(Revue Synthèse. No 230-231. Juillet-Août 1965)
Depuis plusieurs décades, les connaissances humaines, la science, les inventions ont connu une expansion d’allure explosive. Depuis un certain nombre d’années, on met au point, on construit, on invente plus de choses en l’espace d’une décade qu’on ne le faisait autrefois en un millénaire.
Cet incontestable triomphe de l’intelligence humaine a fait naître, dans l’homme, un orgueil souvent justifié mais qui, malheureusement, a une tendance à outrepasser les limites que la raison voudrait lui imposer et qui lui donne l’illusion d’être devenu le maître absolu de l’univers, un dieu capable de tout inventer, de tout créer, de tout dominer. Se croire dieu fait courir de graves dangers à l’humanité, menace son équilibre moral tout entier et pourrait la conduire vers les abîmes des pires aberrations, des pires tyrannies. C’est le balai incontrôlé de l’apprenti sorcier.
Aussi est-il grand temps de réagir à cette menace.
Les domaines où l’homme est le plus souvent tenté de se croire dieu sont ceux de la biologie et des machines. La biologie, car ses découvertes les plus récentes, notamment en ce qui concerne les codes génétiques, donnent aux savants l’illusion de « créer la vie en laboratoire », d’être en état d’orienter l’évolution de l’espèce humaine comme bon leur semble, de réaliser bientôt la synthèse d’un surhomme; le domaine des machines dont les constructeurs se voient déjà capables de construire des complexes d’engins plus efficients, plus intelligents que l’homme, engins qui façonneront notre habitat terrestre, si pas l’univers tout entier, selon les normes les plus idéales, les plus audacieuses, les plus fantaisistes, au gré de la science-fiction.
Déjà on parle de « monstres ou de génies créés en laboratoire », de « robots vivants », de « générations de robots », de « civilisation de machines », expressions issues parfois d’expériences authentiques mais qu’on a interprétées dans un sens tout à fait erroné.
Le but de notre étude est, avant tout, de tenter de mettre les choses au point en situant, dans un cadre objectif, réel et juste, les relations qui existent et qui pourront exister entre l’homme, la biologie et les machines.
Toutefois, en analysant ces relations, on ne peut pas s’empêcher de constater un fait inattendu et quelque peu troublant: C’est que l’on trouve entre la genèse de l’homme par la Nature (contentons-nous, pour le moment, de cette appellation de mystérieuses énergies cosmiques dont nous vous reparlerons plus loin), d’une part, d’autre part entre la genèse des machines par l’homme, certains points de convergence, certaines ressemblances, certains parallélismes dont l’examen présente un très grand intérêt.
L’examen de ce parallélisme et les conclusions qu’il est possible d’en tirer constitueront un deuxième but que nous assignerons à notre étude.
La genèse du monde vivant depuis les premiers gaz inertes jusqu’à l’homme
A l’époque la plus reculée de l’histoire de notre globe terrestre dont l’écorce solide venait à peine de se former, il n’y avait, autour de la terre, qu’une atmosphère étriquée, composée de matières gazeuses élémentaires: hydrogène, azote, vapeur d’eau, anhydride carbonique, méthane.
Ces matériaux primitifs — nous l’avons vu dans une étude précédente [1] — ont évolué, en plusieurs étapes, tout d’abord jusqu’aux matériaux constructifs du monde vivant: les macromolécules (protéines et acides désoxyribonucléiques) grâce à l’intervention d’une série de facteurs, températures, pressions et radiations opportunes, catalyse et autocatalyse et surtout grâce à cette mystérieuse impulsion cosmique vers le groupement, l’association et l’organisation de toutes les unités semblables existant dans l’univers, impulsion à laquelle on doit la synthèse, la constitution, la conservation et la stabilité de cet univers.
Les macromolécules étant constituées, celles-ci ont servi à l’édification du monde vivant qui a évolué jusqu’à l’homme grâce à l’apparition de nouvelles impulsions et d’énergies naturelles beaucoup plus diverses et complexes que celles qui sont intervenues dans la synthèse des macromolécules.
