Serge Bramly
Les tarots

L’origine du nom, Tarot, a été le sujet d’innombrables thèses, qui, si aucune n’a su définitivement s’imposer, aident chacune à la compréhension générale du jeu. On a successivement avancé que Tarot était une corrup­tion des noms des dieux égyptiens Ptah et Râ, respecti­vement Maître de la Création et dieu-Soleil (que les Bohé­miens adorent toujours comme leur principale divinité masculine)… Que le mot était un anagramme de Rota, qui signifie « Roue » ou « Cercle » et que l’on avait ajou­té un T afin de bien montrer que le début et la fin sont semblables… Une déformation de Thot, nom du dieu des sciences ésotériques de l’ancienne Égypte, dont l’équiva­lent grec est Hermès, que l’on prit comme inspirateur et patron des cartes… Qu’il dérivait de l’hébreu Thora, « la Loi », mot qui désigne les cinq premiers livres de la Bible, identifiant ainsi les cartes à un texte sacré… Ou encore venait du sanscrit Tar – ô, l’Étoile polaire, le guide… Ou du latin Orat (« il prie ») renversé…

Né en 1949 à Tunis, Serge Bramly est l’auteur de nombreux romans : L’Itinéraire du fou (Prix Del Duca), La Danse du loup (Prix des libraires 1983), Ragots et surtout, Le Premier Principe, Le Second Principe (JC lattès, 2008), qui a reçu le Prix interallié. Il a écrit également des essais sur la Chine, Le Voyage de Shanghai, sur l’art, Léonard de Vinci (Prix vasari 1995, réédité en 2012) et sur la photographie…

(Revue Question De. No 55. Janvier-Février-Mars 1984)

L’histoire des Tarots, comme celle du peuple bohémien, à laquelle elle est traditionnellement associée, est aussi mystérieuse qu’incer­taine. On a successivement donné aux cartes pour origine l’Inde, la Grèce, l’Égypte, la Chaldée, la Judée, la Chine… On a essayé de les relier à toutes les grandes traditions qui ont marqué l’Occident. En fait, l’absence totale de preuves (que l’on a justifiée par la loi du secret), une documentation extrêmement maigre, ne permettent aucune conclusion sérieuse, et toutes les hypothèses jusqu’ici avancées sont plus le fruit d’intuitions personnelles que de découvertes historiques réelles. Ces incertitudes, loin de nuire à la valeur des cartes, ont au contraire sans doute enrichi leur contenu. Les écrivains et les mystiques du XIXe siècle qui se sont attachés à l’étude des Tarots, les ont tour à tour ainsi éclairés des lumières de multiples traditions. Leurs in­terprétations, que l’on peut aujourd’hui juger fantai­sistes dans leurs excès, ont contribué à un élargisse­ment du symbolisme des figures. Elles ont, grâce à tout un système de mise en relation et de correspondances, rendu plus clair l’accès des énigmatiques lames, elles forment à présent une sorte de base pour commencer toute recherche à leur sujet.

LA CARTE DES TROIS MONDES

Au lieu de vouloir donner arbitrairement une origine unique aux cartes, il semble plus juste de les aborder comme le produit d’un syncrétisme. Les cartes, ou plu­tôt ce que nous y avons mis, sont en fait le résultat d’emprunts divers, de la juxtaposition et du mariage d’éléments de toutes sortes, fondus en un ensemble ori­ginal. Les références égyptiennes, tziganes, hébraïques, ou alchimiques, citées dans leurs interprétations, ne doi­vent pas être prises comme des références historiques, mais comme de simples indications pouvant éclairer leur sens.

L’origine du nom, Tarot, a été le sujet d’innombrables thèses, qui, si aucune n’a su définitivement s’imposer, aident chacune à la compréhension générale du jeu.

On a successivement avancé que Tarot était une corrup­tion des noms des dieux égyptiens Ptah et Râ, respecti­vement Maître de la Création et dieu-Soleil (que les Bohé­miens adorent toujours comme leur principale divinité masculine)… Que le mot était un anagramme de Rota, qui signifie « Roue » ou « Cercle » et que l’on avait ajou­té un T afin de bien montrer que le début et la fin sont semblables… Une déformation de Thot, nom du dieu des sciences ésotériques de l’ancienne Égypte, dont l’équiva­lent grec est Hermès, que l’on prit comme inspirateur et patron des cartes… Qu’il dérivait de l’hébreu Thora, « la Loi », mot qui désigne les cinq premiers livres de la Bible, identifiant ainsi les cartes à un texte sacré… Ou encore venait du sanscrit Tar – ô, l’Étoile polaire, le guide… Ou du latin Orat (« il prie ») renversé…

En fait, si l’on s’attache aux différents usages qui leur ont été attribués, on s’aperçoit que les cartes peuvent être conçues à trois niveaux différents.

  • Elles peuvent être un simple jeu de société, ancêtre de nos modernes cartes à jouer. Elles auraient été intro­duites en Europe par les Arabes au milieu du XIIIe siècle, et ont gardé leur popularité jusqu’à nos jours.

  • Elles sont un système divinatoire d’origine inconnue en usage dans presque tout le bassin méditerranéen, vrai­semblablement popularisé par les Bohémiens. Elles em­pruntent sans doute leurs éléments principaux à des sources mythologiques ou allégoriques anciennes. Et donc, par là même, à une symbolique éternelle et uni­verselle (Arcanes majeurs et mineurs).

  • Enfin, pour certains, leurs pouvoirs divinatoires pro­viennent de leur nature sacrée. Elles sont alors une sorte de résumé-clé de toutes les traditions ésotériques occi­dentales. L’Alchimie, la Kabbale, l’Astrologie y sont conte­nues. Leur succession et leur ordre cachent un processus d’initiation. Elles peuvent être lues comme un livre. Cha­que carte est une sorte de hiéroglyphe, qui, correctement interprété, peut révéler les « secrets de la science éter­nelle » (Arcanes majeurs uniquement).

Pour certains auteurs, la tiare pontificale de la Lame V (le Pape) symbolise, par les trois frises qui l’ornent, les trois mondes qu’englobent les cartes.

LE VOYAGE DU NÉOPHYTE

Le néophyte est figuré par la lame O, le Mat. Il est le vagabond, l’homme hagard qui marche sans fin, comme si tel était son destin, d’être moins attiré par un but (qui signifierait un éventuel repos), que d’avancer ainsi les yeux dans le vide vers l’éternité. Il n’a qu’un bâton pour se défendre et se guider. Il porte tout son avoir (tout son savoir) dans un petit baluchon. Ses vêtements sont en loques et des chiens le poursuivent — mais il continue son chemin infini, poussé peut-être par le fait qu’il ne peut faire autrement que d’exister.

Le néophyte rencontre un jour un Bateleur (Arcane I), c’est-à-dire un magicien habile qui l’éblouit par les ri­chesses qu’il exhibe ostensiblement, par les connaissan­ces qu’il étale. Il a réponse à toutes les questions, il possède tout ce que le mat a jamais osé rêver. Et il dit insidieusement : « Veux-tu devenir pareil à moi ? Veux-tu savoir qui tu es, d’où tu viens, veux-tu avoir un but dans la vie ? Désires-tu la fortune, la gloire, la puissance ? Veux-tu savoir ? Entre dans le temple des Tarots et tout te sera révélé. »

Encore tout ébloui, le néophyte pénètre dans une salle obscure, austère. Il y a une femme belle et inquiétante (Arcane II, la Papesse). Elle est assise sur un trône et le tente. Elle dit : « Regarde ce livre — il contient les vérités de tous les hommes — la morale, la loi. Regarde ce voile derrière moi : il cache les vérités qui mènent au-dessus de tous les hommes. Veux-tu voir le voile s’entrouvrir — il faudra alors que tu me conquières. Mais regarder derrière le voile, c’est déjà passer de l’autre côté. » Et le néophyte s’unit à la Papesse et avec elle « passe de l’autre côté ».

C’est comme un voyage à rebours dans le temps, c’est comme un voyage à l’origine des choses. Les êtres se métamorphosent devant ses yeux, deux personnages s’avancent vers lui : l’Impératrice et l’Empereur (Arca­nes III et IV) qui lui parlent respectivement du temps et de l’espace. Il reconnaît sa Mère et son Père, il s’iden­tifie à eux, il comprend le secret de la Genèse, les pou­voirs du masculin et les pouvoirs du féminin. Il s’unit à eux et les égale.

On le conduit alors devant le Pape (Arcane V). Celui-ci dit : « À présent tu es adulte. Tu n’erres plus sur terre sans raison et sans but. Tu peux choisir. Quelle voie prendras-tu ? Celle du magicien ? Il est habile, mais la fortune qu’il propose, la puissance et la gloire ne sont qu’illusions — il s’en est servi pour t’attirer. Ou celle du savoir ? Tu connais les secrets des hommes, mais pas pour autant ceux de la Terre. Désires-tu aller plus loin ? Ou désires-tu rentrer, propager l’illusion, à ton tour, par­mi les hommes ? »

UN GUIDE DE LA PERSÉVÉRANCE

Si le néophyte persévère sur la Voie, il passe une se­conde épreuve (la première était la Papesse) et inaugure un second cycle d’études et de recherches. Il devient l’Amoureux (Arcane VI) devant lequel s’ouvrent deux voies symbolisées par deux femmes, aussi belles que différentes. Toutes deux l’attirent. Et il reste devant elles indécis, alors qu’un ange armé d’un arc et de flèches se tient au-dessus de sa tête, telle une épée de Damoclès prête à l’anéantir s’il se trompe dans son choix.

Et brusquement il comprend qu’il est l’ange, l’arc et la flèche, qu’il est les deux femmes et les deux voies toutes ensemble, et il unit le tout sous le joug de sa propre volonté. Il s’accepte en entier : il est à présent le Roi triomphant sur son char (le Chariot, Arcane VII) tiré par deux chevaux qui sont les deux faces de sa person­nalité, le Bien et le Mal. Il a uni les contraires, résolu les problèmes de la dualité. Alors commence son ascen­sion vers les sphères supérieures.

Il rencontre la Justice (Arcane VIII), une femme froide qui pèse et qui tranche. Elle lui enseigne l’équilibre : les deux plateaux de sa balance ne bougent jamais, rien dans le monde ne se perd, rien ne se crée, il n’y a pas plus de justice que d’injustice, mais un ordre secret, qui nous régit à notre insu ; l’action entraîne la réaction et tout mouvement finit toujours par s’annuler.

