Kingsley L. Dennis
Le gland & la chenille

24 août 2024 INTRODUCTION À UNE PSYCHOLOGIE PÉRENNE POUR L’ÉPOQUE CONTEMPORAINE « L’homme, nous disons le savoir, vient de très loin ; si loin, en effet, qu’en parlant de son origine, des expressions telles que “au-delà des étoiles” sont fréquemment employées. L’homme est éloigné de ses origines. Certains de ses sentiments (mais pas tous) en sont de légers […]

24 août 2024

INTRODUCTION À UNE PSYCHOLOGIE PÉRENNE POUR L’ÉPOQUE CONTEMPORAINE

« L’homme, nous disons le savoir, vient de très loin ; si loin, en effet, qu’en parlant de son origine, des expressions telles que “au-delà des étoiles” sont fréquemment employées. L’homme est éloigné de ses origines. Certains de ses sentiments (mais pas tous) en sont de légers indicateurs… L’homme a la possibilité de retourner à ses origines. Il l’a oublié. Il est en fait “endormi” face à la réalité ».

Ustad Hilmi, Mevlevi

Nous vivons actuellement une période très inhabituelle, et les gens sont de plus en plus confrontés à l’incertitude et à la prise de conscience que ce qui les met mal à l’aise n’est pas dû à ce qu’ils savent, mais à ce qu’ils ne savent pas. En d’autres termes, il y a un manque de connexion à quelque chose de fondamental dans nos vies modernes. C’est pourquoi je suis revenu à un ensemble de travaux que j’ai recherchés et écrits en 2019 et finalement publiés à l’été 2020 sous le titre The modern seeker : A Perennial Psychology for Contemporary Times (Le chercheur moderne : une psychologie pérenne pour les temps contemporains). Cette série d’essais se composera de matériel tiré de ce livre, car je pense qu’il répond au besoin actuel de s’engager dans un courant sous-jacent de sagesse psychologique et de compréhension du développement de la condition humaine. Ce premier essai sert d’introduction à l’exploration d’une psychologie pérenne pour un monde contemporain.

Nous vivons actuellement une ère de séparation, et cette déconnexion est à l’origine de bon nombre de nos maux sociaux. D’une manière générale, l’humanité est en crise — individuellement, collectivement et à un niveau profond, « spirituel ». C’est une crise de l’intériorité, et la société reflète ces fractures. Ce désir de réunion, de reconnexion (quel que soit le nom que nous lui donnons) a été au cœur d’un élan de développement à travers les âges. Il s’est également manifesté dans de nombreuses traditions et formes « spirituelles » authentiques qui ont vu le jour pour répondre à ce besoin. Pourtant, beaucoup de choses ont été perdues en cours de route. Le chemin de la connexion profonde, de la communion essentielle entre le Soi et la Source, n’est jamais facile ni automatique. Il doit être recherché. Un bon médecin n’offre pas de remède sans d’abord comprendre la cause du mal dont souffre le patient. Un bon médecin sait également que le patient porte en lui le potentiel de guérison.

Tout dans la vie est un processus. Rien n’est statique et tout, toute vie, est en mouvement. Mais ce mouvement peut s’opérer de différentes manières. Il peut être graduel, réprimé ou accéléré. Prenons l’analogie du gland et de la chenille. Le gland, comme nous le savons, porte en lui toutes les informations dont il a besoin pour devenir un chêne. Ce dont il a besoin de l’extérieur, c’est de temps et de conditions environnementales favorables. Grâce à ces conditions, il peut progressivement, sur plusieurs générations, passer du gland dans le sol au grand chêne qui se dresse vers le ciel. C’est un processus graduel qui suit un rythme naturel. On peut dire que cela représente la voie générale du développement naturel. Puis, il y a la chenille.

La chenille contient également en elle toutes les informations nécessaires à sa croissance future. Elle n’en est peut-être pas pleinement consciente, mais si elle suit son instinct, elle arrivera à un moment de sa vie où elle ressentira le besoin de changer. Elle entrera dans l’état de cocon et, si les conditions internes sont favorables, elle finira par émerger en papillon. C’est-à-dire qu’elle subira une transformation radicale en quelque chose de nouveau. Elle ne sera pas une simple extension de son ancien moi, comme le chêne l’est pour le gland, mais se transformera en un nouvel état d’être — si les conditions internes sont favorables.

Cette analogie nous apprend qu’il existe une croissance évolutive graduelle ainsi que des transformations évolutives rapides. Comme pour la chenille, il peut en être de même pour l’humanité. Nous pouvons choisir de bénéficier de conditions environnementales qui favorisent notre développement progressif au fil des générations. Ou nous pouvons faire un effort conscient et concerté pour utiliser les conditions internes afin de déclencher une transformation rapide et radicale de notre être.