Nous avons montré également que tout ce vaste mouvement d’évolution, échelonné sur des milliards d’années, a été réalisé, en ordre principal, par le travail des électrons, ces petits messagers et constructeurs-miracles qui obéissent, soit à des ordres raisonnés émanant directement de la Nature ou bien inscrits dans les arcanes mystérieux et incroyablement complexes des codes génétiques, soit à des émanations de champs de force-volonté émis par les unités et complexes vivants.
Le psychisme cosmique
Or, il faut admettre que les électrons n’ont pas mis à exécution ce vaste programme de construction et d’évolution de leur propre initiative. Tout ce qui est bâti, tout ce qui agit et tout ce qui évolue dans le monde, dans les matières comme dans les créatures vivantes, tout est raisonné, non seulement en ce qui concerne la conception et le principe, mais encore en ce qui concerne l’exécution de cette gigantesque synthèse.
Ainsi, regardez la plus primitive des créatures vivantes: un ver, un mollusque ou même un virus, regardez le moindre détail d’un organisme vivant: un œil, une patte, un pétale, une feuille, regardez même un simple cristal ou un alliage de métaux nobles: tout ce qui les compose, les a mis en place, les fait tenir ensemble, croître, subsister, tout ce qui assume une fonction opportune à tous leurs détails constructifs, tout ce qui a motivé leur forme, leur structure, leur manière de se comporter, tout sans exception est le résultat d’un raisonnement suivi d’une décision puis d’une action raisonnée et cette action est toujours exécutée par l’intermédiaire des seuls électrons grâce à leur faculté d’obéir à une commande intelligente, immatérielle, de traduire cette commande en déplacements matériels ou bien en réactions mécaniques ou chimiques en brodant de nouvelles arabesques autour des atomes et des molécules, en modelant la matière, en l’organisant d’une manière inédite!
Or: raisonner, prendre une décision, agir, n’est-ce point là la caractéristique fondamentale du psychisme de toutes les créatures et, en particulier, de l’homme ?
N’est-on pas obligé d’admettre que, par analogie, il doit exister un psychisme naturel, un psychisme de la nature, un psychisme cosmique, beaucoup plus intelligent au point d’être pratiquement omniscient, beaucoup plus puissant que le psychisme humain et très supérieur à ce dernier étant donné que grâce à un travail laborieux effectué pendant des millénaires et encore des millénaires, c’est ce psychisme cosmique qui a créé l’homme et le psychisme de l’homme.
Ce raisonnement, simple et clair, ne fait intervenir aucun postulatum de caractère philosophique ni religieux. Il découle d’une simple observation de notre individualité et de tout ce qui nous entoure.
Le psychisme cosmique ne doit pas être nécessairement assimilé ni à Dieu ni à des divinités ni constituer une manifestation surnaturelle. Il est, avant tout, une propriété de l’univers, une énergie de la Nature qui dépasse de loin tous les pouvoirs psychiques de l’homme. C’est aux philosophes et aux religieux qu’il appartient d’en pénétrer l’essence et de tirer les conclusions de son existence [2].
La « machine » électronique humaine
Grâce à une électronique d’une merveilleuse conception et d’une complication à peine concevable, l’homme perçoit les « signaux » du monde qui l’entoure, les interprète, prend des décisions et les fait exécuter par ses organes métaboliques et moteurs [3].
Pour bien comprendre les similitudes qui existent entre certains mécanismes de l’homme et de la machine, il est nécessaire de mettre l’accent sur la structure principielle du petit microcosme électronique qui permet à l’homme de percevoir le monde extérieur, de réfléchir, d’avoir de la mémoire et de faire agir ses muscles-moteurs.
