Serge Brisy
Quelques aperçus sur la richesse de la découverte de soi

En vérité, nous n’osons pas être nous-mêmes, sans doute parce que nous ne savons pas ce que nous sommes. Ce que nous voyons de nous est apparence et appartient au passager, Et si tout en nous est mouvement, parce que tout est vie, trop souvent, nos préjugés, nos traditions, nos croyances, nos conceptions, essaient d’immobiliser ce mouvement, afin d’atteindre à une stabilité trompeuse qui n’est que stagnation. Le conflit douloureux et perpétuel de l’homme contre ce qu’il croit être et sa réalisation durable, éternelle, a sa source dans l’incompréhension de notre être véritable. Nous nous identifions au passager et essayons désespérément de le faire durer ; nous négligeons ou ignorons l’éternel, qui est la Vie elle-même.

(Revue Spiritualité. No 5. 15 Avril 1945)

Les enseignements de tous les Sages convergent vers le même but, qu’on le nomme libération, illumination, nirvâna, etc., et c’est la réalisation pleine et entière de l’humain.

La difficulté de l’accomplissement ne réside pas tant dans l’assimilation des mots que dans l’action, car si les mots permettent une connaissance partielle et toute intellectuelle des idées exprimées, l’action seule affirme la compréhension, par l’expérience directe et qui doit être totale.

Keyserling a dit : « Le savoir doit devenir le comprendre ». Toute la réalisation de l’individu se trouve en ces quelques paroles. Tant que nous n’arrivons pas à vivre ce que nous aimons quand bien même nous l’exprimerions très clairement à d’autres, — c’est que nous n’avons pas compris. Nous nous sommes contentés de mémoriser la connaissance des autres et, par elle, avons bâti des théories, peut-être fort belles, mais qui manquent de la véritable vie intérieure, la seule qui féconde la pensée et la traduit en actes.

En vérité, nous n’osons pas être nous-mêmes, sans doute parce que nous ne savons pas ce que nous sommes. Ce que nous voyons de nous est apparence et appartient au passager, Et si tout en nous est mouvement, parce que tout est vie, trop souvent, nos préjugés, nos traditions, nos croyances, nos conceptions, essaient d’immobiliser ce mouvement, afin d’atteindre à une stabilité trompeuse qui n’est que stagnation. Le conflit douloureux et perpétuel de l’homme contre ce qu’il croit être et sa réalisation durable, éternelle, a sa source dans l’incompréhension de notre être véritable. Nous nous identifions au passager et essayons désespérément de le faire durer ; nous négligeons ou ignorons l’éternel, qui est la Vie elle-même. Nous regrettons parfois de la voir passer si vite, nous tentons de ralentir son cours et nous brisons dans cette lutte, où nous n’arrivons à manifester que notre impuissance. Et comme la plupart de nos aspirations, — sinon toutes, ont pour objet la satisfaction du « moi » séparé, égoïste, nous nous heurtons à la Loi inexorable des Effets et des Causes et nous meurtrissons sans cesse à son contact.

Pourtant, par cette lutte même, parce que la Vie nous entraîne, malgré nous, dans son courant toujours renouvelé, toujours neuf et toujours vibrant, nous apprenons à comprendre mieux l’inutilité de nos efforts, Et c’est alors que nous commençons à questionner les causes, au lieu de résister aux effets. Les causes nous apparaissent multiples, complexes et sèment la confusion en nos esprits. La Vérité, fragmentée par notre ignorance, nous semble cruelle. Nous sommes tentés de maudire une vie qui, à travers nos limitations, ne recèle qu’injustices et deuils. Notre résistance change de forme. Nos luttes s’adressent aux points d’interrogation qui se posent et que nous n’arrivons pas à élucider. Nous nous perdons dans les détails et nous détournons de la source. Nous tâchons d’éviter la tourmente que soulèvent nos « pourquoi », tout en continuant à questionner ce qui nous entoure. Et nous ne nous rendons pas compte que la réponse à nos « pourquoi » est précisément cette tempête dont nous voulons nous évader.

Questionner la Vie, c’est se questionner soi-même. C’est questionner les réactions propres à chaque individu. Tant que notre recherche se tourne vers l’extérieur, nous demeurons des épaves, livrées aux vents contraires des influences. Mais dès que nous nous questionnons, dès que nous observons ce  que la Vie fait surgir de notre être, à tous moments de notre existence, nous communions avec l’unique force créatrice de l’Univers, prenons contact avec la Réalité et comprenons que, si les effets sont innombrables, la Cause est Une : la Vie.

— Que sommes-nous ?

— Pourquoi vivons-nous ?

— Comment réagissons-nous devant les expériences ?

— Que sont nos expériences actuelles ?

— Que déterminent-elles en nous ?

— Qu’éveillent-elles en nous-mêmes ?

Les questions essentielles jaillissent. Et nous nous trouvons placés devant notre réalisation présente, immédiate, c’est-à-dire devant ce que nous sommes, maintenant, avec toutes nos ignorances, tous nos mécontentements, toutes nos aspirations, tout notre désir de comprendre mieux. Notre « savoir » nous paraît vide, incomplet, nos mémorisations inadéquates, nos réactions futiles… Et nous sentons qu’au-delà du « savoir », profondément en nous-mêmes, se cache « quelque chose » qui ne se décrit pas, un divin qui doit s’exprimer dans une action toujours plus spontanée, toujours plus intuitive, toujours plus consciente. Ce divin en nous nous attire irrésistiblement, car, à nos heures d’extase, nous en réalisons la joie et l’harmonie. Cette joie inexprimable nous attire, nous fascine. Et si, au début, nous la cherchons encore dans les apparences et visons à reproduire en nous une joie éprouvée, plutôt que de continuer à creuser en nous-mêmes, progressivement, nous pénétrons dans une réalité plus tangible, plus merveilleuse et plus intense que tout ce qu’il nous a été donné de ressentir : phases premières d’un équilibre  intérieur, qui est la pierre de touche de tout éveil.

Serge BRISY

Serge Brisy  (Bruxelles ? – Tiruvanmiyur 1965)  est le nom de plume de Nelly Schoenfeld. Théosophe et activiste humaniste.