Yves-Albert Dauge
Le Graal ou le langage de la pierre

(Revue 3e Millénaire. Ancienne série. No 18. Janvier/Février 1985) Prenant le Graal pour thème de réflexions, Yves-Albert Dauge réalise un considérable travail d’ésotérisme comparé. Comme chaque fois qu’il a bien voulu écrire pour nous (nos 3, 9 et 12), il a voulu dégager l’universalité de la Tradition à travers ses multiples expressions. Ce travail d’unification […]

(Revue 3e Millénaire. Ancienne série. No 18. Janvier/Février 1985)

Prenant le Graal pour thème de réflexions, Yves-Albert Dauge réalise un considérable travail d’ésotérisme comparé. Comme chaque fois qu’il a bien voulu écrire pour nous (nos 3, 9 et 12), il a voulu dégager l’universalité de la Tradition à travers ses multiples expressions. Ce travail d’unification respecte les particularismes et laisse vibrer ce la sublime qui fait chanter l’univers. Et par cette coupe, cette pierre, cet objet polymorphe, c’est notre propre quête vers l’expérience personnelle du vivant, de Dieu qui s’exprime. Le Graal nous sert alors de guide.

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L’objet de cet article est si important qu’il faudrait lui consacrer un livre entier. Car le « grand Secret qu’on nomme le Graal » (Robert de Boron) correspond à l’essence même de l’ésotérisme universel, et tout particulièrement à la clef de l’ésotérisme judéo-chrétien. Le texte qui est à la base de notre recherche est le Parzival de Wolfram von Eschenbach (v.1170 – v.1220). Cet auteur prétend proposer la version véridique de l’histoire de ce héros qui devint « roi du Graal » ; et, dans son récit, le mystérieux objet est une énorme pierre précieuse aux vertus « magiques ».

Les éléments de ce poème sont bien connus. Rappelons cependant quelques faits et traits décisifs. L’arrivée de Parzival au château de Montsalvage, la souffrance du roi Anfortas, l’extraordinaire liturgie du Graal, la table d’hyacinthe rouge placée devant le roi, l’objet sacro-saint porté par Repanse de Joye sur un tissu de vert achmardi (= émeraude), la plénitude de bienfaits assurée par sa présence, l’épée à la poignée de rubis donnée à Parzival par Anfortas. Et le silence du jeune homme, qui ne pose pas la question cruciale, transmutatrice, car non encore prêt. Puis les révélations qui lui sont faites par l’ermite Trévrizent (= « Triple Sagesse ») : la mission des Templiers, gardiens du Graal et vivant de cette Pierre « dont l’essence est toute pureté », la formule énigmatique pour la désigner : lapsit exillis, le lien de la Pierre avec le Phénix et la résurrection, sa consécration le vendredi saint par une colombe qui vient y déposer une hostie, les conditions requises pour conquérir le royaume du Graal. Enfin le retour de Parzival au château, la question énoncée, le rétablissement de la circulation des Énergies divines.

Malgré leur apparente hétérogénéité, tous ces éléments se relient étroitement en une cohérence ésotérique. Ainsi que l’a bien vu Pierre Ponsoye, la vérité du Graal est l’accès à la vision de Dieu et au secret de la Vie. Nous pouvons préciser, quant à nous, que ce « mystère » n’est autre que celui de notre participation à la nature divine, au mutuel amour du Père et du Fils, celui de notre réalisation déificatrice en tant que « Fils du Père ».

Présentons dès à présent ce fil conducteur : le Graal est à la fois une réalité ontologique, une expérience personnelle, et un « objet ». Comme réalité ontologique, il signifie le secret de la duellité divine et de la déification de l’homme – clef de l’ésotérisme chrétien. Sa quête, ou conquête, équivaut à l’expérience personnelle du Vivant, du Nom divin, du couple Père-Fils, qui est réservée aux plus qualifiés. A ces valeurs métaphysiques répond un objet matériel/immatériel, visible/invisible, polymorphe, qui leur sert de support et de symbole.

LA DUELLITÉ DE DIEU ET LE NOM DIVIN

Nous avons abordé ce thème dans notre étude sur « Les clefs symboliques de l’Énergie » (3e millénaire 12, 1984, pp. 30 sq.). Il faut soigneusement distinguer ce terme duellité, qui a le sens de bi-unité, union indissoluble de deux entités ou personnes de même essence, de même nature, du vocable dualité, qui signifie séparation, opposition. Cela dit, la duellité de Dieu est le grand secret apporté par le Christ, ou plutôt réactualisé par lui.

Relativement à chaque être humain, Dieu – le Je-Suis – n’est pas uniquement transcendant : Il est également parent, ou Père, car l’homme est émané de Dieu, avant d’être créé et formé par Lui (enseignement de la Cabbale : voir notre article « Trois miroirs de la Sagesse » in 3e millénaire 3, 1983, p. 65). C’est reconnaître que chacun doit percevoir sa propre essence (son Je) comme intégrée dans un couple éternel et indissociable : Père (Lui, Dieu) – Fils (« Autre-Lui », double de Dieu, secundus Deus). Telle apparaît la duellité de Dieu, proposée à chacun comme réponse au « Qui suis-je ? » et perspective pour son devenir.

