Jean-Louis Siémons
Le cas unique de Jeanne d’Arc dans l’histoire

Plus d’une biographie a été publiée sur elle (par Michelet, Henri Martin, Wallon, et d’autres). Il existe cependant un livre, assez essentiel à consulter, élaboré (vers 1877 – 78) par Marcel Poullin : La Libératrice d’Orléans (333 pages, en grand format). Une enquête, pleine d’informations tirées d’archives de l’époque et de témoignages de contemporains (en langue française de ce début de 15ème siècle).Y figurent aussi les comptes rendus des interrogatoires (publics ou secrets) auxquels Jeanne a été soumise, lors de son procès à Rouen, présidé par Cauchon, l’évêque perfide de Beauvais.

Jean-Louis Siémons – LE CAS UNIQUE DE JEANNE D’ARC DANS L’HISTOIRE

Plus d’une biographie a été publiée sur elle (par Michelet, Henri Martin, Wallon, et d’autres). Il existe cependant un livre, assez essentiel à consulter, élaboré (vers 1877 – 78) par Marcel Poullin : La Libératrice d’Orléans (333 pages, en grand format). Une enquête, pleine d’informations tirées d’archives de l’époque et de témoignages de contemporains (en langue française de ce début de 15ème siècle).Y figurent aussi les comptes rendus des interrogatoires (publics ou secrets) auxquels Jeanne a été soumise, lors de son procès à Rouen, présidé par Cauchon, l’évêque perfide de Beauvais.

On a beaucoup parlé de ses « voix » (« de Dieu ») : en fait il s’est agi, le plus généralement, de visions, accompagnées de voix (n’émanant d’ailleurs jamais de « Dieu »). La première fois, c’est St Michel qui s’est révélé dans une aura de lumière. Elle avait alors 13 ans – St Michel était environné d’anges. Les « visions-voix » se sont répétées, très fréquemment, mettant en scène d’autres figures, respectées particulièrement par les bons chrétiens : l’archange Gabriel et 2 saintes, (Ste Catherine et Ste Marguerite). Dès lors, Jeanne n’a plus peur : elle désire ces rencontres, qui la confortent dans sa foi, et la guident dans sa vie de toute jeune fille – connue pour sa douceur, son dévouement, son caractère compatissant pour les pauvres. Une créature aimée de tous.

Mais, au bout de 3 ans, les choses se précisent : Michel lui ordonne d’aller au secours du roi de France, Charles VII, dont le royaume s’étendait alors jusqu’aux confins de la Lorraine (où vivait Jeanne, à Domrémy) : le roi était un inconnu pour les petites gens de ces coins retirés, souvent victimes des raids et pillages des Bourguignons qui sévissaient dans les parages (la famille de Jeanne a été victime de l’un de ces forfaits : moisson brûlée, démolition d’une partie de la ferme, etc.)

Donc, vers l’âge de 16 ans, Jeanne reçoit sa « mission » – avec les instructions nécessaires pour la marche à suivre. Elle trouve le moyen de s’éloigner du foyer paternel (pour une bonne cause : secourir une parente souffrante) ; d’abord, il s’agit pour elle de se rendre, à Vaucouleurs, demander au sire de Beaudricourt le moyen d’aller trouver le roi, à Chinon. Bien sûr, il faut beaucoup de patience et de persévérance pour une jeune fille de 16 ans, désireuse de se faire entendre d’un tel personnage. Elle est éconduite, sans ménagement. Elle s’entête. Éconduite une 2ème fois ; à la troisième, elle obtient ce qu’elle voulait – ce que son ange lui avait dicté. Elle part, habillée en cavalier d’armes, accompagnée de deux chevaliers et de 4 hommes d’escorte. (C’est le 25 février 1429).

Domrémy-Chinon : 150 lieues (environ 600 km). Un bout de chemin, sur des routes peu sûres, avec les Bourguignons souvent proches, mais Jeanne doit bénéficier de quelque protection. Au bout d’une douzaine de jours, voici le château de Chinon. Les voyageurs, qui ont averti de leur venue, sont logés là (dans la tour du Coudray). Après quelques jours d’attente (et de tergiversations de la part du roi), Jeanne est admise dans la salle où le roi, en habit assez simple, se trouve mêlé à de beaux gentilshommes. Jeanne va droit à lui et s’agenouille à ses pieds. Mais non ! « le roi c’est lui… » dit Charles VII, en montrant un riche seigneur ! Jeanne insiste : elle sait qui est le souverain. Un dialogue s’engage. Jeanne révèlera, dans cet échange, un secret que le roi est seul à connaître. Il se laisse convaincre, mais avant toute décision, Jeanne devra subir trois semaines d’interrogatoires avec des gens d’Église, chargés de vérifier « l’authenticité » de la jeune fille (qu’on pourrait prendre pour une sorcière) et la légitimité de sa démarche. Au bout de toutes ces épreuves, le programme de Jeanne est adopté : elle ira d’abord délivrer Orléans, et le roi ira se faire sacrer à Reims.

