René Fouéré
Mutation intérieure

J’ai été sans cesse intrigué par la vie et, par conséquent, depuis toujours j’ai été à la recherche du sens qu’elle pouvait avoir, même si j’ai été entouré de gens qui avaient la conviction de le connaitre et le désir de me l’apprendre, de me le communiquer. L’humanité a pu, depuis des siècles, faire des progrès techniques remarquables, mais ses éléments individuels sont restés agressifs et, dans l’ensemble, douloureux.

J’ai été sans cesse intrigué par la vie et, par conséquent, depuis toujours j’ai été à la recherche du sens qu’elle pouvait avoir, même si j’ai été entouré de gens qui avaient la conviction de le connaitre et le désir de me l’apprendre, de me le communiquer.

L’humanité a pu, depuis des siècles, faire des progrès techniques remarquables, mais ses éléments individuels sont restés agressifs et, dans l’ensemble, douloureux.

Sur cette planète, l’homme possédait de remarquables aptitudes qui lui ont permis de fabriquer des outils, des machines, de créer des sciences. Il a même pu, avec certaines de ses machines, sortir de sa planète natale et s’élancer dans l’espace cosmique ; ce qui, biologiquement, est très original.

L’homme s’est pris lui-même pour un objet qu’il aurait tenu pour perfectible et s’est traité comme un tel objet, au mépris de sa propre conscience.

Cet homme avait pu être un animal technique grâce à sa connaissance du temps, passé, présent ou futur, et, de ce fait, il a pris une préconnaissance terrifiante de sa propre mort

Au cours de mes propres recherches, j’ai eu l’occasion de rencontrer Krishnamurti, qui a été pour moi, à mon jugement, le premier homme planétaire de son temps.

Son enseignement a été très vaste et je ne peux en signaler que quelques aspects majeurs, sans grand rapport avec les vues coutumières.

En particulier, cet enseignement n’avait rien d’ecclésiastique. Krishnamurti n’avait pas l’intention de nous révéler des présences ou des dispositions célestes ; de nous dire ce que nous serions après notre mort.

Il cherchait bien davantage à nous faire découvrir ce que nous étions, nos déformations innées ou apprises, toutes les fables que nous avions ingérées, les histoires improuvables qu’on nous avait contées, par orgueil ou de très bonne foi ; puisqu’à notre naissance, nos parents n’avaient pu s’empêcher de jeter sur nous la vision du monde qu’à tort ou à raison, ils avaient acquise ou adoptée.

Krishnamurti s’est tenu à l’écart de toutes les « révélations » dites « religieuses ». Il ne nous a pas demandé d’honorer ou d’adorer quelque Dieu et, moins encore, de nous prendre pour une entité séparée,

Selon son jugement, nous prendre pour un « moi » solitaire n’est qu’une illusion grandiose. Pour lui, notre conscience n’est qu’un reflet particulier d’une réalité unique et cosmique.
Comme il me l’avait dit lui-même, lors d’un de nos entretiens, « Nous sommes différents, mais non séparés.  » Il tenait le « moi » pour une gigantesque aberration se prenant pour une réalité singulière et autonome.

Il ne nous engageait pas à vivre, séparés des autres, dans quelque « ashram », mais à vivre pleinement dans le moment présent et totalement ouverts à autrui, à la présence d’autrui. Pour lui, toute relation humaine était un processus d’éducation mutuelle.
Pour lui, également, la mort n’était pas, non plus, la négation dangereuse, effrayante, mais une intime composante de la vie.

Reprenant, partiellement et presque textuellement, ce que j’avais écrit en conclusion de mon ouvrage « La Révolution du Réel – Krishnamurti », je dirai :
Si les individus particuliers ont une naissance, une jeunesse, une maturité, un déclin et une mort, le monde qui les entoure ne change pas, ne parait pas connaître cette évolution de l’âge qui les frappe eux-mêmes.

Dans un tel monde, on rencontre à tout moment des êtres jeunes, des êtres mûrs, des êtres souffrants ou joyeux, des êtres sur le déclin, et d’autres qui sont happés par la mort et disparaissent.

Mais, si l’on peut dire, la coloration chronologique moyenne de ce monde ne change pas.

En sorte que si l’être humain n’avait pas le sentiment d’exister isolément, d’être en quelque sorte étranger au monde, ou s’il venait à perdre ce sentiment, ce qu’il appelle aujourd’hui « sa vie » n’aurait plus le sens inquiétant qu’il lui prête. Elle n’aurait plus d’âge, ne serait plus ni jeune, ni mûre, ni vieille, ni menacée de mort.

Il aurait retrouvé une jeunesse d’âme et de conscience sur laquelle l’âge et le temps n’auraient aucune prise.

En d’autres termes, si l’homme cessait de se considérer comme le propriétaire du corps et de la vie qu’il s’attribue, s’il renonçait à ou se délivrait de cette conscience possessive de soi qui l’enferme en lui-même et fait de tout autre vivant un étranger pour lui qui l’isole du reste de l’univers, de ce qu’il appelle l’univers, il deviendrait une conscience, une présence sans âges, il retrouverait à un tout autre niveau sa conscience d’enfant, il entrerait dans le royaume de l’éternelle jeunesse.

C’est sa conscience égocentrique, égotique de soi, sa conscience possessive et, pourrait-on dire, « isolante » ou isolatrice de soi, qui est à l’origine de toutes ses peurs et de tous ses tourments psychologiques.

S’il parvenait à se dégager de son mode de conscience actuel, tout se trouverait, au regard de son sens intime, transformé.

Il entrerait dans une autre dimension de « la » conscience – non de « sa » conscience – et de la vie.

René FOUÈRÉ 1989