Serge Brisy
L'ère nouvelle devant l'actuelle déshumanisation

Le monde n’est pas un cirque où certains chefs, — une petite minorité qui a pu s’emparer d’une majorité par des coups de force, — dressent les autres à n’accomplir que ce qui plaît à leurs dirigeants ; ce monde est une terre d’expérience où la Vie, patiemment, inlassablement, éveille dans l’homme les forces cachées et les pouvoirs qui sont indistinctement en chacun. Admettre la déshumanisation, c’est redescendre vers l’animalité. Et ceci est indigne de n’importe quel humain.

(Revue Spiritualité. No 7 & 8. 15 Juin – 15 Juillet 1945)

J’aimerais résumer, en prologue, l’Introduction d’un livre du Sage persan Kazemzadeh Iran Schâr, livre écrit en 1939 et qui s’intitule : « L’Homme et la Culture de l’Avenir ».

Le Sage nous parle d’une émigration spirituelle nécessaire, la patrie actuelle de l’humanité étant devenue trop étroite, tant à cause ides conceptions matérialistes et égoïstes dominantes, qu’à cause de l’accentuation démesurée du « moi » et du sentiment de séparation entre individus.

Pour parfaire cette émigration, dit-il, deux tâches sont indispensables : le départ de la patrie devenue trop étroite ; l’adaptation aux conditions de la patrie nouvelle.

Nous rencontrons, de ce fait, deux catégories : ceux qui ne sont pas encore capables de renoncer aux possessions anciennes et aux instruments vieillis auxquels ils se sont identifiés. (Cette première catégorie refuse le départ et s’accroche de toutes ses forces aux biens périmés.) Ceux qui comprennent et sentent le renouvellement spirituel et abandonnent volontairement ces biens périmés, afin d’en acquérir de plus parfaits. (Cette deuxième catégorie prépare le départ et, faisant fi des biens périmés, ne craint pas de les détruire.)

Mais, dans cette deuxième catégorie, beaucoup encore, s’ils sont prêts à se soumettre aux exigences de l’Ère Nouvelle et veulent s’y adapter, se trompent sur les voies et moyens essentiels et cherchent inconsciemment à se servir de moyens anciens qui ne répondent plus aux besoins de l’Ère nouvelle.

D’où, sur tous les plans, conflits, souffrances, difficultés, épreuves.

Pour l’éclosion de l’Ère Nouvelle, deux voies s’avèrent : la destruction, la reconstruction. Toutes deux sont, nécessaires, car il y a beaucoup à nettoyer et à détruire avant de s’atteler à la tâche de la reconstruction. Or, si la destruction peut se faire en quelques années, la reconstruction exige des siècles de labeur patient et perspicace.

Chacun donc doit choisir sa voie. Mais, quelle que soit cette voie, elle doit être accomplie sans haine, avec compréhension et clairvoyance, scientifiquement, comme un chirurgien qui ne cherche que la guérison de ses malades. La tâche la plus importante est, bien entendu, celle du renouvellement et de l’élévation spirituelle.

Telles sont donc les idées principales de cette Introduction.

* * *

L’affirmation d’une ère nouvelle à naître prochainement est corroborée par les affirmations d’autres auteurs. En 1934, une Américaine, Miss Alice A. Bailey, écrivait dans sa brochure : « Les trois prochaines années » :

« De la mêlée des idées, des théories; des spéculations, des religions, des églises, des cultes, des sectes et des organisations se dégagent deux principaux courants de pensée, l’un voué à une mort éventuelle, l’autre destiné à croître et à se fortifier, pour donner naissance à son tour à ce mode d’expression de la vérité répondant aux besoins des siècles futurs, qui portera l’homme à un gradin plus élevé du Temple et lui permettra d’atteindre un stage plus avancé de développement conscient.

» Ces deux courants trouvent leur expression en deux catégories distinctes d’individus. Ceux tout d’abord que le passé attire, qui s’en tiennent aux vieilles coutumes, aux théologies anciennes et aux procédés réactionnaires d’élimination, appliqués à la recherche de la Vérité. Ils s’inclinent devant l’autorité, quelle qu’elle soit, Prophète, Bible, Église. Ils préfèrent se soumettre plutôt que de penser clairement et de s’astreindre à suivre les directives éclairées de l’âme…

» L’amour de Dieu, leur conscience stricte, bien qu’aveugle et leur intolérance en font parfois des dévots, mais cette dévotion même les égare, leur développement se trouvant enrayé par leur fanatisme. A ce premier groupe appartient l’œuvre de cristallisation d’où sortira l’anéantissement des formules du passé. Il lui appartient de définir les vérités anciennes pour permettre à la race d’y voir clair et de séparer nettement l’essentiel ide l’accessoire. Les idées fondamentales seront de la sorte opposées aux dogmes théologiques et les vérités primordiales détachées de la masse des croyances secondaires, sans importance. L’essentiel et le fondamental compteront seuls au cours du nouvel âge. D’où aussi le problème que nous pose cette période de transition, d’où l’utilité d’un enseignement qui puisse aider le chercheur à trouver par soi-même la vérité… Plus l’on saura ces choses et plus le nombre des connaisseurs ira croissant, car en apprenant qu’il porte en lui la source de tout savoir, l’homme, découvrant son âme s’ouvre automatiquement à la vie subjective, se préoccupe des causes et cesse d’errer dans le monde extérieur des effets. Il se trouve alors coude à coude     avec les mystiques et les sages de tous les temps.

