Charles Antoni
Pertinences impertinentes. Entretiens avec U. G.

(Revue L’Originel. Été 1996) C. A.: Pourquoi avez-vous tout rejeté en bloc ? U. G.: Les gens qui étaient autour de moi, et qui représentaient les fondations de la pensée indienne, m’ont trompé. Ils ont trompé tout le monde dans leurs croyances d’êtres supérieurs, d’autres états. Ces sages, quand ils me disaient « vous êtes […]

(Revue L’Originel. Été 1996)

C. A.: Pourquoi avez-vous tout rejeté en bloc ?

U. G.: Les gens qui étaient autour de moi, et qui représentaient les fondations de la pensée indienne, m’ont trompé. Ils ont trompé tout le monde dans leurs croyances d’êtres supérieurs, d’autres états. Ces sages, quand ils me disaient « vous êtes comme les autres », ne m’intéressaient pas. Ils ne pratiquaient pas ce qu’ils prêchaient. Quelle dichotomie, dire une chose, et faire l’opposé ! À présent ils éprouvent le besoin de venir me voir ! C’est comme ces politiciens qui disent une chose et en font une autre. Ils disent vous amener des choses différentes, mais à la base, vous restez un produit… entre leurs mains.

Aussi continuent-ils à venir me voir et me disent « vous êtes le vrai », « vous êtes vrai », un pur produit de l’Inde – ou, dit d’une autre façon, d’un très « grand pays ». Je n’accepte pas leurs assertions. Que ce pays produise des gens comme moi puis les proclame « illuminés », est la preuve qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez lui. Si l’enseignement est faux, c’est que les maîtres sont feux. C’est la raison pour laquelle j’ai dû tout rejeter en bloc. Certes, j’ai pratiqué ce que disent les livres. J’ai étudié le Vedanta pour ma maîtrise, et je l’ai rejeté par la suite car il n’y a rien dedans.

Je suis allé en Chine où j’ai étudié à l’Université de Pékin… Un professeur était mon guide. Il me disait que tout avait été totalement détruit en Chine, l’esprit, l’âme, le mental.

Ce que vous dites tue les fondations de la pensée humaine.

Voyez ce que font les maîtres religieux, les psychologues, les scientifiques, les politiciens : rien ! Rien, puisque c’est. Aussi je n’accepte rien, ne propage rien et m’en fiche. Pareillement, je ne vois aucun avenir pour l’humanité si ce n’est un pessimisme glauque. L’espèce humaine a fait plus de mal que de bien. Nous n’avons aucune raison de vivre sur cette planète ; nous devrions en être balayés ! Il n’y a rien que nous puissions faire ! Rien.

Cette croyance que notre espèce a été créée dans un but noble, et que toutes les espèces créées sur cette planète l’ont été pour le profit de l’humanité, est la cause de la tragédie humaine. Je pense que rien ne peut être fait pour inverser le processus qu’ont proclamé les maîtres spirituels qui ont existé auparavant. Tout ce que les maîtres spirituels et tout ce que ces enseignements ont dit – ce qu’avait à dire l’humanité – a encore fait plus de tort.

Je ne tiens pas à libérer qui que ce soit de quoi que ce soit. Les gens ne s’intéressent qu’au confort. Avoir des maîtres religieux donne du confort, c’est tout. Le problème ici-bas est d’affronter !

Que pensez-vous de la notion de bonheur?

J’ai vécu partout dans le monde, ai rencontré des maîtres spirituels, des gens haut placés, des politiciens. La seule chose qu’ils veulent est un bonheur permanent, un plaisir permanent. Le bonheur permanent, le plaisir permanent, est impossible à atteindre. Cet organisme vivant ne s’y intéresse pas. C’est donc automatiquement rejeté. Dans la vie il y a des moments de plaisir, de souffrance, de bonheur, de peine ; l’un sans l’autre est impossible.

Personne ne veut perdre l’espoir d’avoir un jour le bonheur définitif. Ce bonheur qu’on ne peut jamais perdre : aucun moment de souffrance, seulement du plaisir. C’est quelque chose d’impossible ! C’est la raison pour laquelle cela ne m’intéresse pas de libérer qui que ce soit de quoi que ce soit.

Ils peuvent se faire du souci, chercher tant qu’ils veulent. Ce que j’ai trouvé est si différent de ce qui est prêché ! C’est ce que j’ai découvert : prenez-le ou pas.

Ce que j’ai trouvé : sortir de chaque chose, de ce que chacun a pu dire avant.

