Claude Tresmontant
Samuel Hahnemann L'inventeur de l'homéopathie

Samuel Hahnemann est né le 10 avril 1755 à Meissen, petite ville de Saxe située au confluent de l’Elbe et de la Meissa. Son père était peintre en porcelaine et ouvrier dans la fabrique de Meissen. Il avait écrit un petit traité de la peinture à l’aquarelle. En 1755, Samuel Hahnemann commence ses études de […]

Samuel Hahnemann est né le 10 avril 1755 à Meissen, petite ville de Saxe située au confluent de l’Elbe et de la Meissa. Son père était peintre en porcelaine et ouvrier dans la fabrique de Meissen. Il avait écrit un petit traité de la peinture à l’aquarelle. En 1755, Samuel Hahnemann commence ses études de médecine à Leipzig, dans la plus grande pauvreté. Pour vivre et poursuivre ses études il doit travailler la nuit en faisant des traductions. Il dort une nuit sur deux. C’est à cette époque qu’il prend l’habitude de fumer la pipe pour pouvoir veiller des nuits entières…

En 1777 Hahnemann est à Vienne où il poursuit ses études de médecine, puis à Léopodstadt il soigne les malades à l’hôpital. Puis le gouvernement de Transylvanie l’appelle à Hermannstadt et lui offre une place de bibliothécaire et de médecin privé. En 1779 il se rend à Erlangen et c’est là qu’il soutient sa thèse inaugurale consacrée aux maladies spasmodiques.

Une série de migrations commence alors pour Hahnemann. En 1785, il épouse Henriette Kuchler, fille d’un pharmacien. En 1787 il est à Dresde.

En 1791, alors qu’il est déjà connu par nombre de publications savantes et membre de plusieurs académies, Hahnemann renonce à la pratique de la médecine. Il reprend pour vivre et nourrir sa famille ses travaux de traductions. Il entreprend des études de chimie. Hahnemann a eu de Henriette Kuchler onze enfants. Comment comprendre cette décision que Henriette Kuchler ne semble pas, pour sa part, avoir comprise ? Hahnemann ne croyait plus à la médecine telle qu’elle se pratiquait de son temps. Plutôt que de continuer à exercer une profession à laquelle il ne croyait plus, il a préféré vivre dans la pauvreté et reprendre des études fondamentales.

A partir de 1792 Samuel Hahnemann est sur la voie de sa grande découverte. Il expérimente sur lui-même le quinquina, le mercure, la belladone, la digitale, et bien d’autres substances. Dès 1805 il publie les résultats portant sur la matière médicale et un ouvrage consacré aux effets du café, un autre intitulé : La Médecine de l’expérience.

En 1810 il publie à Dresde la première édition de son grand ouvrage : l’Organon de la médecine rationnelle. Cet ouvrage a été réédité en Allemagne (Hippokrates-Verlag, Stuttgart) en 1955, mais je n’ai pas connaissance d’une traduction française depuis les traductions du siècle dernier.

Je voudrais demander la permission, aux disciples de Samuel Hahnemann, de comparer un instant la doctrine médicale de leur maître avec celle d’un très grand biologiste, l’un des fondateurs de la biologie, contemporain de Hahnemann : Jean-Baptiste-Pierre-Antoine de Monet, chevalier de Lamarck, né en 1744.

Je ne sais pas si Lamarck a jamais entendu parler de Hahnemann, ni si Hahnemann a jamais lu une ligne de Lamarck.

Lamarck publie son grand ouvrage, Philosophie zoologique, en 1809, donc un an avant l’Organon de Hahnemann.

Qu’y a-t-il de commun entre ces deux grandes œuvres ?

La théorie de Lamarck, c’est que le milieu, en se modifiant, suscite de la part du vivant une réaction de défense qui conduit, qui oblige le vivant à se modifier. C’est ainsi, selon Lamarck, que s’explique la transformation des vivants et la genèse des formes biologiques nouvelles.

Je signale en passant qu’il existe un très grand livre de philosophie biologique publié il y a vingt ans déjà par l’un des maîtres de la biologie française au XXe siècle, c’est l’ouvrage de Paul Wintrebert, qui fut professeur de Biologie à la Sorbonne : Le Vivant créateur de son évolution (éd. Masson, 1962). Wintrebert reprend et adapte les thèses de son maître Lamarck.

La thèse de Lamarck reprise, développée et mise à jour par Wintrebert, implique et présuppose que le vivant est capable d’une activité propre, et même d’une activité créatrice intelligente. Il est capable, répondant au défi suscité par le milieu, de répondre intelligemment à ce défi, par une réaction de riposte qui est, nous le savons aujourd’hui, de nature biochimique.

Nos lecteurs savent tous ce que sont les antigènes et les anticorps. Un antigène est une molécule ou un ensemble de molécules étrangères qui, introduits dans un organisme, suscite de la part de cet organisme une réaction de défense et de rejet. Cette réaction organique se réalise par la composition de molécules qui vont au devant des molécules étrangères. Ces molécules de riposte, on les appelle des anticorps.