» Insistons sur un autre point : s’il est vrai qu’un groupe de mystiques distingués par leur savoir, l’ampleur de leurs vues et leur faculté d’action sur le plan mental, est actuellement en formation à l’arrière plan de la scène universelle, ce groupe n’est nullement composé des seuls types religieux. Des hommes et des femmes en font partie dont l’activité s’exerce dans toutes les branches de la pensée humaine ; parmi eux, des savants, des philosophes et des hommes d’affaires. La science et ses multiples applications, les différentes écoles de philosophie et les conquêtes de l’homme dans les divers domaines de l’existence, sont tout aussi spirituelles que cette phase de la pensée que nous nommons religieuse. Tout cela aussi se transforme et le savant pour ne citer que lui     s’en rend parfaitement compte. Il commence à expérimenter actuellement sur un nouveau terrain où la technique ancienne et les méthodes mécaniques seront graduellement abandonnées au profit d’une conception entièrement différente de la nature de la matière. Cette conception nouvelle marquera les temps nouveaux. » (P. 4 et suiv.)

* * *

Nous venons de vivre et vivons une période très critique. L’avant-guerre nous a apporté des menaces constantes de crises, du chômage, des révolutions, avec la montée des dictatures. La guerre 1940-1945 a souligné l’apogée des dictatures et le déclin de certaines d’entre elles, les destructions en masse, l’insécurité mondiale, la barbarie, le terrorisme avec, comme en toute période de guerre, la chute de la moralité.

Beaucoup nomment cette chute « une déshumanisation de l’homme » et le terme est bien choisi. Cette déshumanisation se remarque avant tout dans les régimes totalitaires et dictatoriaux : l’homme réduit à l’état de machine, l’homme devenu un simple agent social, un automate, mené par le dictateur. Perdant par là le sens de sa responsabilité humaine, en même temps que le sens de son individualité, il se réduit au rôle de pion sur l’échiquier de la nation. Sa situation dépend de sa soumission entière au régime, sa pensée ne peut être que l’écho de celle du dictateur.

Mais l’homme n’est pas fait pour n’être qu’un outil obéissant. La véritable signification de l’humain, au contraire, est sa pensée consciente, sa pensée créatrice et libre. C’est donc la guerre, la dictature et l’esprit totalitaire qui actuellement déshumanise la vie. On veut, comme le dit Nicolas Berdiaef « usiner l’homme », non pas faire de lui un être humain.

Le monde n’est pas un cirque où certains chefs, — une petite minorité qui a pu s’emparer d’une majorité par des coups de force, — dressent les autres à n’accomplir que ce qui plaît à leurs dirigeants ; ce monde est une terre d’expérience où la Vie, patiemment, inlassablement, éveille dans l’homme les forces cachées et les pouvoirs qui sont indistinctement en chacun. Admettre la déshumanisation, c’est redescendre vers l’animalité. Et ceci est indigne de n’importe quel humain.

Nous, spiritualistes, avons à lutter contre la déshumanisation de l’individu en faisant appel aux sources de sagesse qui sont en lui, en développant la pensée libre et la compréhension, en éveillant en chacun le sentiment de l’amour pur, allant de l’affection et de l’amitié à la solidarité et à la fraternité universelles.

Il nous faut pour cela accepter notre responsabilité d’humain. Elle est grande et elle ne fait que croître avec notre compréhension.

Miss Alice A. Bailey nous dit encore et ceci ne peut que nous encourager à entamer la lutte, à poursuivre la croisade de la rénovation spirituelle :

« Quand on accordera à l’âme l’attention qu’elle mérite, la vie sur le plan physique s’organisera comme il convient. On comprendra que le fait de toujours critiquer tout et tous et l’amour exclusif de soi-même constituent les plus sérieux obstacles à l’éclosion de l’être spirituel… L’esprit de révolte, la constitution de factions politiques, la lutte de tous les pays en proie aux luttes de parti, quoiqu’ayant, il est vrai, existé de tous temps, se sont généralisés aux cours des deux cents dernières années. Mûrissant les hommes, ils leur ont appris à réfléchir.

» Même si ceux-ci pensent faux et se livrent à de désastreuses expériences, il est impossible qu’ils n’en tirent pas parti un jour. Des difficultés temporaires, des dépressions momentanées, la guerre, l’effusion du sang, la pauvreté, le vice peuvent entraîner l’être superficiel aux abîmes du pessimisme. Le sage, lui, sentant la beauté et la mesure de toute chose, sait que dans le chaos actuel (peut-être même à cause de lui) , se détacheront des hommes à la hauteur de leur tâche, capables d’accomplir l’œuvre d’unification et de concentration qui s’impose.

» L’heure a sonné de rassembler les morceaux épars, pour voir se dresser, dans sa perfection première, l’ensemble reconstitué. » (P. 12 et 19 de l’ouvrage cité.)

Serge BRISY