Le grand acteur Terence Stamp raconte ici sa rencontre avec Krishnamurti et son impact sur lui. Cette rencontre lui a ouvert de nouveaux horizons insoupçonnables. Nous avons rencontré Stamp lors d’une retraite avec Jean Klein au début des années 1990… T. Stamp a parlé plus longuement de ses rencontres dans son autobiographie The Ocean Fell into the Drop: A Memoir (2017) et dans une conférence disponible sur youtube (Août 2018)
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Traduction Libre
J’ai rencontré Krishnamurti pour la première fois à Rome en 1968, alors que je travaillais sur un film avec Federico Fellini, le grand réalisateur italien. Je ne parlais pas italien, il m’avait alors donné une interprète, qui était aussi son astrologue personnel. Un jour, elle m’a dit : « Vous avez été invité à déjeuner avec Krishnamurti ? »
J’ai dit : « Qui est Krishnamurti ? »
Elle répondit, à voix basse, comme si je devais le savoir : « Eh bien … tu sais … c’est Krishnamurti. »
J’ai lui demandé : « D’accord, est-il un réalisateur ? »
« Non, non !, dit-elle, c’est un sage. »
Maintenant, j’avais 27 ans et déjà célèbre, mais je n’étais vraiment qu’un filou de l’East End. Le seul sage (sauge en français) que je connaisse est la farce que ma mère préparait à la maison pour nos rôtis. Néanmoins, j’étais assez intéressé pour participer à cette soirée. Ce n’est que des années plus tard que j’ai appris comment j’y suis parvenu.
Fellini avait un scénario fantastique qu’il voulait tourner. Cependant, il manquait d’argent, il a donc demandé de l’aide à Vanda Scaravelli, éminent professeur de yoga et personnalité de la société bien connectée. Elle connaissait Krishnamurti et Fellini a demandé à être présenté à lui la prochaine fois qu’il se trouverait à Rome, pensant, je crois, qu’il pourrait peut-être lui fournir un financement.
Quelques mois plus tard, Krishnamurti était en ville et elle leur avait donné rendez-vous. Quand Fellini apprit que Krishnamurti aimait les films, il assembla en hâte environ 15 minutes du film que lui et moi étions en train de tourner. Il les lui montra pour briser la glace et, apparemment, une fois le court métrage terminé, Krishnamurti a déclaré : « J’aimerais rencontrer ce garçon ! » (c’est-à-dire moi), et c’est pourquoi j’ai été invité à déjeuner.
Quand je suis arrivé, la place était bondée, mais je me suis quand même retrouvé à une table en face de Krishnamurti lui-même. Nous n’avons pas parlé du tout. Mais, comme je le regardais, il baissa continuellement les yeux par politesse. Je me souviens d’avoir pensé que je n’avais jamais rencontré quelqu’un comme ça. C’était très inhabituel. Puis, après le déjeuner, il répondait aux questions des représentants de la presse et son secrétaire, Alain Naudé, est venu vers moi et m’a dit : « Voulez-vous aller faire une promenade avec Krishnamurti ? » J’ai répondu oui.
Alors, lui et moi sommes sortis pour cette longue promenade dans la banlieue de Rome. Et n’ayant pas eu le courage de lui parler pendant le déjeuner, je ne pus soudain plus m’arrêter de bavarder. À un certain moment de la promenade, nous nous sommes arrêtés il posa sa main sur mon bras et dit : « Regarde cet arbre. » Et j’ai regardé – c’était un arbre. Je l’ai regardé. Il a souri. J’ai souris. Nous continuâmes à marcher. J’ai continué à parler. Dix minutes plus tard, il m’a encore arrêté et m’a dit : « Regarde ce nuage. » Et j’ai regardé – encore ce nuage. Ce n’était pas spécial, pas éclairé de l’intérieur ou quelque chose comme ça : c’était un nuage, c’est tout. Nous continuâmes notre marche et j’ai continué à parler.
Ce fut ma première rencontre avec Krishnaji. Cependant, je n’ai jamais été le même après cette réunion. Quelque chose avait changé. Il m’a fait quelque chose que j’ai compris des années plus tard : il a utilisé sa présence pour mettre en pause ma propre pensée. Et quelque chose de l’intérieur a commencé à percer en moi.
À partir de ce moment-là, chaque fois que je voyais qu’il donnait une conférence, j’essayais d’y aller et de la même manière, il essayait toujours de s’assurer que j’étais invité. Souvent, je ne comprenais pas vraiment ce qui se disait, mais à mon insu, j’étais en train de me raffiner. Lors de conversations ultérieures, la même chose se produisait : nous commencions par parler de choses matérielles telles que les chemises et les chaussures, mais un changement se produisait. Son ton de voix ne changeait pas nécessairement, mais quelque chose de subtil avait lieu. Je ne peux que comparer cela aux paroles de Cole Porter : « Comme il est étrange de passer de majeur à mineur. » Il m’a fallu peut-être 15 ans pour comprendre des énoncés tels que : « Quand l’aigle vole, il ne laisse aucune trace » et « L’observateur, c’est l’observé ».
Je n’étais peut-être pas sûr de ce qu’il disait, mais il y a toujours eu ce changement.
Terence Stamp