Léonel Beudin
Le point : la matérialisation du néant ?

Dans cette étude nous avons essayé, au contraire, de ne faire appel qu’aux faits réels et de ne suivre que ce qu’indique le bon sens, ce vieux bon sens, si décrié actuellement. La logique permet beaucoup de choses. Elle ne porte pas de jugement sur les prémisses qui lui sont fournies. Quelle que soit leur nature, elle en tire des conclusions, paradoxales ou non, avec la plus grande sérénité. Le bon sens est plus pointilleux. Il permet beaucoup moins d’envolées et se fait souvent juge, ce qui le fait considérer comme un frein. Il nous a cependant conduit, dans les pages suivantes, à certaines idées que nous pensons plus saines et qui apportent des réponses plus naturelles aux questions précédentes. Il nous a permis aussi de mieux comprendre les liaisons existant entre l’étendue et les objets qu’elle contient.

Les travaux de Léonel Beudin font partie des recherches de quelques individus qui tiennent à rebâtir nos sciences en prenant pour base des éléments réels du monde physique. Selon ces chercheurs de nombreux paradoxes et contradictions dans nos sciences résultent du fait que de nombreux principes de base de ces sciences sont des entités mathématiques imaginaires inexistantes dans la nature…  Il devient alors crucial de reconstruire nos conceptions d’espace, de temps et de matière à partir de notions élémentaires enracinées dans les faits réels du monde physique et le bon sens. Il est navrant que ce projet de recherche soit très méconnu dans les institutions de recherches officielles. Nous publions ici un extrait du livre de Beudin qu’il a écrit non seulement pour des mathématiciens mais aussi pour un large public averti des questions mathématiques. Comme le blogue de 3e Millénaire n’a pas la vocation de publier des travaux scientifiques pointus, d’autres chapitres de ce livre seront publiés sur le site SCRIBD.

(Extrait de Espace et matière, La véritable nature des données fondamentales. Édition La Pensée Universelle. 1982)

Au lieu d’observer les choses que nous voulions connaître, nous avons voulu les imaginer. De supposition fausse en supposition fausse, nous nous sommes égarés parmi une multitude d’erreurs, et ces erreurs étant devenues des préjugés, nous les avons prises pour cette raison pour des principes. Nous nous sommes donc égarés de plus en plus. Alors nous n’avons su raisonner que d’après les mauvaises habitudes que nous avions contractées. L’art d’abuser des mots sans bien les entendre a été pour nous l’art de raisonner. Il n’y a qu’un moyen de remettre de l’ordre dans la faculté de penser, c’est d’oublier tout ce que nous avons appris, de reprendre nos idées à leur origine, d’en suivre la génération.

CONDILLAC

Introduction

Il est commun d’entendre dire que les mathématiques sont parmi les sciences les plus rigoureuses qui soient. Est-ce vraiment ce que l’on doit penser actuellement de certaines de ses branches ? La rigueur invoquée se détache-t-elle par exemple des quelques observations suivantes :

Le vieux mythe du point

Pour Pythagore, c’était « l’unité qui prend en plus une position », l’unité elle-même, associée à la monade, étant la composante essentielle de l’Univers. Depuis ce philosophe le mythe du point a continué d’être à la base des raisonnements géométriques et c’est sur lui que reposent la théorie des ensembles et celle des fonctions. Le caractère mythique de cet élément s’est même renforcé puisque c’est maintenant sans l’aide de la monade qu’il assure la structure géométrique de l’espace.

À l’école, nous avons d’abord appris que le point était représenté par la trace sur le papier de la pointe d’un crayon bien taillé. C’était là un bon point physique, visible à l’œil nu et sans problème. Mais, on nous a dit ensuite que cette représentation était tout à fait grossière, seulement bonne pour des cervelles enfantines et que, en tant que limite du segment de droite, le point était sans dimension, donc sans étendue, donc logiquement sans aucune présence dans l’espace, ce qui ne l’empêchait toutefois pas de le remplir.

Est-ce vraiment suivant un principe de rigueur qu’un point sans étendue sert de base à la science de l’étendue ?

La définition du réel par l’imaginaire

Nous avons aussi appris, dans nos premières années, que le volume était représenté par le cube de bois dont la classe était doté, et que ce volume était limité par des surfaces. Un peu plus tard il nous a été dit que, pour pouvoir jouer leur rôle de limite, ces surfaces ne pouvaient avoir d’épaisseur et qu’en conséquence elles ne pouvaient avoir d’existence réelle, que c’était des êtres géométriques.

Est-il d’une logique rigoureuse de limiter un objet, le volume, considéré comme ayant une réalité physique, par un élément imaginaire, la surface sans épaisseur, une imagination de l’esprit humain ?

 Le Postulat d’Euclide

Nous avons tous appris le postulat d’Euclide sous sa forme actuelle : « Par un point extérieur à une droite, on ne peut mener qu’une seule parallèle à cette droite. »

La droite, par définition, n’ayant ni largeur ni épaisseur, quelques-uns de nos lecteurs ont-ils pensé demander à leur professeur à partir de quelle distance il considérait qu’un point sans dimension devenait extérieur à une droite sans largeur ?