Ce n’est pas que je proclame être quelqu’un d’extraordinaire. J’ai eu de la chance ! La chance de me libérer des pensées, des volitions. Ce que les gens racontent a été évacué de mon système. Jeté !

C’est quelque chose qu’on ne peut transmettre ?

Cela arrive d’une façon naturelle. C’est pourquoi je peux dire que j’ai de la « chance », non pas dans le sens d’un billet de loterie et l’espoir de gagner des millions et des millions de dollars, mais dans le sens où il n’y a aucune façon de dire que cela est arrivé par ma volonté, mes efforts ou ma pensée. C’est un accident ! J’ai été confronté à quelque chose de radicalement différent de ce que j’avais été éduqué à croire, de ce que je pouvais penser, sentir, et expérimenter.

Voilà pourquoi je dis que ce que j’exprime n’a rien d’original : pas une pensée, pas une sensation, pas un sentiment, pas une seule expérience, dans ce que je raconte, qui soit mien. Je ne peux les appeler miens. Jusque-là, j’expérimentais ce qu’on voulait que j’expérimente. Chaque chose pensée était ce qu’on voulait que je pense. Chaque chose que je voulais était ce qu’ils voulaient que je veuille.

D’où ma question : « est-ce que je veux quelque chose qui ne soit pas ce qu’ils aimeraient que je veuille ? »

Je ne l’avais pas compris à l’époque, et luttais si fort ! Personne n’arrivait à me faire comprendre ce que je voulais : quelque chose de différent de ce que chacun voulait. Autre chose, je n’arrivais pas à me défaire de cette question fausse, de cette idée que je devais réaliser : « Qui suis-je ? » « Pourquoi suis-je ici ? » « Quel est le but de la vie? » Ces questions ne m’intéressent plus du tout !

Quand les gens me demandent pourquoi je suis ici, je suis assez cru dans ma réponse : il n’y a aucune raison merveilleuse pour laquelle je suis ici, je suis ici pour des tas de raisons. Toutes ces questions « Pourquoi suis-je ici ? », « Quelle en est la raison extraordinaire ? » ne m’ont jamais intéressé. Je suis ici. C’est le monde où je suis.

Y a-t-il quelque chose à rejeter ?

Il y a quelque chose de faux dans ces questions. Le système de valeurs des humains qui m’a été imposé est responsable de mes misères. Pourquoi devrais-je m’adapter à un système de valeurs que je trouve erroné ? Vouloir m’y placer est la cause de ma souffrance.

Il n’y a rien que je puisse faire. Courir loin, hors de ce monde, renoncer. Mais il n’y a rien à quoi renoncer : les sannyas en Inde le font, les hippies aussi. Pourquoi devrais-je renoncer ? Pourquoi devrais-je vivre dans une grotte, méditer, pratiquer toutes les techniques dites spirituelles comme je l’ai fait étant jeune, et être pris par toutes ces expériences créées par moi ?

La seule réalité : je vis et fonctionne dans ce monde. On ne peut résoudre ce problème en fuyant, en s’isolant. Ce que j’ai pu trouver doit opérer, fonctionner dans ce monde. C’est la seule réalité pour moi, il n’y en a pas d’autre. Autrement, on ne peut fonctionner. Je suis partie intégrante du monde, il n’y a aucun moyen de m’en isoler : la rébellion contre ce système de valeurs n’a aucun sens pour moi.

Votre pensée semble proche de celle des anarchistes ?

Sans doute, mais je dis : Être anarchiste, c’est un état d’esprit, il n’y a pas d’action. Pourquoi être effrayé ? Tout cela va être détruit, de toute façon. Pourquoi avoir peur de l’anarchie, du chaos ?

Que pensez-vous de ces notions d’ordre et de chaos dont parlent les scientifiques?

Les scientifiques disent que chaos et ordre font partie de l’univers. Ils se soucient de savoir s’il existe un ordre dans cet univers. Qui se soucie de qui l’a créé ? Était-ce un accident ? Dieu l’a-t-il créé ? Je ne me sens nullement concerné ! Cela n’a aucun sens pour moi. Je ne m’intéresse pas aux réponses des scientifiques, à leurs théories. Pour moi un scientifique n’est pas différent d’un métaphysicien. Un scientifique fait une métaphysique d’un autre ordre.

Comment pensez-vous pouvoir faire passer votre message ?