Elle a été affirmée et illustrée par Jésus en ce qui le concernait (« Le Père et moi nous sommes UN », Jn. 10,30), et étendue par lui normalement à tous les hommes dignes de ce nom (« Vous êtes des dieux et vous êtes tous des fils du Très-Haut », reprise du Psaume 82,6 en Jn. 10,30). Angelus Silesius, entre autres, exprime magnifiquement cette certitude expérimentale (I,278) : « Le double de Dieu. Je suis l’autre Lui de Dieu, c’est en Moi seul qu’Il trouve ce qui Lui sera semblable et analogue de toute éternité. » Ce couple infrangible constitue donc le secret de la Vie intradivine, le pivot de la Création, le cœur de la métaphysique, la clef de l’anthropologie spirituelle : l’homme essentiel, notre Je, étant émanation divine, mode de Dieu, est promis au retour en Dieu.

Le témoignage de Jésus, axé sur ce thème, fonde le christianisme véritable, qui est compréhension du bipôle Père-Fils, et assimilation au Fils Archétype. Or, dans son poème, Wolfram insiste sur cette réalité métaphysique, et à des moments décisifs de l’évolution de ses héros (II, 315 & 332) « Dieu est homme, et il est le Verbe de son propre Père : Dieu est à la fois Père et Fils… » Et il n’est pas jusqu’à la mention du Phénix à propos de la Pierre qui ne nous rappelle ce thème, du Phénix qui « est son propre fils, son héritier, et son père » (Lactance). Le poète initié pense certainement au bipôle, dont le Graal, nous le verrons, est le symbole et la signature. Mais pour que cette notion devienne pleinement opérative, il faut recourir à l’utilisation correcte du Nom divin.

L’importance de ce Nom, dans le christianisme authentique, est considérable. Dans son commentaire de l’Évangile de saint Jean, Maître Eckhart affirme que « le Père ne voit, n’entend, ne dit, et ne veut rien d’autre que son propre Nom. C’est au moyen de son Nom que le Père voit, entend, et se manifeste. Le Nom contient toutes choses… Le Père te donne son Nom éternel, et c’est sa propre vie, son être et sa divinité qu’Il te donne en un seul instant par son Nom ». Quel est-il ?

C’est le fameux Tétragramme Y H W H, dont le dynamisme fructificateur se structure en Pentagramme Y H Sh W H (= Jésus).

Voyons Wolfram. « Le païen Flégétânis découvrit, en examinant les constellations, de profonds mystères, dont il ne parlait qu’en tremblant. Il était, disait-il, un objet qui s’appelait le Graal. Il en avait clairement lu le NOM dans les étoiles » (Wolfram 11,24). Or, par référence au livre d’Ibn ’Arabi’, Les Gemmes des Sagesses (Fuçûç al-Hikam), Pierre Ponsoye met en évidence l’importance d’une Pierre céleste et royale, la Pierre de Celui qui est reconnu en Islam comme le « Sceau de la Sainteté universelle », Jésus. « Peut-on douter, écrit-il, que ce soit là cette Pierre dont Flégétânis avait clairement lu le Nom dans les étoiles ? » (p. 30).

Nous estimons personnellement qu’il y a lieu de faire intervenir, dans l’herméneutique du Graal, la doctrine du Tétra-/Pentagramme – d’autant plus qu’elle était manifestement connue, à l’époque, de certains initiés, tel Joachim de Flore ( 1202).

Les lettres-nombres qui constituent le Tétragramme correspondent à des Personnes-Énergies divines déterminées. Le Yod (Y) figure le Père, et le Waw (W), le Fils ; les deux Hé (HH) qui s’entrelacent avec les signes précédents représentent les deux spirations de l’Esprit féminin. Le Nom ne doit pas être lu linéairement, mais selon une structure circulaire et cruciforme. L’axe vertical Y-W illustre alors parfaitement la duellité divine, le Couple essentiel Père-Fils « en miroir », le Bipôle archétype. La Vie de ce Bipôle s’exprime par la double spiration de l’Esprit qui l’« enveloppe » : l’Amour descendant du Père pour le Fils, ou Esprit-Mère, et l’Amour ascendant du Fils pour le Père, ou Esprit-Fille (cf. la Shakti dans le bouddhisme tantrique indo-tibétain). Ainsi l’Axial Masculin est-il tissé d’Éternel Féminin pour former la texture clef du Vivant, le moyeu de l’ontologie et de la dynamique universelles : ce qu’est réellement le Nom divin. De la duellité, nous sommes passés à la tri-unité, et de la tri-unité au circulus quadripolaire.

