Jean Varenne
Questions à Jean Herbert l'introducteur en France de l'hindouisme

Eh bien, c’est tout à fait accidentellement que je suis arrivé en Inde au cours d’un voyage qui me ramenait d’Extrême-Orient en Occident. J’ai été orienté, sans savoir pourquoi (mais le hasard n’existe pas), sur l’âshram du Shrî Aurobindo. Avant d’y arriver, je n’avais même jamais entendu son nom et donc ne savais pas du tout qui il était. Or j’ai rencontré en lui un homme qui m’a passionnément intéressé et dont les œuvres m’ont paru et me paraissent encore de première importance dans le mouvement spirituel contemporain. A cette époque, j’avais déjà eu accès aux œuvres de Râmakrishna et de Vivekânanda. Il y avait là tout un ensemble qu’il m’a semblé urgent de faire connaître directement, c’est-à-dire en laissant la parole à ces maîtres eux-mêmes

(Revue Question DE. No 6. 1er Trimestre 1975)

Depuis plus de trente ans, Jean Herbert se consacre à la rédaction d’ouvrages qui visent à mieux faire connaître l’hindouisme aux Occidentaux et tout particulièrement aux Français. Son maître livre, Spiritualité hindoue, reste irremplaçable comme introduction à cet univers spirituel dont le prestige même est, souvent chez nous, facteur de méconnaissance. Si on le complète par son Introduction à l’Asie où la spécificité hindoue se trouve intégrée au reste de l’Asie, on a en main un trousseau de clés permettant d’ouvrir toutes les portes de ce qu’il est convenu d’appeler la Sagesse orientale. D’autres ont certes œuvré dans la même direction, mais ce qui fait l’originalité de Jean Herbert, c’est qu’il a toujours voulu présenter l’Inde (et l’Asie) vivante : c’est le spiritualisme hindou contemporain qu’il présente par priorité, même s’il le replace dans le développement de la Tradition. C’est pourquoi il est aussi connu comme directeur de la célèbre collection « Spiritualités vivantes », chez Albin Michel, où il a donné la parole aux maîtres modernes, de Râmakrishna à Aurobindo en passant par Râmdâs et Ananda Moyî. C’est lui qui a « révélé » le zen aux Français en traduisant, avec René Daumal et d’autres, les Essais sur le bouddhisme zen, de D.T. Suzuki, dont l’impact fut considérable. Il est enfin celui qui a donné accès au monde fermé du shintô japonais grâce à des ouvrages comme Les dieux nationaux du Japon ou Aux sources du Japon : le shintô.

J. V. Le public français vous connaît non seulement comme auteur de livres à succès sur les spiritualités asiatiques, mais aussi comme directeur d’importantes collections vouées à l’édition en notre langue de maîtres contemporains, principalement hindous. Qu’est-ce qui vous a conduit à ce genre d’activité ?

J. H. C’est essentiellement parce que j’ai été frappé par le fait que les élites spirituelles d’Orient et d’Occident ne se connaissaient pas du tout au début de ce siècle. A cette époque, les Orientaux ne se doutaient même pas qu’il y avait en Occident une spiritualité quelconque, et les Occidentaux, les chrétiens en particulier, n’imaginaient pas qu’il pût en exister une en dehors du christianisme, sauf ce qu’il était convenu d’appeler avec condescendance les « mystiques naturelles ». Quant à moi, ayant découvert à travers certains livres de Romain Rolland qu’il y avait des grands maîtres de spiritualité dans certains pays d’Orient, et en particulier en Inde, j’ai pensé que ce serait une œuvre utile que de les faire connaître à l’élite occidentale et c’est pour cela que je me suis mis à publier leurs œuvres dès que j’ai eu les moyens de le faire.

J. V. En dehors de la lecture de Romain Rolland, des circonstances particulières vous ont-elles permis de connaître directement de telles œuvres ?

J. H. Eh bien, c’est tout à fait accidentellement que je suis arrivé en Inde au cours d’un voyage qui me ramenait d’Extrême-Orient en Occident. J’ai été orienté, sans savoir pourquoi (mais le hasard n’existe pas), sur l’âshram du Shrî Aurobindo. Avant d’y arriver, je n’avais même jamais entendu son nom et donc ne savais pas du tout qui il était. Or j’ai rencontré en lui un homme qui m’a passionnément intéressé et dont les œuvres m’ont paru et me paraissent encore de première importance dans le mouvement spirituel contemporain. A cette époque, j’avais déjà eu accès aux œuvres de Râmakrishna et de Vivekânanda. Il y avait là tout un ensemble qu’il m’a semblé urgent de faire connaître directement, c’est-à-dire en laissant la parole à ces maîtres eux-mêmes.

J. V. Avez-vous pu rencontrer d’autres maîtres qu’Aurobindo ?

J. H. Oui. J ai eu le privilège invraisemblable de pouvoir m’asseoir non seulement aux pieds de Shrî Aurobindo, comme je viens de vous le dire, mais également de Râmana Maharshi, du Swami Râmdâs et de Ma Ananda Moyî, et d’autres encore qui ont bien voulu m’accueillir et me communiquer leur enseignement soit oralement, soit en m’autorisant à traduire leurs œuvres.