Je le redis, cela ne m’intéresse pas de convertir qui que ce soit à ma façon de voir. C’est ce que j’ai trouvé. Je me veux comme une personne. Je n’ai donc pas d’organisation, ni d’institution. Les gens me demandent pourquoi je n’arrête jamais, pourquoi je voyage sans arrêt. Mais quand je n’ai pas d’argent, j’arrête. Je finirai bien par m’asseoir et me reposer sous un châtaignier sauvage en Inde. Je ne veux rien qui grandisse autour de moi, aucune organisation.

Le problème est que si je m’installe dans un endroit, beaucoup de gens veulent me voir et cela me fatigue. Cette fois, j’ai réussi à empêcher qui que ce soit de venir. Je n’ai même pas répondu au téléphone depuis des jours. Non pas pour pouvoir penser, mais pour les stopper, pour vivre sans gardes du corps. Pourquoi aurais-je besoin de gardes du corps ? Jésus avait-il des gardes du corps ? Certaines personnes haut placées ont des gardes du corps. Pourquoi ? Leur vie est-elle si précieuse ? Parfois le Premier Ministre de l’Inde ou des leaders importants me rendent visite, et me disent : « vous avez besoin de gardes du corps. » Cela ne m’intéresse pas. Si vous voulez un poste élevé, vous devez accepter d’être tué par n’importe quel fou ; c’est un privilège qui est réservé à ceux qui veulent vivre au « top ». Vous ne pouvez avoir l’un sans l’autre ! Peut-être ces gens de la sécurité qui travaillent avec eux ont intérêt à les soutenir pour se soutenir eux-mêmes ? Peut-être ont-ils envie d’être à la place du président? Mais vous n’êtes pas prêts à mourir à n’importe quel moment.

Et ces gens que l’on tue par centaines, par milliers, au Cachemire, pour l’unité du pays ? Pourquoi tuer des gens ? C’est pour cela qu’ils n’aiment pas ce que je dis. Je suis un criminel comme eux, je n’ai donc pas peur des criminels. Je suis un voleur. J’ai volé tout ce qui appartenait à chacun dans ce monde.

Criminel, voleur, peut-on éviter de l’être ? Est-ce le début de la sagesse ?

Un jour, j’ai rencontré Bertrand Russel ; il s’intéressait à la bombe à hydrogène. Il voulait la stopper. Je lui ai demandé : êtes-vous prêt à le faire sans les policiers ? Avez-vous des policiers pour protéger vos propriétés et ce que vous avez volé ? Si vous n’êtes pas prêt, alors, ne demandez pas aux autres de signer la non-prolifération. Vous voulez une position puissante, brûler, faire du chantage, manipuler, enterrer les autres nations ! Allez-y, je n’ai rien contre ! Parce que vous avez des armes très puissantes. Mais n’empêchez pas les autres d’avoir les mêmes armes ; pourquoi voulez-vous qu’ils signent un contrat de non-prolifération ?

Vous voulez dire que rien ne nous appartient ?

Pourquoi voulez-vous que les gens signent un copyright, des droits d’auteur, de propriété intellectuelle ? Vous avez des contrats internationaux de droits d’auteur, pour protéger la propriété intellectuelle internationale. Moi, je ne veux rien.

Chaque mot, chaque phrase, je l’ai prise. Chaque chose, nous l’avons prise ailleurs ; chaque chose que j’utilise, je l’ai piquée ailleurs. Je ne veux aucun copyright. Il n’y a pas de propriété intellectuelle. Rien n’est ma propriété. Ce que je dis est : n’empêchez pas les autres, ils deviendraient vos voleurs ! Les guerres vous ne les gagnerez jamais contre le terrorisme, la drogue, l’âge ! Ce n’est pas dans la nature des choses.

Quelle est votre notion du corps ?

Ce corps est utile pour un seul but : la mort. La mort est une définition. Il n’y a ni mort ni vie pour le corps. Qui définit la vie et qui définit la mort ? Une fois que ce corps est défini comme mort, il est recyclé par la nature. Son rôle est d’enrichir la terre. Voyez ces sols. Ces corps sont utiles pour les enrichir. Et toutes les idées aberrantes que nous allons rejoindre un autre monde, je leur souhaite de réussir. Si vous pensez y arriver, bonne chance ! Voyez ce à quoi nous sommes en train de rêver! Vous perpétuez, vous prolongez l’agonie, vous demandez des choses qui ne sont pas possibles.

Quel est le but de notre conversation ?