 La Géométrie de l’infini

Considérons l’équation Y = A, qui représente une droite D parallèle à l’axe Ox et constamment écartée de cet axe de la distance A. Est-il rigoureux de dire que les deux droites parallèles Ox et D se rencontrent en un même point à l’infini ?

Où trouve-t-on la démonstration de cette affirmation qui entraîne la mystérieuse disparition de l’écartement A des deux droites, écartement qui, dans l’équation, est totalement indépendant de l’abscisse x ?

Si cette convention est utile pour certains problèmes, ne serait-il pas plus exact de dire qu’à l’infini on considère cet écartement comme négligeable ?

L’arithmétique de l’infini

Lorsque l’on connaît, ou lorsqu’on peut connaître le nombre d’objets formant un ensemble, l’ensemble est limité à ce nombre d’objets. Très rigoureusement, une quantité que l’on peut exprimer par un nombre entier est limitée à ce nombre. C’est donc une quantité finie, quelle que soit la valeur du nombre entier. 764259185362798543126473846192437274693182 objets forment une quantité finie, tout aussi bien que trois objets.

D’autre part, si l’on est en présence d’une certaine quantité d’objets, on peut toujours, réellement ou théoriquement, les dénombrer et affecter à leur totalité un nombre entier puisque la suite des nombres est illimitée. Comment peut-on alors, en invoquant la logique, bâtir des théories, il est vrai fort subtiles, en postulant au départ l’existence d’ensembles infinis d’objets, donc normalement non dénombrables ?

Les définitions assez rares que l’on peut trouver de l’infini, en mathématiques, parlent de « grandeurs variables pouvant augmenter d’une façon illimitée ».

Ce qui est rigoureusement certain, lorsqu’il s’agit d’objets distincts, c’est que chaque étape de cette variation est marquée par un nombre entier, et qu’à chaque étape nous avons une valeur finie pour l’ensemble. Peut-on échapper à cette certitude autrement que par une pirouette ?

 Les géométries dites axiomatiques

Il a été affirmé, en mathématiques actuelles, qu’une théorie à base d’axiomes arbitrairement choisis est bonne à partir du moment où elle n’entraîne pas de contradictions dans le déroulement des raisonnements qu’elle autorise. Mais où se place, dans ce cas, le contact avec les faits réels qui caractérise une véritable science ? Si une science ne se soumet pas au réel, quelle peut être son utilité pour la compréhension de ce réel ?

Imaginer des chaînes de déductions à partir de bases arbitrairement choisies, cela relève-t-il d’une science ou d’un jeu ?

La Géométrie et la théorie des Ensembles

Dans la théorie des ensembles on définit un élément que l’on appelle « neutre » et qui est caractérisé par le fait qu’il peut être ajouté à l’un quelconque des éléments d’un ensemble déterminé sans en changer la valeur.

On en donne souvent comme exemple l’ensemble assujetti à la loi d’addition des longueurs pour lequel l’élément neutre est la longueur « zéro » : L + O = O + L = L

Tout au début de la géométrie moderne, on définit aussi le segment de droite par un couple (AB) de deux points (les points A et B limites), et l’on poursuit en précisant que l’addition des longueurs géométriques admet un « élément neutre », la longueur zéro, représentée par un couple de deux points confondus.

Si, du propre aveu des géomètres modernes, deux points confondus sont identiques à « zéro », on peut penser qu’un seul point, pour eux, cela devrait également être « zéro », c’est-à-dire « Rien ».

Comment peut-on alors définir un être géométrique par ce « Rien » ? Comment peut-on préciser une longueur par un élément que l’on déclare inexistant dans la phrase suivante ?

 La bataille des Théories

Si les mathématiques actuelles étaient une science rigoureuse, si tout ce qu’on y avançait était nettement démontré, et vérifié par l’expérience, il devrait y avoir un accord général sur leur contenu. C’était d’ailleurs ce qui se passait du temps d’Eudoxe et d’Euclide.

Les mathématiques modernes sont cependant présentées d’une façon fort différente par de multiples Écoles. Il y a le classique, il y a le logicisme de Russel, l’intuitionnisme de Brouwer, le formalisme de Hilbert, les réalistes, les conceptualistes, les nominalistes, etc.

Chaque École a sa logique et sa rigueur. Aucune n’est cependant arrivée à prouver que c’était chez elle que l’on trouvait la véritable rigueur et la vraie logique. Alors, où la chercher ?

Dans cette étude nous avons essayé, au contraire, de ne faire appel qu’aux faits réels et de ne suivre que ce qu’indique le bon sens, ce vieux bon sens, si décrié actuellement. La logique permet beaucoup de choses. Elle ne porte pas de jugement sur les prémisses qui lui sont fournies. Quelle que soit leur nature, elle en tire des conclusions, paradoxales ou non, avec la plus grande sérénité. Le bon sens est plus pointilleux. Il permet beaucoup moins d’envolées et se fait souvent juge, ce qui le fait considérer comme un frein.

