Jean-Louis Siémons
Un nouveau regard sur la mort et l'après-vie

on ne peut envisager sérieusement la réincarnation sans s’interroger sur le grand mystère du passage d’une existence terrestre à l’autre. Si quelque chose de nous-mêmes survit à la mort physique, pouvons-nous imaginer ce qui arrive à notre conscience dans l’« après-vie» ? D’autres chercheurs scientifiques comme Ian Stevenson ont déjà entamé une discussion à ce propos. Il m’a paru essentiel de la poursuivre en profondeur, avec les éléments nouveaux dont nous disposons en cette fin de siècle.

(Revue L’autre monde. No 112. 2e trimestre 1987)

A l’occasion de la parution aux éditions Albin Michel d’un nouvel ouvrage de Jean-Louis Siémons: «Mourir pour Renaître, l’Alchimie de la mort et les promesses de l’après-vie», Jean-Paul Guignette a interviewé l’auteur, spécialiste connu des problèmes de la réincarnation.

J.P. Guignette: Après vos précédentes publications sur la réincarnation, (particulièrement «Revivre nos vies antérieures», qui a connu une seconde impression chez Albin Michel, quelques mois après sa première parution) qu’est-ce qui vous a conduit à aborder le problème de la mort, qui est quand même fort différent de votre sujet de prédilection?

J.L. Siémons: Tout se tient : on ne peut envisager sérieusement la réincarnation sans s’interroger sur le grand mystère du passage d’une existence terrestre à l’autre. Si quelque chose de nous-mêmes survit à la mort physique, pouvons-nous imaginer ce qui arrive à notre conscience dans l’« après-vie» ? D’autres chercheurs scientifiques comme Ian Stevenson ont déjà entamé une discussion à ce propos. Il m’a paru essentiel de la poursuivre en profondeur, avec les éléments nouveaux dont nous disposons en cette fin de siècle.

J.P. G.: On parle beaucoup d’«après-vie» de nos jours, si on en juge par les titres des publications actuelles. Aurait-on enfin mis la main sur les preuves expérimentales de la survivance?

J.L. S.: C’est vrai qu’un effort considérable a été consacré depuis plus de deux décennies à une nouvelle approche de la mort. Pionnière dans cette voie, Elisabeth Kübler-Ross a osé vivre près des mourants pour les comprendre et les accompagner dans les étapes de leur agonie (1). L’année 1975 a marqué ensuite le grand coup d’envoi, avec la parution aux Etats Unis du livre de Moody (Life after life) (2) et en Allemagne de celui de J.C. Hampe (Sterben ist doch Ganz anders) (3), beaucoup moins connu malheureusement. Puis vinrent des enquêtes nombreuses et sérieuses, par Kenneth Ring, le Dr Sabom, etc… sur l’expérience des «rescapés de la mort». On en est venu, un peu trop vite à mon sens, à parler d’«après-vie», alors qu’on n’avait encore fait qu’explorer l’« avant-mort ».

J.P. G.: Dans votre Introduction, vous évoquez la nécessité de «débloquer la réflexion sur la mort». Que voulez-vous dire?

J.L. S.: Je constate que de nos jours, avec toute la publicité que l’on fait à ces récits de «retour de la mort», l’attention est concentrée sur le merveilleux de ces témoignages, sans que l’on s’interroge sérieusement sur la signification de leur contenu, comme si à les multiplier on allait administrer la preuve de la survivance. Il est vrai que le public, de plus en plus impressionné, peut se laisser convaincre que «la mort n’existe pas». Mais dans le fond, on n’en sait pas plus aujourd’hui qu’hier sur notre destinée posthume. En me faisant l’avocat du diable, je pourrais dire que ces instants d’éblouissement, en présence du fameux «être de lumière», marquent peut-être le bouquet final d’une vie, avant la chute dans la nuit définitive…

J.P. G.: Vous êtes pessimiste?

J.L. S.: Non. Je souhaite que l’on ouvre une réelle réflexion sur la mort. Et, pour cela, on ne peut échapper à un changement d’optique sur ce qu’on appelle «l’âme», qui est censée survivre.

