17 novembre 2024
Lorsque j’ai appris qu’Aristote avait décrit la conception biologique comme ressemblant à l’action caillante de la présure sur le lait, j’ai été très amusé. Quelle envolée poétique ! Le processus de raisonnement est à la fois analogique et analytique, avec une logique déductive qui découle de sa métaphysique. Le langage mélange des éléments figuratifs et scientifiques, utilisant des images de caillage et les terminologies de la biologie, de la physique et de la métaphysique :
Quand la semence du mâle fait prendre consistance à la sécrétion de la femelle présente dans les menstrues, elle produit à peu près le même effet que de la présure sur du lait — en effet, la présure est du lait doté de chaleur vitale qui unifie ce qui est semblable et lui fait prendre consistance, et la semence a le même effet par rapport à la nature des menstrues, car la nature du lait et celle des menstrues sont identiques : une fois que se réunit ce qui est corporel, ce qui est liquide est excrété et, sous l’effet conjugué de la nécessité et de la cause en vue de quelque chose, des membranes se placent en cercle autour, une fois que les éléments terreux sont séchés : en effet, dans ce qui se réchauffe ou se refroidit, il est nécessaire que les surfaces externes se dessèchent, et il faut que l’animal ne soit pas dans le liquide, mais qu’il en soit séparé. (De generatione animalium, livre II, 739b, 22-31)
La méthode de considération d’Aristote est à la fois convaincante et approfondie, d’une manière qui va bien au-delà de notre façon scientifique actuelle d’observer et de considérer le monde. En un court paragraphe, il nous fait passer par différents niveaux de spéculation, de la fabrication banale de fromages aux notions métaphysiques de « résultat nécessaire » et de « cause finale ».
En raison de l’exhaustivité du texte à cet égard, l’ensemble de son paradigme est exposé. De nos jours, la science considère la métaphysique comme implicite, essentiellement parce que ces questions sont jugées philosophiques et inutiles à la pratique de la science. Par conséquent, les prémisses du raisonnement sont absentes des structures logiques, et les erreurs les plus fondamentales sont, de ce fait, obscurcies.
Depuis les confinements, beaucoup ont commencé à se pencher sur le problème de la corrélation et de la causalité, qui est, au fond, un problème métaphysique. Était-ce le Covid qui a tué les gens, ou le mauvais traitement et l’absence de traitement ? Était-ce les personnes non masquées et non vaccinées qui ont causé des décès ? Ou bien était-ce les confinements, l’alarmisme, l’isolement et les mauvais protocoles médicaux ? Entre autres manigances, les hôpitaux ont été incités, par le biais de paiements, à confondre décès avec Covid et décès dus au Covid, bouleversant ainsi la relation fondamentale entre corrélation et causalité.
Malgré le battage médiatique actuel qui veut que la science soit omnisciente et qu’elle soit le bastion de la seule vraie Vérité, il y a de nombreuses choses que nous ignorons de manière flagrante. L’idée de faire cailler le lait comme modèle de formation du fœtus nous paraît aujourd’hui désuète. Mais que penseront les générations futures de nos propres idées ? Le modèle actuel est immensément analogique : l’ovule, ou œuf est le noyau nécessaire à la plupart des formes de vie biologique, et sa fécondation est l’œuvre d’une certaine forme de matériel biologique qui active un processus de division et de différenciation cellulaire. Ce que nous ne savons pas, c’est comment cette différenciation se produit. C’est une lacune assez importante dans notre compréhension, n’est-ce pas ? Sans cette connaissance, que signifie la fécondation ?
Aristote cherchait réellement à expliquer le phénomène. Nous, en revanche, nous nous arrêtons à une description superficielle et brandissons nos armes longues en signe de triomphe, comme les primitifs des sables de la Guerre des étoiles. Notre conception de la conception dans ce très avancé XXIe siècle, revient à dire que les bébés sont fabriqués avec de la poussière et du mucus magiques lorsqu’ils entrent en contact avec un ovule. Nous avons des vidéos en microscopie pour donner une touche scientifique : vous pouvez observer la course des spermatozoïdes par vous-même, voyez-vous ? Et nous avons des mots scientifiques (descriptifs) comme mitose et méiose pour donner l’impression que nous avons résolu l’un des grands mystères de la création. Voyez-vous les cellules se diviser au microscope ? Mais fondamentalement, tout cela n’est qu’illusion, qui masque ce que nous ne savons pas. Distraits par l’instrumentation (la microscopie en l’occurrence), nous oublions la question que nous posions au départ : expliquer le phénomène. C’est l’état d’illumination dans lequel nous nous trouvons. Certains seront peut-être surpris d’apprendre que les recherches sur l’ADN ne nous ont pas rapprochés de la réponse. Étant donné qu’un ADN identique se trouve dans le noyau de chaque cellule du corps, la recherche sur l’ADN ne nous permet pas de comprendre comment une cellule sait qu’elle est un muscle, un neurone, un cœur ou une cellule osseuse.
Bien entendu, la biologie, la médecine, l’épidémiologie et la virologie ne sont pas les seuls domaines où ce genre de problème se pose dans les sciences. J’ai déjà écrit sur notre modèle de casino de l’univers et sur la façon dont nous percevons trop de phénomènes en termes de probabilités. J’ai souligné que ces modèles probabilistes relatifs aussi variés que l’évolution et la physique quantique sont logiquement défectueux, puisqu’ils doivent supposer un jeu avec des résultats possibles et significatifs. De tels modèles ne pourraient exister sans une conception préalable, précisément ce que ces disciplines naturalistes rejettent. Comme la métaphysique reste implicite, les scientifiques de ces domaines (et le public crédule) peuvent vaquer à leurs occupations sans savoir à quel point leurs notions sur le monde sont profondément défectueuses, incohérentes, inconsistantes et incomplètes. Compte tenu de l’image de marque de la science aujourd’hui, de l’autorité, des fonds et du capital socioculturel dont jouissent ses représentants approuvés par les laboratoires, nous nous trouvons dans un monde où l’on croit généralement que seuls les gens stupides posent des questions.
Au cœur de ce problème se trouve notre cécité culturelle face aux métaphores qui forment le substrat de nos perceptions. Si nous espérons évoluer et progresser scientifiquement, culturellement, intellectuellement et spirituellement, nous devrons reconnaître le rôle joué par l’analogie dans toutes les formes de raisonnement, non pas pour la dénigrer et l’écarter, mais pour l’exploiter et, ainsi, parvenir à cette compréhension vers laquelle la science nous a orientés, à savoir une véritable incertitude, une humilité et la reconnaissance du caractère partiel de la connaissance. Nous pouvons rire de l’analogie d’Aristote entre le lait et la présure, mais nous n’avons même pas remplacé son explication par une meilleure. Tout ce que nous avons fourni, ce sont des descriptions « scientiphysées », du jargon scientifique et une imagerie scientifique. Et nous aussi serons tournés en ridicule.
Texte original : https://analogymagazine.substack.com/p/the-case-of-aristotles-curdling-foetus