Il nous a cependant conduit, dans les pages suivantes, à certaines idées que nous pensons plus saines et qui apportent des réponses plus naturelles aux questions précédentes. Il nous a permis aussi de mieux comprendre les liaisons existant entre l’étendue et les objets qu’elle contient.

De plus, partant uniquement de considérations théoriques portant sur la nature des éléments de base de la géométrie, nous avons pu bâtir, grâce à lui, une conception originale de l’espace physique qui jette un jour nouveau sur les conditions qui autorisent l’existence des volumes réels.

Ceci nous a conduit ensuite à revoir les problèmes portant sur les structures de l’Espace et du Temps qu’a posés l’étude des conditions de propagation de la lumière. Nous avons rappelé les différentes théories qui ont été imaginées pour les résoudre, en particulier celle de la relativité restreinte qui a obtenu un succès tout particulier.

Pour cette dernière nous avons été amenés à nous interroger sur un certain nombre de choses étonnantes dont nous donnons ci-dessous un exemple :

En postulant l’espace vide, la constance des mesures de la vitesse de la lumière quelles que soient les vitesses relatives des laboratoires de mesure, ainsi qu’un principe général dénommé par lui « Principe de la Relativité Restreinte », Einstein, par un raisonnement algébrique s’appuyant sur ces postulats, a obtenu deux équations fondamentales dont l’utilisation permet à un observateur d’un système S de calculer pour un phénomène A, à partir des données d’espace (x) et de temps (t) mesurées dans S, des données (x’) et (t’) applicables au même phénomène considéré cette fois comme appartenant à un système S’ ayant une vitesse uniforme de translation (y) par rapport à S.

L’une de ces deux équations fondamentales est la suivante : 1) t’ = a (t – vx/c2)

(a) étant un facteur ne dépendant que de (v), (c) étant la vitesse constante de la lumière.

Dans le système S, considéré comme immobile, toutes les horloges doivent évidemment marquer le même temps t pour donner un sens aux mesures. Prenons donc, le long de l’axe Ox du système S auquel correspond un axe O’x’ du système S’, un « instantané » marqué par une certaine valeur du temps : t = T.

Nous voyons que, pour cet instantané, t’ s’annule pour x = c2 * T/v. Par suite, lorsque nous considérons les horloges le long de O’x’, une certaine horloge d’abscisse x’ correspondant à cette valeur de x (la première équation fondamentale donnant x’ en fonction de x) va indiquer un temps nul et les horloges suivantes vont indiquer un temps de plus en plus négatif pour arriver à un temps infiniment négatif lorsque x et x’ sont infinis.

Lorsque S et S’ sont immobiles l’un en face de l’autre, v est nul, a est égal à 1 et l’équation 1) nous donne t = t’ = T. Toutes les horloges de S’ marquent donc le même temps t que toutes les horloges de S, en particulier les horloges placées à l’infini sur O’x’ et sur Ox.

Mais au moindre mouvement de translation donnant v différent de 0 les horloges à l’infini de S’ vont instantanément retarder pour marquer un temps dans un passé infiniment éloigné.

Une telle situation, qui de plus doit être réciproque, est-elle conforme au bon sens ?

Ceci étant vu, nous avons pris appui sur notre conception des liens unissant la matière à l’espace pour construire, à titre d’exemple, un modèle de particule élémentaire capable de se maintenir en équilibre stable au sein du milieu spatial, quelle que soit sa vitesse par rapport à ce milieu, équilibre entraînant spontanément des modifications de structure conformément aux formules (et non aux équations) de Lorentz-Einstein.

Dans une autre direction, toutefois liée à la première, nous avons également fait voir comment, par l’utilisation de symboles imaginés au fur et à mesure des besoins, une certaine branche de la science n’est plus devenue qu’un jeu subtil et ésotérique où l’esprit humain s’est donné l’extraordinaire pouvoir de créer l’infini, et même des infinis d’infinis, qu’il n’hésite pas à considérer comme réels, et nous avons attiré l’attention sur l’invraisemblable démonstration, considérée comme fondamentale, que citent les meilleurs auteurs dans leurs ouvrages sur les mathématiques modernes sous le nom de « démonstration de la diagonale », et ce qu’il convient d’en penser.

I

LE POINT :

LA MATÉRIALISATION DU NÉANT ?

G. IBARUBKO : Point, tu n’es « Rien », mais sur ce « Rien » je construirai toute une science.

PARMÉNIDE D’ÉLÉE : Il n’est pas à redouter que jamais on te prouve que ce qui n’est pas est.

Cependant les mathématiciens y sont parvenus.

Une déduction logique

Considérons un segment de droite (AB) de longueur (d), ainsi qu’un élément quelconque de ce segment, (ab) de longueur (l).

Les lois du calcul des probabilités nous disent que, si nous choisissons un point au hasard sur le segment (AB), nous avons 100 x l/d    chances sur cent de voir ce point situé à l’intérieur de l’élément (ab).