J.P. G.: N’y a-t-il pas des pionniers dans cette voie nouvelle? Comme vous le rappelez dans l’un de vos chapitres, K. Ring n’a-t-il pas assimilé l’expérience de «l’être de lumière» à une rencontre entre la conscience du mourant et son Soi réel – son être profond – l’agonisant étant alors un peu comme l’enfant qui à cette heure suprême fait retour à son foyer, et retrouve un parent si lumineux, si confondant de bienveillance qu’il ne le reconnaît pas et le prend pour un personnage divin?

J.L. S.: Justement; et j’imagine que Jung a influencé Ring dans ce sens. Pour les psychologues junguiens (comme par exemple Marie-Louise Von Franz (4)), cet «être de lumière» est une image du Soi, notre «alter Ego supérieur», la partie permanente de notre être conscient. Jung a décrit ce Soi profond comme un rhizome, ou une tige souterraine qui se prolonge vers l’extérieur par la touffe de feuilles et de fleurs que l’on voit, assimilable à notre moi «incarné», la personnalité terrestre à laquelle nous nous identifions généralement.

J.P. G.: Ces niveaux de surconscience, ou de supra-conscience, des mourants ne peuvent-ils s’atteindre qu’à notre «dernière heure»?

J.L.S.: Sans doute pas, mais il s’agit d’expériences exceptionnelles. J’en ai cité plusieurs exemples très éloquents – loin de la phase d’approche de la mort – où d’ailleurs la réincarnation apparaît en pleine lumière, dans l’enquête d’un chercheur américain, Frederik Lenz.

J.P. G.: Donc, vous partez des explications de Jung et de Ring pour développer votre sujet?

J.L. S.: Nullement. Je constate avec plaisir qu’elles arrivent de nos jours pour confirmer une représentation de l’expérience de la mort qui est beaucoup plus ancienne, puisqu’elle date du 19e siècle. En explorant la littérature théosophique de Mme Blavatsky (5), j’ai pu en effet me rendre compte à quel point ses vues étaient modernes et permettaient de rendre compte de la majorité des phénomènes de conscience liés à la vie et à la mort de l’être humain. C’est ce modèle théosophique de la survivance que j’ai surtout développé, en le confrontant aux témoignages de l’expérience, et aux théories actuelles.

J.P. G.: On aurait pu s’attendre à ce qu’un scientifique comme vous se tourne vers les physiciens de pointe, comme David Bohm, ou Jean Charon, pour chercher une inspiration, plutôt que vers une femme sans diplôme, qui a eu de nombreux détracteurs, bien que ses connaissances très étendues dans de nombreux domaines de la parapsychologie et de l’Occultisme l’aient fait reconnaître comme un personnage hors pair.

J.L. S.: Quand il s’agit de construire un modèle cohérent pour établir une théorie, le scientifique n’a pas à faire la fine bouche sur l’origine des idées qui lui sont suggérées, si ces idées sont vraiment originales et fécondes. C’est justement le cas avec les idées blavatskiennes -n’en déplaise aux gens qui pensent que seul un diplômé peut approcher la vérité. D’ailleurs, vous savez que les chercheurs n’ont plus peur de nos jours de se tourner vers l’Orient pour demander l’aide d’une inspiration. Mme Blavatsky n’a cessé d’affirmer qu’elle tenait son savoir de maîtres yogis versés dans la connaissance expérimentale des choses de l’au-delà -ce qui est devenu beaucoup plus crédible maintenant que l’on connaît mieux les pratiques des tibétains qui déclarent s’exercer au transfert de la conscience éveillée au-delà des portes de la mort- pourquoi ne pas accorder un peu d’attention à ses livres ?

J.P. G.: En effet, mais y trouvez-vous autre chose que de vagues théories, invérifiables ?

J.L. S.: Au contraire, je suis frappé par sa minutieuse description du vécu de la mort, qui anticipe de 100 ans ce qu’on découvre aujourd’hui. Le retrait progressif de la conscience par des niveaux psychiques ascendants, jusqu’à l’exceptionnelle surconscience, où le moi terrestre communie avec sa racine intime (ou Ego supérieur), la revue panoramique de l’existence qui s’achève. Tout y est. L’explication de «l’être de lumière» était là, depuis longtemps: il suffisait de se donner la peine de lire. Et même cette extraordinaire expérience d’omniscience qu’ont faite certains rescapés entendus par le Dr Moody se trouve ici justifiée : par rapport à notre conscience «humaine», cet Ego supérieur est dépeint comme quasi omniscient par H.P. Blavatsky (H.P.B., pour ses amis et disciples) et elle a donné des exemples de cette surprenante potentialité qui précisément peut s’actualiser au moment de la mort. Au niveau de l’Ego profond, il n’y a plus de temps ni d’espace comme nous les entendons, tout est perçu en un présent unique. Et, bien entendu, cette entité transpersonnelle n’est pas enfermée dans le cadre étroit de notre personnage historique.