De même qu’en ce qui concerne les rapports entre le psychisme de la Nature et la matière animée, le seul trait d’union entre l’univers et le psychisme de l’homme, d’une part, le psychisme de l’homme et l’univers, d’autre part, est l’électron. Le psychisme humain, pour des motifs qui dérivent sans doute de la physique des particules élémentaires, est totalement insensible, par voie directe, à tous les « signaux » émis dans la nature, à l’exception des pulses électroniques: insensible aux photons (lumières, couleurs), aux vibrations moléculaires (son, odeurs), à l’inertie des objets, à la chaleur, au froid, au magnétisme. Tous ces « signaux » doivent tout d’abord être transformés en pulses d’électrons avant de pouvoir être captés par les neurones de notre complexe mental. En sens inverse, toutes les décisions de notre complexe mental doivent être transformées en pulses d’électrons avant d’être en état de libérer les petites énergies qui mettent en mouvement nos muscles moteurs ou qui règlent notre métabolisme.
Dans le but de pouvoir comparer certains rouages des mécanismes qui opèrent la liaison entre le monde extérieur et l’homme, d’une part, le monde extérieur et la machine, d’autre part, il est nécessaire de décomposer ces mécanismes en unités fragmentaires ayant des fonctions analogues.
En ce qui concerne l’homme, la décomposition peut s’effectuer en 3 unités principales comprenant chacune des milliards de cellules, de fibres musculaires et de neurones, unités qui sont:
— L’unité des organes de réception ou « input unit ».
(Nous utiliserons dès à présent des expressions anglaises, dans la perspective d’une comparaison ultérieure entre l’homme et les machines.)
La « Input Unit » de l’homme est formée de deux groupes d’organes. Elle est destinée à transmettre à notre cerveau tous les « signaux » émis par le monde ambiant et captés par nos sens. Cette transmission s’effectue en deux étapes:
a) Réception de signaux: lumières, couleurs, bruits, odeurs, goûts, chaleur, froid, et transformation instantanée de ces signaux en pulses électroniques par les organes « transducteurs » [4] de nos sens: les yeux, les oreilles, le nez.
b) Réception, par un complexe opportun de milliards de neurones, des pulses d’électrons envoyés par la rétine, le tympan, le nez, en passant par un réseau très complexe de fibres nerveuses. Transduction des pulses d’électrons en stimuli psychiques, en images et représentations mentales envoyés instantanément sur la ligne de garage de la mémoire.
— L’unité centrale ou de « computation » [5] central unit y compris la mémoire.
La « computation » par le cerveau comprend la pensée, les raisonnements, les opérations mentales de toutes les espèces et les décisions prises à la suite de ces computations. Les organes de computation, complexe de plusieurs milliards de neurones, sont conjugués avec la mémoire, autre complexe de milliards de neurones.
Comme dans les machines (voir plus loin), les computations mentales s’opèrent exclusivement à partir de la mémoire, au moyen de représentations mentales extraites tout d’abord des réserves mnémoniques. Chaque groupe de computations donne lieu à une décision transmise aussitôt, le long des fibres nerveuses, vers nos organes d’exécution.
— Unité d’exécution, de sortie ou output unit.
Tout comme dans l’unité d’entrée, l’unité de sortie travaille en deux étapes qui sont:
a) « Transduction », par des neurones, des stimulis mentaux (résultats des computations, des pensées, des décisions mentales) en pulses d’électrons.
b) Deuxième transduction des pulses d’électrons en processus chimiques, calorifiques et mécaniques faisant agir notre métabolisme et nos muscles moteurs.
La classification précédente des principaux mécanismes de la psyché humaine n’est évidemment que principielle, incomplète et rudimentaire. En réalité, tous les mécanismes sont infiniment complexes et emmêlés. Notre classification n’a d’autre but que de préparer l’analyse des mécanismes des machines que l’homme s’est efforcé d’imiter en copiant les fonctions de ses propres organes.
Les machines
L’homme possède un cerveau qui réfléchit et décide et un corps qui exécute les décisions du cerveau. Depuis des temps immémoriaux, l’homme s’est efforcé de copier les différents mécanismes de son corps et de son cerveau. Le corps étant moins compliqué et mystérieux que le cerveau, ses efforts se portèrent tout d’abord sur la reproduction artificielle de quelques-unes de ses activités mécaniques : se déplacer, soulever des poids, confectionner des objets. Ce fut sans doute cette préoccupation qui inspira l’invention de la roue, du chariot, des différents dispositifs de levage, du métier à tisser puis des innombrables machines de toutes les espèces de l’ère moderne.