Lamarck comme Hahnemann ignorait tout, bien entendu, de ces découvertes modernes. Mais le grand biologiste que fut Paul Wintrebert pense qu’au fond l’évolution biologique s’explique par un processus comparable à celui que nous connaissons maintenant : l’organisme réagit intelligemment à l’introduction d’une molécule étrangère et toxique en composant une molécule adverse qui va à la rencontre de la molécule toxique afin d’en annihiler l’effet et afin de l’éliminer.

Samuel Hahnemann, en 1810, avant la formulation de la théorie cellule, qui date de 1839, avant les grands travaux de Pasteur sur les bactéries, qui datent de la seconde moitié du XIXe siècle, avant la découverte des virus et bien entendu des antibiotiques, — Samuel Hahnemann tout au début du XIXe siècle découvre qu’un poison quelconque c’est-à-dire, nous le savons aujourd’hui une molécule ou un ensemble de molécules étrangères à l’organisme suscite de la part de l’organisme une réaction de défense qui va à rencontre de la molécule en question. Par exemple, une molécule de café est un poison pour la cellule nerveuse. Elle produit, comme chacun sait, une réaction d’excitation, en premier lieu. Mais ce qu’ont remarqué les grands buveurs de café depuis longtemps, c’est que la réaction d’excitation est suivie d’une torpeur qui doit être surmontée par une nouvelle tasse de café, et ainsi de suite. L’organisme réagit à la caféine en allant, si je puis dire, en sens inverse, à rencontre de l’action des molécules de caféine. Il en va de même pour toutes les substances toxiques que l’on introduit dans l’organisme : elles provoquent, elles suscitent de la part de l’organisme une réaction de défense qui va en sens inverse de l’action du poison considéré.

La découverte de Samuel Hahnemann a donc consisté à utiliser cette réaction active et intelligente de l’organisme à rencontre des substances toxiques que l’on introduit en lui.

La médecine homéopathique est donc une médecine qui fait appel à l’activité intelligente de l’organisme, tout comme la théorie lamarckienne de l’évolution repose sur l’idée que l’organisme vivant réagit intelligemment aux modifications du milieu et par même s’adapte et par même se modifie.

La médecine homéopathique repose donc sur un principe qui est un principe métaphysique même si ce principe métaphysique est une découverte expérimentale ou un fait d’expérience : l’organisme vivant est capable de réaction vitale et intelligente aux toxines que l’on introduit en lui. Il réagit à rencontre de ces toxines. La pratique de la médecine homéopathique va donc consister à susciter de la part de l’organisme des réactions qui vont le conduire à la guérison.

Au XVIIIe siècle, au XIXe et encore aujourd’hui, d’autres écoles médicales sont fondées sur un principe exactement contraire, issu de Descartes : l’organisme n’est qu’une machine, il n’a pas d’activité propre, il n’a surtout pas d’activité intelligente. Il faut donc se substituer à lui en cas de maladie, couper ceci, enlever cela, ajouter autre chose. Mais si l’organisme est une machine, comme le pensent Descartes et les cartésiens, on ne peut certes pas attendre de lui une réaction intelligente à quoi que ce soit. On aura donc, si l’on admet ce présupposé philosophique, une médecine dans laquelle l’organisme-machine est passif.

La médecine homéopathique est fondée sur le principe, découvert d’une manière empirique par Hahnemann, que l’organisme est actif et qu’il suffit, mais il faut, susciter ou provoquer intelligemment cette activité, pour conduire doucement l’organisme à la guérison.

L’organisme n’est donc pas une machine. On ne peut pas traiter les organes comme le mécanicien traite les pièces de la mécanique qu’il veut réparer. Car les pièces d’une machine sont extérieures les unes aux autres et même s’il existe, ce qui est le cas, des relations entre les pièces d’une mécanique, il n’en reste pas moins que la machine n’est pas une unité telle que chaque élément réagisse sur le tout.

La médecine homéopathique ne traite pas l’organisme comme une machine. Elle n’est pas cartésienne. Elle ne traite pas à part et comme s’ils étaient séparés les organes malades. Elle traite, elle considère l’organisme comme un tout et comme une unité. Ce tout est un ensemble psychosomatique. Selon Descartes, le corps est une machine, l’âme est une substance spirituelle que, pour des raisons incompréhensibles, le dieu de Descartes a associée à cette machine. La machine qui est, aux yeux de Descartes, le corps, peut fort bien subsister et fonctionner sans âme, ce qu’en réalité elle ne fait pas. Et l’âme, toujours selon Descartes, peut fort bien être et penser sans corps. On a donc, dans la postérité de Descartes, une médecine des corps-machines, et une médecine des psychismes.

L’homéopathie considère l’organisme humain comme une totalité psychosomatique et par conséquent, depuis son fondateur Samuel Hahnemann, elle tient compte dans son diagnostic, des signes fournis par le psychisme. Elle traite le malade tout entier. Elle ne pense pas pouvoir soigner, à la manière cartésienne, le corps à part de l’âme.

