Swami Avyaktananda
Les idées sociales de Swami Vivekananda

La grande tradition de l’Age d’Or inspira Swâmi Vivekânanda qui voulait rétablir le Satya Yuga sur un niveau plus élevé en Inde et dans le monde. Sa théorie et sa philosophie de l’histoire sont fondées sur la tradition du Satya Yuga, et il a demandé spécialement à l’Inde moderne de ne pas perdre de vue les objectifs du Satya Yuga. Nous vivons, de par le monde, l’ère des gens ordinaires et Swami Vivekananda a imaginé une civilisation védique dans laquelle une égalité spirituelle et sociale pourrait être réalisée.

(Extrait de La Tolérance, colloque Swâmi Vivekananda. Edition Être Libre 1963)

En cette ère nucléaire, la nécessité à coordonner, dans différents pays, les forces spirituelle, éparses en vue de créer une perspective spirituelle et une conscience morale compréhensives. La base spirituelle d’une communauté mondiale doit reposer sur une culture qui n’est ni orientale ni occidentale, mais simplement humaine. Swâmi Vivekananda était partisan d’une tel communauté et déclarait « Vous ne devez pas oublier que mes intérêts sont internationaux et non seulement hindou ». Au moment où le monde est devenu très petit et où les astronautes aspirent à explorer les coins les plus éloignés de l’univers, nous avons un besoin urgent d’une conscience cosmique et d’une perspective internationale. Il y aurait lieu d’étudier sérieusement, aussi bien en Orient qu’en Occident, toute la contribution de Swâmi Vivekânanda pour que soient crées une nouvelle conscience et une nouvelle morale sociale.

Les idées sociales de Swâmi Vivekânanda ont une profonde base spirituelle, et lui ont été inculquées par son Maitre Sri Râmakrishna. Un jour, lors d’une discussion concernant la bonté envers les êtres vivants, Sri Râmakrishna fit état de l’égoïsme qui parfois se cache derrière cette soi-disant bonté, et dit que le devoir de l’homme est d’accepter tous les êtres vivante comme les symboles du Suprême, de les adorer et de les servir avec sincérité et dévotion. Le jeune Swâmi Vivekananda (alors Naredranath Datta), fortement impressionné par les paroles de Sri Ramakrishna, dit à un ami qu’un jour il prêcherait partout dans le monde la grande idée de son Maître. Pour Sri Ramakrishna, l’unité spirituelle n’était pas théorique; c’est ainsi qu’il parvint à s’identifier à un nettoyeur, en vue de réaliser la véritable égalité, et nettoya des latrines en lieu et place de ce dernier. Aussi, enseigna-t-il à Swami Vivekânanda que l’égalité spirituelle doit s’exprimer par l’égalité sociale. Une autre fois, Sri Ramakrishna s’identifia à un homme qu’on assaillait dans la rue; sa profonde sympathie et son imagination féconde firent que les marques des coups apparurent sur son propre corps. Apprenant cela, Swâmi Vivekânanda réalisa à quel point le sentiment de communion pouvait être élevé. Plus tard, avec un sens profond de la justice et une grande sympathie pour les gens ordinaires, il voyagea dans différentes parties de l’Inde et du monde occidental, prenant toujours le parti des opprimés et des malheureux.

Alors que la vie et les enseignements de Sri Ramakrishna lui apportèrent la base spirituelle pour l’égalité sociale et la justice, l’ancienne tradition hindoue « Satya Yuga » (l’Age de la Vérité – l’Age d’Or) lui permit d’imaginer une société future basée sur la liberté, l’égalité et la fraternité. Le Mahabharata, un poème hindou, conserve cette ancienne tradition et dit dans le « Shanti Parva » que la plus ancienne société ne connaissait pas de castes, de classes sociales, de rois ou de prêtres, et que les hommes et les femmes de cette société alignaient leurs idées et leurs activités sur le « Dharma », la loi naturelle qui unit tout ce qui existe, et qui nous enseigne la communion avec toutes vies, avec toutes choses. Dans l’Adi Parva, le Mahabharata décrit l’ancienne vie de famille d’où était exclue l’inégalité patriarcale, et dans laquelle les hommes et les femmes établissaient leurs relations sur une affection naturelle et une justice spontanée. La grande tradition de l’Age d’Or inspira Swâmi Vivekânanda qui voulait rétablir le Satya Yuga sur un niveau plus élevé en Inde et dans le monde. Sa théorie et sa philosophie de l’histoire sont fondées sur la tradition du Satya Yuga, et il a demandé spécialement à l’Inde moderne de ne pas perdre de vue les objectifs du Satya Yuga. Nous vivons, de par le monde, l’ère des gens ordinaires et Swami Vivekananda a imaginé une civilisation védique dans laquelle une égalité spirituelle et sociale pourrait être réalisée.