Relisons dans cette perspective l’enseignement du Trévrizent (Wolfram I1,37). La mention du vendredi saint, de la colombe qui descend du ciel pour déposer une hostie sur la Pierre et remonter ensuite : voilà qui nous introduit dans l’herméneutique du Nom. Le vendredi saint est le jour de la croix : allusion à la lecture cruciforme de YHWH ; et l’hostie fournit l’image de la circularité. La colombe qui effectue son double mouvement, c’est l’Esprit à la double spiration. La Pierre est donc nécessairement – ce que nous démontrerons à l’évidence par la suite – le symbole du Bipôle, pierre dressée, verticale, comme par exemple la « Pierre précieuse du Ciel » des Tibétains (Norbu-Rinpoch, l’équivalent de Cintâmani). Le Graal apparaît ainsi en étroite relation avec le Nom divin, tel un « lieu » privilégié de compréhension et d’utilisation des Énergies qu’il comporte.

Mais pour former le Nom de Jésus, qui est un Pentagramme, une lettre doit être ajoutée, le Shin (Sh), qui s’insère au cœur de l’ensemble. Ce Shin figure la force de cohésion qui relie tout, la dialectique unificatrice, l’idéal théandrique (texture divino-humaine). En outre, Shin et Waw sont complémentaires, par leurs valeurs numériques (21 est le trigon de 6) comme par les couleurs qui leur sont affectées (le vert et le rouge). Ce Nom de Jésus est donc d’une grande richesse, illuminative et opérative : il met à notre portée les forces du Tétragramme, et révèle l’axe Yod – Shin – Waw, qui est celui de l’Avatar en même temps que de notre déification. C’est le Nom lu par Flégétânis dans les étoiles, et le Graal en est, en quelque sorte, le « corps de gloire ».

Une preuve : la complémentarité vert-rouge est très significative dans ce mythe. Sans parler de la coupe d’émeraude contenant le sang du Christ, nous lisons chez Wolfram que le Graal, reposant sur son tissu de vert achmardi et de même rayonnement que lui, doit être placé sur la table d’hyacinthe rouge pour être opératif. Nous y lisons aussi que l’épée donnée à Parzival par Anfortas (symbole du Nom divin : voir notre étude dans 3e millénaire 12, pp. 44 sq.) a sa poignée taillée dans un rubis : c’est donc par le rubis – valeur sacrificielle et circulation du sang théandrique – que l’on a accès à l’émeraude (Graal). Quant au Phénix, il est à la fois en relation avec l’Œuvre au Rouge (déification par l’ascèse) et avec le Rocher d’émeraude au sommet de la montagne cosmique de Qâf…

Ainsi, toute la « magie » du Graal est-elle due au fait qu’il représente, qu’il condense ces puissantes Énergies du Nom, dangereuses pour celui qui les utilise « à faux », souverainement efficaces pour qui en connaît la véritable structure (le Pentagramme) et le maniement correct (axe Waw – Shin – Yod soutenu par les 2 Hé).

CE QUE NOUS RÉVÈLE LA PIERRE

Plat creux, bassin, vase, coupe, tablettes, livre, objet énigmatique, tel évolue le Graal dans la luxuriante littérature qui lui est consacrée . (Evola 90 ; Angebert 162 sq.) ; mais surtout pierre, gemme, roc – Pierre de Vie et de Lumière.

Interrogeons la Cabbale : elle va nous livrer une interprétation de toute première importance pour éclairer le mystère de la Pierre. Eben, pierre en hébreu, s’écrit Aleph-Beith-Noun, hA B N. Or, Ab (Aleph-Beith) signifie Père, et Ben (Beith-Noun) veut dire Fils. En contractant ces deux vocables grâce à leur lettre commune, on obtient le mot pierre (cf. A. de Souzenelle, La Lettre, chemin de vie, Le Courrier du Livre, 1978, pp. 200 sq.). Donc cet objet, la Pierre, symbolise la duellité divine Père-Fils, ce Couple éternel archétype que nous avons suffisamment évoqué déjà.

Lorsque le Principe (Aleph) se manifeste, il devient Père, Ab (Aleph + Beith) ; le Père se déploie par l’Amour, Ahabah (Aleph + Hé + Beith + Hé) et constitue avec le Fils, Ben (le Cœur de la Création), la Pierre de Vie et de Lumière, Eben, l’Axis Mundi. Notons qu’un troisième mot de parenté de deux lettres est formé avec le Beith (= l’Énergie en circulation) et le Thav (auquel correspond le signe +) : Bath, Fille. On a là en même temps une évocation de l’Esprit féminin, et le thème de la Fille portant ou enlaçant la Pierre (Ab + Ben) : n’oublions pas que c’est une femme qui porte le Graal…

Saint Pierre, dans le Nouveau Testament, se relie très nettement à cette vérité cabbalistique, (Mt. 16,13-19, ainsi que sa 1re Épître qui développe le-embole de la « pierre vivante » La fameuse conversation de l’apôtre avec Jésus, rapportée par Matthieu, pourrait s’intituler « l’archétype de Pierre ». En effet, selon la sagesse hébraïque secrète, la Pierre, c’est l’unité Père-Fils, qui, réalisée par l’homme, lui confère la clef de la puissance royale divine, dans les « deux Royaumes ». Or, Jésus demande à ses disciples : « Qui suis-je ? » – « Le Fils du Dieu vivant, du Père », répond Simon Barjona(s) . Cette déclaration inspirée l’établit alors comme « Pierre », conscient du Bipôle, frère du Christ et possesseur de la clef (cf. Dante : « Je te fais roi et pape de toi-même »), archétype du « dresseur de pierre » (voir Thomas, 77), de tous les membres du « Corps mystique » reliés au Nom. Pierre, c’est donc l’homme éveillé au mystère de la Pierre, apparemment le premier Templier ou responsable du Graal – le vrai roi en étant plutôt, à notre sens, saint Jean.