Réduisons l’élément à son point limite (a). En appliquant la règle précédente, nous avons un pourcentage de chances que le point que nous choisissons au hasard coïncide avec le point (a) proportionnel au rapport de la longueur du point (a) à la longueur (d).

Mais le point (a) étant sans dimension, sa longueur est nulle, et le rapport s’écrit : 100 x 0 / d = 0

Nous n’avons donc aucune chance de voir notre choix tomber sur (a). De plus, (a) étant un point quelconque de (AB), ceci est vrai pour tous les points de ce segment.

Il en résulte qu’il n’y a aucune chance pour que les points que nous pouvons choisir au hasard sur le segment (AB) soient des points de ce segment.

Qu’est-ce que le Point ?

Nous avons appris que c’était le premier élément de la géométrie, science de l’étendue. Il forme la ligne et, en même temps la limite. Il constitue les surfaces et les volumes, il emplit l’espace.

Et pourtant, sans dimension, il n’est rien dans l’espace. N’est-ce pas là un premier paradoxe ?

On lit, dans les ouvrages où l’auteur s’interroge sur la géométrie actuelle, que toute géométrie est bonne du moment où elle se développe à l’aide d’axiomes qui n’entraînent aucune contradiction. Or, toutes n’offrent-elles pas au départ la plus belle des contradictions : un élément sans étendue considéré comme composant et limitant l’étendue ?

Henri Poincaré a écrit qu’en abordant la notion de point il touchait à l’endroit le plus difficile de sa discussion : « Beaucoup de personnes, indique-t-il, considèrent la notion de point de l’espace comme intuitive et si claire que toute définition en est superflue. Mais je pense que l’on m’accordera qu’une notion aussi subtile que celle du point mathématique, sans longueur, largeur ni épaisseur, n’est pas immédiate et qu’elle a besoin d’être expliquée. »

Nous sommes bien d’accord avec lui. Malheureusement, en continuant à le lire, nous n’avons pas trouvé cette explication.

Peut-être pourrions-nous nous contenter des définitions usuelles, c’est-à-dire : « Quand la ligne est limitée, sa limite est un point »

ou : « Le point mathématique est la rencontre de deux lignes »

ou encore : « Le point est la section transversale de la ligne ».

Toutes ces définitions ne lui donnent pas une étendue, une existence spatiale. La ligne n’ayant qu’une dimension, sa limite n’en a aucune ; quand deux lignes à une dimension se rencontrent, aucune d’elles n’existe dans la direction de l’autre et, par conséquent, leur point de rencontre est inexistant ; sans étendue également est la section transversale d’une ligne sans largeur ni épaisseur.

Un peu d’histoire

La notion de point nous a été transmise par de très anciennes civilisations. Comment celles-ci sont-elles arrivées à la concevoir ?

Les rares documents retrouvés, tablettes chaldéennes, papyrus égyptiens, témoignent déjà de connaissances notables en géométrie. Nous pouvons raisonnablement supposer qu’elles ont été développées au départ pour des besoins pratiques, amélioration de l’art de construire, délimitation des terrains après les inondations périodiques, étude du mouvement des astres, etc.

Avec des instruments analogues à la règle et au compas quelqu’un eut l’idée de garder en mémoire les faits observés, ou de prévoir les réalisations futures, en établissant des reproductions à échelle réduite de la réalité.

Sur ces reproductions, les éléments devaient garder initialement les noms qu’ils avaient dans la réalité. Les points s’appelaient arbres, piquets, bornes…, les lignes s’appelaient murs, clôtures, chemins, rivières…, les surfaces portaient le nom des lieux ou des propriétaires… Chaque élément était concrétisé par un objet physique précis, et, à son échelle, la reproduction en respectait les dimensions.

C’était une époque où les géomètres n’avaient pas encore songé à isoler la notion de point géométrique du petit dessin qu’ils traçaient pour représenter un piquet ou un autre repère. Ils n’en avaient nul besoin.

Mais, avec le temps, ils s’aperçurent que, reportant les longueurs à partir du centre du piquet (ou de tout autre repère) il n’était pas nécessaire de noter sur leurs dessins les dimensions de ce piquet, qu’ils pouvaient les négliger et simplement placer le centre utilisé.

Cela ne voulait pas dire qu’ils considéraient le signe repère comme sans dimension, mais seulement qu’ils considéraient que ses dimensions n’avaient pas à intervenir, compte tenu de la façon de reporter les mesures.

Ceci fut également vrai pour les lignes représentées par un double trait figurant une route, une rivière, un mur, une clôture. Du double trait ils passèrent au simple trait lorsque la largeur de la ligne n’avait pas à intervenir, sans penser pour cela que le trait était, par nature, sans largeur.

Cette façon de voir des praticiens changea avec l’apparition des premiers philosophes grecs. Pour ces derniers, il ne fut plus question d’utiliser et de perfectionner un outil de travail. Membres d’une Société où l’on utilisait les esclaves pour tous les travaux manuels, où l’on pouvait très bien se consacrer aux activités intellectuelles ou politiques, la conception des éléments de l’étendue ne résulta plus de leurs applications pratiques mais fut une réponse aux questions philosophiques que l’on se posait à cette époque sur le Monde et sur ses constituants.