La biologie moderne, la biologie contemporaine nous a appris quelque chose que l’on trouvera dans tous les ouvrages des maîtres de la biologie moderne : chaque organisme, chaque vivant, et donc chaque homme, est une singularité biologique. Un vivant tel que le lion, l’éléphant ou l’homme, est construit, constitué par un message génétique qui se trouve pelotonné dans le noyau de la cellule. Ce message génétique a une taille différente selon l’espèce considérée. Chez un micro-organisme monocellulaire, c’est un petit relativement petit message génétique qui contient les instructions requises pour composer un autre micro-organisme monocellulaire semblable au précédent. Chez le lion le message contient toutes les informations requises pour faire un bébé lion, non seulement pour le construire, mais aussi pour lui fournir toutes les programmations qui seront nécessaires à sa vie sociale de lion. Dans le cas du bébé d’Homme, de même. Mais ce que les biologistes nous disent et nous répètent, c’est que certains chapitres de ces messages génétiques sont originaux, exclusifs, inédits ou inouïs. Chaque individu est une singularité biologique exclusive, unique, irremplaçable.

En sorte que chaque maladie est aussi, d’une certaine manière, une singularité qui tient au sujet malade, qui n’est identique à aucun autre.

Hahnemann, dès 1810, avait vu que la maladie est une singularité et que la thérapeutique doit s’adapter à chaque individu singulier, unique et irremplaçable. L’homéopathie est donc une médecine de l’individu singulier.

Hahnemann a découvert en expérimentant sur lui-même et sur ses amis volontaires les effets des substances toxiques, que ces substances diluées, fractionnées, réduites, pour parler notre langage moderne, à un nombre de plus en plus petit de molécules, exerçaient cependant une action manifeste en suscitant de la part de l’organisme une réaction de défense orientée en sens inverse de l’action de la substance toxique. Mais Hahnemann a découvert empiriquement, et c’est le paradoxe apparent, que cette action des substances toxiques est en réalité d’autant plus puissante, d’autant plus profonde et d’autant plus durable que le nombre des molécules constituant la substance toxique est plus réduit parce que la substance toxique a été davantage diluée.

Je ne sais pas, pour ma part, à cette heure, s’il existe une explication physique, biochimique, à ce fait d’expérience que l’école homéopathique vérifie chaque jour depuis la fondation de l’Homéopathie, et je ne sais pas si quelqu’un connaît cette explication. Mais si l’un de nos lecteurs a connaissance d’une découverte portant sur ce point et s’il veut bien nous la faire connaître, nous lui en serons très reconnaissants.

Un préjugé qui est quasiment indéracinable dans notre conscience d’Européens en cette fin du XXe siècle, c’est qu’une substance pour agir doit être massive. Plus il y en a, plus on en met, et plus cela doit être efficace. La pratique et l’expérience de l’Homéopathie, depuis plus d’un siècle, montre que ce préjugé est faux. Il n’est pas nécessaire, il n’est même pas utile d’envoyer une masse de caféine pour faire réagir l’organisme. Quelques molécules suffisent. Cela prouve que l’organisme est encore plus sensible et plus intelligent que nous ne le pensions. Nous avons hérité du préjugé que l’organisme n’est pas intelligent et que l’intelligence est autre chose que l’organisme, ailleurs que dans l’organisme. C’est encore un préjugé cartésien : le corps n’est que de la matière arrangée comme une mécanique. Il se pourrait bien que ce préjugé ne soit, lui, pas très intelligent et que finalement, tout compte fait et tout bien pesé, notre organisme soit beaucoup plus intelligent que nos philosophies.

La médecine homéopathique est une médecine douce, discrète. Elle ne fait pas violence à l’organisme. Elle ne taille pas. Elle ne mutile pas. Elle n’ampute pas. Elle ne brûle pas. Elle n’enlève pas ceci. Elle n’ajoute pas cela. Elle ne prétend pas se substituer à l’organisme. Elle n’envoie pas dans l’organisme des masses de substances toxiques. Elle tente de susciter de la part de l’organisme une réaction vitale de défense. Elle parle doucement à l’organisme et lui demande une réponse.

C’est encore un préjugé, fortement enraciné en Occident au XXe siècle, que les méthodes violentes sont les plus puissantes et que la douceur ne l’est pas. C’est un préjugé qui trouve ses applications en politique, en pédagogie comme en médecine. Dans ce cas comme dans tous les autres, c’est l’expérience qui jugera, au résultat.

La femme de Samuel Hahnemann, Henriette Kuchler, était morte en 1827.

En 1835, âgé de soixante-dix-neuf ans, Samuel Hahnemann épouse en secondes noces Mélanie d’Hervilly, une jeune Française qu’il avait soignée et guérie de la tuberculose. Il quitte alors l’Allemagne et vient s’installer à Paris. Samuel Hahnemann est mort à Paris le 2 juillet 1843.

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Texte paru dans La Voix du Nord, 8 et 17 août 1982