LE TAROT INITIATIQUE

Et le néophyte comprend qu’il n’est que le jouet d’un destin. Sans doute désespère-t-il. Il se retire dans un désert, comme d’autres avant lui. Il s’isole et s’observe. Dans sa nuit, il dispose à présent d’une lanterne, il est l’Ermite (Arcane IX). Il comprend la vanité de tout dé­sir de changement ; les choses suivent leur cours sans qu’il soit possible d’interférer. Il apprend à mesurer ses pas, à éviter l’imprudence, à éviter l’inutile. Il plonge au plus profond de lui-même. Et dans ce désert une vi­sion lui apparaît (Arcane X). Comme une roue gigantes­que, qui tourne et que personne n’anime, certains s’élè­vent, d’autres chutent. La roue tourne, insensible aux cris et aux pleurs : A son sommet, une figure mons­trueuse couronnée (ni homme, ni bête, ni Dieu) qui le regarde curieusement ; et le néophyte pense : « N’y a-t-il pas moyen d’éviter son destin, ne peut-on pas être autre chose que ce que l’on est condamné à être ? »

Il apprend à se dominer, à avoir le contrôle total de son être, il apprend à dompter le lion qui est en lui et à s’en servir comme d’une monture (Arcane XI).

Il apprend à se sacrifier, c’est-à-dire à sacrifier une par­tie de lui-même, un aspect de sa vie, pour que quelque chose change. Il s’affine, il se purifie (Arcane XII). Il se pend lui-même à un arbre, la tête en bas, il se cruci­fie à l’envers, il est son propre maître, il cherche la voie des Transformations.

Il appelle la Mort (Arcane XIII), qui signifie le change­ment. Il devient sa propre mort. Il se coupe un pied. C’est-à-dire se libère de ses origines. Il annule sa vie passée. Il est prêt à renaître.

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La carte 1 signale ce qui est (présent), la carte 2 ce qui est à venir (futur), la carte 3 l’ordre cosmique qui nous concerne (le Juge), la carte 4 l’ordre terrestre et les choix, la carte 5 est la résultante, la synthèse du jeu, le chemin à suivre ou l’énigme à résoudre.

On peut aussi tirer sept cartes

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Les cartes I, 2, 3, 4 sont le moi du sujet, les cartes 5 et 6, le présent et le futur, la 7 signifiant la synthèse du jeu.

Certains bâtissent leur tirage sur un modèle astrologique, les cartes A, B, C, D, étant le moi du sujet et les 12 autres le système cosmique et astral.

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Les lumières peuvent enfin être inversées (Arcane XIV, la Tempérance). Alors il peut communiquer librement avec les sphères supérieures, passer à volonté d’un mon­de à l’autre. Il tient entre ses mains les deux pouvoirs et les mêle. Il mène une existence céleste parallèlement à sa vie terrestre, il a franchi les limites du temps et de l’espace.

Avec l’Arcane XV (le Diable), il apprend les modes d’uti­lisation (la maîtrise et l’usage) d’énergies qui ne sont pas destinées aux hommes. Il obtient le contrôle des for­ces de la nature et l’immunité totale contre leurs ravages. Voici qu’il est devenu capable, non seulement de se transformer lui-même, mais aussi d’agir sur les autres (la Maison-Dieu, Arcane XVI). Il est prêt à prendre en charge la conduite de ses contemporains. Il rase les tem­ples, les institutions anachroniques, devenues incapables de remplir leurs fonctions. Il détruit les vestiges étouf­fants des cultures mortes, afin d’en élever de nouvelles. Il a presque rempli sa mission. Il contemple les vases qui contiennent les deux pouvoirs et se dit qu’à présent il n’en aura plus besoin. Il se dévêt et sans regret offre au monde tout ce qu’il a jamais possédé, connu ou été. Il verse l’eau des vases dans un fleuve, bien peu d’eau en vérité, mais qui, parce qu’elle a sa place, si minime soit-elle, dans l’ordonnance des choses, est aussi impor­tante que tout le reste de l’univers (Arcane XVII, l’Étoile).

En s’offrant au monde, il s’est identifié au monde. Il est devenu la Lune (Arcane XVIII) ou le Soleil (Arca­ne XIX) c’est-à-dire indifféremment les plus hauts pou­voirs masculins ou féminins, la matrice des êtres ou l’énergie fécondante, les pouvoirs d’enfantement ou de mort.

Il n’a pas encore rencontré la divinité (le principe pre­mier) mais tous ses attributs. Si le Jugement lui est favorable (Arcane XX) alors seulement sera-t-il mis en sa présence et pourra-t-il contempler la réunion des qua­tre éléments, l’image même de la perfection, l’Être, l’Uni­té (Arcane XXI).

Que lui reste-t-il à faire ? Redevenir le Mat, le Fou, l’éternel voyageur errant (Arcane 0)…

LE TAROT DIVINATOIRE

Les devins qui se servent des Tarots se contentent en général d’une lecture exotérique : ils limitent leurs pro­nostics au plan matériel : ils citent des problèmes amou­reux, financiers, ou de santé, ils prédisent des voyages, des héritages, des rencontres… Ils n’abordent presque ja­mais de front l’évolution psychologique, spirituelle du consultant (on le leur demande rarement…). C’est pour­tant de cette dernière que leur parlent avant tout les cartes. L’énoncé des événements heureux ou funestes qui constitue l’interprétation n’en est généralement que la conséquence, il en découle, car, selon la philosophie des Tarots (qui suit en cela la loi des causes et des effets) c’est en nous que se trouve l’origine de tout ce qui nous arrive.

Il serait ainsi faux de croire dans la possibilité d’une lecture « mécanique » des cartes (telle carte signifie ceci, en telle position cela, à l’envers ceci, etc.). C’est sans doute pour cette raison qu’il ne peut exister de « manuel » satisfaisant de Tarots, comme il peut en exister pour la Géomancie ou l’Astrologie. Leur art exige aussi, bien entendu, une certaine intuition, mais en fait leurs prin­cipaux éléments ont été depuis longtemps codifiés.

Toute lecture des Tarots (si elle est sérieuse) implique invariablement un phénomène de voyance ; et une sim­ple connaissance (aussi parfaite soit-elle) de leurs symboles, ne saurait suffire.

NI BONNE NI MAUVAISE MÉTHODE

L’étalage du jeu suscite en quelque sorte cette voyance. Les cartes sont comme une représentation graphique, visuelle, imagée, du consultant et de tout ce qui se rap­porte à sa vie. À son niveau le plus abstrait, cette repré­sentation contient essentiellement des données menta­les, spirituelles. À son niveau le plus concret se trouvent les menues prédictions qui intéressent le consultant. Mais la lecture, l’interprétation se font dans cet ordre, du psychologique au matériel.

Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise méthode pour tirer les Tarots : seul compte le talent (le don) du devin. On peut se servir du Jeu entier (78 cartes, Arcanes mi­neurs et Arcanes majeurs), ou simplement des 22 lames des Arcanes majeurs. On peut étaler le jeu en cercle ou en croix, demander au consultant d’en tirer 4 ou 7 ou 12 ou 5 ou tout autre nombre. On peut considérer comme une hérésie de battre les cartes, et simplement les mêler de la seule main gauche dans le sens des ai­guilles d’une montre. Tous les systèmes sont aussi vala­bles les uns que les autres. Et sans doute le meilleur est-il celui que l’on invente soi-même, en se fiant à son intuition, ses préférences, son expérience. C’est en les pratiquant qu’on apprend à connaître les Tarots.

Les cartomanciens insistent pourtant sur certains points. Ils disent avant tout qu’il n’y a pas de mauvaise ou bonne carte. Ils signalent l’importance prépondérante des Arcanes majeurs. Le message, la sagesse, la philoso­phie des Tarots sont, disent-ils, dans ces vingt-deux la­mes numérotées de 0 à XXI. Ils conseillent une appro­che visuelle et tactile des cartes. Les prendre, les étaler, les mêler, s’imprégner de leurs couleurs, de leurs noms, des formes qu’elles représentent. Apprendre à reconnaî­tre leurs personnages, à reconnaître les détails qui les différencient ou les rapprochent. Les observer, méditer sur leur ordre, leur succession.

LA PSYCHOLOGIE DES CARTES

Lorsqu’un consultant se présente (on ne doit jamais aller au-devant de lui, mais attendre qu’il se manifeste) cer­taines caractéristiques de sa personnalité, certains dé­tails révélateurs de son milieu social, de son niveau cultu­rel, ne peuvent nous échapper. Le bon cartomancien est aussi un habile psychologue. Les informations qu’il en­registre l’aideront dans sa lecture du jeu.

Durant la consultation, tout ce qui se dit ou se fait doit être soigneusement observé. Il n’y a pas de hasard, di­sent les cartes, et un geste, une erreur, un lapsus sont plus révélateurs qu’une affirmation rationnellement for­mulée.

Lorsque le jeu est étalé, ne pas trop se presser d’en dévoiler le contenu. Bien regarder les cartes. Tenir compte de leur position (à l’envers ou à l’endroit : une carte à l’envers ne signifie pas généralement le contraire de son sens initial, mais donne plutôt des indications temporelles, marque un empêchement, un retard), de leur situation dans le jeu (on doit établir des places, pour le consultant, pour le monde extérieur, pour le tra­vail, l’amour, etc.), des rapports des cartes entre elles (certains rapprochements renforcent une signification, d’autres l’atténuent), enfin si l’on a un doute, ou si le consultant demande des précisions, on peut toujours lui faire tirer du paquet une autre carte que l’on place à côté de celle que l’on veut « éclaircir »…

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Pour voir les cartes visitez par exemple: http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_des_cartes_de_tarot#Tarot_de_Marseille

Arcane I

Le batelier

Sous le signe du Taureau. Influence de Mercure.

Lettre : Aleph. Activité. Habileté.

L’illusion bénéfique et le piège de l’illusion.

Le Bateleur, c’est-à-dire l’illusionniste, le prestidigitateur, est à l’entrée du temple symbolique que forment les Tarots. Il jongle devant le seuil et de ses doigts habiles fait apparaître ou disparaître diverses formes : un bâton, un couteau, un disque, une coupe… Son visage est avenant, ses manières agréables. Il est solidement campé sur ses deux pieds. Ses vêtements sont hauts en couleur, il capte l’attention générale.

Devant les cirques d’autrefois, un ba­teleur, à l’entrée de la grande tente, invitait bruyamment les badauds à pénétrer. Pour les convaincre, les atti­rer, il leur donnait des exemples de ses talents, et leur assurait que ses tours n’étaient encore rien à côté de ce qu’ils verraient à l’intérieur. Il faisait office de panneau publicitaire, d’en­seigne et de portier.

À l’entrée du temple, le Bateleur, d’une voix criarde, vante les merveilles contenues à l’intérieur. Il jette de la poudre aux yeux des néophytes, il se sert de tous les modes de l’illusion pour les attirer. Car le temple effraie avec ses figures de mort et ses sphinx. Qui songerait à pénétrer si le Bate­leur n’était pas là pour promettre merveilles et miracles, pour perpétuer l’envie de pénétrer dans le temple ? Car il n’y a pas de candidats désintéressés à l’initiation. Chacun a un mobile, plus ou moins conscient, plus ou moins avouable. À tous le Bateleur promet la réalisation de tous les dé­sirs. La puissance, la fortune, l’amour, l’esprit… telles sont les formes avec lesquelles il jongle.