J.P. G.: En somme, à ce niveau, on ne peut plus parler de sexe, de nationalité, d’étiquette quelconque qui servent ici-bas à nous caractériser?

J.L. S.: C’est cela. Mais, pour H.P.B., cette âme permanente, individuelle, porte en elle la richesse intégrée de toutes ses incarnations précédentes, et elle soutient de ses pouvoirs de pensée, d’amour et d’action l’être personnel que nous sommes extérieurement. Pensez à l’image du rhizome et de ses pousses aériennes. Cette approche de notre être réel est extrêmement féconde dans la théosophie blavatskienne.

J.P. G.: A ce propos, dans votre ouvrage, vous vous efforcez de «tracer un modèle de l’homme conscient, suffisamment large pour rendre compte de la majorité des faits déjà connus (et décrits dans les livres contemporains), tout en se prolongeant d’une façon naturelle sur le versant inconnu de la mort». Pourriez-vous illustrer ce modèle par quelques exemples?

J.L. S.: Vous savez, la Théosophie a été «holistique» bien avant la lettre: l’homme est inséparable du tout (holos en grec) de l’univers. Et celui-ci est le champ de l’évolution de la matière, mais aussi le théâtre d’une grande montée de la conscience, depuis les formes les plus frustes jusqu’à l’être humain, et bien au-delà. Pour H.P.B., il y a de la conscience dans le plus petit atome, et rien n’arrive en un point du monde qui n’ait une influence sur  la totalité. L’évolution repose sur une inévitable solidarité – ce qui est particulièrement vrai à l’échelle des hommes -. Bien mieux, comme cette conscience qui s’exprime dans chaque entité ne lui a pas été surajoutée, ou donnée en plus, à un certain moment de l’histoire (comme lorsqu’on imaginait un Dieu créateur insufflant une âme dans un corps qui en était auparavant privé), mais qu’elle était présente de tout temps, bien que non encore éveillée, on doit postuler une fraternité universelle essentielle de toutes ces entités (humaines ou non) dont la conscience est depuis toujours enracinée dans la grande Conscience Universelle que l’on peut bien désigner de tous les noms que l’on veut, à condition de ne pas en faire une divinité personnelle – alors que notre âme permanente est déjà bien au-dessus du niveau psychique habituel -. Dans ce modèle évolutif, la Nature ne cesse de faire des recyclages : les univers naissent, meurent et renaissent, et, de même, nous passons par des alternances de vie et de mort. Comme on le sait, cette réincarnation ne va pas sans la loi de responsabilité éthique (Karma) : tôt ou tard, les hommes récoltent le fruit de leurs attitudes envers eux-mêmes et les autres. Et le progrès de l’individu de la collectivité. Dans la grande machine cosmique, tout obéit à des lois, où chaque cause entraîne des effets, et l’économie naturelle est sauvegardée. Ce qui veut dire que notre vie a un sens – comme une sorte de grande destinée d’éveil à la conscience universelle, qui est notre source – et que nous traçons nous-mêmes ici-bas le programme de notre aventure posthume. Dans cette perspective, la réincarnation est la voie naturelle de notre élévation, de l’humain jusqu’à ce qu’on appelle parfois le divin, non seulement pour notre bénéfice mais pour celui de la totalité des êtres qui nous entourent.

J.P. G.: Comment intervient dans ces processus l’Alchimie de la mort, que vous évoquez dans le sous-titre de votre livre?