À son âge, sans entraînement militaire, Jeanne n’est pas une combattante de 1ère ligne, mais elle a une telle détermination, une foi dans sa mission – qui s’est confirmée encore lorsqu’elle a obtenu du roi ce que ses anges lui avait dicté de faire – un tel charisme contagieux, qu’elle galvanise les guerriers qui l’accompagnent, avec le ravitaillement et les aides nécessaires pour les Orléanais épuisés par le siège prolongé des Anglais autour de la ville. Elle parvient à entrer, à dynamiser les défenseurs découragés. En peu de temps, les Anglais lèvent le siège, le 8 mai 1429. Et cette fois, Jeanne a bien gain de cause : le roi se décide à partir à Reims. Encore quelques combats (la bataille de Patay, le 18 juin), et places fortes à délivrer, et voici la ville où Clovis a été baptisé par St Rémi, jadis (en 496), la ville où maintenant les rois de France sont sacrés – consacrés à leur condition royale : tant que Charles VII n’avait pas été ainsi sacré à Reims, il n’était que le « Dauphin ». Il y avait un autre prétendant en concurrence, Henri VI, placé par les Anglais comme candidat au trône. Il devait s’établir à Paris, ce qui lui conférait un rayonnement non négligeable, mais le 17 juillet 1429, le seul roi légitime était désormais Charles VII.

À Reims, Jeanne pouvait songer que sa mission était accomplie. Assurément. Pourtant, le roi souhaitait qu’elle ne retourne pas à Domrémy chez son père. Enhardie par ses succès, elle a effectivement repris sa lutte, pour tenter de libérer tout le royaume. Mais, cette fois, la chance ne lui souriait plus. Elle n’a pas pu prendre Paris. Il faut dire que le roi ne la soutenait plus guère. Finalement, à Compiègne, assiégée par les Bourguignons, elle a fini par tomber (le 23 mai 1430) aux mains de l’ennemi, qui la vendit aux Anglais (novembre 1430). On connaît la suite. Trimbalée jusqu’au Crotoy (à l’estuaire de la Somme), elle s’est retrouvée emprisonnée à Rouen où, après un procès mémorable (où les inquisiteurs ont donné toute la mesure de leur vilénie), elle a fini sa vie sur le bûcher, le 30 mai 1431 (elle avait un peu plus de 19 ans). Il faut dire que Charles VII n’avait pas bougé beaucoup pour la secourir. Il est vrai qu’il avait anobli Jeanne et sa famille (en décembre 1429, quelque mois après le sacre de Reims) mais, maintenant, il l’abandonnait à son sort.

Les procès-verbaux des séances du procès sont remarquables par la force d’âme, la confiance en elle-même et la sagesse dont Jeanne a pu faire preuve dans les réponses qu’elle a formulées aux questions perfides que lui posaient ses bourreaux (du 20 février à la fin de mai 1430). Il faut dire que ses « voix-visions » ne l’abandonnaient pas à cette heure critique, et soutenaient la jeune fille dans sa dévotion inébranlable. Condamnée au supplice du feu comme hérétique, relapse et autres crimes, aux yeux des bons gardiens de la foi catholique, sa mort n’a pas manqué de susciter des troubles graves dans la bonne conscience de plus d’un des dignitaires et prélats qui avaient suivi le procès. Il arriva même qu’un Anglais s’écrie, affolé après la mort de Jeanne : « Nous avons brûlé une sainte… »

Au bout du compte, sa cause fut plaidée en haut lieu : elle fut réhabilitée, le 7 juillet 1456. Encore un peu de patience et la sainte Église allait la canoniser en bonne et due forme. A la mémoire de « Sainte Jeanne d’Arc », plus d’une statue serait érigée dans les villes de France, et sa fête serait inscrite au calendrier (le 30 mai).