D’autre part, les principales activités du cerveau ne le laissèrent point indifférent. La mesure du temps, le comptage et le calcul furent les premiers objectifs inspirés par le travail cérébral qui donnèrent naissance aux sabliers, aux horloges, aux bouliers, aux machines à calculer et enfin aux ordinateurs.
Finalement l’idée vint aux inventeurs de faire fonctionner les machines sans intervention directe de l’homme. Ce fut l’amorce des machines complètes: corps-cerveau, capables de fonctionner selon un programme ou un code établi d’avance et dont les premiers échantillons furent les carillons munis d’un tambour à plots, les boîtes à musiques et, plus tard, les pianos mécaniques, les gramophones, les magnétophones; dans le domaine non musical ce furent, au XVIIe siècle, les métiers à tisser reproduisant des étoffes à l’aide d’une bande perforée puis, à notre époque, toutes les machines à marche automatique (automation).
Tout récemment, la découverte de l’électronique permit aux machines imitant les activités de la pensée humaine de prendre un essor vertigineux et c’est ainsi que furent construits, il y a relativement peu d’années, les premiers ordinateurs, les premières machines capables d’effectuer des computations.
La machine complète
La machine complète est celle qui, à l’exemple de l’homme, comporte un cerveau et un corps. Le cerveau électronique enregistre des signaux et en fait la computation et le corps mécanique exécute les décisions qui résultent des computations.
Les premières machines complètes furent les ascenseurs électroniques, les avions sans pilote et les ateliers entièrement automatisés.
Une machine complète, par exemple un atelier automatisé comprend tout d’abord les dispositifs qui recueillent, dans tous les recoins, des « signaux » destinés à être computés ainsi que les câblages qui véhiculent ces signaux vers le cerveau électronique ou ordinateur, ensuite l’unité centrale qui exécute la computation de ces signaux et enfin les câbles et dispositifs qui transmettent les décisions de l’ordinateur à tous les organes de stockage et de distribution des matières premières ainsi qu’à toutes les machines qui travaillent dans l’atelier.
Les câblages et dispositifs d’adduction des signaux à computer et distributeurs des signaux résultant des computations étant sans intérêt pour notre étude, nous nous occuperons tout spécialement de l’ordinateur ou cerveau électronique proprement dit.
La computation
Avant de continuer notre exposé, nous nous proposons d’expliquer la signification d’un terme que nous avons déjà utilisé et qui reviendra souvent dans le texte: « computer ». Nous ne prêtons à ce mot ni la signification du dictionnaire: « supputer » ni la signification anglaise: « calculer » qui est trop restreinte, à notre avis.
« Computer » doit exprimer, en ce qui concerne les ordinateurs, quelque chose d’analogue à la réflexion de notre cerveau. La computation, telle que nous la concevons, comprend non seulement le calcul mais aussi toutes les opérations dites « logiques » que l’ordinateur est capable d’accomplir: comparaisons, moyennes, classements, probabilités. La computation comprend par conséquent toutes les opérations de calcul: additions, soustractions, multiplications, divisions, racines carrées, sinus, cosinus, et de plus, toutes les opérations de classement, comparaisons, moyennes, probabilités, faites à l’aide de renseignements « logiques » (non numériques), ce qu’en anglais on appelle « data processing » ou « manipulation de renseignements ».
Afin de mieux illustrer le concept de la computation, nous détaillerons, ci-après, un exemple de computation:
Au carrefour de deux ou plusieurs artères d’une ville, on a placé 6 groupes de feux de signalisation ou même davantage, chaque groupement comportant plusieurs poteaux portant chacun 3 lumières: rouge, orange, vert. Chacune de ces lumières s’allume et s’éteint et chacune de ces périodes d’allumage ou d’extinction doit être calculée selon les besoins de la circulation. Il y aura par conséquent 6 x 3 x 2 = 36 périodes d’allumage ou d’extinction des groupes de feux à calculer. Le problème posé est la détermination la plus opportune de ces 36 périodes.