J.L. S.: Beaucoup de gens imaginent encore que la mort ne modifiera pas grand chose à notre personnalité ; songez à ces rencontres avec nos êtres chers au Paradis, que l’on se plaisait à évoquer jadis ; nous allions les reconnaître à leurs traits, car ils n’auraient pas changé. Avec la Théosophie, il n’en va pas de même : l’hiver venu, la pousse aérienne se flétrit et le rhizome, qui en a recueilli à temps toute la sève nourricière, se prépare à un renouveau pour le printemps suivant. Il faut donc bien que la mort assure pour nous tous les processus de cette métamorphose qui va libérer l’Ego supérieur de ses instruments terrestres (corps physique et machinerie psychique personnelle), tout en leur soustrayant la grande richesse d’expérience humaine accumulée au cours de l’existence. C’est assurément d’une Alchimie qu’il faut parler ici, comme j’ai tenté de le montrer tout au long du livre.

J.P. G.: Cette idée d’un dépouillement de l’âme qui doit se défaire non seulement de l’enveloppe charnelle – ce qu’on appelle la mort- mais aussi d’un corps psychique distinct est peu courante dans les traditions religieuses, me semble-t-il.

J.L.S.: En apparence peut-être, mais elle est très bien mise en lumière par Plutarque (6). Pour cet initié, il existe une seconde mort (qui a lieu symboliquement, dans le domaine de la Lune) où l’âme supérieure (ou noûs) se libère de sa personnalité psychique qu’elle abandonne alors comme un cadavre à la décomposition, tandis qu’elle même accède à la face de la Lune tournée vers le Soleil. Belle image, riche de significations. Le néo-platonicien Proclus a également évoqué cette seconde mort.
En parlant d’Alchimie, songeons maintenant que le Grand Œuvre doit commencer dès la dernière étape de l’existence incarnée: l’expérience des mourants – qui est l’ultime extase de la vie, comme l’a rappelé H.P.B.- rassemble toute la masse d’images et d’énergies psychiques créées et développées de la naissance jusqu’à la mort. L’âme emporte en elle tout ce butin: c’est la Materia prima de l’Œuvre. Il va s’agir -pour que cette vie n’ait pas été un échec complet pour l’Ego – que la quintessence en soit extraite jusqu’à la dernière goutte, et recueillie par l’âme qui s’en trouvera enrichie d’autant.

J.P. G.: A quoi correspond alors la phase posthume qui conduit à la seconde mort?

J.L. S.: A l’Œuvre au noir des alchimistes. Les Maîtres de H.P.B. ont décrit cette étape comme une sorte de lutte intense entre les deux grands groupes d’énergies de notre psychisme, polarisées les unes par la personnalité égoïste, instinctive et séparée de la collectivité, et les autres par notre centre magnétique solaire que constitue l’Ego supérieur. On peut songer à cette grande fermentation, ou «putréfaction» de la matière brute dans l’athanor de l’âme, qui doit permettre finalement d’arracher de la sphère de l’être le «noir corbeau» de toutes les scories terrestres et de rassembler les éléments vivants qui serviront à la poursuite de l’Œuvre. Notons bien que tous ces processus posthumes sont gouvernés, d’après H.P.B. par des lois d’énergétique psychique. On ne voit dans la Théosophie nulle évocation de diables, d’enfers ou de divinités en colère : l’âme ne se trouvera confrontée qu’avec ses propres créations mentales. D’ailleurs, par une sorte de protection naturelle, le processus de la seconde mort n’est pas vécu consciemment en général – de même que nous n’avons pas une claire conscience des phénomènes physiques qui conduisent à la mort du corps-. Avec une exception cependant, pour des individus pleins de haine et de passions violentes – énergies brutales – dont les effets se feront sentir encore dans ces êtres longtemps après leurs disparitions du plan terrestre. Mais, répétons-le, en dehors de ces cas très particuliers, cette phase préliminaire (qui correspond au «purgatoire» dans nos traditions) n’est pas vécue comme un cauchemar. Et elle est plus brève que les longues années de souffrances rédemptrices qu’on avait dépeintes.

J.P. G.: Après l’Œuvre au noir doit venir l’Œuvre au blanc, n’est-ce pas?