Ce genre de conversation n’a pas pour but d’amener l’autre à son avis, à son point de vue. Il n’y a aucun moyen de mener une conversation, à un quelconque niveau de sens, sans que vous pensiez que je veux vous convaincre. Ça ne m’intéresse pas de vous convaincre. Je vous rencontre, c’est bien ; puis au revoir. C’est tout. Ne perdez pas votre temps. Vous êtes tous logiques, intelligents, vous utilisez la logique. Moi aussi, j’ai étudié la logique, la philosophie, la psychologie. Je connais les autres ! Vous utilisez votre logique pour montrer que vous êtes plus logique que moi. Comme des écoliers, comme à l’école, ils essaient de prouver qu’ils sont plus logiques que les autres. J’essaie seulement de montrer qu’il y a un autre aspect. Qu’est-ce que tout ça veut dire ? Que vous êtes plus logique, plus intelligent que moi ? C’est ce que je me disais quand j’étais étudiant, en écoutant mes professeurs de philosophie et de psychologie ! Où ont-ils pris ce savoir ? Je connais les sources puisque je suis allé lire ces livres. Alors, pourquoi les écouter ?

Si vous avez lu dix livres et que j’ai lu seulement deux livres, vous prétendez alors que vous êtes plus intelligent que moi, que vous avez plus de connaissances que moi ! D’accord ! Mais je peux moi aussi lire vingt livres ! Et probablement pendant ce temps vous aurez lu quarante livres ! Voilà ce qui se passe Les conversations entre deux personnes se réduisent à ça, même entre mari et femme, entre un homme et sa fiancée, entre un élève et son professeur. Entre tout le monde ! Le seul véritable but d’une conversation entre deux personnes est d’amener l’autre à faire comme il a envie qu’il fasse. À part ça, il n’y a aucun besoin d’avoir une conversation du tout !

Êtes-vous nihiliste ?

J’ai fait quelques interviews, que ce soit à la TV et à la radio, ou dans la presse, et je me suis aperçu qu’il est très difficile de faire passer au lecteur ou au spectateur ce que j’aimerais faire passer. Les journalistes ne sont pas intéressés : ils réfléchissent avec leur intelligence, ce sont des gens très intelligents ! Ce sont les difficultés que j’ai avec les responsables des programmes de la TV ou de la BBC. On me pose des questions : « Pourquoi n’avez-vous pas changé votre nom, la plupart des gens comme vous changent leur nom ? » On m’appelle un guru, un nihiliste. Pour mon éditeur, le traducteur de mes soi-disant livres – ils ont été traduits en de nombreuses langues – j’étais un nihiliste. En Pologne ils voulaient des nihilistes, ils ont alors traduit ces livres.

Il arrive que des scientifiques veuillent vous rencontrer ?

Les savants disent qu’il n’y a pas d’espace, pas de temps, qu’il n’y a rien ici ; beaucoup de livres disent maintenant qu’il n’y a pas de mental, qu’il n’y a pas de conscience. Le constat est qu’ils n’ont rien de vrai dans leur vie, seulement des théories. Beaucoup d’entre eux viennent me voir, des psychologues ou des scientifiques : « Si ce que vous dites est vrai, nous allons bientôt le découvrir ! Mais comment accepter que vous avez tort ? Ou alors vous pensez que je me trompe. Vous êtes deux, alors, en train de perdre votre temps. » C’est ce que j’ai dit à ce scientifique qui m’a rendu visite. Vous êtes arrivé à la fin du savoir. Vous savez ce que ça veut dire, arriver à une fin ? Et si on regarde le Vedanta, si on regarde d’autres philosophies, vous n’y trouverez pas de réponse. Vous devez trouver une solution à vos problèmes dans ce cadre-ci. Sinon vous allez partir sur une fausse piste avec tous ces gens. Ce ne sont pas les « gens » qui peuvent aider. Vous devez donc trouver les solutions à vos problèmes dans le cadre de la science. Sinon vous loupez…

Quelle idée avez-vous de votre pays, l’Inde ?

