans son ensemble ». Au cours de ces dernières années, du reste, un nom­bre croissant de professionnels de la santé a acquis la conviction de l’importance des relations corps-es­prit.

Selon la mystique juive, les rela­tions corps-esprit de l’homme fu­rent directement modelées sur la forme de l’homme primordial mythique, Adam Kadmon, et de ce fait, on les considère comme bon­nes et positives en elles-mêmes. Dans la tradition kabbalistique, les besoins et désirs corporels ne sont pas condamnés ou rejetés, mais transformés et utilisés pour servir les niveaux supérieurs de l’esprit. Il faut reconnaître et observer les émotions comme la peur, la colère et la jalousie, qui ne doivent pas do­miner l’esprit.

De plus, la Kabbale indique que la personnalité humaine, l’égo, est composée de trois aspects distincts mais finalement interreliés : nefesh, sorte de bioénergie ressemblant au qi ou prâna des traditions orientales ; rouach, ou esprit, structure psycho­sociale propre à l’individu ; et neshamah, ou Soi supérieur, qui est l’aspect spirituel et qui, est-il dit, unit finalement toutes les person­nes avec l’Essence Divine univer­selle.

Le but de chacun de nous, afin d’atteindre une santé physique et mentale optimales est, selon les termes du Zohar, de « réaliser l’har­monie, la paix et l’union, à la fois en haut et en bas ». Ou, comme le Zohar l’explique ailleurs, « ces trois degrés (nefesh, rouach et neshamah) se combinent harmonieusement au sein de ceux qui ont eu la bonne fortune de servir leur Maître ».

Dans la vie quotidienne, nous fonctionnons dans un seul état de conscience, parmi beaucoup d’au­tres

La Kabbale suggère de manière répétée que nous évoluons dans la vie quotidienne, éveillée, comme si nous étions entourés de voiles qui cachent les autres dimensions de perception possible de l’éveil conscient. « L’homme, pendant qu’il est dans ce monde, ne considère pas et ne réfléchit pas à ce sur quoi il repose, dit un passage du Zohar, et regarde chaque jour qui passe comme s’il s’était évanoui dans le néant. » Ces autres états de cons­cience existent, dit la Kabbale, même si nous avons tendance, pratique­ment dès la naissance, à les ou­blier.

Employant une grande variété d’images et de métaphores, la mysti­que juive insiste sur le fait que l’univers manifeste une richesse et une radiance éblouissante qui peut être expérimentée dans les autres royaumes de l’éveil. En fait, le mot hébreux zohar lui-même peut être traduit par « splendeur ». De nom­breux passages décrivent les « dix mille modes » et leur innombrables merveilles, « car chaque porte con­tient une autre porte, chaque degré précède un autre degré, par les­quels la gloire… est manifestée ».

Parfois, la Kabbale décrit ces au­rès états de conscience comme une association de couleurs jamais vues, ou ce que nous pourrions appeler aujourd’hui des « fréquences vibra­toires non perçues ». On dit que ces couleurs rayonnent d’un éclat infi­niment supérieur à celui que nous voyons habituellement dans l’arc-en-ciel. Encore une fois, c’est no­tre conscience ordinaire qui voile ces riches perceptions.

« Il est des couleurs celées et non celées, affirme le Zohar, mais les hommes n’en savent rien et n’y réfléchissent pas ». Il va de soi que « les couleurs visibles sont la ré­flexion des couleurs supérieures, dont les êtres plus avancés, comme les prophètes, n’étaient pas totale­ment ignorants. » Dans de nombreu­ses références aux anciens kabba­listes et à leurs expériences, le Zohar indique que ceux-ci étaient quel­ques fois transportés dans de tels royaumes extatiques qu’ils en ou­bliaient de manger et de boire pen­dant plusieurs jours.

La Kabbale souligne aussi que les émotions négatives, comme l’anxié­té ou la tristesse, devraient être reconnues comme émergeant des états inférieurs de la conscience. Dans un commentaire bien connu, Rabbi Nachman de Bratslav re­marque que la conscience humaine ordinaire voile la splendeur et l’har­monie universelle qui sont perçues dans les états de conscience supé­rieurs, de la même façon qu’on mas­que, de la main, ses yeux des rayons du soleil.