J.L. S.: C’est l’ordre normal. Cette fois, l’Ego qui a quitté la scène et s’est allégé de tous fardeaux inutiles, emporte dans les coulisses de la mort l’ensemble des images et énergies qui sont homogènes à sa nature universelle -et divine en essence. Cette matière très purifiée doit être retravaillée pour en tirer la quintessence. En réactivant toutes les pensées, attitudes, aspirations et volitions qu’il avait réussi à inspirer à sa personnalité terrestre, l’Ego va extraire l’or pur de tous les instants de la conscience humaine qui avaient reflété quelque chose du Ciel : générosité, amour, désir de beauté, d’harmonie, de justice, dévotion aux plus nobles causes, etc… Enfermé dans une sphère merveilleuse –paradisiaque – de rêve que rien ne limite, l’Ego s’engage dans une méditation prolongée sur la face brillante de son moi incarné, et ainsi s’assimile entièrement les énergies sublimées de cet être éphémère. C’est donc comme une digestion des meilleures nourritures terrestres. On comprend que pour l’âme libérée c’est également une indispensable période de repos, avant de retourner à l’incarnation. Et cette phase de l’Œuvre se poursuit aussi longtemps qu’il y a de la matière psychique à sublimer – ce qui peut durer des siècles, selon la Théosophie.

J.P. G.: Quand l’être se trouve dans une telle félicité, sait-il qu’il est «mort.» ? Est-il conscient de ce qui se passe ici-bas et conçoit-il le désir de communiquer avec les vivants, ou de revenir près de nous?

J.L. S.: Dans ce genre de surconscience paradisiaque, l’Ego est face à ses créations de la terre: toutes les énergies psychiques supérieures qui avaient été refoulées pour mille raisons – ne serait-ce que par les limitations de la vie incarnée – se donnent maintenant libre cours. La conscience est entièrement mobilisée par ce fantastique déploiement de forces et d’images. Elle ne se pose aucune question, elle n’a aucun sentiment d’avoir quitté la terre, d’autant qu’elle se voit entourée de tous ceux qu’elle a aimés et qui semblent participer à sa vie merveilleuse. Comment l’Ego concevrait-il le désir de revenir ici-bas, «près de nous», vu que rien ne lui indique une quelconque séparation ?

J.P. G.: Mais si ce Paradis n’est pas éternel, comment s’achève-t-il pour l’âme?

J.L. S.: C’est toujours une question de rapport de forces. Quand s’épuisent les énergies psychiques ascendantes, l’Ego éprouve à nouveau l’attraction de la Terre. Vu qu’il ne s’était pas encore libéré de cette force avant la mort de sa personnalité précédente, il est obligé de redescendre pour une nouvelle tentative.
Il ne faudrait pas considérer ce genre d’expérience de béatitude comme la récompense finale réservée aux seules âmes vertueuses, définitivement arrachées à l’océan tumultueux de la vie. Cette étape remplit une fonction naturelle (assimilation, régénération, etc…) pour la grande majorité des êtres, mais elle n’est pas éternelle. Les yogis le savent bien qui souhaitent un retour rapide sur la terre, pour achever leur libération : c’est seulement ici-bas, dans une personnalité humaine, que nous pouvons penser, vouloir, décider en pleine conscience et par conséquent agir sur notre destinée karmique. L’Alchimie de la mort sauvegarde le meilleur de notre passé et, en même temps, dépouille l’âme complètement de son personnage précédent: l’Ego se retrouve alors enrichi par cette nuit de la mort et peut assumer une personnalité toute nouvelle, dans un corps nouveau, sans être encombré par la masse de souvenirs de l’existence précédente.

J.P. G.: En a-t-il perdu toute la mémoire et ne peut-il s’inspirer des bonnes et mauvaises expériences faites jadis pour choisir une meilleure incarnation?

J.L. S.: Le détail de cette mémoire n’est sans doute pas perdu, mais ce qui compte c’est le résultat intégré de cette infinité d’images, dont, je le répète, l’Ego ne s’encombre plus. Sans doute, ce que nous appelons la voix de la conscience est un écho plus ou moins déformé de cette mémoire intégrée. Pour ce qui est de choisir la nouvelle incarnation, l’informatique de la loi karmique s’en charge parfaitement : l’Ego est ramené naturellement vers un point de la terre où l’attire la résultante la plus puissante de toutes les forces d’attachement qu’il a créées et entretenues jadis avec les autres êtres. Dans la grande généralité des cas, l’âme n’a pas des instruments qui lui permettraient un tel choix conscient. H.P.B. affirme que seul un yogi entraîné pourrait le faire, dans le but d’accélérer son évolution spirituelle.

J.P. G.: Pensez-vous que nous atteindrons un jour une véritable immortalité?