Axe théandrique et source énergétique : tel apparaît le Graal-Pierre, qui est comme une condensation symbolique des hautes vérités métaphysiques de l’ésotérisme judéo-chrétien. Pour illustrer cette affirmation générale, nous allons envisager successivement trois modalités du pouvoir et de l’utilisation de cette Pierre sainte, qui nous permettront de définir ce qu’est la connaissance opérative.

A. — Le Graal comme Pierre axiale, dressée = le « lieu » de redressement de l’homme

Dans ce cas précis, il s’agit d’une Pierre-pilier unique unissant la Terre et le Ciel, axe de circulation des Énergies créatrices (cf. la Montagne, l’Arbre, l’Échelle, la Colonne vertébrale, etc.), et expression de l’indissociable bi-unité du Père et du Fils.

Verticalement structuré, « dressé », le Graal signale le « lieu » véritable de la Vie, fondation de paix et de justice, échange d’Amour, couronnement de sagesse, lieu sans lieu, pour ainsi dire, car lieu du Cœur, de l’Âme, de l’Esprit, de la Shekhinah divine. Or, le but de la quête, et de l’ésotérisme en général, est de se libérer de la mobilité superficielle et horizontale pour accéder à la créativité essentielle qui se déploie verticalement : c’est ce qu’on peut appeler la révolution axiale – ou conversion, ou initiation, ou redressement, ou résurrection. D’où les formules bien connues : dresser la pierre, élever la croix, gravir la montagne ou l’échelle. Ainsi, la quête du Graal suppose la conversion du regard . pour apercevoir la Pierre qui unit Terre et Ciel – et celle de l’agir – pour intérioriser cet axe Père-Fils.

Lieu se dit en hébreu maqom (M Q W M), de la racine qûm (Q W M) qui signifie : se lever, se dresser, se tenir debout, ou relever, dresser, rétablir. Un lieu, au sens vrai du terme, est donc un point de l’espace où intervient la verticalité. Un exemple aussi célèbre qu’instructif nous est fourni par l’épisode du songe de Jacob (Genèse 28, 11-19).

« Il atteignit un certain lieu et y passa la nuit, car le soleil était couché. Il prit une des pierres du lieu, la mit à son chevet et se coucha en ce lieu. 12. Il eut un songe et voici qu’une échelle était dressée par terre, sa tête touchant aux cieux, et voici que des Anges d’Élohim montaient et descendaient sur elle. 13. Et voici que Y H W H se tenait debout près de lui. Il dit : ‘‘Je suis Y H W H, Dieu de ton père Abraham et Dieu d’Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je te la donnerai, ainsi qu’à ta race…’’ (…) 16. Jacob se réveilla de son sommeil et dit : ‘‘En vérité Y H W H est en ce lieu et je ne le savais pas.’’ 17. Il eut peur et dit : ‘‘Que ce lieu est terrible ! Il n’est autre que la Maison d’Élohim et la Porte des cieux.’’ 18. Puis Jacob se leva de bon matin, prit la pierre qu’il avait mise à son chevet, la plaça en stèle et versa de l’huile au sommet. 19. Il appela ce lieu du nom de Béthel, mais auparavant le nom de la ville était Louz ». (Trad. E. Dhorme).

A noter : la pierre de chevet, inspiratrice ; l’échelle dressée entre terre et ciel avec la circulation des Anges, symbole du Nom divin ; Y H W H qui se tient debout ; le caractère central de ce lieu (Maqom), qualifié de brûlant, de terrible, de Maison d’Élohim (expression dont les initiales, Beith et Aleph, nous renvoient à Ab, Père), de Porte des cieux (cf. le thème « chamanique » de l’ascension) ; la pierre de chevet dressée en stèle (axe Père-Fils) et ointe d’huile (Esprit) ; le changement de nom : Louz → Béthel. Louz symbolise le noyau indestructible de l’être humain, principe-germe de sa résurrection, garant de son immortalité (voir R. Guénon, Le Roi du Monde, pp. 55 sq.) : si Louz devient Béthel (= Maison de Dieu); c’est pour indiquer la prise de conscience par Jacob de cette essence divine, de cette puissance axiale, expérimentée sous forme de son propre reliement au Nom et à ses Énergies. Initiation verticale, donc, de redressement du regard, et matérialisée par la pierre dressée : incontestable analogie avec la signification du Graal.

Dresser la Pierre, un autre texte fameux nous y invite, le logion 77 de l’Évangile selon Thomas : « Jésus a dit : Je suis la Lumière, celle qui est au-dessus de tous (ou : de tout). Je suis le Tout : le Tout est sorti de Moi, et le Tout est revenu jusqu’à Moi. Fends le bois, et Je suis là ; dresse (ou : érige) la Pierre, et là tu Me trouveras. » Il s’agit à l’évidence d’une triple saisie du Christ, permettant de comprendre la Vie universelle ; il est au-dessus de tout (cf. la position du Yod), il circule à travers tout (cf. le double mouvement du Hé), il est au-dedans de tout (cf. la situation du Waw). Or, cette omniprésence au-dedans des êtres s’exprime par deux symboles verticaux – ou verticalement polarisés –, l’arbre et la pierre.