La principale métaphore utilisée par la Kabbale pour décrire ces autres états est celle d’une lumière, plus particulièrement une sorte de luminosité brillante, blanche, translucide. On dit que, dans les états de conscience supérieurs, l’être total de l’individu baigne dans cette ra­diance éthérée. Comme le Zohar le décrit, le point fondamental est cette lumière située au plus profond de notre être, d’une transparence, d’une finesse et d’une pureté dépassant l’entendement.

Chaque individu peut atteindre des états de conscience élevés, mais une préparation prudente est né­cessaire

Au cours de son histoire, la tradi­tion mystique juive a insisté sur le fait que chacun a la capacité de transcender la conscience ordinaire, quotidienne, mais ceci est directe­ment proportionnel à notre niveau de motivation et à notre diligence. Rien dans cette quête d’un niveau spirituel supérieur n’est jugé à prio­ri impossible ou insurmontable ; de toutes façons, l’individu doit être clairement préparé à affronter des difficultés incontournables. Cette re­cherche, selon le Zohar, « doit être entreprise après une préparation juste, non seulement de l’esprit, mais aussi du corps ». De plus, une pa­tience importante est nécessaire et l’on ne doit pas s’attendre à des progrès spectaculaires du jour au lendemain.

La tradition kabbalistique a mis au point une grande variété de méthodes spécifiques au développement intérieur. Mais généralement, la pratique la plus importante con­cerne notre vie de tous les jours et son déroulement. Même les habitu­des les plus simples doivent être in­tégrées à une perspective mentale et physique globale ; il est une tâche qui peut sembler d’ordre plus « mondain », mais qui n’en reste pas moins une gageure : celle d’aména­ger un sentier qui puisse nous con­duire au Très Saint à travers le quo­tidien et les myriades de distractions qui nous entourent.

Un Hassid fameux rapportait que la connaissance la plus importante qu’il avait apprise de son rebbe (maître spirituel), consistait à sa­voir « comment dormir convenable­ment ». On raconte qu’un autre dis­ciple avait remarqué qu’il obser­vait son rebbe « non seulement lors­qu’il étudiait la Torah mais aussi lorsqu’il laçait ses chaussures ». Plusieurs siècles plus tôt, le Zohar avait clairement établi que « tout dépend du type de discours, d’ac­tions et d’intentions auquel l’homme s’habitue ». C’est dans la vie quoti­dienne que nous devons poser les fondements de notre développement intérieur à venir.

Le mysticisme juif enseigne éga­lement que chacun de nous ne per­çoit que ce que son degré de cons­cience lui permet de percevoir. Il n’existe pas de raccourcis vérita­bles pour atteindre des états de conscience supérieurs. C’est ainsi que, selon une parabole du Zohar, le patriarche Abraham vit la forme d’Adam, éthérée et éblouissante, lui faire signe dans la grotte de Machpelah, alors que le propriétaire de cette grotte « n’y perçut que ténè­bres » et ne put, pour cette raison, comprendre pourquoi Abraham y portait intérêt. De même, les rêves sont considérés comme source po­tentielle de connaissance pour cha­que personne, comme l’énonce le Zohar : « il n’est révélé à l’homme, dans ses rêves, que ce qui est con­forme à sa façon d’être person­nelle ».

Un autre concept kabbalistique est celui de kavannah. La psycholo­gie moderne a largement contribué à ce que nous comprenions à quel point nous sommes régis par des mécanismes inconscients et des émotions, comme celles qui sont issues de pulsions biologiques. Il est devenu évident que les motifs de nos actions sont rarement totale­ment purs. Néanmoins, la Kabbale enseigne que les êtres humains possèdent également une force supérieure de motivation, une cons­cience dirigée, sans laquelle seule une croissance individuelle de fai­ble amplitude peut être accomplie.