La qualité principale du Bateleur est son habileté. La carte ne contient pas les vérités les plus hautes, mais les plus spectaculaires. Car la démar­che première du savoir est sans aucun doute l’illusion du savoir. L’illu­sion amenant le désir ; et le désir la progression, le mouvement.

Le chapeau du Bateleur a la forme d’un huit couché symbole de l’infini. Et, à vrai dire, il s’agit bien d’un mou­vement infini. Le Bateleur ne peut rester en repos. On se désintéresserait de lui. Alors il se démène, il jongle, il nous étourdit par ses incessantes pitreries. Et il est condamné à se dé­mener ainsi pour l’éternité.

Car si l’illusion est bénéfique au début (si certains mensonges sont né­cessaires), elle finit par se retourner contre son propre auteur. (On pour­rait établir une analogie entre le Bateleur et le signe zodiacal chinois du Singe.) La carte est donc aussi : dan­ger de charlatanisme, de tromperie, danger de ne plus rien comprendre. Danger de devenir le prisonnier de l’illusion. Car le Bateleur n’est pas à l’intérieur du temple, et ceux qui s’y arrêtent tourneront pour toujours au­tour du temple sans pouvoir y pé­nétrer.

Signe lumineux, phare, le Bateleur donne aussi avec son corps, ses ges­tes, une clef pour ouvrir la première porte du temple. Plus exactement : il indique les qualités qui seront néces­saires au néophyte pour son entrée dans le temple.

On a associé la première lame des Tarots à la première lettre de l’alpha­bet hébreu : aleph. Le bras gauche levé, l’inclinaison du torse, la position de la tête, se superposant à la graphie de la lettre.

Le message essentiel de l’aleph (une ligne diagonale d’où se détachent deux membres, l’un pointé vers le ciel, et l’autre vers la terre) est l’identité du monde d’en haut et du monde d’en bas.

Mais le Bateleur fournit des préci­sions : sa main droite tient une bou­le, ou un disque, sa gauche une ba­guette dans laquelle certains ont vou­lu voir une flûte, symbole d’harmonie. La boule est évidemment féminine, alors que la baguette représente le pouvoir viril. Leurs positions respec­tives mettent l’accent sur la nécessité d’un ordre, d’un équilibre dont le néo­phyte doit se pénétrer avant de s’en­gager sur le chemin de la connaissance. La boule et la baguette sont aussi des armes, les qualités, les clés néces­saires pour entrer dans le temple. La baguette, celle du chef d’orchestre ou celle du magicien, ou simplement l’insigne d’une fonction glorieuse, comme le sceptre, signifie : contrôle, pouvoir, courage, volonté. La boule, au contrai­re, est synonyme de réceptivité. Elle parle de la dévotion, de l’humilité, du respect du néophyte pour les vérités qui lui seront transmises.

Appliquée au consultant la carte peut signifier, si elle est renversée, que ce dernier se trouve devant une situation qu’il ne contrôle pas, qui le dépasse, et qu’il ne dominera que lorsqu’il sera devenu à son tour un magicien, un bateleur, c’est-à-dire une personne autonome, adulte, capable de se protéger par l’illusion, avec une personnalité formée, habile aux jeux psychologi­ques.

Arcane II

La papesse

Sous l’influence de la Lune.

Lettre : Beth.

Le mystère. Danger bénéfique. La chute ou la révélation silencieuse du secret.

N.B.: Certaines cartes des Tarots se grou­pent par paires. Ainsi le Soleil et la Lune, l’Empereur et l’Impératrice, le Pape et la Papesse. Ces cartes ne peuvent être étudiées séparément : il convient de tenir compte de leur pendant sans lequel leur signification est incomplète. Les cartes II, III, IV et V, dont les paires sont liées, forment un tout qu’il faut voir dans son unité.

L’Arcane II nous montre une femme, que l’on dit d’une grande beauté, dra­pée dans de lourds manteaux. Elle est assise sur un trône derrière lequel est tendu un voile. Elle tient un livre sur ses genoux et porte sur sa tête la tiare pontificale.

Ce voile, que l’on a assimilé à celui du Temple de Jérusalem, nous parle d’un secret dont la Papesse est la gar­dienne. Le livre ouvert, au contraire, indique des vérités placées à la vue de tout le monde. Certains commenta­teurs voient là un symbole des Tarots. Le livre est l’oracle que tout le mon­de peut consulter, alors que derrière le voile se cachent les mystères de l’initiation.

La Papesse, comme le Pape, en tant que gardiens de la Loi et plus hautes autorités religieuses, sont tous deux des maîtres initiateurs. Mais alors que le Pape semble s’adresser à deux fidèles, la Papesse se tient immobile et muette sur son trône, avec son livre entrouvert, semblable à une figure hiéroglyphique. C’est qu’elle n’est pas un enseignement offert (le Pape nous parle) mais un message dont il faut forcer le sens. Elle n’est pas la carte de l’étudiant studieux, mais au contraire de celui en qui bout un désir impétueux. Elle ne s’adresse pas à l’esprit, mais au cœur, aux sentiments. Sous ses aspects dangereux, elle est la prison des sens, une émotion ou une accoutumance fatales, une possession vampirique.

Son nom, la Papesse, qui dégage des parfums d’hérésie, a inspiré de nombreux commentateurs. Certains y ont vu une allusion à des perversions sexuelles. Certaines enluminures ont même donné au visage de la lame, sans lui dénier sa beauté, la couleur du jais, voulant insister soit sur le caractère maléfique du personnage (la noire Lilith), soit sur le rapport de l’Arcane avec l’Œuvre au Noir alchi­mique.

La figure inquiétante de la Papesse a été rattachée à la seconde lettre de l’alphabet hébreu : beth. On lit dans le Zohar (1,7), que lorsque les lettres de l’alphabet vinrent toutes se présenter devant le Saint-Béni-soit-Il, pour qu’avec l’une d’entre elles Il opère la création du monde, c’est Beth qu’Il choisit. Et qu’Il la répéta même par deux fois, les deux premiers mots de la Bible étant : « Berechit Ba­ra » [1]. Parce qu’elle a présidé à la création du monde, Beth a la force d’un enfantement, elle est la gardienne du secret de la Genèse. Gouffre pro­fond, obscurité lunaire, elle implique un retour à l’origine, à la matrice de tous les êtres. Elle se sert du corps comme d’un instrument d’initiation et ses mystères sont semblables à ceux d’Éleusis ou du Tantrisme. Elle s’ap­parente à Eve nous tendant les fruits de la Connaissance. Elle est un Sphinx qui peut nous faire voyager, comme par la magie d’une drogue, jusqu’au commencement des choses, ou au contraire, nous précipiter au plus bas. Comme un pont étroit et périlleux, mais par lequel il faut passer pour accéder à la connaissance. Elle est la première épreuve de l’homme.

Arcane III

L’impératrice

Sous le signe de la Vierge.

Lettre : Ghimel.

La Mère. Le Temps. La patience de l’enfantement. La froide raison.

L’Impératrice, dont le symbole est un triangle, représente l’autre face du pouvoir féminin. La Papesse était une figure nocturne et secrète, elle était le mystère de la création ; l’Impéra­trice est, elle, lumineuse, ouverte. Elle est la gestation créatrice, elle ne se cache pas. Elle est la Mère, alors que la Papesse était l’Amante.

Psychologiquement, la Papesse était comme les eaux profondes de l’Incons­cient ; l’Impératrice est la surface claire de la conscience. Elle est tout ce peut être saisi par l’intelligence. Elle est bienveillance et pardon. Elle est créativité et énergie. La Papesse était de trois quarts. L’Impératrice est de face.

L’impératrice est assise, jambes écar­tées, sur un trône dont le dossier est formé par deux colonnes. Elle tient (ou montre) de la main droite un écu sur lequel est figuré un aigle. Et de la gauche un sceptre. Certaines cartes présentent l’Impératrice sous les traits d’une femme enceinte. On peut voir également dans l’aigle enfermée à l’in­térieur de l’écu, l’image de l’enfant dans le ventre de sa mère. Cet aigle (qui est un phénix pour certains) sym­boliserait le Messie, Jésus-Christ, dont l’Impératrice serait la Mère, la Vierge Marie. Pour les alchimistes, l’écu est le vase d’où sortira le Grand Œuvre. Et l’Arcane représente la Voie humi­de, féminine, lente.

Avec son sceptre, l’Impératrice rè­gne sur le Temps. La rencontre avec la Papesse impliquait une certaine vio­lence. L’Impératrice, au contraire, sup­pose un contact durable, sans heurt, une sorte de lent mûrissement. L’Im­pératrice représente le travail bénéfi­que du Temps. À ce titre, elle est synonyme d’étude, de civilisation, de richesse et de fécondité.

Les qualités de la carte sont la pru­dence et l’entêtement, l’exaltation de la vie et l’intelligence raisonnée. À l’envers, la lame nous parle de froideur ou de vanité, de pose affectée. Dans sa symbolique la plus large, l’Impératrice représente sans doute tout ce qui a été rattaché au concept de Mère : la ville, le pays, la terre… Certains parlent de la carte comme de la Jérusalem-Mère, c’est-à-dire de la Terre des origines, de l’enclos, la ville ceinte, fortifiée, vers laquelle nous aspirons tous à retourner, dont on aimerait retrouver la protection, la chaleur, le contact rassurant.

La lame correspond à la lettre hé­braïque Ghimel. On lit dans le Zohar que lorsque Ghimel vint se présenter devant Dieu, avec son compagnon Daleth (l’Empereur), Il répondit : « C’est assez pour vous de rester côte à côte ; il y aura toujours des pauvres dans le monde à qui porter secours. Or, Daleth (= pauvreté) désigne le Pauvre, et Ghimel (= secourir) désigne le bienfaiteur qui assiste le premier. »

Arcane IV

L’empereur

Sous le signe du Bélier. Symbole : un carré, un cube ou une équerre.

Lettre : Daleth.

Le feu. Puissance obstinée. L’espace. Égoïsme. Créativité et despotisme. Symbole alchimique : le soufre. Hiram. Le Grand Architecte. Hercule.

Comme l’Impératrice, l’Empereur est assis sur un trône. Il porte couronne, et tient dans sa main un sceptre. Un oiseau est inscrit en effigie sur son siège.

Cependant, il est de profil, alors que l’Impératrice était de face. Il tient son sceptre de la main droite, et non de la gauche. Ses jambes sont croisées et non écartées. Sa main gauche est refermée sur sa ceinture et non sur l’écu. La position des ailes de l’oiseau (ici sûrement un aigle) est différente, le sol s’entrouvre sous ses serres, il semble émerger des profondeurs de la terre.

La forme du trône, enfin, est uni­que dans tout le jeu des Tarots : der­rière toutes les figures assises on re­connaît en effet invariablement une sorte de dossier fait de deux colonnes. Le dossier de l’Empereur est le seul à être court et arrondi.