Le triple Arbre de Vie (ou des Vies) signifie la juste cohérence, la parfaite maîtrise des Énergies (Evola 67 sq. ; Guénon 332 sq.) ; il s’épanouit dans le Shin, et correspond aussi à la structure entière du Nom divin. Ne l’oublions pas, le Graal est « tout à la fois racine et floraison » (Wolfram I, 206), ce qui renvoie en outre à l’Arbre des Séphiroth. « Fendre le bois », c’est pénétrer au cœur de l’Arbre, du cosmos, ou de l’homme, pour y découvrir le feu de la sève divine ; c’est prendre conscience de la puissance fructificatrice du Graal.

Quant à la Pierre, qui représente non seulement le Christ (cf. Jung, « Le parallèle Lapis-Christus », dans Psychologie et Alchimie, pp. 441 sq.), mais l’axe Père-Fils, la connaissance de la duellité divine, il faut l’ériger pour que se déploient toutes les forces qu’elle contient. « Dresse la Pierre et tu M’y trouveras », c’est-à-dire : Reconnais-toi, dans l’axe du Père, comme son miroir et son Fils, et tu deviendras un autre Moi-même (un Isochrist : cf. Thomas 108) ; ou : perçois le Graal dans son axialité essentielle pour t’assimiler à lui. Arbre et Pierre : double symbole d’intériorité et de verticalité ; c’est exactement l’introrsum ascendere des mystiques.

Passons au domaine de l’Islam, en particulier à l’ismaélisme réformé d’Alamût. Le 8 août 1164, à Alamût précisément, a été proclamée, par Hasan II (successeur du Vieux de la Montagne), la « Résurrection des Résurrections », c’est-à-dire la fin des cultes extérieurs, des rites et des pratiques, l’avènement d’un pur Islam spirituel libéré des servitudes de la Loi, l’intériorisation de la religion impliquant la résurrection personnelle de chaque adepte (cf. Jn. 4, 23-24). Voilà un idéal qui consonne étrangement avec celui de Joachim de Flore et avec la doctrine secrète du Graal.

Résurrections des : Qiyâmat al-Qiyâmât. Nous retrouvons là, en arabe (arabo-persan), la racine QWM. Elle donne : qâ’im = l’homme debout ; qiyâm = l’action de se dresser, de se tenir debout ; qiyâmat résurrection, Aurora consurgens ; et Qâ’im al-Qiyâmat = Celui qui se dresse pour la Résurrection, le Résurrecteur. Elle donne aussi, d’ailleurs, maqâm = lieu où l’on se tient, demeure théophanique, ou état spirituel permanent (soufisme).

Saisit-on bien l’importance de ces concepts : le Résurrecteur, la Résurrection, le redressement de l’homme ? Mais en fait, il ne s’agit pas d’une résurrection post mortem, mais d’un redressement hic et nunc de l’être tout entier, comme dans le cas de Jacob, comme dans celui d’Arjuna auquel son instructeur commande : « Ayant donc tranché, par l’épée de la sagesse, ce doute en ton cœur né de l’ignorance, aie recours au Yoga, ô Bhârata, et redresse-toi » (Gîtâ IV, 42), – comme dans celui de toute conversion véritable, qui est Aurora consurgens, vision pour soi de la duellité divine (union, yoga). L’annonce du maître d’Alâmut est pour l’immédiat : le règne de l’Esprit, de la verticalité dynamique, du reliement Ciel-Terre, est commencé ; à chacun de s’en rendre digne.

Dans le Graal sont contenus le Résurrecteur, la Résurrection, et le « lieu » de redressement de l’homme – qui est l’axe Père-Fils « porté » par la Fille. Méconnu, il détruit : maladie d’Anfortas. Compris, conquis, il transmue : guérison du même Anfortas par la « surrection » de Parzival, métamorphose de Feirefiz. La Pierre dressée, c’est le Bipôle vertical perçu et assimilé : il se produit alors une mutation de la texture humaine, une réorganisation des éléments et des énergies, une modification de la personne par influx de Lumière. Entre ces deux foyers cohérents, le Je-Suis divin et le Cœur humain, reliés par une aimantation réciproque, le Nom s’intensifie et la Pierre irradie. C’est la vraie liturgie du Graal.