« La kavannah est le mystère d’une âme dirigée vers un but », écrivait Martin Buber. « Elle est donnée à l’homme pour élever ce qui est déchu et pour libérer ce qui est emprisonné ; …l’homme peut tra­vailler à la rédemption du monde ». La psychologie moderne a, de manière générale, peu considéré ce besoin inné qu’éprouve l’homme à faire du monde un endroit meilleur. La kavannah se rattache, plutôt qu’à une volonté consciente, à une in­tention émergeant de l’être total : chaque homme ou femme, dans certaines circonstances intérieures, mû par des impulsions inconscientes et conscientes, s’efforce d’apporter son aide à la rédemption du monde qui l’entoure.

L’ésotérisme juif prévient que l’intention en elle-même ne suffit pas à induire un développement intérieur immédiat et un change­ment extérieur. La Kavannah doit être conjuguée à une action con­crète. Toutefois, la motivation de contribuer au renouvellement et au perfectionnement du monde est un attribut fondamental de l’homme.

Les exercices suivants sont destinés à apporter une vitalité et des perspectives nouvelles afin de maîtriser les défis de la vie quotidienne. Les images et les thèmes sont tirés des sources sacrées de la tradition mystique juive, telles que le Zohar. Les Kabbalistes ont longuement insisté sur le fait qu’un véritable développement intérieur englobe aussi bien nos pouvoirs de visualisation et d’imagination que nos capacités de raisonnement. Par exemple, Moise Maimonide, grand philosophe et médecin juif du XIIe siècle, considérait l’éveil des facultés imaginatives comme la porte d’accès à la conscience prophétique.

Ces exercices seront plus efficaces si vous observez quelques directives très simples. Tout d’abord, soyez suffisamment alerte et éveillé ; n’essayez pas de les pratiquer si vous êtes fatigué, ils pourraient faire plus de mal que de bien. Deuxièmement, mettez-vous dans une tenue confortable. Enlevez vos chaussures, vos bijoux, votre montre, desserrez vos vêtements ; assurez-vous de ne pas être dérangé pendant une demi-heure. Fermez légèrement votre bouche et posez votre attention sur votre respiration, sur l’air qui, cycliquement, sort puis pénètre à nouveau par vos narines. Ne changez pas votre rythme naturel. Devenez simplement conscient de votre souffle et de la façon dont il coule à travers vous, également et régulièrement. À l’inspiration, sentez l’énergie que vous absorbez vous remplir de vitalité. À l’expiration, sentez que tous les déchets et toxines accumulés dans votre corps s’évaporent. Laissez vos muscles se détendre dans chaque partie de votre corps. Poursuivez cette activité rythmique durant quelques minutes, jusqu’à ce que vous soyez bien relaxé et pourtant alerte.

Exercice 1 : Ein Sof (l’« infini »)

Après avoir accompli la relaxation préliminaire, visualisez votre être intérieur s’élevant vers le haut. Au cours de cette ascension, vous éprouvez une légèreté et une clarté mentale croissantes. Vous vous élevez de plus en plus haut et devenez conscient de l’océan éblouissant de lumière qui vous entoure. Cette lumière est l’Ein Sof ; elle est pleine d’une force illimitée et créatrice. En ce moment précis et à chaque instant de l’existence, cette lumière recrée l’univers entier, en un jaillissement d’énergie éblouissante. Sentez comme le rayonnement de l’Ein Sof empli l’univers, les multitudes d’étoiles et les mondes de l’espace. Cette lumière les relie en une totalité suprême. Sentez cette radiance couler à travers vous et distiller en vous un merveilleux bien-être. Sachez que, quelles que soient vos activités et la quantité d’énergie créatrice dont vous ayez besoin dans votre vie quotidienne, cette lumière génère, à tout instant, toute la créativité nécessaire à vous guider et à vous aider. C’est, en fait, la créativité infinie, source de toute chose. Sentez doucement ce rayonnement lumineux aussi longtemps que vous le souhaitez. Lorsque vous êtes prêt, laisser votre être intérieur redescendre jusqu’à ce qu’il rejoigne votre être normal, puis retournez à vos activités.