On a dit que les notions de point, de droite, … idéalisées par Pythagore avaient pour origine les voyages que ce philosophe avait faits dans les autres pays du pourtour méditerranéen, et tout particulièrement en Égypte. Nous ne voyons pas trace de l’aspect pratique que cette origine aurait dû leur attacher. Nous pensons plutôt que Pythagore, prédécesseur latent de Démocrite, avait fait un raisonnement du même genre que ce dernier philosophe.

Le raisonnement de Démocrite qui nous est parvenu était le suivant : « Il n’est pas concevable que l’on puisse diviser toutes les choses à l’infini car on aboutirait alors au néant. Il faut donc qu’il y ait un seuil, un dernier élément, indivisible, qui serait alors, de par son caractère définitif, le composant de toutes les choses. »

Le point de Pythagore est, lui aussi, un composant universel.

Considérant le nombre — engendré par l’unité — comme étant à la base de la structure du Monde, et le Point comme « l’unité qui a pris une position », il était naturel que ce philosophe vit dans le point, élément engendrant les autres éléments par sa répétition, une forme de cette intervention du nombre.

Le Point était alors pour lui le composant spatial indivisible, comme le fut l’atome pour Démocrite. En tant que premier élément ce ne pouvait être le Néant. Il était simplement trop petit pour être visible.

Mais c’est ensuite que s’instaura une confusion qui règne encore de nos jours. Au-delà du point, Pythagore et ses disciples se heurtèrent à un problème essentiel, celui des limites.

Il est indiscutable que, dans l’espace géométrique, le volume à trois dimensions ne peut être limité que par un élément à deux dimensions. Cet élément lui-même, que l’on a dénommé surface, doit aussi pouvoir être géométriquement limité, et sa limite, cette fois, ne peut avoir qu’une dimension. D’où un nouvel élément que l’on a appelé ligne, du même nom que les traits très étirés que l’on pouvait tracer mais qui avaient quand même une largeur et une épaisseur. Finalement, avant-dernier terme de la série, la ligne, qui n’a qu’une dimension, ne peut logiquement être limitée que par un élément sans dimension qui fut appelé « Point ».

Il n’y a cependant rien de commun entre l’élément indivisible formant barrière devant le Néant, élément qui doit avoir une étendue, car, dans le cas contraire, la qualité d’être indivisible qu’on lui attribue n’aurait aucun sens, et l’élément issu d’un raisonnement concluant à la nécessité d’imaginer une limite sans dimension.

Le premier est un point physique ayant une existence réelle comme ultime rempart de la matière ; le second est un être mathématique créé par l’esprit pour limiter un autre être mathématique sans existence réelle. Mais, fait curieux, cette différence n’a jamais été retenue, et nous allons voir jusqu’où, dans les premiers temps de la science, elle a conduit.

Nous citerons d’abord Zénon d’Élée, un disciple de Parménide, qui professait au début du quatrième siècle avant notre ère, et qui raisonnait avec un bon sens qu’il serait utile d’avoir encore aujourd’hui. Pour ce philosophe, l’Être devait être justifié par l’étendue qui, seule, est divisible et qui, seule, ajoutée ou retranchée, entraîne un accroissement ou une diminution. Le point, devant être sans dimension, ne pouvait avoir un effet de ce genre. Ceci faisait que le point, en soi, n’était rien.

Nous n’avons pas besoin de rappeler ce qu’était Platon. Dans ses réflexions sur la nature du point, il est opposé à la thèse pythagoricienne et, en particulier, à l’hypothèse que ce sont les points qui forment la ligne. D’après lui, si le point existait, il serait d’une nature différente. Or, comment envisager cette différence si l’on admet que le point entre dans la composition de la ligne et qu’il en est même le seul composant ? Pour résoudre ce problème, Platon refusait de reconnaître la validité de la notion de point et concluait que ce dernier n’était pas un être réel mais une fiction géométrique.

Ce qui est assez étonnant, c’est qu’Aristote, malgré son esprit positif, ait manifesté l’opinion contraire. Pour lui, un être indivisible, tel que le point, pouvait très bien exister. Il n’augmentait pas, comme l’avait indiqué Zénon, la grandeur à laquelle il était ajouté, mais il en augmentait le nombre. Il était aussi d’accord avec Pythagore pour définir le point en tant que « unité ayant une position » mais il ajoutait que, toutefois, le point ne pouvait avoir de lieu.

Ce « lieu » était, pour lui, la partie réelle de l’étendue qui pouvait être effectivement occupée par les objets sensibles, en opposition avec l’espace géométrique, uniquement domaine des figures. Le point, être mathématique, pouvait occuper une position dans ce dernier espace, mais il ne pouvait occuper une étendue réelle.