Pour certains commentateurs, la ba­se de ce trône est un cube. Une pierre cubique parfaite taillée et me­surée par un Maître (l’Empereur) dont la position de la jambe droite, pliée à angle droit, rappelle le compas ou l’équerre des Francs-Maçons. Au Moyen-Age, l’équerre était encore désignée par son nom latin Norma, la norme, la mesure, la règle. L’Empereur serait alors le symbole du pouvoir et des limites de l’homme. Il délimiterait son domaine. Il lui établirait des ba­ses, des fondements, il serait la base carrée de la pyramide sur laquelle s’élèvent les triangles féminins de l’Impératrice.

Le cube est une forme stable, sym­bole de l’immuable. Pour les alchimis­tes, il correspond au stade de la cris­tallisation, de la fixité. Alors que l’Im­pératrice était le développement de l’embryon dans le temps, l’Empereur, au contraire, fixe ce dernier dans la matière, dans l’espace.

Il est le passage du confus à l’or­ganisé. Avant son arrivée l’univers était fait de particules libres, flottan­tes, indépendantes les unes des autres. L’Empereur les lie, les joint, les solidifie leur assigne une forme, un lieu, un rôle, il répartit les pouvoirs, il or­ganise l’espace.

L’oiseau aux ailes recourbées vers le haut de l’Impératrice semblait prêt à prendre son envol. Celui de l’Empe­reur a ses ailes ouvertes en signe de majesté. Il ressemble plus à l’aigle napoléonienne qu’au phénix renais­sant. Sous lui le sol s’entrouvre, les plumes de sa queue le rattachent aux profondeurs de la terre, au feu.

On a vu dans l’Empereur un Pluton gouvernant les enfers, un dieu em­prisonné au cœur de la matière. Pour certains il est l’énergie dans ses rap­ports avec cette dernière. Un feu vital capable d’unir, de lier, comme de cal­ciner et de détruire. Pour les alchimis­tes, il est la Voie sèche, rapide, brû­lante, alors que l’Impératrice était la Voie humide, lente et douce. L’Aigle enfermé dans le cube est le feu, l’éner­gie contenue au cœur de la matière il est le moteur de toute action. L’Im­pératrice était comme un vase. La ré­ceptivité était sa qualité. L’Empe­reur est une force vive, l’impulsion dynamique est la sienne.

L’Empereur est un guerrier qui lutte moins dans l’espoir de s’adjoindre de nouvelles richesses que parce qu’il est poussé malgré lui à combattre. Il semblerait que sa volonté soit tout entière soumise à une force extérieure qui le guide, dont il serait le jouet. L’Empereur ne choisit pas de lutter.

Arcane V

Le pape

Lettre : Hé.

Pentagramme.

La force de persuasion. La puissance intérieure. La puissance de la parole.

Le Pape est un vieil homme – ses cheveux blancs, sa barbe vénérable sont les symboles de sa sagesse. Assis sur un trône, il donne de la main droite sa bénédiction à deux personnages age­nouillés devant lui. Sa main gauche, gantée [2] tient la croix pontificale (une autre version du sceptre).

L’Arcane V est la première carte du jeu à présenter, outre une figure cen­trale, deux personnages annexes, pro­portionnellement inférieurs, figés dans une attitude symétrique et opposée. Ces personnages se retrouvent dans les deux femmes de l’Amoureux (VI), les deux chevaux du Chariot (VII), les deux diablotins du Diable (XV), etc. Ils représentent la nature double de l’homme. Pas simplement, comme on s’est souvent borné à le dire, l’hom­me spirituel et l’homme matériel, mais toutes les dualités possibles que nous pouvons contenir. Double vie, aspira­tions contraires, personnalités écla­tées… le docteur Jekyll et Mr Hyde que nous portons tous en nous.

Leur opposition est marquée par le mouvement de leurs mains : celui de gauche, dont la tête est découverte, montre le sol de sa main droite, celui de droite montre le ciel de sa main gauche. Ce dernier semble avoir la préférence du Pape dont le sourire, la bénédiction, lui sont particulière­ment adressés.

Ces deux personnages sont pourtant (hormis le chapeau qui pend sur l’épaule de celui de gauche) fort sem­blables, et leur taille réduite (on ne saurait y voir une erreur de proportion du dessinateur) ainsi que l’humilité de leur position indiquent que ces contradictions ne sont rien et s’annulent d’elles-mêmes, face à la force inté­rieure, la grandeur majestueuse du Pape. Le Pape est la nature essentielle de l’homme, l’homme le plus ancien, la sagesse et la bonté spontanées (les Tarots imaginent un homme fondamentalement bon ; ils ne semblent pas avoir la même opinion des dieux). Ils représentent l’homme en accord avec lui-même, la vérité intérieure, l’accomplissement.

Le message de la carte est le suivant : quel que soit le chemin que l’on choi­sit, l’essentiel est de suivre sa nature profonde. Il faut apprendre à connaî­tre ce qui nous convient. Il faut dé­couvrir notre Moi premier. Certaines voies peuvent paraître préférables à d’autres, mais on ne peut juger : a chacun selon ses moyens, ses goûts, ses possibilités…

Le domaine du Pape est celui de la parole. Pour certains, le Pape est le Verbe, pour d’autres le souffle. In­variablement, il symbolise « ceux qui animent ».

Pour les alchimistes, il correspond à l’entretien de la flamme qui brûle dans l’Athanor. Il est l’air nécessaire à la combustion, le soufflet qui anime le feu (l’Empereur).

Le Pape, uni à l’Empereur évoque pour un homme l’idée de perfection (volonté, courage, inspiration).

Pour la Kabbale, il est assimilé à la lettre Hé, que l’on retrouve comme initiale des mots hikiha (juger) et hoshiha (délivrer).

Arcane VI

L’amoureux

Lettre : Vau.

Hésitation, une décision à prendre.

L’Arcane VI nous montre un jeune homme sollicité par deux femmes aussi différentes que possible (l’une est blonde, l’autre brune, l’une est de profil, l’autre de face, les positions de leurs mains sont diamétralement op­posées, etc.).

Au-dessus de lui plane l’Ange de l’Amour, ailé et armé d’un arc et de flèches. Cette carte a aussi reçu pour nom « la croisée des chemins », « le mariage », ou encore « l’épreuve ». Elle inaugure un nouveau cycle dans le jeu.

Il faut remarquer que l’Amoureux est pieds nus. Que sa seule main visible désigne la droite, mais que son regard est tourné vers la gauche. Il est pieds nus parce qu’il est vulnérable. Ses gestes sont contradictoires parce qu’il est perdu. Visiblement, il hésite entre deux solutions. Il doit choisir un chemin et ne sait lequel emprunter. Il doit prendre une décision et n’est pas sûr de lui.

À son niveau le plus simple la carte nous dit qu’il vaut mieux s’engager dans une voie incertaine qu’être para­lysé par l’indécision. Et les armes de l’Ange représentent alors les dangers de l’immobilisation.

L’Ange Amour tire pourtant tradition­nellement ses flèches au hasard, ses yeux sont généralement bandés. Comme la liqueur enchantée de Tristan, il est un destin aveugle dont nous sommes le jouet. La carte pose alors le problème du déterminisme et du libre arbitre.

Pour la tradition hermétique enfin, les deux femmes qui tentent l’Amoureux (l’une est pauvre, jolie et jeune, l’autre vieille et fortunée) sont les deux faces d’une seule vérité qu’il faut unir, qu’il faut lier, une dualité qu’il faut dépasser. Amour, lui, est le des­tin, la volonté divine. L’Amoureux hésite : l’une le tente, l’autre lui répu­gne, le troisième, de la pointe de ses dards, le presse. L’Amoureux recon­naît que les trois ne sont qu’un et qu’il est au centre de cette trinité… Les deux femmes sont aussi deux routes qui se croisent. La croisée des chemins est comme un nœud qui réu­nit, une ouverture sur un espace, des directions multiples. Elle est aussi le point de séparation où l’on se quitte, où l’on abandonne une partie de soi-même, le point de rupture à partir duquel on s’élance vers une nouvelle vie.

La part du destin et la part du choix sont intimement mêlées. La présomp­tion et l’entêtement ne mènent qu’à l’échec. La carte nous parle d’unité. Elle conseille le recul, la réflexion, la distance (ne pas se laisser aveugler par les apparences). Elle nous met en garde contre l’emportement, contre les impulsions incontrôlées.

Pour les chrétiens, l’Arcane VI marque une épreuve, elle représente la tenta­tion. L’Amoureux est alors assimilé à saint Antoine, les deux femmes es­saient de l’arracher à son renonce­ment et l’Ange est son amour de Dieu qui le guide et le protège.

Arcane VII

Le chariot

Lettre : Zain.

La marche victorieuse, le progrès, le dynamisme. Danger d’aveuglement.

L’Arcane VII, le Chariot, carte de chance, est une des lames les plus riches en symboles des Tarots. Un jeune roi chevelu (androgyne pour cer­tains), portant couronne, cuirasse et sceptre, parade sur un char recouvert d’un dais et tiré par deux chevaux de couleurs contraires. Pour certains, l’image est celle du Christ triomphant. Le jeune monarque (encore qualifié de « prince de lumière ») est d’origine solaire – sa course est semblable à celle du Soleil dans le Ciel. Cependant, sa cuirasse s’orne aux épaules de vi­sages de Lune.

Les deux chevaux, un clair et l’autre brun, rappellent les femmes qui ten­tèrent l’Amoureux. Mais alors que ces dernières impliquaient une certaine confusion dans la carte précédente, les chevaux conjuguent ici leurs efforts pour tirer, de concert, le Chariot.

Le prince a uni les contraires, do­miné, dompté les oppositions, les a pliées à sa volonté, et ce qui le rete­nait immobile, prisonnier, sert ici à son avance, devient force motrice. On songe à la formule Zen : « Dompter le tigre pour en faire sa monture ». On retrouvera cette idée développée dans la Force (Arcane XI).

Cette domination ne se fait pas sans mal : le Prince a revêtu son armure ; la lettre Zain, à laquelle les kabbalis­tes assimilent la carte, évoque graphi­quement un poignard et est rattachée à l’idée de guerre. Mais comme elle est également l’initiale du verset concernant l’observance du Sabbat, elle implique le temps du repos, de la vic­toire après le combat.

Le Chariot est la septième carte du jeu. La constellation de la Grande Ourse, encore appelée Chariot de Da­vid, est composée de sept étoiles (les Sept Bœufs des Romains, Septem trio­nes). La carte évoque l’idée d’un guide, d’un chef, d’une direction ; celui qui suit le char du Prince voit rejaillir sur lui une partie de sa gloire.

L’image est également à mettre en rapport avec le Chariot-Trône (Mer­kabah) qu’entrevit Ézéchiel au milieu de tourbillons de flammes, ou avec la cavale ailée à tête de femme qui ra­vit Mahomet jusqu’aux cieux.