Enfin, la tradition kabbalistique insiste sur le fait que le chemin qui mène aux royaumes supérieurs de la conscience doit être parcouru lentement et avec une prudence extrême. La conscience ordinaire, assimilée aux œillères sur les yeux d’un cheval, a un rôle protecteur important. Un être humain normal ne pourrait pas soutenir l’expé­rience de l’ouverture simultanée de toutes les « portes de la percep­tion ». La Kabbale est pleine de lé­gendes de prétendus maîtres spiri­tuels qui ont cherché, en hâte et sans guide approprié, à atteindre les portes célestes. Dans chaque cas, on raconte que ces disciples ont péri ou ont été rendus fous, assaillis par une connaissance et des visions qu’ils n’étaient pas encore mentale­ment équipés à recevoir.

Afin d’atteindre des états de conscience transcendants, diverses pratiques et techniques sont utilisées

Les enseignements des Kabbalis­tes insistent en premier lieu sur la santé physique comme condition préalable pour réaliser d’autres ni­veaux de conscience. Il est d’une importance capitale qu’une personne jouisse d’une très bonne santé phy­sique avant même de rechercher les rigueurs que ces techniques impliquent. Par exemple, des régi­mes spéciaux et des jeûnes ont été recommandés pour nettoyer le corps, ainsi que l’éradication de toute glou­tonnerie pour ce qui est du manger et du boire.

Abraham Aboulafia, un grand mystique juif du XIIIème siècle, a écrit plus de vingt traités concer­nant les méthodes pour atteindre des niveaux de conscience plus élevés. Ces méthodes font appel à des postures physiques – sorte de yoga -, des exercices de respiration selon des rythmes particuliers, et la méditation en retraite solitaire. Aboulafia met en garde le débutant sur la prudence indispensable à la pratique de ces exercices, de crainte que, dans la contemplation, « un feu qui procède de son propre corps » ne le consume. Il faut noter que de tels avertissements sont pro­digués dans de nombreuses voies spirituelles.

Les pratiques typiquement kab­balistiques incluent également la ré­citation de prières rythmées parti­culières et de chants. On suggère par exemple à un individu de médi­ter sur le son intérieur de l’aleph, la première lettre de l’alphabet hé­braïque. Les premiers Hassid ont utilisé délibérément certaines mé­lodies sans paroles dans le but d’at­teindre des niveaux de conscience supérieurs. Des danses prolongées, extrêmement exubérantes, étaient souvent combinées avec ces airs de musique, ou nigounnim. En géné­ral, la musique a joué un rôle im­portant dans la tradition kabbalisti­que. Il est dit que dans les états spirituels les plus sublimes, on peut entendre le « chant divin » de l’uni­vers entier.

Exercice 2 : l’Arbre de Vie

Commencez avec les préliminaires. Visualisez ensuite l’image suivante, en pronon­çant les mots à voix haute jusqu’à ce que la scène devienne vivante et réelle. À cet instant, fermez les yeux et continuez à vous concentrer sur cette image. Vous pouvez souhaiter de visualiser votre être intérieur s’élever à travers de lumineux royaumes de l’espace pour se matérialiser devant cette scène radieuse (la visualisation qui suit est extraite textuellement du Zohar) :

« Au commencement fut faite la Maison du Monde. Cette Maison constitue le centre de l’Univers, et elle a de tous côtés un grand nombre de portes et vestibules, des lieux sublimes et sacrés où les oiseaux célestes font leur nid, chacun selon son espèce. En son milieu s’élève un grand arbre, aux branches puissantes chargées en abondance de fruits fournissant à tous la nourriture, qui s’élève jusqu’ aux nuages du ciel et dis­paraît au regard entre trois rochers, dont il émerge à nouveau, de sorte qu’il se trouve à la fois au-dessus et en-dessous d’eux. À partir de cet arbre, la maison est arrosée. À l’intérieur de cette maison sont conservés de nombreux trésors précieux et non découverts. Cet arbre est visible le jour, mais caché la nuit. »

En contemplant la Maison du Monde et l’Arbre de Vie, sentez-vous relié à leur mer­veilleuse vitalité. Leur splendeur irradie à travers tout l’univers. Tout en maintenant la contemplation, vous sentez la même énergie indestructible, réfléchie dans la maison et l’arbre, tomber en cascade à travers tout votre être. Vous vous sentez ra­fraîchi, plein de vitalité. Lorsque vous êtes prêt, quittez doucement la scène, tout en gardant votre visage orienté vers elle. Vous vous trouvez à nouveau dans l’espace éblouissant. Vous êtes à nouveau dans votre chambre. Sentez votre être intérieur fu­sionner avec votre être habituel. En conservant la beauté et la radiance de cette vision en vous-même, reprenez vos activités quotidiennes.

