(Revue Le Lotus Bleu. No 4. Avril 1971)
On peut dire que l’homme travaille entre deux pôles. L’un est la Nature : sa Mère de qui il reçoit un corps analogue à celui des animaux sub-humains, et aussi les zones les plus basses de son mental, le lieu de l’instinct. Une grande partie de ce mental reste inconscient. Vraiment c’est le véritable subconscient, faisant partie du mental inconscient total. Cela appartient au champ que nous pouvons appeler celui de la terre, ou de la lune, mère de la terre. L’autre pôle contient le mental conscient et cette partie de l’inconscient que nous pouvons appeler le super-conscient, entendant par là les facteurs latents qui, tout comme le subconscient ne sont jamais entrés dans le champ conscient. C’est le domaine solaire. On peut concevoir une espèce des énergies invisibles comme s’élevant de la terre et l’autre comme descendant sur terre d’en haut. L’une selon L’expression de Fausset dans The Flame and the Light est la flamme, le facteur énergétique, l’autre est la lumière, le facteur qui guide et par degrés, contrôle la vie humaine.
On peut partager les pratiques « occultes » – la magie – entre les deux. Il y a la magie primitive, lunaire – terrestre, et il y a, comme je l’ai indiqué la magie solaire. Celle-ci sera toujours bénéfique. Mais la magie du primitif, qu’on la trouve dans une tribu sauvage ou chez des gens cultivés, peut être n’importe quoi, depuis la malfaisance jusqu’à quelque chose de très bon. C’est de cette magie que nous nous occupons ici, quoique, comme l’électricité ou n’importe quelle énergie naturelle, les forces ne soient en elles-mêmes ni bonnes ni mauvaises. Tout dépend de l’intention de celui qui s’en sert.
Comment opère cette sorte de magie ? Tout d’abord il faut que l’opérateur ait appris quelque chose de la science d’utiliser les énergies terrestres et de les diriger vers ce qui touche à une personne : sa famille, son bétail, etc… mais ces forces ne peuvent entrer que s’il y a une ouverture pour elles, et c’est ici que le psychiatre et ses explications entrent en scène.
Si on pense à l’humanité collective, on peut par analogie la voir comme quelqu’un qui nage ou flotte sur le vaste océan de la vie naturelle, dont la conscience de masse est en grande partie assoupie inconsciente. On le constate par les désirs des hommes et la pensée négative qui consiste à suivre la foule et à partager ses vues sans avoir pensé par soi-même. L’homme moyen a de l’eau jusqu’au cou. Chez le primitif, seul peut-être le sommet du crâne dépasse. De plus avancés auront les épaules à l’air et certains n’auront peut-être de l’eau que jusqu’à la taille. L’homme complet seul est debout sur le rivage, avec l’eau à ses pieds. La magie « solaire » l’atteint par les aspects de lui-même qui sont au-dessus de la surface. Mais la magie « terrestre » ou « humaine » peut l’affecter par les parties immergées de son corps – son inconscient. Elle peut, par son côté « mauvais » être d’autant plus efficace qu’il y a chez l’individu lui-même un plus important élément d’obscurité ou de mal – une Ombre puissante.
Le talon d’Achille
Cette Ombre, de plus en plus reconnue comme facteur puissant en psychopathologie, est le talon d’Achille par l’intermédiaire duquel les charmes et malédictions peuvent l’affecter. En bien des cas, la malédiction est la création de l’homme lui-même. L’Ombre, c’est-à-dire les parties inacceptables de sa propre nature, est trop souvent projetée, devient une « forme-pensée » indépendante qui, liée au mental qui lui a donné naissance, agit vis à vis de lui comme une sorte « d’élémental » ou de démon venant de l’extérieur. On peut dire que pratiquement tous les « M. X: » sont produits par le mental des femmes qui sentent leur présence. Ce n’est rien d’autre que l’Ombre en eux-mêmes projetée au dehors et revenant sans être reconnue parce que les victimes ne peuvent ou ne veulent admettre le fait qu’elles portent la responsabilité de son existence. La majorité des paranoïaques et les maniaques de la persécution sont dans un état identique – qu’ils voient leurs persécuteurs sous l’aspect de banquiers, de capitalistes, de juifs, de catholiques, de communistes, de fascistes ou d’entités non physiques. Il n’y a pas besoin de l’action d’un magicien, hypnotiseur ou entité psychique telle qu’un élémental dans l’affaire. Dans la plupart des cas, il n’y en a pas.
Dans la plupart des cas, pourtant il y a certainement des gens, depuis les médecins sorciers de l’Afrique tribale ou des jungles amazoniennes, jusqu’à ceux qu’on trouve parfois dans des villages européens plus développés qui sont des agents pratiques en magie. De telles personnes peuvent envoyer des influences bonnes ou mauvaises vers les individus qu’ils veulent favoriser ou à qui ils veulent nuire. Si l’intention est malfaisante, elle trouve une porte d’entrée dans le côté Ombre de l’individu lui-même. C’est là que se trouve l’accès ouvert dans la structure psychique de la personne, qu’il y a une réponse à l’érotisme ou la malfaisance voulue ; mais ce n’est ainsi que parce que la victime possède en elle-même la même espèce d’impulsions sexuelles ou destructrices. Il y a beaucoup de vrai dans le dicton « qu’aucun mal ne peut toucher le cœur pur » c’est-à-dire la personne qui n’héberge pas des passions, des craintes ou des désirs enfouis.