Buckminster Fuller a dit un jour : « Rien dans une chenille ne vous dit qu’elle va devenir un papillon ». Les signes extérieurs ne sont pas faciles à distinguer. Il n’y a pas de signes lumineux annonçant la capacité de transformation à l’intérieur. Pourtant, elle existe. Le programme de dépassement de soi est inscrit dans notre code. Ce qu’il faut pour déverrouiller ce code, c’est une intention correcte. C’est de cela qu’il sera question dans cette série d’essais.

Je parle d’une psychologie pérenne en termes de chemin développemental. En d’autres termes, elle symbolise un besoin transcendantal de vivre avec des principes et des objectifs qui dépassent la vie ordinaire. Vivre « au-delà » de la vie ordinaire tout en participant à la vie quotidienne est l’axiome de la psychologie pérenne. Être « dans le monde » et pourtant « pas du monde » représente une longue tradition qui a opéré — et continue d’opérer — dans toutes les cultures et à toutes les époques de la civilisation humaine. Il se peut qu’au fond, le but de l’humanité soit un but de transformation.

Une véritable psychologie pérenne reconnaît que la vie humaine est constamment soumise à l’impact de ce que l’on peut appeler les « forces de développement ». Ces forces peuvent contribuer à faire progresser la cognition et la perception humaines. Et que sans ces impulsions qui imprègnent nos vies, l’humanité n’existerait tout simplement pas dans son état actuel. C’est ce qui constitue le tissu même de notre existence, mais nous reconnaissons rarement leur présence. Nous sommes plus susceptibles de reconnaître, et d’entrer en contact avec, seulement leurs vestiges ou leurs formes dégradées. La psychologie pérenne a toujours existé pour aider au « raffinement » de l’être humain afin qu’il perçoive cette impulsion. Cette correspondance doit être un processus actif et conscient, car elle exige qu’une personne réduise l’influence des distractions constantes de la vie.

Les objectifs principaux de la psychologie pérenne sont a) de nous révéler qui nous sommes vraiment ; et b) de nous aider à développer notre cognition intérieure. Cette voie a été au cœur de tous les élans religieux et spirituels authentiques à leur naissance, avant qu’ils ne se dégradent en accrétions secondaires. Par essence, la psychologie pérenne est une « vérité sans forme ». Cependant, pour que sa sagesse soit transmise sous une forme contemporaine dans la culture qui la reçoit, elle doit trouver un véhicule ou un canal approprié. Cette série d’essais abordera certaines de ces sagesses et leurs diverses formes contemporaines.

Maintenant que nous sommes entrés dans le XXIe siècle, nous avons particulièrement besoin d’une reconnaissance moderne de cette voie ancienne et pérenne. Il semble que, ces derniers temps, nous ayons fait faillite dans les histoires que nous nous racontons. Une grande partie de la vie moderne est en dissonance. Nous avons besoin de plus d’histoires magiques afin de pouvoir à nouveau reconnaître et intégrer le « fond métaphysique » du monde. L’humanité risque de perdre son identité en tant qu’espèce précieuse et noble. Il semble que nous ayons perdu une partie de notre passion et de notre engagement envers la vie et son mystère. Certaines personnes dans le monde moderne vivent déjà dans un état d’« apathie face à la réalité ». Le monde extérieur nous nourrit de fausses histoires qui nous détournent de l’essentiel. Nous devons prendre du recul et trouver nos propres histoires. L’humanité est arrivée ici il y a longtemps et s’est égarée. Comme l’a dit le poète persan Jalaluddin Rumi : « Celui qui m’a amené ici devra me ramener » :

Toute la journée, j’y pense, et le soir, je le dis.

D’où est-ce que je viens et qu’est-ce que je suis censé faire ?

Je n’en ai aucune idée.

Mon âme vient d’ailleurs, j’en suis sûr,

et j’ai l’intention d’y finir.

Cette ivresse a commencé dans une autre taverne.

Quand je reviendrai à cet endroit,

Je serai complètement sobre. En attendant,

Je suis comme un oiseau d’un autre continent, assis dans cette volière.

Le jour où je m’envolerai est proche,

Mais qui est à mon oreille, qui entend ma voix ?

Qui dit des mots avec ma bouche ?

Qui regarde avec mes yeux ? Qu’est-ce que l’âme ?

Je ne peux m’empêcher de demander.

Si je pouvais goûter une gorgée de réponse,

Je pourrais m’évader de cette prison pour ivrognes.

Je ne suis pas venu ici de mon plein gré, et je ne peux pas repartir de cette façon.

Celui qui m’a amené ici devra me ramener [1].

Nous sommes à la recherche de notre connexion avec notre âme — pour retrouver le chemin de la maison. Tout d’abord, nous devons reconnaître qu’un chemin existe.

Poursuivons notre enquête…

Extrait de « THE MODERN SEEKER: A Perennial Psychology for Contemporary Times » (Beautiful Traitor Books, 2020). Disponible en ligne en version imprimée et ebook.

Texte original : https://kingsleyldennis.substack.com/p/the-acorn-and-the-caterpillar

1 Barks Coleman, Moyne John (trad.). 1996. The Essential Rumi. New York: HarperCollins, p. 2