Les gens me demandent : « Quel rôle pensez-vous que l’Inde puisse jouer dans le monde ? » L’Inde ne peut avoir aucun rôle dans le monde parce qu’elle n’a aucun rôle économique, aucun pouvoir économique, aucune puissance militaire, or ce sont les choses qui comptent dans ce monde. Votre question fait allusion au fait que l’Inde est un pays spirituel, qu’elle a produit de nombreux sages. Ça ne m’impressionne pas parce que ce pays ne marche pas. Si vous voulez montrer au monde que ce pays a une valeur pour l’humanité, il faut le créer en modèle. C’est la même chose, pour tout un chacun. Regardez Gandhi. Qu’est-ce qui est arrivé à Gandhi ? Sa non-violence ! Je ne touche même pas leur billet de 500 roupies avec mes doigts de pieds : « Pourquoi avoir sa photo sur le billet de 500 roupies ? Ce qu’il a dit n’a pas été opérant… »

Il y a eu beaucoup de violences

Je sais ! J’ai vu de mes propres yeux des soldats britanniques frapper des femmes enceintes dans la rue. Je n’aimais pas les Anglais à cette époque. Et maintenant en Inde, ils font exactement la même chose. La bureaucratie a pris la place de la démocratie. Quelle sorte de spiritualité y a-t-il maintenant ? Vous le savez, puisque vous connaissez l’Inde. Ils sont les plus mercenaires.

Vous avez vécu à Madras ?

Pendant 25 ans. J’ai grandi là-bas, jusqu’à ce que je quitte l’Inde en 1953 ; je n’y suis pas retourné pendant plusieurs années. Je ne sais plus ce qui se passe dans ce pays. J’ai vu le danger hier encore à la télévision. Ils deviennent suicidaires. Tout le monde prend de la drogue, les sénateurs, les membres du parlement ; leurs pratiques sont dénoncées…

Comment répondez-vous à la question « qui suis-je ? »

Je ne peux jamais dire : « Qui suis-je ? » Si vous me demandez qui je suis : je ne sais même pas si je suis vivant ou mort ; si vous me demandez si je suis vivant, alors ma réponse est : « Oui ! » parce que la connaissance que j’ai – cette connaissance privée, « c’est moi, je suis vivant » – c’est par intuition. Sinon, il n’y a aucune façon d’expérimenter si je suis vivant ou mort. Je ne sais même pas si je suis ici, la plupart du temps, je ne fais que sortir du corps…

Vous avez voyagé à travers le monde ?

Je suis allé partout dans le monde, en Amérique, Australie, Nouvelle Zélande, Chine, Russie, et plein d’autres pays, pour voir les gens, apprendre quelque chose sur eux. Ce que je peux dire, c’est que les gens sont exactement les mêmes partout, leurs besoins, leurs désirs aussi. Prenez un chauffeur de taxi ici : qu’est ce qui se passe dans sa tête ? Il est exactement le même que ceux qui sont en France, en Inde, en Russie, en Chine. Le but peut être différent, vous voyez, mais l’instrument qu’il utilise est exactement le même. Tous parlent le même langage. Vous parlez anglais avec un accent français, moi, probablement avec un accent indien, un autre parle avec un accent italien etc. Mais c’est la même chose. Nous parlons tous le même langage, avec des accents différents.

À nouveau, je reformule ma question, que pensez-vous de cette idée de « quête du bonheur » ?

Ce que veulent les gens c’est le bonheur et pas un seul moment de malheur. Vous voyez. Cet organisme ne peut pas garder la même sensation plus longtemps que la durée naturelle fixée par la vie. Quand vous êtes libéré de toutes ces données, c’est une chose extraordinaire qui vous est apportée.

Le corps humain est une chose vraiment extraordinaire ! Il est né avec une intelligence extraordinaire ; rien à voir avec notre intellect. Si on le laisse libre, il peut résoudre n’importe quel problème, vous comprenez? Il peut s’arranger avec n’importe quoi ! Il a pu survivre depuis des millions et des millions d’années. Il a survécu à toute cette pollution ! Il peut survivre ! Que des gens comme moi meurent ça ne lui fait rien ! Il sait comment survivre ! Survivre, pour cet organisme vivant est la chose la plus importante, savoir comment survivre et… comment se reproduire. Ce sont les deux choses d’ici-bas. Il n’y a rien d’autre, toutes ces autres demandes n’ont aucun sens, elles ne sont pas à prendre en compte. Je suis désolé !

Il n’y a donc pas à se faire de souci à ce sujet. Cela rejette la sensation du bonheur, du plaisir. Voilà pourquoi ce que vous appelez plaisir, est la douleur. Vous voulez étendre la vie de toutes ces sensations, les rendre plus durables que le temps naturel de leur vie propre. Voilà la cause de la douleur. Sinon il n’y a pas de douleurs, même la douleur physique est capable de se soigner, elle porte en elle une force de guérison, elle se soigne elle-même, elle soigne sa peine ; mais pas ce que vous appelez « souffrance » qui devient davantage de souffrance. Pour chaque chose, il est possible de se libérer de la souffrance.