Quatre grands principes constituent la fondation psycho-éthique de la nouvelle société telle que l’a imaginée Swami Vivekânanda, à savoir : 1) Sarvatmabhava, l’identification de Soi-même au Tout; 2) l’individualisme spirituel; 3) le lien inséparable qui unit l’individu à la collectivité; 4) la bonté intrinsèque de la nature humaine. La spiritualité implique l’approfondissement et l’élargissement de la conscience et la création d’un mode de vie basé sur celle-ci. L’identification du Soi-même au Tout et du Tout au Soi-même peut approfondir et élargir la conscience, et dégager un genre de conduite sociale basé sur l’égalité. Le sentiment de communion crée en nous un profond sens de la responsabilité, et le Swami dit : « Chacun est responsable pour le mal fait dans le monde. Personne ne peut se séparer de son frère. Tout ce qui unit à l’univers est vertu… Vous êtes le gardien de votre frère ». L’idée de l’individualisme spirituel du Swami est née du sentiment de communion, et doit être réalisée par la liberté propre et par l’universalité. Goethe disait : « Que nul ne soit l’égal de l’autre, mais que chacun soit l’égal du meilleur ». Comment cela est-il possible ? Que chacun soit parfaitement soi-même. Comment pouvons-nous être réellement et véritablement nous-mêmes ? Le Swâmi suggère que le Soi, par une observation détachée, peut remplir le rôle du témoin et mener à l’individualisme spirituel en se dissociant des impulsions et émotions qui créent les obstacles. Le véritable individualisme ne peut se développer que si le racisme vil, le nationalisme agressif, la supériorité de classe et le fanatisme religieux sont bannis. Le Swâmi dit : « Lorsque se réalise « Je suis l’Univers », alors seulement vous êtes individu; alors seulement la peur cesse et la mort disparaît ». L’individualisme spirituel est exempt du Moi agressif, et démontre clairement l’inséparable relation existant entre l’individu et la société. Dans Le Contrat Social, Rousseau dit : « Le passage de l’état naturel à l’état civil produit en l’homme un remarquable changement par la substitution de la justice aux instincts… Par le contrat social l’homme perd sa liberté naturelle… mais y gagne la liberté civile… qui se limite à la volonté générale… Tout élan du désir est une forme d’esclavage, tandis que se soumettre à une loi que nous nous imposons, est une forme de liberté ». Sur la base de l’idée védique du « Moi en Tout » et du « Tout en Moi », le Swâmi voit la relation entre l’individu et la collectivité, de la façon suivante : « La vie de l’individu est la vie de la collectivité. Le bonheur de l’individu est le bonheur de la collectivité. C’est là une vérité éternelle, et la base sur laquelle l’univers est bâti ». Il y a cependant lieu de dire que l’idée du Swâmi, quant à la bonté intrinsèque de la nature humaine, n’est pas inconnue en Occident; « Le Royaume de Dieu est en vous », comme l’enseigne le Christ, implique que la nature humaine est foncièrement bonne. Dans la vie nous pouvons nous rendre compte que la colère, la méchanceté, l’envie, la jalousie, la haine, etc., dérangent l’esprit, et excluent la paix aussi longtemps que l’équilibre n’est pas restauré. La lutte pour restaurer cet équilibre, pour l’amour de la paix, démontre que l’esprit est habité d’un profond désir d’éloigner les frustrations et les dissociations, et de retourner à l’état naturel qu’est la bonté. Pour le Swâmi : « L’obscurité c’est moins de lumière ; la méchanceté, c’est moins de bonté; l’impureté, c’est moins de pureté ». « Notre nature est la bonté; notre nature est la pureté ; et cette nature ne peut jamais être niée ». Pour l’homme, le développement de ses capacités spirituelles, ainsi que la réalisation de l’égalité sociale, se feront d’autant plus facilement s’il est conscient de ce que sa nature est foncièrement bonne.

Si nous nous retrouvons en d’autres personnes, si d’autres personnes se retrouvent en nous, si nous sentons sincèrement que notre Moi est également le Moi d’autrui, et que le Moi des autres est également le notre, que se passera-t-il ? Nous remarquerons alors que les besoins de chacun de nous, deviendrons inséparables. Si j’ai faim, vous aurez faim. Si vous avez faim, j’aurai faim. Si j’ai soif, vous aurez soif. Si vous avez soif, j’aurai soif. Le sentiment du Moi en autrui, et celui d’autrui en nous, que Swami Vivekananda a prêché, conduit à l’entrelacement de tous nos besoins, spirituels et matériels; il ouvre les portes d’une société dans laquelle le bien-être de l’individu est le bien-être de tous, et le bien-être de tous de l’individu. C’est là le type de société que Swami Vivekânanda a imaginé étant entendu que la spiritualité soit à la base d’une telle société, qu’elle soit orientale ou occidentale. Il était convaincu qu’une société équitable ne pouvait être bâtie que sur une base spirituelle, et que le védisme vital, libre de dogmes métaphysiques et théoriques apporterait au monde une telle base spirituelle. Il dit : « Nombre de dirigeants du nouveau mouvement social ont déjà découvert que seul le védisme, dans sa forme la plus élevée, peut spiritualiser leurs aspirations sociales.