Qu’en pensait Euclide, le père du postulat ? Pour lui, le point était « ce qui n’a pas de parties ». Il considérait comme essentiel son caractère d’indivisibilité (et nous retrouvons là la confusion que nous avons signalée). Mais il est aussi l’auteur de cette définition imagée : « Le point est ce qui est pur de toute étendue. »

En conclusion, ce fut le point sans dimension, c’est-à-dire le point limite, qui, dans l’esprit des philosophes, effaça le « point physique », tout en continuant d’une façon aberrante à conserver son caractère d’indivisibilité. Il en résultat un choix difficile :

— ou bien admettre l’intervention dans l’espace d’un point sans dimension spatiale,

— ou bien avouer l’impossibilité de trouver une limite à la ligne.

Les philosophes devaient pourtant faire ce choix car les lignes matérielles qui les entouraient dans la réalité étaient toutes limitées et le fait d’en supprimer la largeur et l’épaisseur ne pouvait pour eux modifier leur longueur. Ils se résignèrent donc à accepter la première solution.

Ce que l’on peut en dire, c’est qu’ils ont eu au moins le mérite d’avoir été conscients du problème que leur posait la conception du point limite. Ils avaient un esprit neuf et cherchaient à se faire une opinion personnelle sur ce qui n’était pas encore de la routine.

 La situation actuelle

Le fait actuel, c’est qu’alors que la notion de « point » a pris, dans les mathématiques modernes, une importance sans commune mesure avec celle qu’elle pouvait avoir au temps d’Euclide, plus personne ne se soucie de sa validité. Le savant grec raisonnait sur des figures et, que les côtés du triangle qu’il étudiait soient formés de points ou non, cela ne changeait rien aux propriétés de ce triangle.

Il n’en est plus de même aujourd’hui. La géométrie de Descartes avait commencé à donner au point, élément déterminant des équations, une réalité qui s’est extraordinairement développée par la suite lorsque les mathématiciens ont cherché à traduire le continu des fonctions par des nombres, ont remplacé les notions simples de droite, de surface, de volume, par celle de groupes de points, ont postulé l’existence des nombres irrationnels, imaginé les nombres infinis et transfinis qui ne tirent leur justification géométrique que de l’existence supposée du point.

Cependant, plus personne ne s’interroge sur le mystère qui pèse sur cette existence. Alors que, sous prétexte de logique, si ce n’est de refus de l’intuition, les choses les plus évidentes, comme un plus un font deux, ou que tout point d’une droite partage celle-ci en deux parties, ne paraissent plus devoir être acceptées que sous la forme d’axiomes, pas la moindre tentative d’explication, même pas le moindre axiome ne viennent justifier l’utilisation généralisée du point comme fondement de théories de plus en plus axées sur les symboles plutôt que sur le réel.

Tout se passe, dans le monde savant actuel, comme si l’existence paradoxale du point était quelque chose d’octroyé, le don d’un ciel mathématicien. Nous y voyons un exemple particulièrement clair du cas où la logique vient se heurter au bon sens.

La logique mathématique nous dit : Le segment de ligne à une dimension est limité à ses extrémités. Or, la limite d’un être à une dimension ne peut avoir de dimension. Donc le point limite n’a pas de dimension.

Mais le bon sens nous affirme : Un être sans dimension ne peut avoir d’existence dans l’étendue, donc jouer le rôle de limite spatiale. La conclusion du raisonnement précédent ne peut être qu’inexacte.

D’où vient l’inexactitude ? Très certainement des prémisses, un raisonnement logique ne valant que par ces dernières.

Il nous sera peut-être objecté que la notion de point résulte d’une abstraction, tout comme la notion de ligne à une dimension, et que de telles notions suivent d’autres règles que celles du réel.

Est-ce bien vrai ?

Une telle opération de l’esprit consiste à isoler d’un objet l’une de ses qualités qui est alors considérée indépendamment de cet objet. Ainsi, si nous considérons un objet rouge, nous pouvons en extraire la notion de couleur rouge. De même, de la vision d’un objet allongé, nous pouvons retirer la notion de longueur.

Mais comment peut-on faire de même pour le point ?

De l’objet coloré on peut abstraire la qualité d’être coloré, mais, d’un volume à trois dimensions, comme la trace laissée par la pointe d’un crayon, comment abstraire la qualité d’être sans dimension, c’est-à-dire d’en isoler une qualité qui n’y figure pas ?

Le point sans dimension ne peut pas résulter d’une abstraction, mais du seul raisonnement logique que nous avons cité ci-dessus, et que le bon sens nous dit aboutir à une impasse.

La physique pourrait-elle nous aider à éclaircir le mystère ? C’est une science beaucoup plus en contact avec la réalité que la géométrie actuelle. Nous ne sommes plus, avec les physiciens, dans le même domaine de réflexion, ni avec les mêmes recherches à effectuer. Les physiciens n’ont aucun emploi, par exemple, des ensembles infinis dont la théorie s’appuie sur le point idéal. Leurs possibilités de mesure ne vont pas jusque-là. D’ailleurs, aucun d’eux n’a encore vu un point sous son microscope, ou sa trace dans la chambre à bulles.