La Kabbale suggère que les rê­ves sont également une source va­lable de sagesse intérieure. « Un rêve est plus précis qu’une vision », rapporte le Zohar, « et peut explici­ter ce qui est obscur dans une vi­sion ». On considère qu’il est pri­mordial de prêter à ses rêves la plus grande attention : « un rêve qui n’est pas interprété est comme une lettre non déchiffrée ». Dans son livre sur Freud et la mystique juive, le pro­fesseur David Bakan compare l’analyse freudienne des rêves aux techniques kabbalistiques, qui re­posent sur l’usage des symboles. Il est bon de mentionner également que, si la Kabbale attribue aux rêves le pouvoir de révéler des vérités cachées, elle suggère encore que les rêves reflètent, en fin de comp­te, le développement intérieur du rêveur lui-même.

La concentration mentale est aussi un élément-clé des pratiques kab­balistiques. Une des techniques les plus largement employées dans le passé est la concentration sur les vingt-deux lettres hébraïques et les dix premiers nombres. Diverses per­mutations et de nouveaux arrange­ments particuliers de ces lettres et de ces chiffres avaient le pouvoir de rendre l’égo de l’individu si con­centré sur « l’ici et maintenant » que ses attaches pouvaient se défaire et se dissoudre. Trois de ces pratiques de concentration les plus courantes sont décrites en détail dans le livre de Rabbi Zalman Schachter, Frag­ments d’un manuscrit de l’avenir.

Dans ma pratique de psycholo­gue, je constate que l’art de conter et l’exercice de la Volonté Supé­rieure, dont l’importance a été sou­lignée par les Kabbalistes, sont d’une efficacité certaine pour aider les gens à se frayer leur propre chemin vers un dessein divin. Durant des siècles, également, les mystiques juifs ont estimé que l’usage correct de l’imagination pouvait être une force d’une puissance extraordinaire, capable de nous guider à travers les vicissitudes de l’existence. C’est pourquoi j’utilise des techniques méditatives, qui développent la Volonté Supérieure aussi bien que l’imagination, adaptant souvent, à cet effet, des passages d’œuvres kabbalistiques très anciennes. Par-dessus tout, la Kabbale me fournit une structure propice à situer le problème d’une personne ou l’obstacle qu’elle doit surmonter dans une perspective spirituelle plus vaste.

Comme ce rapide survol le mon­tre, la Kabbale est véritablement un système de connaissance ésoté­rique vaste et profond. La maîtrise de ses doctrines supérieures nécessite de nombreuses années d’étude assidue, mais ses portes divines demeurent, comme il est dit, ou­vertes pour chacun de nous. Avec de la patience et une intention claire, il reste possible de constater que la tradition mystique juive peut con­duire aux royaumes de la splen­deur.

BIBLIOGRAPHIE

FREUD ET LA TRADITION MYSTIQUE JUIVE, par David BAKAN, Petite Bibliothèque Payot, 1972

MYSTIQUE JUIVE ET PSYCHOLOGIE MODERNE, par Edward HOFFMAN, Ed. Dervy-Livres

L’ÉCHELLE CÉLESTE, INITIATION JUIVE A LA RÉALISATION INTÉRIEURE, par Edward HOFFMAN, Ed. Dervy-Livres

THE FOUR WORLDS JOURNAL, publi­cation trimestrielle dirigée par Edward HOFFMAN, consacré à la mystique juive et à ses applications actuelles : New York

FRAGMENTS OF A FUTURE SCROLL, par M. Zalman SCHACHTER, Leaves of-Grass Press, Pennsylvanie, 1975