Or, chaque période dépend d’un grand nombre de facteurs qui sont notamment: le nombre d’autos qui, pendant un temps donné, traversent chaque artère dans un sens ou dans l’autre, le nombre d’autos qui bifurquent dans toutes les directions, le temps moyen que prennent les autos pour traverser le carrefour dans chaque direction et pour bifurquer, ensuite les mêmes facteurs se rapportant aux piétons. Lorsqu’on aura brassé, comparé, ordonné, manipulé toutes ces données, on fera des comparaisons et des moyennes, par heure ou par demi-heure en assignant un « poids » (nombres représentatifs de l’importance, dans le calcul des moyennes) aux heures de pointe et aux heures mortes. Finalement, on fera de nouvelles moyennes par mois ou par saisons.
Pour être en état de tirer des conclusions acceptables de cet imbroglio de chiffres et de données chiffrées ou « logiques », il sera nécessaire d’effectuer un nombre imposant de calculs et de déterminer les valeurs d’un nombre imposant d’inconnues. Ces calculs seront effectués à petits pas (itération), par approximations successives, en faisant des comparaisons, en résolvant un grand nombre d’équations et finalement on trouvera, pour les périodes des feux, une série de moyens termes qui représenteront les moins mauvaises solutions qui concilieront les différents aspects de la question.
Mais ce n’est pas fini : le problème devra être remis en chantier afin d’accorder les périodes des feux du carrefour considéré avec celles des carrefours précédents ou suivants.
Sans l’aide des ordinateurs, une équipe de calculateurs devrait travailler pendant plusieurs mois pour effectuer les calculs imposés par les considérations précédentes. Exécutés en faisant usage d’un ordinateur moyen, les solutions seront trouvées après un peu plus d’une heure de calculs (en 1965).
L’ensemble des opérations du genre que nous venons de décrire correspond assez bien à un « raisonnement » mental et c’est ce que nous appellerons une « computation ».
Mécanismes d’un ordinateur
Un ordinateur est composé, en principe, de 3 unités principales qui sont: L’unité d’entrée ou « input unit », l’unité centrale ou « central unit » et l’unité de sortie ou « output unit ».
L’unité d’entrée est le complexe d’appareillages auquel aboutissent toutes les lignes électriques qui véhiculent les signaux venant de l’extérieur et dont l’ordinateur opérera la computation. Ces signaux peuvent être des indications de températures, de pressions, d’humidité, d’éclairage, de vitesses de machines, de charges sur une balance. Ils peuvent aussi, surtout pour les calculs, être les renseignements portés sur un code et qui se rapportent à une opération « programmée » d’avance. Ils peuvent également être de simples courants électriques déclenchés par un bouton d’appel, l’interrupteur à faisceau lumineux d’un escalator, une balance qui appuie sur un contact au passage d’un véhicule sur une plateforme.
Tous ces signaux seront soit « computés » directement, soit envoyés, préalablement à toute computation, dans une mémoire d’où on les retirera à bon escient. Toutefois la computation directe, sans passage préalable par la mémoire tend à disparaître. Les systèmes à computation directe sont des systèmes primitifs, rudimentaires, dérivés des vieux systèmes mécaniques.
Dans les systèmes plus perfectionnés, à mémoire, le rôle de l’unité d’entrée est double, à savoir:
a) Envoyer les signaux de réception sur une ligne de garage de la mémoire, dans un endroit approprié afin d’être accessibles en temps opportun (« adresse » du signal).
b) Opérer suivant les instructions d’un code en retirant un signal de la mémoire (adresse) et en donnant, à l’unité centrale de computation, les « instructions » nécessaires en ce qui concerne la manière de computer le signal retiré de la mémoire (addition, multiplication, comparaison, renvoi dans un autre endroit de la mémoire) .
De ce fait, les codes sont des suites d’indications doubles contenant les renseignements qui permettent de trouver un signal dans la mémoire (adresse) et qui commandent la computation opportune de ce signal (« instructions »).