B — Le Graal comme Pierre tissée = la clef de la texture du Vivant

« Je vous en dirai le nom : on l’appelle lapsît exillis (Wolfram II, 36). Cette dénomination, que l’auteur donne comme importante, a fait couler beaucoup d’encre, car, telle quelle, ne correspondant à rien de connu. Il faut se rappeler à ce propos que la déformation intentionnelle de mots ou expressions clefs fait partie de l’« art de dévoiler en voilant », utilisé pour décourager les profanes et exercer les initiables. On a lu ce lapsît exillis de bien des manières : lapis (lapsus) excaelis (pierre tombée des cieux), lapis exilii (pierre d’exil), lapis exsulis (pierre de l’exilé), lapis erilis (pierre du Maître), lapis elixir (el-iksir ; pierre essentielle, de régénération), lapis exilis (pierre chétive : p. magnétique), etc. (Voir Corbin 148 ; Evola 100 ; Guénon 292) . Mais tout cela n’est guère satisfaisant du point de vue ésotérique – surtout dans la perspective que nous avons tracée.

Nous proposons, quant à nous : lapis textilis, la pierre tissée.

D’après ce qui précède, on perçoit immédiatement la référence à la bi-unité divine (imbrication du Père et du Fils), aux Énergies entrelacées du Nom, au tissage de notre destinée théandrique, et à la texture du Vivant dans son ensemble.

Universellement, le tissage symbolise la structure du cosmos, les échanges énergétiques, la création perpétuelle, le rythme de la Vie. Mircea Eliade, entre autres, le montre avec clarté dans son livre Méphistophélès et l’Androgyne, pp. 212 sq. La corrélation des essences comme des existences, la contexture de l’unité vivante avec ses courants et ses relais, le déploiement des « cieux » (cf. Isaïe 40, 22 ; Ps. 104,2) et de la « terre », l’interpénétration des « voiles de lumière et de ténèbres » qui, selon le soufisme, caractérise ce monde, les circuits incessants des « Ondes de feu » (Shamaim ; cf. Soleil, Atman/Brahman, Logos, etc.) : tout ceci relève manifestement du même symbolisme. Dieu, ou le Démiurge, est appelé le Tisserand cosmique ; et l’Artiste qualifié, qui crée par la fusion des complémentaires et l’exactitude dialectique, est un « royal tisserand » (cf. Platon).

Le tantrisme apparaît comme l’une des meilleures exploitations de ce thème. Que signifie tantra ? Chaîne du tissu, tissage, texture de l’univers et de l’individu ; continuité, succession, lignée ; processus ininterrompu, déroulement d’une activité ; mouvement perpétuel de la Conscience-Énergie ; système de « haute magie » (réalisation-transmutation) ; interdépendance de tout ce qui existe aussi bien que fil conducteur de l’évolution (cf. Lama Govinda, Fondement de la mystique tibétaine, p. 125, et Fr. Capra, Le Tao de la physique, p. 145). Au fond, comme la quête du Graal, le tantrisme a pour but le tissage de l’homme nouveau.

Quant à l’association pierre-tissu, elle est loin d’être rare. Signalons le cas de l’omphalos de Delphes, orné de stemmata, cordons de laine tressés et réunis en forme de filet (voir J. Richer, Géographie sacrée du monde grec, Édit. de la Maisnie, 2e éd., 1983, frontispice).

Il y a également, dans l’Égypte antique, l’habillage du died : ce pilier de la Parole créatrice entre Terre et Ciel, cet axe éternel du Je théandrique – qu’il faut d’ailleurs « redresser » –, doit en effet être revêtu de tissus offerts par le Pharaon (Isha Schwaller de Lubicz, Her-Bak « disciple », Flammarion, 1980, pp. 303 et 310). Signe du travail du Verbe, du va-et-vient des Énergies, symbole de la texture du Vivant. Qu’est-ce que l’évolution, sinon « un patient tissage de l’âme Horienne dans le corps Osirien » ? Quand ce tissage atteint un certain degré de perfection, apparaissent les Shemsou-Hor, ou Compagnons d’Horus, manifestation à la fois personnelle et communautaire de la Pierre axiale et de la Sagesse tisserande (comparer les Templiers) .

Par ailleurs, on dit que le jade – ainsi que la perle, comparables au Graal à plus d’un titre – se forme par une sorte de lent tissage à partir d’une intervention de la foudre. Et la fameuse Pierre Shethiyah, axe cosmique et source d’eau vive, est aussi la chaîne du tissu de l’être…

Y a-t-il dans le poème de Wolfram des indications permettant de soutenir cette lecture ? Autour du Graal, les tissus, les étoffes jouent un rôle capital. On prend grand soin d’insister sur la splendeur de l’habillement des vingt-quatre jeunes femmes qui précèdent Repanse de Joye (I,203-205). Quant à cette dernière, elle est vêtue de « soie d’Arabie » – allusion à la riche subtilité du tissu, et l’écriture arabe « enchevêtrée » ; et elle a prêté son manteau, de même texture, à Parzival pour le faire participer à cette liturgie du Graal et l’inciter à poser la question. Mais surtout, la Pierre précieuse repose sur un tissu « de vert achmardi » (I,206 & II,326), avec lequel elle se trouve toujours en contact rappelons que le terme achmardi désigne l’émeraude, ce qui, suggère, entre Pierre et tissu, plus qu’une affinité, une identité d’essence aux manifestations complémentaires. En outre, remarque non négligeable, l’Âme du Monde, qui est symbolisée par cette gemme, cette couleur, est fondamentalement axiale et tisserande.

