Vimala Thakar
L’Entièreté organique

(Extrait de ÊTRE ET DEVENIR par Vimala Thakar, Dialogues ayant eu lieu à Dalhousie (Inde) durant l’été 1989 Traduits par Véronique Charroux et Patrick Delhumeau). Emprunté au site Français consacré à Vimala et son œuvre: site de Vimala Thakar en français Je ne sais pas si vous porterez un grand intérêt à ce que je […]

(Extrait de ÊTRE ET DEVENIR par Vimala Thakar, Dialogues ayant eu lieu à Dalhousie (Inde) durant l’été 1989 Traduits par Véronique Charroux et Patrick Delhumeau). Emprunté au site Français consacré à Vimala et son œuvre: site de Vimala Thakar en français

Je ne sais pas si vous porterez un grand intérêt à ce que je vais vous dire ce matin, mais il me semble qu’il y a déjà un grand intérêt, un immense intérêt, dans la nature même de la recherche et dans l’exploration du sens de la vie.

Je me demande si vous avez déjà observé la nature à l’intérieur de nous-même et autour de vous. Nous employons le mot « nature » pour désigner ce qui n’est pas fabriqué par l’homme, ce qui existe par lui-même, spontanément, sans qu’il y ait de motivations ou d’effort. S’il y en a qui ont observé la nature à l’intérieur et à l’extérieur, vous avez dû remarquer, comme l’oratrice l’a fait, qu’il y a un TOUT organique dans lequel nous vivons, duquel nous sommes tous nés, dans lequel nous évoluons et peut-être vers lequel nous retournons par l’acte final de la mort.

La vie est un TOUT organique. L’entièreté naturelle n’est pas une totalité mécanique, ce n’est pas un TOUT intégré. Une totalité mécanique est composée de parties qui peuvent être séparées, qui peuvent être transplantées. La totalité mécanique n’a pas de dynamique par elle-même, pas plus que ses constituants ou leur assemblage, n’ont la dynamique de la créativité. La totalité est une totalité morte et ses parties sont incomplètes. Elles atteignent la complétude uniquement quand elles sont rattachées à cette totalité mécanique ; coupée de la totalité, la partie est incomplète comme le rayon d’une roue de vélo.

Le TOUT organique n’a pas de parties, il a des membres et des cellules. Chaque cellule a sa propre vie et les cellules peuvent se multiplier elles-mêmes. Une seule cellule dans votre corps peut se multiplier par elle-même. Le système cellulaire a sa propre énergie créatrice. Les parties d’une totalité mécanique n’ont pas d’énergie créatrice et ne peuvent faire que la totalité ait une énergie créatrice pour se reproduire elle-même.

Le TOUT organique, constitué de cellules et de membres, n’est rien d’autre qu’une énergie solidifiée. D’innombrables énergies coexistent, partageant leur créativité, se reliant elles-mêmes les unes aux autres. C’est le mystère merveilleux du TOUT organique, le même dans votre corps, dans la graine d’un banyan ou dans les mers, les montagnes et même dans le magnifique vide de l’espace, contenant d’innombrables énergies.

S’il vous plaît, voyez avec moi que la vie n’est pas une totalité mécanique ni une totalité intégrée construite comme les scientifiques et les philosophes ont construit leurs théories. Ce n’est pas un TOUT intégré ni une totalité construite par le cerveau humain avec un enchaînement de causes et d’effets. Cela n’a rien à voir avec notre esprit humain et les théories de dieux personnels et de déesses, de  créateur  et  de  création.  Toutes  ces  définitions,  ces  descriptions  et  ces divisions n’ont absolument rien à voir avec le mystère, l’entièreté de la vie.

Nous disons que la vie est un mystère, non pas dans le sens de quelque chose d’illogique,  d’irrationnel,  de  non  scientifique  –  ces  termes  n’ont  pas  de signification dans la compréhension de l’indescriptible, de l’immesurable êtreté du TOUT organique qu’est la vie.