Le char nous parle de réussite, d’évo­lution, d’enthousiasme, de purifica­tion… Celui qui s’identifie à son maî­tre travaille pour le progrès et verra ses efforts récompensés.

Il est à noter que le cheval obscur a sa tête tournée vers son compagnon clair. Certains commentateurs remar­quent que si les chevaux ont des incli­nations opposées, ils ne peuvent rien faire d’autre que de se plier à la vo­lonté de leur guide ; ou encore que dans de pareils moments, si grands sont les pouvoirs de leur maître (il ne se sert pas même de rênes) que les plus révoltés eux-mêmes oublient leurs querelles pour se joindre au mouve­ment général.

Arcane VIII

La justice

Lettre : Heth.

Sous les signes de la Balance et de la Vierge. Équilibre, ordre ; mais aussi froideur et formalisme.

La carte précédente nous parlait d’une puissance conquérante s’avançant avec succès vers la réalisation de son destin. Elle évoquait la force vitale, et était même assimilée, par certains auteurs, à la poussée des plantes qui croissent sur la terre.

La Justice nous parle à présent du contrôle qu’il faut apporter à cette croissance, de l’équilibre nécessaire à la bonne marche des choses.

La Justice s’apparente à l’Impératrice. Elle est, comme elle, assise de face sur un trône. Au lieu de l’écu et du sceptre, elle tient dans ses mains un glaive et une balance.

La carte s’apparente assez au message gnostique selon lequel le monde est régi par un équilibre auquel on ne peut échapper : le bien et le mal existent en quantité égale – toute mauvaise action en engendre systé­matiquement une bonne ; mais aussi le contraire.

Certaines sectes hérétiques imaginè­rent même à Alexandrie, entre le IIe et le IIIe siècle de notre ère, de sacrifier le salut de leur âme en me­nant une vie dissolue ou en perpétrant les plus horribles crimes, afin d’ame­ner, ailleurs, quelque part, quelqu’un à faire le bien.

Les Bohémiens identifient souvent la Justice à la Pécheresse Madeleine, ou à leur sainte noire, Sara.

La Balance évoque moins l’idée de justice que celle d’équilibre. La carte nous dit qu’il ne faut pas se leurrer : la justice comme l’injustice font par­tie de l’ordre du monde. (Héraclite professait une opinion similaire lors­qu’il disait : « On ignorerait jusqu’au nom de justice si l’injustice n’existait pas. ») Elle dit que l’ordre général passe avant les problèmes individuels. Certains commentateurs ont vu dans le glaive que tient la Justice le rappel et la menace des châtiments infligés à ceux qui s’écarteraient de ses lois. Ou encore l’image du karma entraînant les âmes souillées dans d’infinies et douloureuses réincarnations. Pour les Bohémiens, il est semblable à l’épée avec laquelle Alexandre tran­cha le nœud gordien. Une arme effi­cace, directe, rapide. Il est l’esprit incisif qui va jusqu’au fond des cho­ses. Qui ne s’embarrasse pas de pré­jugés ou d’idées préconçues. Il est la nécessité de certaines révolutions afin que l’équilibre soit maintenu.

À l’envers, ou en mauvaise position, la Justice est : danger de médiocrité, formalisme excessif, danger de froi­deur, stagnation.

Arcane IX

L’ermite

Lettre : Teth.

La retraite solitaire. L’héritage du passé. La rencontre miraculeuse.

Un vénérable vieillard marche en s’ap­puyant sur un bâton. Il tient, haut levé, une lanterne pour éclairer ses pas.

La carte est rattachée au problème du Temps. Sur un jeu de cartes ancien (Tarot de Charles VI), la lanterne de l’Ermite est un sablier. Ailleurs, le vieillard est Saturne (Chronos, dieu du Temps). Certaines interprétations font enfin de l’Ermite le symbole du passé qui éclaire les générations fu­tures.

La lanterne implique la nuit. L’obscurité où se meut l’Ermite. Sa flamme vacillante est comme une dernière lumière au sein des ténèbres. On a avancé que l’Ermite la tenait haut levée moins pour se diriger (son bâton y suffit) que pour inciter d’autres errants à se joindre à lui. Elle est comme un phare vers lequel on peut se diriger, grâce auquel on parvient à s’orien­ter. Un arbre de vie, une vérité essen­tielle préservée, un idéal, un flambeau autour duquel on peut se grouper.

Les ténèbres sont une protection comme une menace. L’Ermite se cache dans sa nuit. Les richesses qu’il détient ne doivent pas être exposées aux yeux de tous. Celui qui désire y accéder doit rejoindre le vieillard dans sa retraite. La rencontre se fait dans un lieu voilé. Elle implique le secret. Les alchimistes identifient l’Ermite au médecin juif que rencontra Nicolas Flamel alors qu’il pérégrinait vers Compostelle. Il est le maître qui œu­vre en silence. Impossible sans lui d’avancer dans le Grand Œuvre. Son enseignement se transmet oralement, de maître à disciple. Il est saint Christophe, le pasteur qui aide à franchir les rivières. Le médecin des âmes. Il est la tradition. L’héritage, le passé riche et rassurant.

Si la carte est appliquée au consultant, elle conseille une retraite prudente. La nuit évoque l’adversité. L’Ermite n’a rien à se reprocher, mais les circons­tances actuelles lui sont défavorables.

Il doit se cacher, attendre, prendre patience. N’emmener avec lui que le strict minimum, mais ne jamais aban­donner les convictions qui l’animent. Il est simplement trop tôt pour les ex­poser au grand jour. Plus tard, il pourra quitter sa retraite. Mais à pré­sent ce serait un suicide inutile que de chercher à lutter contre le sort ­même, et surtout s’il se sent sûr de ses droits, s’il sait avoir raison.

L’image est aussi celle des saints et des ascètes qui se retirent dans un désert, moins afin de s’éprouver que de se purifier, d’être seul à seul avec eux-mêmes, d’aller au plus profond de leur âme.

À la lettre Teth, à laquelle a été assi­milée la carte, correspond le mot hé­breu taoh, qui signifie « tisser ». La carte évoque alors un travail, un ou­vrage, patient et laborieux.

Arcane X

La roue de la fortune

Lettre : Iod.

Le destin aveugle, le temps, la fragilité des choses.

Amour et humilité.

L’Arcane X montre une roue, posée sur une chevalet et qu’actionne une manivelle. À son sommet, un sphinx insolent, armé, couronné et ailé, pa­raît immobile. À la roue sont accro­chés deux animaux travestis en hom­mes. L’un s’élève tandis que l’autre est précipité vers le bas.

La Roue est l’image traditionnelle du destin aveugle. Elle tourne sans cesse, des fortunes s’élèvent, des catastro­phes surviennent. Elle est une loterie, et la vie un jeu de hasard.

Le Sphinx à son sommet ne laisse pas d’inquiéter. Nous songeons encore une fois à la gnose qui avait imaginé que la Création était l’œuvre de dieux su­balternes et incompétents, ou encore au mot de Borgès : « Ce palais est l’œuvre des Dieux ; les Dieux qui l’ont créé étaient fous ; les Dieux qui l’ont créé sont morts. »

Les animaux accrochés (empalés di­rait-on) à la roue font penser à une mascarade et évoquent à leur tour quelque métaphore shakespearienne. La Roue est un symbole traditionnel de la vie, de la chance et du temps. Le Samsara oriental ou le Rota kabbalistique. Pour certains, les Tarots tout entiers ont ce sens. Un détail est pourtant ici frappant : nulle main n’actionne la manivelle qui fait tour­ner le destin. Comme si le mouvement, une fois enclenché, devenait éternel et surtout incontrôlable. Image dérisoire de l’homme : face à notre destin nous ne sommes que des bêtes travesties (certains commentateurs ont cru re­connaître un chien et un singe).

Certaines interprétations de la carte sont moins inquiétantes. La Roue de Fortune est alors une carte de chance. Elle dit que « les voies du ciel » sont impénétrables, que nous ne sommes rien devant Celui qui nous a créés. Et qu’en toute confiance, humilité et pié­té, nous devons nous remettre entre ses mains. À quoi bon nous lamenter ? Avec saint Augustin, la carte nous compare à des aveugles qui crient dans leur sommeil. « Nous ne pouvons jamais savoir si telle chose qui nous afflige n’est pas le principe secret de notre joie ultérieure. » Voltaire et les auteur anonymes des Mille et Une Nuits inventèrent aussi d’édifiants exemples d’apparents malheurs aux termes desquels se trouve la félicité. La lettre Iod à laquelle correspond la carte est l’initiale du nom secret de Dieu. Pour les Kabbalistes, elle est le point de départ de la Volonté divine, Volonté mystérieuse qu’il n’appartient pas à l’homme de déchiffrer. Elle de­meure cachée dans le tétragramme imprononçable et ne doit inspirer qu’amour et humilité.

Arcane XI

La force

Lettre : Caph.

Vertu et intelligence, victoire de la non-violence, utilisation rationnelle de la force.

Une jeune femme, dont le chapeau rappelle par sa forme celui du Bate­leur, ouvre de ses mains la gueule d’un animal en qui la tradition recon­naît un lion, appuyé sur sa cuisse. L’assujettissement à la volonté des impulsions primaires a déjà été évoquée avec l’Arcane VII ; cependant, le Chariot nous parlait d’un guerrier domptant par la force deux chevaux pour en faire ses montures. L’Arca­ne XI, au contraire, montre une jeune femme qui, sans effort aucun, maîtrise un lion. Il était naturel que le prince vienne à bout des antagonistes et les plie sous son joug. Il est beaucoup plus remarquable de voir un animal féroce se laisser apprivoiser par la douceur.

La puissance féminine (cette idée se retrouve tout au long des Tarots) est bien plus irrésistible que la vigueur brutale. Pour certains auteurs, l’Ar­cane XI est moins la Force que l’In­telligence. Elle suggère qu’il ne faut pas tuer ses ennemis (annihiler leurs pouvoirs) mais au contraire les neu­traliser, les attacher à sa suite, s’en faire des alliés. Elle affirme que tou­tes les énergies sont précieuses et qu’aucune ne doit être gaspillée ou écartée. Il convient seulement d’ap­prendre à les utiliser. Elle est enfin le pouvoir de la non-violence, la puissan­ce persuasive de la douceur.

La Force qualifie moins la jeune fem­me au chapeau que le lion à ses pieds. La carte ne suggère pas une action violente, mais au contraire une utili­sation rationnelle de la force.

Le Bateleur (Arcane I) était prison­nier de l’Infini. Le huit couché de la coiffe du personnage de la lame XI annonce à présent une liberté infinie. Avec la Force s’achève la deuxième série de cartes du jeu. Le cycle se clôt sur la victoire sans heurt (la seule durable) de la pensée sereine et sans entrave.