Si donc nous lisons lapis textilis, nous apportons un notable enrichissement à l’herméneutique habituelle, et nous relions très précisément notre interprétation à la thématique que nous avons déjà proposée.

C’est ainsi qu’on peut parler à ce sujet d’un véritable tantrisme chrétien. La fin de la quête du Graal est de tisser en chacun de nous, de manière créative, les deux lumières du Père (Ab) et du Fils (Ben), pour réaliser ce que le « Chant de la Perle – ou l’« Hymne de l’Âme » – des Actes de Thomas appelle le « Vêtement de Lumière », c’est-à-dire la perfection de la personne sur tous les plans.

On peut dire aussi, concernant ce tissage du Nom divin, que la chaîne (longueur → verticalité) représente l’axe Père-Fils, que la trame (largeur → transversalité) est le double Esprit, et que le Shin joue le rôle de la navette. Souvenons-nous à ce propos de la très symbolique tunique de Jésus (la « Pierre vivante »), qui était « sans couture, tissée tout d’une pièce à partir du haut (le Yod) » (Jn. 19,23) .

Lapis textilis, la Pierre tissée, donne pour ainsi dire la clef de la texture du Vivant : structure énergétique du « Dieu vivant » et de son Nom, omniprésence d’un axe théandrique infrangible au long duquel s’entrecroisent les forces créatrices, réseau privilégié de relations (Père-Fils, Lui – Autre Fils, Arché-Icône) nourri par la triple énergie caducéiforme (cf. le Shin, le tantrisme, et notre étude sur « Le Serpent » dans 3e millénaire 12, pp. 37 sq.), dynamique salvatrice et transmutatrice propre au « Libéré-vivant », circulation orientée, cohérente, de la Vie universelle dans le tissu cosmique, jeu des courants, des rythmes et des relais…

C – Le Graal comme Pierre élaborée = la voie de l’immortalité alchimique

Vérité ésotérique fondamentale : il y a en l’homme un principe-germe d’immortalité, ou de divinité, qu’il lui faut absolument développer, mener à complète maturation, s’il ne veut pas perdre le fruit de son existence présente.

C’est le talent de la fameuse parabole (Mt. 25,14 sq.), le grain de sénevé (Mt. 13,31-32), le Yod ou l’Ether dans le Cœur (Guénon 433 sq.), le luz en tant que noyau de la personne, le trésor caché, la perle de grand prix (Mt. 13,44-46) . Les textes alchimiques parlent du « grain d’or » ou du « grain de soufre incombustible » ; le taoïsme, du shên (noyau de Lumière-Conscience) ; les cabbalistes, d’un élément de pensée-lumière qui, bien élaboré, permet l’immortalité.

Sans ce pur germe divin, ce joyau essentiel, cette pierre précieuse, aucune évolution ne serait possible à l’homme, aucune transmutation. Mais d’un autre côté, si nous méconnaissons, si nous négligeons ce noyau d’immortalité, « il nous sera enlevé » : c’est-à-dire que notre individualité disparaîtra faute d’avoir été reliée au Je divin. D’où le commandement du Christ : « Amassez-vous des trésors dans le ciel » (Mt. 6,20), faites croître votre essence immortelle et céleste, votre principe-germe divin (l’image ou icône du Père), la pierre de feu qui constitue le noyau de votre puissance et de votre sagesse.

Ces joyaux, où se joue la Lumière divine, correspondent à ce que le soufisme alchimique appelle adh-Dhât : l’essence théandrique de l’homme. C’est, au départ, la Pierre cachée au centre de l’être, l’embryon d’un ressuscité », la source solaire de Vie et de régénération, le lieu » de l’unité Père-Fils ; c’est une petite, brillante, précieuse essence » (Idries Shah), qui doit être mûrie et développée jusqu’à devenir la Pierre philosophale ou Pierre des Sages – la véritable, qui n’est autre que le Cœur totalement réalisé.

Que dire de mieux que cette extraordinaire formule que nous livre O.M. Burke (Avec les Derviches, p. 117) : « Le soufi doit tisser à partir de son expérience un filet très fin dans lequel il capte la baraka, l’‘‘essence’’. C’est la voie qui conduit à la compréhension » ? La baraka, c’est adh-Dhât sous un autre aspect (le circuit énergétique axial) ; et l’on retrouve le thème du tissage, toujours lié à la manifestation de la Vie.

Voilà, rapidement présenté, ce thème, essentiel dans l’ésotérisme, mais difficile à bien saisir, de l’immortalité « conditionnelle » ou alchimique. La croissance du « grain d’or » en « planète d’or pur », le développement du « grain de soufre » en étoile de Soufre rouge, en pilier de cinabre : tel est le but. Ajoutons que ce travail sur notre noyau de lumière, notre Cœur, nous met immédiatement en contact avec les entités spirituelles amies et ceux qui se sont réalisés : le reliement s’effectue de soi-même. Un Cœur éveillé n’est jamais seul, mais se trouve intégré dans sa véritable famille, qui est une constellation humano-divine. C’est pourquoi il y a une lignée, une famille, une chevalerie du Graal.