Le Swâmi était d’avis que, pour la société future, le Satya Yuga (l’Age d’Or) se réaliserait lorsqu’il n’y aurait plus qu’une classe sociale et un système spirituel pour la paix et l’harmonie dans le monde. Il voulait l’industrialisation du monde sur une base spirituelle, et dit au peuple indien ; « Pouvez-vous bâtir une société européenne sur la religion hindoue ? je crois que cela est possible et doit se faire ». Il croyait aussi que le processus de l’industrialisation éliminerait le système des castes en Inde, et fit remarquer : « La caste de Sudra disparaitra, étant donné que là le travail s’effectue à l’aide de machines ». Pour réaliser un jour un système social uniforme dans le monde, basé sur les idées de Swami Vivekânanda, une réelle tendance spirituelle est nécessaire. Cette tendance est caractérisée par la conception hindoue du Dharma (la loi de l’affinité spirituelle que toute vie éprouve à l’égard de toute autre vie), et par la conception occidentale de la loi de la nature qui a joué un rôle important dans la société européenne. Dans le Satya Yuga, que le Swami loua tant, il n’y avait pas de royaumes, de rois, de punissions ou de punisseurs; le Mahabharata dit que dans cette société les gens se protègent mutuellement par leur sens du Dharma, La société hindoue originale n’avait pas de castes, et selon le Swami, la société de l’Inde de demain n’en aura pas davantage. Le pendant occidental du Dharma est la loi de la Nature qui, d’après Zeno, implique un principe immanent en tout être et toute chose, basé sur le simple raisonnement. La conception de la loi de la Nature passa par la Grèce et Rome, et contribue largement au développement des lois internationales et de la pensée sociologique en Occident. Le Dharma a largement influencé l’histoire spirituelle de l’Inde. Swami Vivekananda dit que « la combinaison de l’esprit grec, représenté par l’énergie européenne, joint à la spiritualité hindoue, pourrait constituer la société idéale ».

Swami Vivekânanda était l’Isaïe de l’Inde. Sept cents ans avant le Christ. Isaïe imagina pour l’humanité une société idéale en Palestine, et dit : « Venez, recevez du vin et du lait sans payer, sans argent ». Il croyait que dans une société pacifique les loups et les agneaux pourraient vivre ensemble et que les enfants y joueraient avec les serpents. Swami Vivekananda dessina pour l’humanité l’image d’un Age d’Or dans lequel règneraient la fraternité universelle et le partage équitable; au sujet des animaux, il dit : « Les animaux sont mes frères ». En créant la nouvelle société, l’Orient et l’Occident peuvent, selon Swami Vivekananda, s’unir pour conquérir la nature, la société et l’esprit. Dans la conquête de la nature, la science européenne et la conception hindoue de la solidarité universelle devraient se confondre. Dans la conquête de l’esprit, les découvertes des différentes écoles de psychologie occidentale, et les découvertes hindoues concernant l’approfondissement et l’élargissement de la conscience, devraient se confondre. Cet échange d’acquisitions spirituelles et matérielles est de nature à favoriser l’avènement d’une société qui ne sera ni orientale ni occidentale, mais simplement humaine et spirituelle. Le Swami affirme :

« L’Inde doit apprendre de l’Europe la conquête de la nature externe, et l’Europe doit apprendre de l’Inde la conquête de la nature interne. A ce moment, il n’y aura plus d’Hindous ni d’Européens… Il y aura une humanité idéale possédant les deux natures, l’interne et l’externe ».

Le Swami a vu le moment dans l’histoire de la société humaine, ou les vérités de l’Orient et de l’Occident deviendront la propriété commune de tous; ce qui maintenant, dans l’esprit subconscient, est le bien de quelques-uns, sera alors dans l’esprit conscient, en possession de tous, et chaque pays ne comptera que prophètes et voyants. En étudiant ces grandes vérités, dont l’influence transformera radicalement la société humaine, il déclara : « Si l’humanité réalise aujourd’hui une partie de cette grande vérité, l’aspect  du monde en sera changé; au lieu de luttes et des querelles, la paix règnera. Cette hâte indécente et brutale qui nous force à être toujours et partout les premiers, disparaitra de la terre. Avec elle disparaîtra à jamais la lutte, la haine, la jalousie et la méchanceté. Alors, Dieu vivra sur notre terre… La société, telle que nous la connaissons sera alors complètement changée et transformée,