La littérature taoïste et Zen évoque en de nombreux exemples ce type de victoire ; les arts martiaux japonais sont une application de ce principe. Les alchimistes représentaient souvent le pouvoir de l’esprit pur sous les traits d’une jeune vierge se prome­nant dans un jardin. Elle seule était capable de capturer une licorne (l’ani­mal le plus farouche) qui venait spon­tanément « se frotter contre son gi­ron ».

On peut lire ailleurs que les qualités du lion solaire sont le complément indispensable de celles de la jeune fille du jardin. « L’unité de la lune et du soleil amène la multiplication. » Pour le Zohar, les lettres Mêm, Lamed et Caph, que l’on retrouve dans le mot melekh (roi), sont les trois piliers de la Royauté divine.

Cependant, Caph est aussi bien l’ini­tiale de cabad (gloire) que de cala (exterminer).

Arcane XII

Le pendu

Lettre : Lamed.

Sacrifice volontaire, maîtrise de soi, purification.

La lame XII, dont l’interprétation a suscité de nombreux commentaires, représente un jeune homme aux bras croisés dans le dos, pendu par un pied à une potence de fortune. Le dessin de la carte est assez ambigu pour que l’on hésite au premier abord à placer le Pendu tête en haut ou tête en bas.

Traditionnellement, la carte est as­sociée au sacrifice volontaire du Christ (ou à ceux des martyrs). Elle représente une souffrance consentie, que l’on s’inflige, pour qu’advienne un futur meilleur, elle nous dit qu’il faut parfois renoncer à quelque chose de cher si l’on veut voir un jour ses dé­sirs réalisés. Un proverbe affirme que l’on n’a rien sans rien. L’Arcane XI rappelle que tout gain suppose une perte initiale. On songe enfin aux pa­roles de l’Évangile : « Il faut que je diminue pour qu’Il croisse. »

La jambe droite croisée à hauteur du genou rappelle l’Empereur (Arca­ne IV). Le Pendu est l’Empereur re­nonçant, afin d’obtenir des pouvoirs encore supérieurs.

Certains auteurs ont remarqué des analogies entre la position du Pendu et les exercices douloureux que s’in­fligent les yogis de l’Inde. Au sujet de la carte ils parlent d’ascèse, de contrôle du souffle, d’oubli de soi. Sur le plan divinatoire, la carte évoque un sacrifice à faire ou un risque à prendre. Ceux qui voient dans le Pen­du, Isaac allant être immolé par Abraham, parlent de conflits entre pè­re et fils. Le sacrifice des uns ne sa­tisfait pas forcément les autres.

La carte correspond au stade alchimi­que de la putrefactio. Les alchimistes citent la Table d’Émeraude qui dit qu’il faut descendre jusqu’au fond de la matière pour pouvoir s’en élever. Ils comparent leur Œuvre à une graine pourrissant dans le sol : sa décom­position est aussi la naissance du germe.

Ils rappellent l’histoire d’Osiris pendu à un arbre durant trois jours et trois nuits, afin que la décomposition de son corps rendît plus aisé son dé­membrement.

Le sol semble s’entrouvrir sous la tête du Pendu comme il le faisait sous les serres de l’aigle de l’Empe­reur (Arcane IV). L’Empereur tirait son pouvoir du feu. Le Pendu est à présent exposé au feu, traité et puri­fié par le feu (image de la salamandre au bûcher).

La carte correspond enfin au serpent mercuriel crucifié tel que le décrit Flamel (il est à noter que le Mercure est symbole d’unification).

Arcane XIII

L’arcane sans nom

Lettre : Mem.

Le changement, le renouvellement. Mort et Résurrection. Indépendance.

L’Arcane XIII, qui a le don d’inquié­ter — généralement à tort — ceux qui la tirent, ne répond à aucun nom (de même que le Mat n’a pas de nu­méro). Elle est fortement liée à la carte précédente et représente pour les alchimistes le deuxième stade de la Negrido ou Putrefactio.

Cette carte est généralement appelée « la Mort » : on y voit un squelette armé d’une faux sanglante s’activant sur un sol noir parsemé de membres épars, de têtes et d’os. Deux détails sont significatifs : la Mort s’est fauché un pied ; une des têtes coupées est couronnée.

La Mort n’annonce pas particulière­ment un décès mais plutôt un changement, un bouleversement, une nouvelle vie. Elle annonce la fin d’un cycle et le commencement d’une ère nouvelle. Le changement peut être brutal, voire même radical — mais l’univers est fait de transformations, celles-ci sont nécessaires, et, si on comprend cette nécessité, peuvent de­venir bénéfiques.

La lame XIII parle d’une épreuve par laquelle il faut passer. Cette expérience qui a pu être douloureuse est l’unique accès — on parle d’une « porte étroite » — menant à la réalisation.

Tous les individus quels qu’ils soient la subissent un jour ou l’autre. Une des têtes tranchées est couronnée car la mort ne fait pas d’exception ni de faveurs.

On devrait en fait parler de Mort et de Résurrection. La carte se place sous le signe du Scorpion et tel était ­autrefois au moins — le sens du si­gne. De nombreux zodiaques substi­tuent d’ailleurs un aigle au scorpion. Ainsi, les quatre figures de l’Apoca­lypse, auxquelles correspondent les quatre Évangélistes (voir Arcane XXI) sont l’Ange (Verseau), le Bœuf (Tau­reau) le Lion et l’Aigle. L’aigle est mort, par son bec ; mais aussi résur­rection, envol, par ses ailes. Certains astrologues prétendent que l’image du Scorpion est apparue lorsque la no­tion de résurrection n’a plus été comprise.

L’Arcane XIII, pareillement, ne pré­sente de dangers que si son sens profond n’est pas saisi.

Pour les kabbalistes, Mem est l’initiale du mot hébreu mareth (la mort). Mais, affirment ces derniers, unie à l’Aleph divin elle est au centre de ameth (vérité). Inversement, toute vérité hors de Dieu n’est que mort.

Un des détails les plus remarquables de la carte, auquel malheureusement trop peu de commentateurs ont prêté attention, est le pied que la Mort se coupe à elle-même.

Elle peut se l’être tranché par inad­vertance, dans son comportement à faire le vide autour d’elle, à faire ta­ble rase des valeurs anciennes. Et il est vrai que toute expérience est comme « une petite mort », et que chaque pas en avant implique la perte d’une partie de soi. Sans même s’en rendre compte on se retrouve amputé. Mais le pied, ce qui attache au sol, est aussi comme une racine. Le sym­bole est peut-être aussi celui d’une libération, la Mort se coupe de ses origines, elle se libère de son passé, de sa famille, de ses attaches, elle de­vient une, autonome, indépendante. Les alchimistes représentent souvent ainsi un corps volatil (dégagé de la matière) comme un être aux pieds tranchés. Un texte anonyme parle de l’enfant (Mercure) qui « se brise les pieds afin que la tête s’envole ».

Arcane XIV

Tempérance

Lettre : Noun.

Accord, synthèse, mariage. Cercle vicieux.

L’Arcane XIV, Tempérance, nous mon­tre une jeune femme ailée occupée à verser l’eau d’un vase dans un autre. Le nom de l’Arcane nous renseigne déjà sur son contenu divinatoire : modération, prudence, équilibre sont les conseils de la carte.

L’image des deux vases parle égale­ment de synthèse, de réconciliation, de rencontre, de voyage heureux, de changement bénéfique.

Certains voient dans les gestes de la femme ailée l’accomplissement d’un rite. Ils en déduisent : observance des règles, conformisme, obéissance aux lois, esprit pacificateur.

Pour l’alchimie, Tempérance marque les débuts de l’œuvre au blanc (Al­bedo).

Les deux vases sont de couleurs op­posées. L’un est lunaire, l’autre solaire. Pour Evola, ils sont « les deux corps de deux individualités de sexe différent » dont l’union donnera vie à l’œuvre. Il cite Philalèthe (Introitus, c,I) : « Notre or corporel est comme mort avant d’être uni à son épouse. »

La carte nous parle alors d’une union, d’une alliance heureuse et féconde. L’« opération à deux vases » est en­core appelée la Voie de Vénus.

Les Bohémiens assimilent la Tempé­rance à Isis. On sait que lorsque son époux Osiris fut mis à mort et ses membres dispersés (voir les deux ar­canes précédents) elle entreprit de les réunir, de les faire voyager sur la barque de Râ jusqu’à la source du fleuve, jusqu’au royaume des Morts, afin de lui rendre la vie par quelque opération magique.

De tous les membres épars, le dernier à être retrouvé fut le phallus du dieu. Les Bohémiens, comme les alchimis­tes, placent la carte sous le signe de l’union sexuelle, de l’amour charnel sublimé, des épousailles.

L’Œuvre au blanc, dont les symboles sont la lumière, le printemps, la floraison, correspond à une résurrection, à une nouvelle naissance. Pour la re­présenter, les alchimistes parlent par­fois de Magnésie en arguant que le mot vient du grec « mélanger, trans­vaser ». Tous affirment que l’Eau Vi­vifiante est le principe moteur de l’opération. Au sujet de cette eau, que Raymond Lulle qualifie d’Eau de la Sagesse, ils écrivent qu’elle ressuscite les morts parce qu’« elle fait sortir les natures de leur nature » (Ordan, Traité du Mercure occidental).

Pour décrire l’union de deux mon­des, Meyrink, dans le Visage Vert, parle pareillement d’inverser les lu­mières, ce qui correspond au transva­sement de l’Arcane XIV.

Arcane XV

Le diable

Lettre : Samech.

La fin justifie les moyens.

L’Arcane XV présente un Diable her­maphrodite, torse nu, aux pieds et aux mains griffus, muni d’une paire d’ailes de chauve-souris, curieusement coiffé de bois de cerf, et tenant dans sa main une épée sans poignée. En­chaînés à son piédestal, deux diablo­tins nus, les mains liées dans le dos (on les dit parfois de sexe opposé). On a avancé que dans sa graphie la lettre hébraïque correspondant à la carte, évoquait un serpent se mordant la queue (Ouroboros), signe d’un mou­vement circulaire et infini. Certains prétendirent même que sa sonorité évoquerait le sifflement d’un serpent. Ce serpent fut à son tour assimilé à celui de la Genèse, au Tentateur, au Diable, autrement dit aux forces instinctives qui « attirent l’homme dans la matière [3] ».

L’idée d’un Diable « mauvais » est sans doute d’inspiration chrétienne, sinon biblique. L’Arcane XV nous parle de méthodes certes peu avouables, mais pas forcément d’un but maléfique. L’idée générale de la carte est que la fin justifie les moyens. Elle nous parle d’instinct plutôt que de raison, de rêves, de phénomènes non expli­qués, de tractations secrètes, de pas­sion, de ruse, de supercherie. Elle n’est ni bonne ni mauvaise, mais peut me­ner à tout : Elle conduit aux plus hautes réussites comme aux échecs re­tentissants. Elle ne s’applique pas aux gens les plus droits, mais cer­tainement aux plus intéressants.

Comme Hermès, le Diable est herma­phrodite. Il est également l’intermé­diaire entre les dieux et les hommes. Moyennant quelques concessions il accepte de rendre tous les services.

