Monsieur Jean Piveteau, de l’Académie des Sciences, professeur à la Sorbonne, membre de l’Académie royale de Belgique, est le patron de la Paléontologie française, l’un des patrons de la Paléontologie sur notre planète. Il est le Directeur du grand Traité de Paléontologie publié aux éditions Masson. Il publie aux éditions O.E.I.L. un petit livre : L’Apparition de l’Homme, Le point de vue scientifique. Le lecteur de langue française trouvera dans ce petit livre (170 pages) l’état actuel de la question en 1986. Chacun sait maintenant que le processus de l’hominisation s’est effectué par vagues successives. Depuis plus d’un siècle, les découvertes des fossiles pré-humains et humains ont permis de reconstituer, d’une manière au moins hypothétique, ce processus d’hominisation que l’on appelle aussi l’anthropogenèse. On voit apparaître, il y a quelques millions d’années, les premières formes qui surgissent ou émergent des formes de primates, singes anthropomorphes, et on assiste, lorsqu’on met en place, dans le temps, la série des fossiles découverts, à la transformation progressive, à la formation progressive de celui que les paléontologistes et les zoologistes vont appeler Homme, Homo sapiens.
Nous laissons notre lecteur découvrir dans le livre magistral de Monsieur Jean Piveteau cette merveilleuse histoire de la genèse ou de la formation progressive de l’Homme, par étapes successives, — et nous allons nous attacher ici, en peu de place, à écarter quelques difficultés déjà anciennes concernant ce processus de l’anthropogenèse.
Nous connaissons un certain nombre de langues, l’italien, l’espagnol, le français, etc., qui comportent des analogies évidentes, des parentés incontestables, dans le vocabulaire, la syntaxe, etc. Si même nous ne disposions d’aucun document écrit en langue latine, nous pourrions, avec certitude, à partir de ces parentés, induire l’existence d’une langue antérieure, à partir de laquelle l’italien, l’espagnol, le français, etc., se sont formés progressivement. De fait nous connaissons par des textes incontestables la langue latine, et de fait nous savons que l’italien, l’espagnol, le français, etc., se sont formés par transformations progressives, à partir de la langue latine.
Cela ne signifie pas, bien entendu, que le français actuel dérive de l’italien actuel ou de l’espagnol actuel. Non. Mais cela signifie que l’italien actuel, l’espagnol actuel, le français actuel, etc., dérivent d’une souche commune, antérieure, qui est précisément la langue latine.
On connaît un certain nombre de langues, le sanskrit, le grec, le latin, etc., qui comportent des parentés telles, du point de vue du vocabulaire et de la syntaxe, que les linguistes ont été amenés à induire l’existence d’une langue antérieure, d’une souche commune, dont le grec, le sanskrit, le latin, etc., sont issus, par évolution et transformation progressive.
De cette langue supposée, il ne nous reste de fait aucun document. Mais nous sommes cependant certains qu’elle a existé, parce qu’autrement, nous ne comprendrions pas l’existence des parentés évidentes entre le sanskrit, le grec, le latin, etc. Cette langue dont l’existence est induite, on l’appelle l’indo-européen.
Eh bien, les biologistes, les zoologistes et les paléontologistes raisonnent de la même manière en ce qui concerne les groupes zoologiques et les espèces. Les affinités, anatomiques, physiologiques, génétiques, biochimiques, etc., entre certains groupes zoologiques, certaines espèces animales, sont telles, que nous sommes obligés de supposer une souche commune, dont ils procèdent.
Cela ne signifie pas que l’Homme actuel, par exemple, dérive du Singe actuel. Mais cela signifie que l’Homme actuel, les grands Singes anthropomorphes actuels, le Gorille, l’Orang-outang, le Chimpanzé, dérivent d’une souche commune, située en arrière. Les parentés anatomiques, physiologiques, biochimiques, génétiques, sont telles, que nous sommes conduits à penser que l’Homme actuel est apparu, à la suite d’une série de transformations, à partir d’une souche commune, à partir de laquelle aussi les grands Singes anthropomorphes, ont réalisé leur propre évolution.
Ce qui a empoisonné, depuis le XIXe siècle, cette affaire, cette question scientifique, c’est un malentendu concernant la Création.