Mais, au fait, existe-t-il chez Wolfram des éléments qui se rapportent à cette notion d’immortalité alchimique ? Trévrizent, après avoir mentionné la « Pierre précieuse qui, en son essence, est toute pureté », et rappelé le mythe du Phénix, insiste sur la vertu régénératrice et recréatrice du Graal (II, 3637). Mais comme Parzival n’est pas encore prêt pour l’initiation décisive, l’ermite parle en termes profanes et dans une perspective d’extériorité, de matérialité. Cependant, pour qui sait voir, il s’agit de résurrection intégrale à partir de la puissance intérieure ; de la constitution de l’Homme nouveau ou parfait, adulte, dans la plénitude de sa force.

Le Graal en soi n’est pas un objet extérieur : c’est la Pierre d’essence théandrique cachée au cœur de l’être humain, qui doit être reconnue par l’œil spirituel, et patiemment développée par une ascèse rigoureuse d’où la formule apparemment paradoxale : « S’ils étaient en présence de la Pierre pendant deux cents ans… » Dès que cette sorte de Shekhinah est devenue notre centre d’intérêt, le processus de vieillissement, de dégradation, cesse de nous affecter, et il se produit ce « retournement » du courant énergétique absolument nécessaire à notre ré-instauration dans la Lumière (cf. notre étude « La voie héroïque et gnostique vers le Soi », p. 56). Le Graal est bien la Pierre d’immortalité : mais il faut la conquérir, la faire sienne, et ce n’est possible qu’aux volontés hors du commun. L’alchimie n’est pas pour les « hommes creux », comme disait Daumal, ni pour les esprits faibles. Il faut être Templier…

Quelques indications sur la clef alchimique du Nom divin – qui, nous l’avons vu, est notre Nom secret. Naturellement, il y a le Soufre, le Mercure et le Sel. Principe fixe, masculin, élément essentiel, le Soufre correspond au Bipôle Yod-Waw, Père-Fils, à l’axe vertical. Principe volatil, féminin, agent de liaison, le Mercure est le double Hé de l’Esprit, l’Énergie descendante et montante. Le Shin, par son rôle crucial, répond au Sel, principe de conversion et de réalisation ; centre vital, il élabore et manifeste. D’ailleurs, être le « sel » de la terre, c’est y faire circuler les énergies du Soufre (Père-Fils) et du Mercure (double Esprit), c’est y « porter le Nom ».

Autres points suggestifs. Le Soufre rouge est le symbole du Fils (cf. le Waw rouge), en conformité avec les peintures de Bosch (« Le Jardin des Délices »), de Roublev (Icône de la Sainte Trinité), du Greco (Christ de la cathédrale de Tolède, sacristie), etc. « Que celui qui veut contempler la Gloire de Dieu contemple une rose rouge », a dit Wâsitî, un célèbre shaykh du soufisme. Quant au Cinabre, qui est un « Sulfure rouge de Mercure », il représente l’Esprit du Fils, celui qui, nous transfigurant, nous élève vers le Père… Rappelons-nous, dans ce contexte, la table d’Hyacinthe rouge, ainsi que la croix pattée rouge des Templiers.

En ce qui concerne la Pierre, il va de soi qu’elle est en même temps verte, rouge et translumineuse . Par delà toute détermination.

On comprendra peut-être à présent que le « signe de la croix » est en fait un exercice alchimique (cf. Idries Shah, Les Soufis et l’ésotérisme, Payot, 1972, pp. 323-4) : il est destiné à faire croître en nous le Graal.

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Nous espérons avoir, dans cette étude, ouvert quelques perspectives enrichissantes, qui permettront à chacun de mieux comprendre la vraie nature du Graal, d’en faire à lui-même l’application qui convient, et peut-être de réussir dans cette périlleuse entreprise de la déification – notre « fin », de toute manière.

Symbole majeur de la duellité de Dieu, du Couple éternel Lui-Dieu-Père et Moi-Dieu-Fils, du Nom divin axé sur l’unité théandrique, du Verbe créateur, médiateur et transmutateur, le Graal, comme Pierre dressée, nous montre le « lieu » de la résurrection de l’homme ; en tant que Pierre tissée, il nous livre la clef de la texture du Vivant ; et comme Pierre élaborée, il nous indique la voie de l’immortalité alchimique.

N.B. Le lecteur intéressé par cette question trouvera de plus amples développements dans notre étude « Le Graal, Pierre de Lumière » (Epignôsis IV, 1, nov. 1984, pp. 22-39) .

BIBLIOGRAPHIE

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R. Guénon, Symboles fondamentaux de la Science sacrée (Gallimard, 1962), pp. 39 sq., 49 sq., 105 sq., 114 sq., 187 sq., 278 sq., 292 sq . , 313 sq . , 332 sq. Cité : Guénon.

Pierre Ponsoye, L’Islam et le Graal, Étude sur l’ésotérisme du Parzival de Wolfram von Eschenbach (Édit. Denoël, 1957 ; rééd. Archè, Milan, 1976). Le meilleur ouvrage sur le Graal. Cité tire éd.) : Ponsoye.

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P.-G. Sansonetti, Graal et Alchimie (Berg International Édit., 1982). Cité : Sansonetti.

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