L’unité centrale de computation (central unit) est double et comprend l’unité de computation proprement dite et la mémoire. Ces deux complexes sont toujours solidaires l’un de l’autre et leur action est conjuguée. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, la computation s’opère toujours sur des signaux préalablement garés dans la mémoire. L’envoi des signaux vers la mémoire passe toujours par l’unité d’entrée mais cet envoi peut être fait soit au fur et à mesure du déroulement des opérations auxquelles l’ordinateur est destiné, soit en envoyant préalablement à toute computation en bloc tous les signaux dans la mémoire comme c’est le cas, par exemple, pour les traductions de langues où tous les mots d’une langue ainsi que leurs traductions sont préalablement garés collatéralement dans la mémoire.
Finalement, les résultats des computations sont envoyés, sous forme de pulses d’électrons, vers l’unité de sortie dont le rôle est l’utilisation des résultats des computations.
L’unité de sortie ou output unit transforme les pulses d’électrons, qui représentent les résultats des computations de l’unité centrale soit en indications écrites (machine à écrire automatique) soit en pulses électriques destinés, par exemple, à régler la marche des machines d’un atelier, soit même en commandes mécaniques directes. Parfois, les résultats de la computation sont renvoyés vers la mémoire afin d’être computés une nouvelle fois.
Toutes ces opérations exécutées par l’unité de sortie sont commandées par code. Le code, pour des cas simples, peut être remplacé par un dispositif électronique ou même mécanique fixe.
Les codes
L’unité d’entrée envoie les signaux dans la mémoire, les retire de la mémoire et fait agir l’unité centrale. L’unité de sortie traduit les pulses envoyés par l’unité centrale en signes lisibles ou en commandes. Toutes ces opérations ne se font évidemment pas au gré des machines elles-mêmes mais sont conditionnées par une volonté humaine à l’aide des codes.
Les codes, à l’heure présente, sont encore très primitifs. Ils exigent au moins deux indications par signal et une opération est souvent formée de centaines si pas de milliers de signaux. Les codes les plus usuels sont des suites de cartes perforées, des bandes de papier perforées, des bandes magnétiques ou encore des disques. Quel que soit le système, ce sont toujours des séries d’indications, en général deux par signal: l’adresse, c’est-à-dire l’endroit où, dans la mémoire, est garé le signal et les instructions qui conditionnent l’usage du signal.
Il est vraisemblable que les codes se perfectionneront de plus en plus et qu’on arrivera un jour à constituer, sous un très petit volume, des codes qui règleront entièrement la marche des machines pendant une très longue période.
Comparaison entre les différentes parties constitutives des ordinateurs et celles du complexe mental humain; similitudes et divergences possibilités et impossibilités
Nous ne ferons la comparaison qu’entre les organes de computation: complexe mental et ordinateur, laissant de côté la comparaison du corps humain aux machines mécaniques, comparaison qui, sans aucun doute, accorderait une supériorité écrasante à la machine, malgré l’étonnante complexité de nos muscles et de notre métabolisme.
Commençons, par conséquent, par les deux unités d’entrée.
Celle de l’homme — nous l’avons vu — est formée par tous ses organes sensibles aux « signaux » de la nature: lumières, couleurs, sons, odeurs, chaleur. Ce sont ses sens et leurs organes sont les yeux, les oreilles, le nez, qui sont des « transducteurs » de ces signaux en pulses électroniques, dirigés, ensuite, vers le cerveau.
Dans les machines, les unités de réception des signaux sont formées, comme chez l’homme, tout d’abord de transducteurs de signaux en pulses électroniques, ensuite de dispositifs qui, suivant les instructions des codes, envoient ces pulses vers la mémoire de l’unité centrale. L’unité d’entrée transmet également à l’unité centrale, en conformité avec les codes, l’usage qu’il faut faire des signaux envoyés directement ou retirés de la mémoire.
Pourtant, il existe une différence — d’importance — entre les unités d’entrée de l’homme et des ordinateurs: En effet, l’unité d’entrée de l’homme opère une double transduction, tout d’abord des signaux naturels en pulses d’électrons, ensuite des pulses d’électrons en stimuli psychiques. Cette dernière transduction est opérée par des milliards de neurones. Elle transforme quelque chose de matériel en quelque chose d’immatériel. Nous examinerons plus loin les conséquences de cette double transduction.