Henri Poincaré a encore écrit dans « La Science et l’Hypothèse » : « Qu’est-ce qu’un point dans l’espace ? Tout le monde croit le savoir, mais c’est une illusion. Ce que nous voyons, quand nous cherchons à nous représenter un point dans l’espace, c’est une tache noire sur du papier blanc, une tache de craie sur un tableau noir, c’est toujours un objet. »

Rappelons aussi ce qu’a écrit L. de Broglie, prix Nobel, dans « Matière et Lumière » : « La mécanique cherche à prévoir le mouvement d’un point matériel soumis à des forces. Naturellement, la conception d’un point matériel n’a pas plus de réalité que celle d’un point géométrique. Dès qu’on envisage un cas concret, le point matériel devient un corpuscule. »

Nous enregistrons son accord sur le manque de réalité du point. Notons maintenant ce que nous dit Einstein dans « The Meaning of Relativity » : « La difficulté qu’il faut lever avant toutes choses pour bâtir une véritable théorie physique de l’Univers réside dans la définition du point. »

Il dit encore : « Le point mathématique paraît inadéquat pour rendre compte de la réalité extérieure. Il semble qu’il faille considérer à côté de lui « un point physique » qui ne serait pas défini par « l’intersection de deux droites sans épaisseur » comme le point mathématique… La notion de particule soulève d’ailleurs d’autres difficultés. Si on la suppose ponctuelle, par exemple, on se heurte aux problèmes de « divergence ». Les énergies propres deviennent infinies. »

Les physiciens ne partagent donc pas la confiance absolue que les mathématiciens font au point.

 Conclusion

D’abord une dernière vérification : Est-il vraiment justifié d’examiner le point en tant qu’élément ayant une existence propre ? Peut-on faire cet examen indépendamment des autres éléments de la géométrie et de la physique ?

Un philosophe grec avait déjà pensé que le point ne pouvait pas exister seul, qu’il était simplement une possibilité potentielle de la ligne, et que c’était celle-ci « qui le secrétait » pour s’en servir comme limite. Il est vrai qu’il n’est vu très souvent qu’à travers le rôle qui lui a été attribué d’élément de structure de la ligne, de la surface et du volume.

Les mathématiciens et les physiciens le considèrent bien cependant comme un élément parfaitement individualisé. Cela ressort des citations que nous avons faites de H. Poincaré, de L. de Broglie et d’Einstein. Cela résulte aussi, en mathématiques modernes, de l’axiome qui attache un nombre réel, quantité discrète, à chaque point d’une droite.

Si, donc, le point est un élément se suffisant à lui-même, existant en dehors des lignes, des surfaces et des volumes, nous avons le droit de ne déduire ses caractéristiques que de sa définition.

Quelle est cette définition ? Il y a unanimité dans le monde savant pour accepter la définition suivante du point-limite et, par confusion, du point-repère : « Le point est un être géométrique sans aucune dimension. »

À la définition de la ligne, être à une dimension, on peut ajouter d’autres caractéristiques, la courbure, la longueur, qui créent différentes natures de lignes. À la définition du point, il n’existe aucun échappatoire, aucun point ne se différenciant des autres points. Le fait d’être sans dimension interdit toute autre caractéristique spatiale.

C’est donc cette définition qui est la clef du problème.

Pour nous en servir nous allons maintenant parler d’une autre chose. Il est dit que la géométrie est la science de l’espace. Mais où parle-t-on d’espace lorsqu’on définit les premiers éléments de cette science ?

Lorsqu’il s’agit de géométries supérieures, accessibles à une minorité, une littérature abondante décrit des espaces symboliques à 4, 5, n dimensions, les espaces de configuration, les super-espaces, etc.

Mais personne ne semble avoir pensé utiliser notre vulgaire espace à trois dimensions, ainsi que les espaces à deux dimensions et à une dimension, si ce n’est, par la suite, pour les remplir de points sans étendue. Quel est l’auteur qui a commencé à décrire ces espaces avant d’y placer ses figures ?

Ils ont toujours été ignorés, et cela est si vrai qu’il n’est pas rare, par exemple, de voir utiliser des rotations et des rabattements dans la troisième dimension pour démontrer certains théorèmes de géométrie plane, alors que ces théorèmes portent sur des figures dont toutes les propriétés, toutes les caractéristiques sont enfermées à l’intérieur d’un espace à deux dimensions.

Quel genre d’espace utilise la géométrie classique ? Celui dans lequel se déroulent les démonstrations d’Euclide est un espace dans lequel les propriétés des figures ne dépendent en aucune façon du lieu où elles sont situées. L’espace dans lequel elles sont placées est parfaitement homogène et isotrope. Il n’influe en aucune façon sur elle.

Cependant, pour qu’elles puissent être situées, il faut que lui-même existe et, par cela même, il leur impose une limite extérieure. Un espace à une dimension ne peut autoriser la présence de surfaces et de volumes, un espace à deux dimensions ne peut recevoir de volumes. Il devrait donc être nécessaire, au départ, de voir quelles sont les figures qu’un espace déterminé autorise.

Demandons-nous donc si, pour le point à zéro dimension, il existe un espace à zéro dimension qui peut le recevoir.