Si vous prenez des calmants, cela détruit la possibilité du corps d’arrêter par lui-même la souffrance. Après, ça ne peut plus vous aider du tout. J’ai vu tant de cancéreux mourir. Vous voyez une lente agonie. Après un temps, les calmants n’agissent plus, parce qu’ils détruisent l’immunité du corps qui devrait guérir la douleur de lui-même. Je ne dis pas qu’on devrait supporter la douleur, je ne prône pas cette idée que l’on devrait être capable de supporter la douleur. Un docteur est venu et me disait : « vous avez mal à la tête, prenez un calmant, ça vous soulagera immédiatement ». Mais ensuite ou quelques jours plus tard, vous aurez de nouveau mal à la tête ! Je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut pas prendre de calmants. Mais donnez au corps sa chance ! Vous avez un rhume, pourquoi prendre toutes ces drogues, c’est bon pour le commerce ! Donnez au corps sa chance ! On raconte une blague à propos du rhume : « Si vous prenez des médicaments vous allez guérir en deux semaines et si vous n’en prenez pas ça va durer quinze jours ! » Ça veut dire que quoi que vous fassiez c’est la même chose ! (Rires) Ma réponse c’est : rejeter ! Je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut pas aller chez le médecin, ni qu’il faut seulement prier Dieu. Pas du tout. Je dis : donnez au corps sa chance.

La technologie moderne n’est rien d’autre que de la sorcellerie moderne ! Désolé, les docteurs modernes sont des sorciers, rien d’autre ! Des millions et des millions de francs, de dollars, dépensés là-dedans ! Regardez ce commerce. Cela ne m’intéresse pas.

Je possède 199 chaînes de T.V, et je ne trouve rien d’intéressant. Je ne regarde rien, français, allemand, italien… rien ! Seulement les pubs. Je suis impressionné par leur discours, par la façon dont ils vendent leur système aux gens. Bien entendu je ne suis pas impressionné par ce qu’ils disent, je ne vais rien acheter de ce qu’ils vendent. Mais le langage de la vente, la façon dont ils essayent de nous vendre leurs trucs, ça c’est intéressant. Aussi je regarde les pubs. (Rires)

Que pensez-vous de la méditation ?

Personne n’a réellement médité, c’est ce que je dis aux gens, s’ils avaient réellement pratiqué la méditation sérieusement, ils seraient devenus fous !

Il est bien plus dangereux de faire ces techniques de yoga, de méditations etc., que de subir des électrochocs ! Les dommages causés par ces techniques de méditations sont plus graves que ceux causés par l’alcool. C’est du suicide ! Je vous le dis, ça rend fou. Pour ma part, je suis allé au point où j’aurais dû basculer. J’ai eu de la chance, j’en ai réchappé. Sinon ça vous pousse là où vous ne pouvez plus sortir, vous devenez fou. Souvent on me demande : quelle est la différence entre vous et les fous ? La ligne de démarcation est très mince. Infime.

Qui sommes-nous, alors ?

Nous sommes, c’est tout. Ce que vous êtes est quelque chose d’unique, d’extraordinaire. Il n’y a personne comme vous, nulle part sur la planète. Je vous le dis ! Nous voulons tous être autre chose que ce que nous sommes actuellement.

La nature ne s’intéresse pas à avoir deux choses semblables, elle ne crée que l’unique. Pas de modèle. Si vous regardez deux choses, il n’y en a pas deux pareilles. Vous pouvez trouver qu’elles se ressemblent, mais en réalité il n’y a pas deux choses pareilles. Même deux jumeaux. Même des feuilles.

Quand une chose est finie, le travail est juste ! C’est ce que je dis ! C’est ce qui m’est arrivé. Ça ne me sert pas parce que je ne veux pas faire du « sacré business. » Pour vivre, je peux faire n’importe quoi ! Ce qui me semble être un but important, c’est perfectionner le corps humain. Ce que je dis c’est que tout ce que nous avons là, toutes les glandes, la glande pinéale… : ce corps n’est pas complet. Il est façonné par la nature. Une fois complet, ce corps va continuer à vivre, puis il sera jeté.

Londres, le 2 Décembre 1995

Texte publié avec l’aimable autorisation de Mme Claire Mercier des éditions L’Originel-Charles Antoni