Iwan Khowsky
L'anarchie spirituelle

Mais lorsque l’on vit dans un monde où l’on ne voit autour de soi que de la souffrance, la misère, la guerre presque perpétuelle qui existe et qui couve toujours partout, lorsque l’on voit les exploiteurs et les exploités physiquement et moralement, lorsque l’on se rend compte que ceux-là mêmes qui se croient heureux sont si vides, si creux dans leur bonheur, on devient révolutionnaire.

Robert Linssen avait 24 ans lorsqu’il écrivit cet article sous le nom d’Iwan Khowsky, pseudonyme qu’il utilisera souvent, surtout à ses débuts…

(Revue Être Libre. No 1. Janvier 1936)

Nul ne le contestera, nous vivons une époque particulièrement troublée, et ce n’est pas être pessimiste que d’affirmer qu’elle ne constitue que le prélude d’une période riche en éventualités de tout genre.

Nous vivons une de ces époques critiques de l’histoire, nous sommes dans une ère de transition.

Jamais les événements n’ont pris un tel caractère de précipitation, d’affolement. On peut dire que chaque heure est grave et décisive.

Quelle période riche d’enseignements, pour ceux qui veulent bien se donner la peine de les comprendre!…

« Aux fruits on reconnaît l’arbre. »

Dans le domaine social, économique, c’est la famine, la misère, la toute-puissance du capitalisme oppresseur.

Mais déjà naissent les premiers symptômes d’un effondrement de la puissance capitaliste.

Dans le domaine moral, c’est l’asphyxie des masses par la religion, cette industrialisation de la vérité, cet « opium des peuples » comme le disait Lénine.

Mais déjà naissent les premiers indices grandissants d’un désir profond de liberté, d’individualisme.

Dans le domaine politique, le « fascisme », la terreur dictatoriale, le nationalisme conduisent à la guerre, aux massacres intérieurs, à l’écrasement complet de l’individu.

C’est l’aboutissement le plus invraisemblable de l’aveuglement le plus absolu, dans un automatisme cruel et une obéissance servile, indigne, misérable!

Mais de toutes parts surgit aussi le sens de la dignité individuelle, la révolte contre l’autorité politique, sociale, religieuse, et tous les préjugés stupides qui en découlent.

Les événements proclament d’eux-mêmes, avec plus d’éloquence que les beaux discours…, la faillite de tous les systèmes sociaux, économiques, politiques et religieux.

D’innombrables économistes, sociologues, moralistes, politiciens de toutes tendances, s’évertuent à trouver des remèdes, des plans…. et des plans, mais le malaise mondial ne fait qu’empirer.

Ils oublient que ces malaises constituent des symptômes, des effets d’une effrayante  complexité, issus d’une même cause : l’homme a quitté la nature, il vit en dehors de ses lois biologiques les plus élémentaires, loin de ses lois d’équilibre et d’harmonie, il est devenu un monstre de rapacité et d’égoïsme.

Le malaise mondial, dans l’universalité des activités humaines, est l’expression d’un malaise individuel.

Je conçois évidemment que tout ceci doit être bien indigeste à tout brave bourgeois bien pensant….. et immédiatement serais-je baptisé « d’infâme révolutionnaire »…

Mais lorsque l’on vit dans un monde où l’on ne voit autour de soi que de la souffrance, la misère, la guerre presque perpétuelle qui existe et qui couve toujours partout, lorsque l’on voit les exploiteurs et les exploités physiquement et moralement, lorsque l’on se rend compte que ceux-là mêmes qui se croient heureux sont si vides, si creux dans leur bonheur, on devient révolutionnaire.

Et tout être intelligent, équilibré, s’il est vraiment homme, s’il n’est pas le misérable esclave de la routine, doit être un révolutionnaire.

Ne prenons donc pas comme « bon » à priori, ce qu’une tradition sociale ou religieuse, qu’elle soit séculaire ou millénaire, a fait supporter à plusieurs générations.

On a créé un modèle « standard » de ce qui est « bon » et de ce qui ne l’est pas, et même certains, non contents de l’automatisme mental de la foule, veulent lui imprimer l’automatisme, le machinisme dans les gestes.

Au plus l’automatisme s’infiltre dans le cœur de l’individu au plus il deviendra stupide, et de mieux en mieux, l’État quel qu’il soit pourra l’exploiter.

Que faire alors devant cet état de chose lamentable ?

Une révolution complète doit s’opérer dans le cœur de tout homme conscient de ses responsabilités.

Mais il y a révolutionnaires et révolutionnaires.

Je ne parle pas du briseur de vitres, ni du lanceur de bombes. A quoi servent les révolutions, si elles n’étaient qu’un bouleversement superficiel des choses, sans changer le cœur des hommes?

Peut-être il y a-t-il eu dans l’histoire, certaines révolutions qui se sont faites, parce que les circonstances étaient d’une horrible et brûlante réalité, mais si les nouvelles circonstances ne donnent pas aux individus une parfaite possibilité d’épanouissement, et si les cœurs restent vides, ces révolutions n’auront pas servi à grand-chose.

Malgré l’évidence caractéristique des événements, il existe encore des esprits assez pervertis, assez déviés, pour déclarer que la « crise de l’autorité » actuelle, est la cause de la confusion générale.

Il suffit certainement de jeter un regard sur les brillants résultats des régimes autoritaires,  le réarmement effréné, la famine, la misère, et la guerre dans toute son horreur.

On me demandera : « Mais vous, que préconisez-vous ? l’anarchie ? donc le chaos complet ? »

L’anarchiste qui détruit tout, pour le plaisir de détruire, est un être néfaste, mais il existe une Anarchie intelligente, suprêmement constructive.

L’anarchie spirituelle est harmonieuse et constructive, parce que si d’un côté, nous ne prétendons être l’esclave d’aucune autorité religieuse, politique ou traditionnelle quelconque, d’un autre côté, nos actes seront l’expression d’une et même chose intensément vivante, créatrice.

L’océan d’énergie universelle, auquel se résout toutes choses, la science le démontre, voilà la source immortelle, intarissable, d’où procèdent les manifestations humaines, en une sublime communion.

C’est ici que se révèle la grande richesse, et la grande simplicité de la pensée de Krishnamurti.

« Le problème du monde est le problème individuel. »

II y a une Réalité Éternelle, en continuel mouvement, elle est un Éternel Présent.

« Si toute action est réellement l’expression de ce mouvement, elle produira une société nouvelle. »

« La vie devient alors, non une école où l’on apprend à lutter, à rivaliser, mais une vie vécue intelligemment, suprêmement heureuse. »

Iwan KHOWSKY