Avant de conclure ce bref aperçu biographique, il faut encore dire un mot des pouvoirs de clairvoyance de notre Jeanne. Par exemple, le jour de son arrivée à Chinon, un homme d’armes l’avait plaisantée grossièrement, en jurant le nom de Dieu. Elle répondit : « Comment pouvez-vous renier le nom de Dieu quand vous êtes si près de mourir ? » Le soir même ce soldat tomba à l’eau et se noya. (D’où les soupçons de « sorcière » pesant sur la jeune fille, et les examens qu’elle dut subir pour l’innocenter). Plus tard, même en prison, elle « savait » que d’ici 7 ans les Anglais seraient boutés hors de France. Elle avait eu aussi des prémonitions (concernant une blessure qu’elle recevrait, ou le sort de prisonnière qui l’attendait, etc.). Elle révéla même l’existence d’une épée cachée, enterrée derrière l’autel d’une église : une fouille à l’endroit indiqué permit de la retrouver toute rouillée. À Chinon, elle avait donné un signe secret au roi (plus de 300 personnes l’avaient vu aussi, mais Jeanne refusa de révéler sa nature aux juges du procès de Rouen).

Alors ? Que conclure de cette rapide enquête ?

Jeanne d’Arc : sorcière ? Médium ? Mystique illuminée, hystérique ? Etc, etc. Toutes les hypothèses sont permises, pour se débarrasser d’un cas gênant. Mais les faits sont là, avec des centaines de témoins pour les cautionner. Personne n’a vu les anges, avec leur lumière et leurs voix qui appellent à l’ouvrage, ou encouragent à persévérer. Devrait-on douter pour cela de l’intervention d’une ou plusieurs entités spirituelles de haut niveau dans la vie d’une jeune fille très pure, compatissante, et prête à se dévouer pour une cause dont elle sentait toute la noblesse – et l’urgence ? Elle, une « soldate » qui n’a jamais tué un seul homme de ses mains, au cours de toutes ses batailles. Et qu’on ne vienne pas invoquer la légendaire « faiblesse féminine » qui aurait dû nécessairement interdire, chez cette adolescente, un tel déploiement d’énergie – pendant des années – en notre siècle qui découvre les extraordinaires prouesses de plus d’une jeune fille se montrant capable d’exploits défiant l’imagination, telle cette Maud Fontenoy qui, vers la fin de sa 22ème année, s’est lancée, seule, dans la traversée à la rame de l’Océan Atlantique (puis, 2 ans plus tard, du Pacifique) avant de faire le tour du monde à la voile, en couvrant ainsi 14.500 km, toujours en solitaire, et en bravant tous les dangers d’une telle entreprise.)[1]

Malheureusement, le cas de Jeanne d’Arc n’est mentionné dans aucun des textes de la littérature théosophique à notre disposition. On ne peut manquer cependant de voir, dans son aventure, un exemple de l’intervention probable de la Loge des Maîtres dans le déroulement des événements historiques concernant un pays, ou plusieurs groupes humains liés par une destinée commune. Rien n’empêcherait même de penser que la jeune Lorraine a été prise en charge par un Nirmânakâya[2], pour accomplir une mission importante, à un tournant de l’histoire de France. Sans doute Jeanne avait-elle une disposition karmique pour une telle vocation et rien ne pouvait faire obstacle en elle – si pure, si dévouée et serviable – à cette prise en charge par un Adepte avancé du Mur Gardien de l’Humanité, pour réaliser l’action-sacrifice que les temps exigeaient à cette époque. Sans elle – sans l’intervention « miraculeuse » (en apparence) d’un tel Adepte – que serait devenu le Royaume de France ? Il y a des urgences que nous ne savons pas jauger mais dont la Loge des Maîtres est suffisamment consciente pour l’amener à intervenir – lorsque le karma le permet.

Mars 2008


[1] Voir ses livres, en particulier Atlantique face Nord (117 jours à la rame). Paris, Laffont, 2004.

[2] Rappelons que le terme Nirmânakâya sert à désigner un Adepte hautement spirituel qui, après avoir quitté son corps mortel, conserve une personnalité suffisamment permanente pour demeurer – suivant sa volonté – dans le monde invisible, assez proche de la sphère terrestre pour pouvoir aider l’humanité en général ou, éventuellement, un individu isolé, toujours dans un but de service collectif. Dans ce cas, comme on le lit dans le Glossaire Théosophique, il se comporte « vraiment comme un ange gardien pour l’individu qui mérite son aide ».