J. V. N’êtes-vous pas également responsable de l’introduction en France du bouddhisme zen, puisque c’est vous qui y avez fait connaître l’œuvre de Suzuki ?

J. H. Là encore il y a quelque chose d’apparemment fortuit à l’origine puisqu’il s’agissait d’une simple commande qui m’avait été faite. Pourtant, à lire Suzuki je me suis rendu compte qu’il y avait là une autre source d’enrichissement extraordinaire, même sur le plan intellectuel. Mais je vous avouerai que je ne me doutais pas à l’époque que ce travail pourrait conduire un jour à la formation de groupes d’Occidentaux tentant de pratiquer en Europe les techniques du zen et du za-zen. Je dois dire d’ailleurs que par Suzuki j’ai été conduit à m’interroger sur le bouddhisme en général, ce qui m’a permis de constater que cette discipline présentait des aspects très divers dans le monde contemporain, un peu à la façon du christianisme qui diffère tant chez les calvinistes que chez les orthodoxes ou les catholiques, par exemple. C’est pourquoi je n’ai pas voulu m’en tenir au zen et j’ai publié quelques œuvres relevant des bouddhismes birman, chinois ou cinghalais, afin surtout de permettre aux Occidentaux de comprendre que le zen, sous sa forme japonaise, n’est pas tout le bouddhisme, loin de là. Soit dit en passant, cela m’a valu les critiques que vous imaginez, car le public souhaite instinctivement pouvoir vous étiqueter une fois pour toutes : ayant publié, avec des préfaces sympathiques, Aurobindo ou Râmakrishna, j’étais sûrement converti à l’hindouisme !

J. V. Puisque vous mentionnez cette équivoque autour de votre nom, permettez-moi de vous demander si vous pensez qu’il est bon que des Occidentaux pratiquent telle ou telle discipline orientale.

J. H. Mon opinion est formelle à cet égard et elle est négative. J’adopte entièrement sur ce point l’attitude de Gandhi qui s’opposait absolument à toute conversion religieuse. Il peut, certes, y avoir des cas exceptionnels où une conversion à l’hindouisme, à l’islam ou au christianisme se justifie, mais cela ne peut rester justement que l’exception qui confirme la règle. Pour ma part, le fait de communier spirituellement avec Shrî Aurobindo ou Râmana Maharshi ne m’a pas empêché de continuer à me considérer personnellement comme chrétien. Tout au contraire, il faut chercher dans l’étude des spiritualités ou des religions orientales un approfondissement de la religion dans laquelle on est né ou des conceptions philosophiques et spirituelles auxquelles on adhérait avant d’avoir commencé cette étude. Ce n’est pas parce que l’on pratique le hatha-yoga que l’on doit se convertir à l’hindouisme et je pense qu’une discipline comme le zen peut être adoptée par des chrétiens sans inconvénient.

J. V. Ainsi donc vous pensez que pratiquer le yoga ou le zen peut apporter quelque chose à l’Occidental moderne ?

J. H. Vous savez bien que les gens qui pratiquent de telles disciplines se comptent par dizaines de milliers dans l’Europe actuelle, et j’en connais beaucoup qui en ont été profondément enrichis non seulement sur le plan physique, mais également sur les plans intellectuel, philosophique et spirituel. Mais, sincèrement, je ne pense pas que ce soit une raison pour faire abstraction de ce qui constitue notre atavisme culturel. La richesse de nos traditions est telle qu’elle se compare sans difficulté à ce qu’offre l’Orient. Y renoncer, c’est-à-dire renoncer à ce trésor que nous avons reçu par notre éducation et qui constitue notre milieu culturel serait une perte irrémédiable. Il y a lieu, en ce domaine comme en tant d’autres, non pas de repartir de zéro, mais d’apprendre à utiliser (et le yoga ou le zen peuvent nous y aider) ce que nous avons reçu pendant nos années de formation et de l’approfondir, de l’enrichir.

Ouvrages principaux de Jean Herbert Aux éditions Albin Michel

Aux sources du Japon, le shintô.

Les dieux nationaux du Japon.

Introduction à l’Asie.

La mythologie hindoue, son message.

Spiritualité hindoue.

Le yoga de Shri Aurobindo.

Le yoga de l’amour.

Le bouddhisme en Asie au XXe siècle (Tartas).

Ce que Gandhi a vraiment dit (Stock).

Maîtres spirituels hindous édités par Jean Herbert

Citons, entre autres (tous chez Albin Michel, collection Spiritualités vivantes ») :

Shrî Aurobindo : la Vie divine (4 volumes).

Râmana Maharshi : Enseignement.

Gandhi : Lettres à l’ashram.

Vivekânanda : Entretiens et causeries.

Ma Ananda Moyî : Enseignement.

Râmdâs : Carnets de pèlerinage.

Râmakrishna : Enseignement.