C’est mystérieux à un autre point de vue. Cet être organique, le TOUT, où chaque chose est inter reliée, cet être explose en devenant, et le processus de devenir n’affecte pas l’inépuisable, la virginité et la majesté de l’Être. Vous pouvez vous référer à l’histoire écrite de l’humanité et vous trouverez que cet inépuisable   êtreté    ou   entièreté   naturelle   a    explosé   elle-même    dans d’innombrables univers (les planètes, soleils, lunes, le système solaire dont la terre n’est qu’une minuscule planète, il y a explosion de la vie sous la forme des arbres, de la végétation, des minéraux, des eaux, des oiseaux etc. Chaque expression partage l’énergie créatrice et néanmoins le TOUT ne devient pas incomplet, rien ne porte atteinte à l’êtreté, au TOUT. Je ne sais vraiment pas si vous êtes intéressés pour voir tout cela. Ce que je partage avec vous ce matin est quelque chose de merveilleux, de fantastique. Voyez avec moi la seconde caractéristique de la vie : le processus de devenir n’affecte pas la qualité de l’être, ni son énergie potentielle, ni son inépuisabilité, ni sa virginité. Si vous voyez cela avec moi, poursuivons.

La troisième caractéristique du mystère de la vie, la magnificence de la vie est également fascinante. Chaque expression retourne à la source, la source du TOUT, de l’êtreté. Prenons un exemple simple. Vous prenez un morceau de bois, vous le brûlez et vous sentez que la flamme a disparu dans l’espace ; le principe du feu contenu dans la flamme est retourné dans le vide de l’espace, il n’est pas détruit, il n’est pas perdu. Jusqu’à ce qu’il retourne au vide de l’espace, il a partagé la chaleur et la lumière avec vous. A cause des limites de votre vue, vous sentez que cela a disparu ; cela n’a pas disparu, n’a pas été détruit. Le bois brûle, est converti en cendres et les cendres retournent à la terre. Être et devenir. L’être émergeant dans le devenir et le devenir se ré immergeant dans l’être. Il y a une émergence et une ré immersion, pas une création et une destruction.

Si vous continuez le voyage avec moi, la quatrième caractéristique du mystère, la grandeur de la vie est une autre sorte de mouvement, que vous appelez le cycle des saisons : le printemps est suivi de l’été, l’été de la saison des pluies, puis de l’automne, puis de l’hiver. Il y a un mouvement cyclique. Rappelez-vous que l’une n’est pas la conséquence de l’autre, pourtant il y a un cycle. Il n’y a pas de continuité, cependant, chacune précède ou suit une autre. L’émergence et la ré immersion sont  un  mouvement  cyclique, un mouvement circulaire. La graine pousse, la pousse grandit en une plante, la plante en un arbre, l’arbre fleurit, la fleur devient fruit qui a la même graine. Le cycle est complet, de la graine à la graine.

Il n’y a pas de continuité mécanique. Le concept de continuité et d’ordre n’est pas applicable au mouvement de la vie. Cela défie vos maths, votre logique et votre rationalité et cela existe dans son impeccable grandeur. Si vous pouvez voir cela avec moi, alors la question surgit : que faisons-nous dans nos vies des membres, des cellules du TOUT organique, des univers condensés ?

Nous ne pouvons échapper au processus du devenir mais nous pouvons apprendre à entrer dans le mouvement du devenir sans le manipuler, sans endommager la qualité de notre être. La spiritualité est un mouvement à travers les événements du devenir, les épreuves de l’émergence et de l’immersion, les événements du mouvement circulaire ou cyclique, sans laisser ce mouvement atteindre la virginité de l’être.

De l’enfant, vous avez grandit en un adolescent ou une adolescente, puis en un adulte. Durant chaque période vous avez été visités par différentes humeurs dans votre esprit et différentes énergies dans votre corps. Chaque grandissement crée un désordre invitant l’énergie créative à créer un nouvel ordre à un autre niveau. Pouvons-nous passer, et pouvons-nous éduquer l’enfant à passer, à travers ces périodes de la vie sans laisser le mouvement atteindre la virginité de l’être ? C’est l’essence de la recherche spirituelle, c’est l’essence de la recherche religieuse.

Pouvons-nous apprendre de la nature que chaque émergence d’expression est le commencement du  processus de  retour  à  la  source ?  Si  nous  observons  le mouvement de la nature autour de nous et à l’intérieur de nos propres corps la peur de la mort sera complètement éliminée de la psyché humaine.

Aussi, nous observerons qu’il n’y a pas de répétition dans la nature, ni dans le mouvement d’émergence et d’immersion, ni dans son mouvement cyclique. Pouvons-nous ainsi apprendre, vivant sur cette terre au milieu des êtres humains et de la nature, à répondre à chaque défi de la nature et des relations humaines sans  répétition,  sans  que  cela  devienne  un  mouvement  mécanique ?  Nos réponses aux challenges peuvent-elles être l’expression de la créativité et de la spontanéité, plutôt qu’une répétition mécanique de nos conditionnements emmagasinés ? C’est le défi spirituel présenté à chaque personne sensible et responsable.