Cependant nous avons tous des Ombres. D’où la question : Sommes-nous donc dans le perpétuel péril, comme le croient certains, d’être dominés par la sorcellerie ? Ou bien, ce qui est plus grave, pouvons-nous être attaqués par des êtres tels que les adeptes égarés du Satanisme et le Mal général ? Car il y a des êtres parmi nous qui sont aussi délibérément voués au mal que ceux qui s’attachent à ce qu’ils pensent être le Bien.
Bref, y a-t-il quelque chose qui doive nous effrayer ? Nous faut-il prévenir les charmes et les attaques en pratiquant des méthodes appartenant au niveau de la magie primitive ?
Pas de danger
En principe la réponse est qu’il n’y a pas de danger si nous éliminons la peur, car c’est par elle qu’il est le plus facile de céder à une attaque ou d’avoir l’esprit dans la confusion. A la racine des choses la peur est une nécessité pour tout être vivant. Sans elle, il irait au devant de la destruction en se mettant sur le passage d’un train ou en bravant un crotale. Pourtant, à bien considérer la question, la peur n’agit pas seulement là où il y a risque de perdre la vie physique, mais au niveau mental quand notre sauvegarde mentale est menacée. Elle est toujours centrée autour de ce qui est personnel, reflet mesquin de la véritable individualité, dans les niveaux animaux du mental, « l’égo » du psychologue qui donne cohérence à la personnalité.
Mais il y a un autre aspect de la peur, qui nous donne la clé du problème de l’invulnérabilité psychique, c’est d’être conscient de ce qui nous met en danger. Il est peu probable qu’un serpent vu nous blesse ; une croyance à laquelle nous ne nous cramponnons pas, bien qu’elle puisse nous soutenir, ne nous entraînera pas, dans sa chute si elle croule, et, en ce qui concerne notre sujet présent, l’Ombre dont nous avons conscience ne permettra guère à des forces psychiques extérieures et négatives de pénétrer dans le foyer de notre mental pour prendre possession de nous.
Connais-toi toi-même
En d’autres termes, se connaître est, comme toujours la plus grande protection parce que cela nous donne le contrôle des parties jusqu’ici inconscientes de notre être. Si nous étions pleinement conscients de nous-mêmes – ce qui ne peut être réalisé que théoriquement – nous serions parfaitement équilibrés à tous les niveaux et à tous égards, et par conséquent parfaitement à l’abri de toutes les influences fâcheuses, quelques puissantes qu’elles soient. Mais nous n’en sommes pas encore là, et ne pouvons y arriver avant longtemps. (Peut-être ce sont ceux qui se croient « libérés » ou, comme on l’entend dire, « dans leur dernière incarnation » parce qu’ils ont résolu tous leurs problèmes (?) qui courent le plus de danger). Dans l’intervalle nous pouvons être aidés à traverser une crise de notre vie, en recourant aux Sacrements, aux rites, aux mantrams qui invoquent des forces « Solaires » positives de nature spirituelle. Peut-être un véritable exorcisme soulagera-t-il : il y a beaucoup de « psychiques » qui pensent qu’en chassant le mal d’une personne par la prière, etc… ils guérissent le patient (mais que devient le « mal » ? N’est-il pas lâché dans le monde psychique où il peut être une menace pour d’autres ?) Mais ils ne s’attaquent pas à la racine du mal. Ce qu’ils font est comparable à mettre un intrus à la porte et d’oublier que la porte qui lui a donné accès est restée ouverte. C’est à l’habitant de la maison qu’il appartient de la fermer. Autrement dit, même s’il y a de la vérité dans la notion d’invasion psychique, d’obsession, de possession, il est absolument essentiel que la victime comprenne pleinement sa responsabilité dans ce qui lui advient. Plutôt que de se fier au prêtre, au docteur, au saint homme pour être guéri, elle devrait chercher à apprendre de lui comment s’envisager elle-même pour que la difficulté ne puisse revenir.
Résumons : il y a trop de preuves pour qu’on puisse rejeter l’existence des pratiques magiques et de leur efficacité. S’éduquer à se connaître, développer la conscience de soi-même, accepter même les aspects de soi-même qui sont les plus effrayants ou pénibles, sont les meilleurs moyens pour neutraliser les résultats de l’attaque psychique qui vient du dehors. Cela nous montre que le « mal » ne peut pénétrer que s’il y a en nous quelque chose qui lui permette d’entrer ou même qui l’y invite.
La crainte doit se cantonner à sa juste place, c’est-à-dire seulement au niveau physique. En outre, si on imagine que le Diable existe, le meilleur moyen de le traiter est d’avoir le sens de l’humour. Il en est dépourvu et ne peut supporter de ne pas être pris au sérieux.
Notre tâche d’êtres humains est de nous arracher à l’océan de l’inconscience et de ses complications. La cure de tous nos maux est d’écouter l’Oracle de Delphes qui dit : « Connais-toi toi-même ». Se connaître apporte la sagesse qui est plus que le savoir, et avec elle la parfaite sécurité envers toute sorte d’attaque.
Dr. L. BENDIT