Il est l’instinct que certains qualifient de bestial et en qui d’autres voient le signe du génie. Il est farceur mais son humour, pas toujours apprécié à sa juste valeur, est ce qu’il y a de plus vivifiant en l’homme. Il est aussi synonyme de « découvertes par ha­sard », d’invention, de créativité. Il est le Baphomet des Templiers ou le dieu Pan de la Mythologie.

La magie a de tout temps été compa­rée à une épée à double tranchant : mal employée elle risque de produire l’exact contraire de ce que l’on avait souhaité. On ne peut l’utiliser que si on dispose des connaissances requi­ses.

L’épée que tient le Diable n’a pas de poignée ; saisie par la lame, elle n’en est que plus dangereuse à manier. L’autre danger est l’asservissement : l’utilisation de moyens peu avouables nous attache à un secret que nous portons comme des chaînes.

Arcane XVI

La maison-Dieu

Lettre: n.

Renversement, révolte, rebâtir le temple.

Un tourbillon de flammes venu du ciel décapite une tour. Deux hommes sont précipités à terre au milieu d’une pluie de grêlons.

La carte est rattachée aux paroles du Christ : « Je détruirai le temple et le rebâtirai en trois jours. » Les per­sonnages qui chutent sont alors les marchands chassés du temple. Et deux petites pierres blanches au pied de la tour, les matériaux initiaux qui ser­viront à la construction du nouveau bâtiment.

On raconte que certains patriarches Zen allumaient parfois leur feu avec les pages des textes sacrés. Leur but n’était pas de nier la valeur de ces textes mais de montrer que c’est en soi que l’on doit trouver la réalisation, la voie, la vérité.

La carte nous parle d’un temps où l’on doit renverser les conventions établies, faire table rase des idées reçues, se débarrasser des institutions périmées. La culture, l’éducation, le milieu so­cial peuvent être des chaînes dont il faut savoir se libérer.

La famille, la maison ne doivent pas non plus être une prison. On pourrait citer le mot de Freud : « N’est un héros que celui qui se révolte contre l’autorité paternelle et la vainc. » Mal située dans un jeu, la carte peut signifier : catastrophe imprévue, ambitions punies (la Tour est alors celle de Babel), châtiments, risques inconsidérés…

La lettre Aïn est en hébreu aussi bien l’initiale des mots anava (modes­tie) que avon (crime).

Pour les alchimistes, un des mo­ments les plus délicats de leur œuvre était l’ouverture de l’Œuf philosophal, du vase alchimique identifié parfois à un palais ou à une tour.

Le vase alchimique doit être tenu tout le temps hermétiquement clos ; si quelque gaz venait à s’en échapper, tout le processus était à refaire. La tour, le carcan rigide, est donc néces­saire tout le temps de l’évolution. Mais, disent les textes alchimiques, « lorsque le fils est devenu suffisamment fort », il doit briser le vase, comme un pous­sin brise la coquille de l’œuf, et « œuvrer au grand jour ». Si on ouvre le vase trop tôt, « le fils » est encore au stade embryonnaire et ne supporte pas de se passer de sa coquille. Si on ou­vre le vase trop tard, il est tellement habitué à la chaude protection de sa gangue qu’il se retrouve faible et dé­muni devant la vie.

Le « fils » doit briser ses liens, mais seulement au moment opportun.

Arcane XVII

L’étoile

Lettre : Phé.

Sous le signe du Verseau. Abandon généreux, désintéressé. Chance et réussite.

Danger de solitude ou de passivité.

Une femme nue, sous un ciel rempli d’étoiles, verse dans une rivière l’eau de ses deux vases. Un oiseau est posé sur une plante.

La carte présente des rapports évi­dents avec l’Arcane XIV (Tempérance) dont elle est une continuation. Cepen­dant, les vases de la Tempérance étaient de couleurs différentes alors qu’ils sont ici semblables. La jeune femme a perdu ses ailes et se trouve dévêtue ; l’eau n’est pas transvasée, mais vient grossir le cours d’une ri­vière.

On peut s’interroger sur l’utilité d’« offrir son eau au fleuve », quanti­té négligeable qui se perd dans la continuité du flot. Mais ce sont de tels apports qui, par leur nombre et leur fréquence, forment le cours des choses. Individuellement, ils ne sont rien, sans eux pourtant le monde ne serait que sécheresse.

La nudité, l’agenouillement, sont des marques d’humilité. L’Étoile est désin­téressée. Elle donne son eau gratuite­ment. Elle ne cherche ni la gloire, ni la reconnaissance, elle brille solitaire, et le bonheur qu’elle fait naître au­tour d’elle est sa seule récompense. Les vases sont semblables, car bien que deux, ils sont indifférenciés, l’Étoile a résolu tous les problèmes de la dua­lité, du Moi et de l’Être, elle s’est dé­pouillée de tous les voiles de l’illusion, elle vit la douceur de l’instant, elle s’est « dissoute dans le monde ». Son âme semblable à un oiseau, butine de fleur en fleur, hors d’elle-même…

L’image est celle de la parfaite réa­lisation, de l’union avec le cosmos. On songe aux mots de saint Augustin, pressentant son ravissement futur : « Maintenant nous voyons dans un mi­roir obscurément ; mais alors nous verrons face à face. Maintenant je connais partiellement ; mais alors je connaîtrai comme je suis connu. » L’Arcane XVII, appliquée au consul­tant, évoque une chance innée, une nature heureuse et bonne. Une expres­sion populaire parle « d’être né sous une bonne étoile ». La carte est aussi : optimisme, grandeur cachée, idéalis­me. Dans ses plus mauvais aspects elle est : danger de solitude, de super­ficialité, de gratuité.

L’eau a de tout temps été le sym­bole du psychisme. En versant l’eau de ses vases, l’Étoile lui donne un mouvement. De stagnante, elle devient vive, elle devient vie. Offerte au grand jour, elle nous parle de vérité, de pu­reté, d’honnêteté.

La lettre hébraïque Phé est pour les kabbalistes l’initiale du mot pedouth (délivrance). Elle évoque l’ouverture, l’accès, la bouche comme la fenêtre.

Arcane XVIII

La lune

Lettre : Tsadé.

Sous le signe du Cancer.

Fécondité, énergie, violence et imagination. Névrose ou créativité.

La lame XVIII est la seule carte du jeu à ne contenir nul personnage. Ses nombreux éléments lui confèrent pour­tant un symbolisme riche et complexe. La Lune de l’Arcane XVIII fait pleu­voir sur la terre une rosée abondante. Presque toutes les mythologies font de l’astre nocturne la déesse de la Fertilité. La rosée est le symbole de ses pouvoirs. Son agent invisible, ins­tigateur de toute création, de tout en­fantement.

Le cycle lunaire régit, dit-on, les mi­grations, les marées et les menstrues. La mer (l’eau salée et mouvante conçue comme matrice primordiale et dont le rythme est semblable à notre respiration), est le domaine pre­mier de ses activités. Le crustacé (une langouste, dirait-on) situé sur la carte symétriquement à son disque par rap­port à la ligne de l’horizon, a la répu­tation d’être l’animal le plus prolifi­que : son abondante progéniture en fait également un symbole de fécon­dité.

La Lune inspire toutes sortes d’enfan­tements. Elle est l’instinct reproduc­teur qui pousse tout ce qui vit à se perpétuer, elle inspire aussi artistes et poètes, inventeurs et devins. Elle est la sensibilité, l’intuition, la « nuit lu­mineuse », c’est-à-dire le rêve.

Enfin, la Lune (surtout lorsqu’elle est pleine) a parfois la fâcheuse réputa­tion de frapper de folie ceux qui s’ex­posent trop longtemps à l’influence maléfique de ses rayons.

L’Arcane XVIII est aussi recherché que craint. Les deux chiens qui aboient dans sa nuit nous parlent d’une acti­vité intense et inutile, d’êtres acharnés suivre quelque lointaine chimère ou s’angoissant de multiples questions auxquelles nulle réponse ne sera ja­mais donnée. L’Arcane est celui des chercheurs désespérés auxquels le des­tin promet réussite sublime, ou alié­nation et solitude. Ou encore les deux la fois…

Les deux tours ont une fonction semblable à celle de la carapace du crus­tacé. On parle parfois de la « lune ceinte », de « forteresse intérieure », de l’enclos fortifié abritant le Jardin des Délices ou paradis perdu. L’une est une prison, l’autre cache un palais. La carte mène indifféremment à l’une ou a l’autre. Au bonheur ou à la perte. « Le Royaume des cieux est en vous », affirme le Christ. La prison de l’esprit également…

Certains commentateurs ont cru voir dans la carte l’image d’un miroir trom­peur. Le chien n’aboie alors qu’à son double, la tour en reflète une autre, la Lune se mire dans le bassin. Univers dont la symétrie et la répétition tis­sent un infini labyrinthe…

Pour d’autres, la Lune, comme le Can­cer, est semblable à une machine, un moulin ; tant qu’il y a pour elle ma­tière à travailler, elle est créative et féconde, mais si elle vient à tourner à vide le mécanisme se dérègle, elle n’est plus contrôlable, elle se détruit elle-même.

Le Zohar formule sur la lettre hébraï­que, tsadé, à laquelle est associée la carte, un commentaire aussi énigma­tique qu’intéressant qu’il convient peut-être de citer en entier. Dieu, s’adres­sant à la lettre lui dit : « […] Tu dois être cachée pour ne pas donner prise à l’erreur. Car ta forme primitive est un noun, principe oblique femelle, sur lequel s’ajoute un iod, principe mâle. Et tel est le mystère de la création du premier homme qui fut créé à double face, deux figures tournées en sens inverse, dos à dos de dos et non de face, soit qu’il re­garde en haut, soit qu’il regarde en bas […] » (Zohar, I, 3.)

Arcane XIX

Le soleil

Lettre : Koph.

Union, reconnaissance publique, richesse, action communautaire.

Sous le signe des Gémeaux.

Aux couples Pape-Papesse, Empereur-Impératrice, succède dans la dernière série de cartes du jeu, le couple Soleil-Lune. Les deux premiers étaient ter­restres. Celui-ci est céleste.

L’Arcane XIX nous montre deux en­fants, sans doute jumeaux, presque nus, sous un soleil immense. L’hori­zon est caché par un mur de pierre.

La Grèce antique opposait le culte de Dionysos à celui d’Apollon. Si la carte précédente rappelait (comme la Pa­pesse) les mystères d’Éleusis, l’Arca­ne XIX est lui évidemment apollonien. Les enfants (peut-être Castor et Pol­lux) semblent se tenir par l’épaule, ou jouer ensemble ; leurs mouvements sont en tout cas convergents. Sous un soleil propice ils participent à la mê­me action. Un but unique les anime. L’amitié, autant que des intérêts communs, les lie.