En ce qui concerne les possibilités et les rendements des unités d’entrée, la balance penche nettement en faveur de l’ordinateur. Les input units de ces derniers peuvent être conçus de manière à être sensibles à de nombreux signaux ignorés des sens de l’homme: ultrasons, ondes de radar, rayons X, infrarouges, ultra-violets. D’autre part, les input units des machines sont en état de capter n’importe quel signal sur une gamme beaucoup plus étendue que celle qui est accessible à nos sens.
— Les unités centrales et la mémoire.
Examinons, pour commencer les mémoires.
Si, à notre époque, la mémoire humaine l’emporte encore — et de loin — sur les mémoires des machines, en volume, en maniabilité et en diversité, elle leur est déjà inférieure du point de vue de l’exactitude et de la sécurité.
Cela provient surtout du fait que la mémoire humaine procède par pas successifs ou par itération. En extrayant un signal de la mémoire pour penser, contrairement à ce qui se passe dans les machines, l’imprégnation du signal dans la mémoire s’affaiblit car un certain nombre de molécules, imprégnées de ce signal, sont redevenues neutres ou se sont perdues. Cependant, l’image mnémonique, après avoir été utilisée par la pensée, est renvoyée dans la mémoire mais du fait qu’elle a été utilisée, cette image se trouve être quelque peu déformée ou même rendue apocryphe. Toute image mnémonique est, par conséquent, un mélange d’images originelles et d’images utilisées, donc déformées et au plu souvent l’on pense en utilisant une représentation ou une image, au plus elle se déforme. Chacun peut en faire l’expérience: Si vous évoquez un souvenir de jeunesse et si vous le comparez à un document objectif, une photographie par exemple, vous serez étonnés de l’amplitude des déformations.
Or, l’ordinateur peut redonner un signal cent ans après son enregistrement et après un nombre très élevé d’utilisations, sans que ce signal n’accuse la moindre déformation.
Si l’on tient compte du fait qu’avec le progrès de la technique, le volume des mémoires-machines égalera ou dépassera même un jour le volume des mémoires humaines, on est en droit, une fois de plus, de reconnaître la supériorité des machines dans ce domaine.
En ce qui concerne la computation, également, la supériorité de l’ordinateur, à beaucoup de points de vue, ne fait aucun doute. Déjà à notre époque, c’est-à-dire peu d’années après leur invention, les ordinateurs dépassent le travail mental en volume, en précision, en vitesse et en sécurité. La preuve en est donnée du fait que les calculs les plus complexes, relatifs à des constructions, des réacteurs, des fusées, des problèmes divers de toutes les espèces, ne s’effectuent plus que sur ordinateurs.
Si l’on tient compte ici aussi, des perspectives de progrès techniques à venir, l’ordinateur, c’est-à-dire la machine a gagné la course en ce qui concerne la mémoire et la computation.
Finalement, en ce qui concerne les unités de sortie, un raisonnement simple, analogue aux précédents, montrera que les machines accomplissent des performances supérieures à celles du cerveau humain. Si toutefois, on tient compte de l’invraisemblable complication des organes, de la musculature et du métabolisme humains, on peut affirmer qu’il faudra encore beaucoup d’années avant que la machine ne rattrape ou dépasse le cerveau humain en finesse et en complexité.
(à suivre)
[1] Teilhard de Chardin, Melvin Calvin et l’origine de la vie sur notre terre. – Éditions Universitaires, 1964.
[2] Notre étude devant intéresser les croyants aussi bien que les incroyants, nous ne prendrons point position dans cette question.
[3] Le sujet est développé dans le n° 217-218 (juin-juillet 1964) de la revue « Synthèses ».
[4] Transduction: transformation d’un signal en un signal d’une autre espèce.
[5] Computation signifie « opérations logiques » faites sur des signaux: calculs, comparaisons, statistiques, probabilités. Nous expliquerons cette expression en détail plus loin.