Nous n’avons jamais entendu ou lu quoi que ce soit utilisant cette dernière notion. Pourtant, si l’on avait pensé nécessaire d’étudier l’espace avant de parler des éléments qu’il contient, on se serait demandé si, à un segment de droite, correspondait un segment d’espace de longueur suffisante pour contenir le premier, et l’on aurait trouvé que ce segment d’espace ne pouvait être limité que par un espace sans étendue, ce qui aurait fait apparaître le côté paradoxal de cette conclusion encore plus nettement que pour le point.

L’espace s’identifie à l’étendue. C’est grâce à lui que nous déplaçons les objets, que nous nous déplaçons nous-mêmes et, par-là, que nous avons la certitude de son existence. Pour toutes choses, l’espace-étendue est une nécessité. S’il y a (nous ne pouvons même pas dire quelque part) des choses qui existent sans étendue, ces choses sont hors de notre Monde. Même nos pensées, nous ne pouvons les imaginer en dehors de toute étendue.

Parler d’un espace sans étendue, c’est parler d’une « étendue sans étendue ». Cela peut séduire certains esprits qui aiment jongler avec les jugements du genre : « Je mens lorsque je dis la vérité ». Ce jeu peut être amusant, il peut étonner, mais il ne peut aboutir à quelque chose de positif.

Nous pensons donc pouvoir écrire que parler d’un espace sans étendue n’a aucun sens et que le point, contrairement à tous les autres éléments géométriques, ne possède pas d’espace correspondant.

Le point n’est reçu par aucun espace. C’est une caractéristique évidente imposée par sa définition, et cette caractéristique est entièrement négative. Quelque chose qui n’occupe aucun espace, ce ne peut être quelque chose existant géométriquement. La géométrie est la science de l’espace, et le point ne correspond à aucun espace.

Tirée de la définition du point, considéré comme un être indépendant, cette conclusion est l’évidence même. C’est d’ailleurs ce que disent les physiciens que nous avons cités.

Mais quel est le mathématicien qui, au lieu d’accepter l’existence paradoxale du point comme un fait historique, se pose la question de savoir s’il n’est pas dans l’erreur ? S’il y en avait un, il se garderait bien d’en publier la réponse car cela le conduirait à mettre en doute tout son enseignement, à nier en bloc les principes de la géométrie actuelle, la théorie des ensembles et celle des fonctions, les nombres irrationnels, l’interprétation de la continuité par les transfinis, enfin une très grande partie de ce qui constitue les mathématiques modernes.

Et le mathématicien sent si bien, au fond de lui-même, que c’est une question qu’il vaut mieux ne pas se poser, qu’il n’a pas voulu en faire un axiome, ce qui n’aurait été qu’un simple axiome de plus parmi la longue liste de ceux qui sont à la base des mathématiques modernes.

Un axiome doit être une propriété évidente par elle-même et qui n’est susceptible d’aucune démonstration (ce qui facilite bien les choses). L’existence du point est très certainement indémontrable mais c’est sa non-existence qui est évidente, et non pas l’inverse.

Peut-il être considéré comme une abstraction transcendant le bon sens ? Nous avons vu que non. La propriété d’être sans étendue ne peut être abstraite de la propriété d’avoir une étendue. Autant admettre que la notion de vert peut s’abstraire de la vue d’un objet rouge.

Une dernière remarque. La définition du point résulte aussi de ce que l’on pourrait appeler un axiome non exprimé, qui poserait que tout être géométrique doit avoir une limite. Le volume doit être limité par la surface, la surface par la ligne, la ligne par le point. Pourquoi ce dernier, être géométrique comme les précédents, échapperait-il à cet axiome ? Et si, logiquement, il ne doit pas y échapper, par quoi peut-il être limité ? Par un être ayant une dimension négative ? Et cet être à une dimension négative, par quoi pourrait-il être limité ?

C’est donc l’axiome suivant que nous placerions à la base de la géométrie, si tant est que parler d’axiome, cela fait plus savant : « Le point sans étendue ne peut pas engendrer l’étendue. »

Nous pourrions dire aussi, pour rendre hommage à la logique mathématique : « Ce qui n’est pas étendue ne peut pas engendrer l’étendue. Or le point géométrique est sans étendue. Donc le point géométrique ne peut engendrer l’étendue. »

Le lecteur nous dira qu’en niant l’existence du point, nous reposons en son entier le problème des limites du segment de ligne. Mais, en partant d’une proposition vraie et toute de bon sens, nous devons également trouver pour ce problème une solution raisonnable. Il serait vraiment étrange que, dans l’Univers, les structures de la Nature soient paradoxales.

Enfin, il est certain qu’il paraît difficile, sinon impossible, de ne pas utiliser le mot « point » en mathématiques, mais il faut alors lui laisser le caractère qu’il devait avoir à l’origine, et qu’il a encore dans le langage courant, caractère que nous avons attribué à une nature de point que nous avons appelé point-repère. Ce point n’est plus alors qu’un élément de position dont on estime pouvoir négliger les trois dimensions.