Le zoologiste et le paléontologiste qui s’efforcent de reconstituer, d’une manière d’ailleurs conjecturale, hypothétique, l’histoire de l’anthropogenèse, à partir des fossiles que l’on découvre depuis plus d’un siècle, ne prennent pas position en ce qui concerne la doctrine de la Création. Ils n’affirment pas la création particulière de l’Homme. Ils ne nient pas la création particulière de l’Homme. Ils décrivent simplement le processus de transformation qui a conduit d’un Primate situé il y a quelques dizaines de millions d’années, à l’Homme actuel.
C’est extrêmement simple, et un enfant de sept ans peut comprendre cela : dire que l’Homme se forme progressivement pendant plusieurs millions d’années ; montrer les étapes de la formation de l’Homme sur une longue durée de temps ; décrire le processus de l’anthropogenèse — ce n’est pas nier la création de l’Homme ; ce n’est pas non plus affirmer la création de l’Homme.
La question de la Création relève de la compétence et de l’analyse du philosophe qui, à partir du donné qui lui est fourni par le zoologiste et le paléontologiste, va établir, que de fait, l’histoire naturelle des espèces vivantes, c’est l’histoire de la croissance de l’information dans les messages génétiques qui commandent à la formation des êtres vivants. De fait, au cours du temps, l’information génétique augmente. Il y a plus d’information dans le message génétique de l’éponge, que dans le message génétique du protozoaire monocellulaire. Il y a plus d’information dans le message génétique du Diplodocus, que dans le message génétique de l’Éponge. Il y a plus d’information dans le message génétique de l’Australopithèque, que dans le message génétique du Diplodocus, — et ainsi de suite, jusqu’à nous. L’information génétique augmente dans le noyau de la cellule germinale, depuis les origines jusqu’à nous. Le passé ne suffit pas à rendre compte de l’avenir. Le message génétique plus pauvre du monocellulaire ne suffit pas à rendre compte du message génétique plus riche qui va apparaître après lui. Et ainsi de suite. — Et ainsi donc, l’histoire naturelle des espèces vivantes ne s’explique que par une communication d’information nouvelle, ou encore, comme l’écrivait le grand zoologiste français P.-P. Grasse, par création de gènes ! L’évolution biologique ne se comprend et ne s’explique que par la création d’information. Il n’y a donc pas lieu d’opposer, comme on le fit au siècle dernier, Création et évolution. L’évolution, c’est la Création en train de se faire.
C’est la conclusion à laquelle parvient l’illustre savant qu’est Monsieur Jean Piveteau à la fin du volume que nous avons l’honneur de présenter.
Ce volume, l’Apparition de l’Homme, prend place dans un Traité de Philosophie générale, dont le plan d’ensemble sera : l’Histoire de l’Univers ; l’Histoire de la Vie ; l’Histoire de l’Homme…
Reste à traiter la question de savoir si l’Homme qui vient d’apparaître est achevé, ou non. Monsieur Piveteau pense que non. Il nous reste à rechercher quelles sont les conditions qui sont requises pour que l’Homme, qui vient d’apparaître, s’achève.
C’est ce que nous examinerons dans une autre chronique.
Revenons pour finir sur la difficulté soulevée précédemment. Le paléontologiste en tant que tel décrit le processus historique par lequel on passe de formes archaïques de préhominiens, à la forme actuelle de l’Homme moderne, Homo sapiens sapiens. Le paléontologiste en tant que tel ne se prononce pas sur la question de savoir si l’Homme proprement dit est créé spécialement, s’il est l’objet d’une création immédiate et directe. Et c’est pourquoi il ne s’y oppose pas non plus. Car rien n’empêche le Créateur unique et incréé de créer directement l’Homme, à partir d’un message génétique antérieur, dont il augmente le contenu d’information. La Création s’effectue toujours par communication d’information. Nos Anciens s’imaginaient, à propos de l’Univers, de la Nature comme de l’Homme, que cette Création était quasi instantanée. Nous venons de découvrir qu’elle s’effectue progressivement et par étapes.
C’est là la différence. Mais la création de l’Homme, dans cette perspective nouvelle qui est celle de l’évolution ou des transformations progressives, reste toujours la création immédiate, particulière et directe de Dieu. De même que chaque être vivant, chacun d’entre nous, est l’objet d’une création particulière et immédiate. Car chacun d’entre nous est absolument unique.
Extrait de La Voix du Nord, 29 mars 1987