La carte nous parle d’harmonie so­laire, d’union des hommes, de cultu­re et de civilisation. L’or philosophal que distribue le Soleil à ses enfants n’est pas seulement formé de biens matériels, mais avant tout, de paix, d’équilibre et d’amour (la manne cé­leste qui s’échappe, sur la carte, des rayons du Soleil rappelle la pluie qui féconda Danaé).

Apollon était pour les Grecs, dieu de la lumière, de la divination et des arts. Ses emblèmes étaient le phallus aussi bien que la lyre. Sa musique n’entraînait pas dans de folles bac­chanales (voir carte précédente) mais était synonyme d’accord et d’harmo­nie. Son art était moins inspiré que dicté par la règle, la raison et l’esprit de perfection.

Le mur qui clôt l’univers des jumeaux représente également la volonté de norme, de délimitation, de rationali­sation. On songe à Pythagore et à ses figures parfaites.

Pour certains commentateurs, la car­te, mal située, a aussi le sens de sécheresse, de mort, de pauvreté. Le feu solaire consume comme il donne la vie. Pour la Kabbale, la lettre koph est l’initiale du mot qesher (lien, nœud, faisceau) mais se trouve aussi au cen­tre de l’anagramme de ce dernier, schéqer (mensonge).

Pour l’alchimie, le Soleil est le début de l’Œuvre au rouge (Rubeo), troisième partie du Grand Œuvre philosophal. Il est l’obtention de la poudre de pro­jection.

Arcane XX

Le jugement

Lettre : Resch.

Vœu exaucé, issue heureuse, récompense, justice, châtiment.

Un ange apparaît dans le ciel. Sa trom­pette sonne le Jugement dernier. Une femme et un vieil homme agenouillés prient. Un homme de dos sort d’un tombeau.

Avant-dernière carte des Tarots, le Ju­gement signifie que la fin de nos pro­blèmes, que la libération, la victoire ou le succès sont proches. Il évoque éga­lement la notion d’une justice imma­nente ou d’un règlement de compte. La carte parle de faire le point, de mettre ses affaires à jour, de payer ses dettes… Elle prévoit le terme d’une maladie, d’un litige, d’une brouille. L’homme nu qui sort de sa tombe est peut-être Lazare ressuscité, ou désigne même tous les Justes rappelés à la vie, à la fin des Temps.

On songe aux paroles de l’Apoca­lypse de Jean (la carte y fait sans doute allusion, bien que l’Apocalypse soit attestée par de nombreuses reli­gions) : « Et la mer rendit les morts qu’elle gardait, la Mort et l’Hadès ren­dirent les morts qu’ils gardaient, et chacun fut jugé selon ses œuvres. »

Le vieillard et sa femme en prière re­mercient Dieu de Sa Miséricorde ; cer­tains pensent plutôt que c’est grâce à leurs prières que le jeune homme a retrouvé la vie.

La carte évoquerait alors une aide ex­térieure, la présence de personnes « qui nous veulent du bien » ou encore le pouvoir de la magie.

Basile Valentin (Practica una cum duo­decim clavibus) fait remarquer que la Résurrection est le but des Adeptes. L’alchimie représente souvent l’étape dernière de son œuvre comme la réu­nion du Père, de la Mère et de leur Fils ressuscité (ou encore du Père, du Fils et du Saint-Esprit). Il faut comprendre cette réunion comme une réalisation à trois niveaux : alliance du corps, de l’esprit et de l’âme. L’An­ge peut aussi être le souffleur réali­sant la projection.

Pour les sectes initiatiques, la carte représente encore le néophyte ayant franchi la dernière épreuve, et qui est reçu en la compagnie des Maîtres. Le sens divinatoire est alors : succès dans toute entreprise, examen passé sans encombre, etc.

(Certaines initiations prévoient comme épreuve preuve un séjour solitaire dans une tombe.)

Arcane XXI (ou selon certains commentateurs XXII)

Le monde

Lettre : Thau.

La réussite suprême, enfantement, mérites reconnus.

La lame XXI s’éloigne, dans sa concep­tion, de toutes les autres cartes du jeu, en ce sens qu’elle ne représente pas une scène ou un personnage, mais est plutôt formée par la juxtaposition d’éléments divers indirectement reliés. Une femme nue (ou un hermaphrodite) danse sur un nuage au centre d’une couronne de fleurs. Un ange, un aigle, et un lion auréolés, ainsi qu’un ani­mal hybride, en qui on peut reconnaî­tre un taureau (ou un cheval ?) s’ins­crivent aux quatre coins de la carte. La carte est rarement de mauvais au­gure. Elle évoque un paradis retrouvé, les temps originels (le personnage cen­tral) un accomplissement, une tota­lité. La couronne est celle des vain­queurs, récompense ou hommage. L’Arcane XXI s’appelle parfois « Vérité » ou « Apothéose ».

Les quatre figures de sa périphérie ressemblent aux « quatre vivants constellés d’yeux par-devant et par-derrière » qu’entrevit Jean, « au milieu et autour » du Trône divin : « Le pre­mier Vivant est comme un lion, le deuxième est comme un jeune taureau, le troisième a un visage d’homme, le quatrième est pareil à un aigle en plein vol » (Apocalypse, IV, 1).

Ils représentent respectivement « ce qu’il y a de plus noble, de plus fort, de plus sage et de plus agile dans la création ». Depuis saint Irénée, on les a assimilés aux quatre Évangélistes. Le lion de saint Marc, le bœuf de saint Luc, l’Ange de saint Matthieu et l’Aigle de saint Jean de Patmos sont aussi le quaternaire central du zodiaque (le Lion, le Taureau, le Verseau et le Scor­pion), les quatre éléments (Feu, Terre, Air, Eau), les quatre frères d’Horus, les quatre quartiers de l’univers, etc. Inscrits sur une roue, ils sont l’unité et le mouvement de l’univers, image du temps ou de la création. La métamor­phose du scorpion en aigle implique une résurrection, le départ d’un nou­veau cycle.

Pour les kabbalistes, la lettre Thau, dernière de l’alphabet hébreu, « règne sur la beauté » et évoque l’idée de « fondation ». Le Zohar dit « qu’elle est destinée à être marquée sur le front des hommes fidèles qui ont ob­servé la Loi de l’Aleph jusqu’au Thau [4] ».

Aucun numéro n’est attribué à l’arcane

Le mât

Lettre : Schin.

Persévérance, avance solitaire, courage et amour de la vie.

Le problème de la place du Mat au sein du jeu a suscité de nombreux commentaires sans qu’aucune solution définitive soit apportée. Souvent nu­mérotée 0, la carte peut être placée avant le Bateleur. D’autres prétendent au contraire qu’elle vient en dernier, qu’elle est une sorte de conclusion des Tarots. Certains estiment qu’elle est la XXIe carte du jeu et que le Monde devrait être l’Arcane XXII, puisque Schin est la vingt et unième lettre de l’alphabet hébreu et Thau la dernière. Il y a enfin ceux qui, se basant sur de savants calculs, affir­ment que les Arcanes majeurs ne doi­vent comporter que trois fois sept cartes, et excluent le Mat du jeu. Nous pensons pour notre part que le Mat étant un symbole de l’homme, de son destin sur terre, il englobe et résume toutes les cartes des Tarots, et se superpose en fait à leur totalité. Toutes les places lui conviennent, il est le début et la fin, et s’il n’est évo­qué ici qu’en dernier, c’est en raison de l’importance primordiale qui lui est reconnue.

Un homme en marche, les yeux tour­nés vers le ciel, comme ceux des aveugles de la Parabole de Bruegel. Il porte un baluchon sur son épaule, il est armé d’un bâton. Un chien s’ac­croche à ses basques et déchire son vêtement. Mais il ne le remarque mê­me pas et poursuit son avance soli­taire.

Le mot « Mat » inspira d’érudits commentaires. Une origine arabe (ou hébraïque) a été avancée : mat, qui signifie « mort » et que l’on retrouve aux Échecs dans la position du roi acculé à la mort. Ou latine (matus), celle d’un or mat, qui n’a pas d’éclat. Plus simplement, en italien, maso si­gnifie fou…

Certains jeux proposent également une appellation différente : le Mat, le Fou, est alors le Bohémien vagabond ou le Juif errant.

La Folie [5] du Mat est moins patho­logique que métaphorique. Le Mat est le symbole, ironique sinon amer, de la destinée humaine, de nos désillusions et de nos errances. Sa folie n’est pas un mal : elle lui permet de supporter les coups du sort, les épreuves et les peines (représentées par le chien) et de ne pas s’abandonner au désespoir, « qui serait folie beaucoup plus gran­de ». Elle est insouciance, philosophie et optimisme.

Le Mat est l’éternel voyageur, le Juif errant : il nous conte l’histoire d’un voyage (celui de Sindbad ou celui d’Ulysse), d’infinies pérégrinations, des tourments et des rencontres, au terme desquels il rejoindra, peut-être, l’île qu’il espère, un havre de repos, la paix intérieure, Ithaque ou Jérusalem.

Le Mat est armé d’un bâton, sceptre ru­dimentaire, à la fois instrument de dé­fense et soutien, symbole de sa vo­lonté, de sa ténacité, de son courage. Il porte un petit baluchon : le poids de ses expériences, son passé, son savoir, la totalité des connaissances humaines — bien peu de chose pour résoudre les problèmes de l’existence, de l’Être ou de la vie…

La caractéristique essentielle du Mat est son avance incessante, sa marche (sa quête) éternelle. Une phrase de Bossuet nous restitue peut-être ses sentiments (ses doutes, son angoisse) : « Si je jette les yeux devant moi, quel espace infini ou je ne suis pas ! si je les retourne, quel espace infini où je ne suis plus, et que j’occupe peu de place dans cet abîme immense du Temps ! Je ne suis rien… On ne m’a envoyé que pour faire nombre : encore n’avait-on que faire de moi, et la pièce n’en aurait pas été moins jouée, quand je serais demeuré derrière le théâtre. » (Sermon sur la mort.)

La leçon du Mat (comme celles des Tarots) est faite d’humilité et d’hu­mour, peut-être de patience, certaine­ment d’amour et de courage.

Sa progression infinie ne s’arrêtera qu’avec le monde…

« Tout ce que je sais c’est que je dois faire ma valise, et que les déserts sont grands, et que tout est désert, et aussi une espèce de parabole là-dessus, mais je ne m’en souviens plus… »

ALVARO DE CAMPOS (4 OCT. 1930).

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1 « Au commencement Il créa. »

2 Le gant, symbole de pureté, insiste sur la hauteur des vérités que détient le Pape.

3 Le Samech moderne ressemble peut-être à un serpent, mais la graphie primitive de la lettre était tout autre.

4 Emeth (vérité) a Aleph pour initiale et Thau pour finale. C’est à l’aide de ce mot, dit-on, que le Rabbi Loew de Prague donnait vie à son Golem.

5 On a remarqué que son costume était celui d’un bouffon, d’un comédien ambulant, orné de cloches et de grelots.