J.L. S.: Beaucoup de gens souhaiteraient prolonger leur vie indéfiniment. Si la Nature nous l’accordait, ce serait un cadeau empoisonné : que ferions-nous dans le même corps pendant 500 ou 1.000 ans? Cela tournerait à la dépression ou à la folie. La Nature qui nous fait mourir est clémente au contraire; combien est préférable de mourir pour renaître, comme des êtres tout neufs avec la fraîcheur de la jeunesse, l’enthousiasme qui autorise toutes les audaces, toutes les créations. La véritable immortalité est celle qui nous assurerait la continuité de la conscience réfléchie, à travers tous les états que nous traversons : veille, rêve, sommeil profond, vie, mort, avec la possibilité de penser librement et de vouloir à tous les niveaux. Nous serions alors de vrais magiciens. Ce n’est pas pour rien que cela nous est interdit, pour le moment. Il faut mériter cette métamorphose intégrale, qui fera de nous les véritables fils aînés de la Nature, attentifs à la servir dans les diverses phases de l’évolution universelle. On peut mesurer tout le chemin qui reste à parcourir : d’autant que nul ne nous prendra sur ses épaules pour nous amener au but, par une sorte de miracle. C’est pourquoi il faut nous hâter de prendre conscience de ce que nous sommes en profondeur, individuellement et collectivement.

J.P. G.: L’Homme Total?

J.L. S.: C’est ça même. Nous appartenons à une famille unie d’êtres, en évolution irréversible vers un éveil à la totalité de la vie dans l’univers, jusqu’ aux plans les plus spirituels. Il n’y a qu’en coopérant à cet éveil que les individus pourront s’éveiller eux-mêmes.

J.P. G.: Ne risquez-vous pas de tomber ici dans le mysticisme, et de perdre votre image de scientifique?

J.L. S.: Ces considérations ne relèvent pas de la foi : il ne s’agit pas ici de croire à une révélation nouvelle. Ce qui était original au 19e siècle et en train de tomber dans le domaine public. Il y a une logique dans cette approche holistique de la vie, et plus d’un scientifique y apporte maintenant sa contribution. Il me semble faire œuvre utile en présentant et développant des idées qui, tôt ou tard, seront adoptées par les penseurs qui voudront se faire une représentation large et raisonnable de notre destinée humaine. Ces réflexions, encore trop audacieuses pour beaucoup peut-être, ne relèvent pas du rêve : elles s’appuient sur de solides évidences comme j’ai tenté de le montrer dans mon livre. Et l’histoire va même parfois trop vite dans ce domaine : on raconte imprudemment tant de choses sur la mort et l’au-delà, qu’un peu de lumière est indispensable pour éviter de tomber dans la confusion.

J.P. G.: Pour conclure, «Mourir pour Renaître» ce n’est pas seulement quitter un corps pour se réincarner un peu plus tard?

J.L. S.: Ceci n’est qu’un aspect très fragmentaire de la grande Alchimie de la vie. Comme je l’ai montré dans ce livre, l’expérience posthume est elle-même une succession de «morts» et de «renaissances», tout comme l’est notre existence terrestre d’hommes et de femmes de chair. Et la vie nous invite à prendre nous-mêmes en mains cette Alchimie de tous les instants, afin de ravir à la mort cette série d’opérations et de métamorphoses qu’elle nous force à subir pour notre bien, parce que nous n’avons pas eu la sagesse de la conduire en nous-mêmes de notre vivant. La résurrection de l’âme, ou l’Eveil final à notre nature divine universelle, est l’ultime renaissance qui couronne l’Œuvre au rouge, la phase dernière de l’Alchimie spirituelle. Ne serait-elle pas déjà programmée au plus profond de nos fibres, et ne conviendrait-il pas que nous nous mettions en route, ici et maintenant, pour la réaliser?

(1)    E. Kübler-Ross, La Mort dernière étape de la croissance, Le Rocher, 1985.
(2)    En français: La Vie après la Vie, R. Laffont, 1977.
(3)    Le sens du titre est: «Mourir c’est quand même autre chose». Livre édité par Kreuz. Stuttgart.
(4)    Voir en particulier: Les Rêves et la Mort, Fayard, 1986.
(5)    Par exemple: La Clef de la Théosophie (Traduction française), éditions Textes Théosophiques, 11 bis rue Kepler, 75116 PARIS.
(6)    Voir son œuvre morale intitulée «De facie».