Malcom Kendrick
Science novatrice/disruptive – première partie

Prenons par exemple l’hypertension artérielle. Quelle en est la cause ? Chez 95 % des patients, nous n’en avons aucune idée. Nous ne le savions pas à l’époque, et nous ne le savons toujours pas. Nous appelons toujours cela « essentiellement hypertension », ce qui signifie — en clair — une pression artérielle élevée sans cause connue. Et la stratégie proposée alors, comme aujourd’hui, est… la faire baisser. Voilà. Problème résolu. Et on appelle ça du progrès ? Hum… (ma foi). Aucune innovation ici… vérifié.

J’ai lu, il y a quelques années, un article dans la revue Nature qui n’a cessé de me trotter dans la tête depuis. Il mettait en évidence un constat déprimant : l’effondrement de la science dite « perturbatrice ».

« La science “novatrice” a décliné — et personne ne sait pourquoi. La proportion de publications qui orientent un domaine dans une nouvelle direction a chuté de manière vertigineuse au cours du dernier demi-siècle ».

J’ai récemment regardé le film Oppenheimer, où des scientifiques débattre de nouvelles idées, faire progresser leur réflexion d’une manière exaltante. Niels Bohr, Heisenberg, Einstein, Von Neumann, Oppenheimer lui-même. De véritables géants intellectuels dont les noms résonnent encore à travers l’histoire.

À la même époque, Isaac Asimov élaborait de nouvelles idées dans ses romans : les trois lois de la robotique, Fondation et Empire. Puis il y eut Philip K. Dick, Harlan Ellison, Ursula K. Le Guin. Où sont passés ces géants aujourd’hui ? Où est la pensée novatrice ? Pourquoi tout cela est-il devenu tellementsans intérêt ?

Enfant, j’ai regardé les missions lunaires Apollo, mais quand était la dernière fois j’ai entendu, au réveil, qu’un bouleversement scientifique venait de se produire ? Une découverte qui renverse tout ce que l’on croyait savoir ? Une nouvelle direction…

Même si cela peut sembler anecdotique, pour moi, ce fut le cas avec le graphène. Deux scientifiques de Manchester s’amusaient, pour ainsi dire, dans leur laboratoire, cherchant à savoir jusqu’à quelle finesse ils pouvaient réduire une couche de graphite en enroulant du ruban adhésif autour d’une mine de crayon. Résultat : ils ont obtenu une monocouche de graphite. Pour paraphraser Asimov, il semblerait que la phrase la plus enthousiasmante de la science soit : « Eh bien, je ne m’y attendais pas du tout ! »

Je suis convaincu que le graphène changera le monde de bien des façons, et pour le mieux. Une percée totalement inattendue dans la science des matériaux. J’adore ce genre de découvertes.

La science médicale

Malheureusement, dans mon domaine — celui des maladies cardiovasculaires — on pourrait remonter cinquante ans en arrière et trouver pratiquement les mêmes idées, appliquées à peu près partout. Difficile de penser à quelque chose de véritablement novateur, ou même de vaguement nouveau.

Le cholestérol cause les maladies cardiaques ? — Vérifié.

Les diabétiques doivent suivre un régime riche en glucides ? — Vérifié.

Prenons par exemple l’hypertension artérielle. Quelle en est la cause ? Chez 95 % des patients, nous n’en avons aucune idée. Nous ne le savions pas à l’époque, et nous ne le savons toujours pas. Nous appelons toujours cela « hypertension essentiellement », ce qui signifie — en clair — une pression artérielle élevée sans cause connue.

Et la stratégie proposée alors, comme aujourd’hui, est… la faire baisser. Voilà. Problème résolu. Et on appelle ça du progrès ? Hum… (ma foi). Aucune innovation ici… vérifié.

Dans ce billet, je veux examiner un domaine particulier : la restriction du sel ou du sodium pour faire baisser la pression artérielle et réduire le risque de mortalité prématurée. Une idée qui remonte à avant la Seconde Guerre mondiale. Aberrante alors, aberrante aujourd’hui. Inchangée… vérifié.

Dès que de véritables scientifiques ont réussi à établir complètement le système neurohormonal qui contrôle la pression artérielle — le système rénine–angiotensine–aldostérone (RAAS) —, il aurait dû devenir évident, pour quiconque doté d’un cerveau fonctionnel, que restreindre l’apport en sel pouvait très bien faire plus de mal que de bien. Un domaine à la fois complexe et fascinant. Mais cette nouvelle compréhension n’a eu aucun effet. Rien n’a été bouleversé.

Et qu’en est-il des preuves concernant la consommation de sel ?

Ci-dessous, je vous présente un graphique de la mortalité globale (toutes causes confondues) en fonction de la consommation de sodium [1].

J’adore les graphiques — mais je sais que beaucoup de gens ne les aiment pas. Alors, je vais tenter d’expliquer celui-ci un peu plus en détail.

Les barres qui montent et descendent de gauche à droite représentent le pourcentage de personnes consommant différentes quantités de sodium. Pour la plupart, la consommation se situe entre deux et quatre grammes environ. (Ce qui correspond à peu près à quatre à huit grammes de sel de table, c’est-à-dire de chlorure de sodium. La majeure partie de notre apport en sodium provient du sel, mais pas la totalité).

La ligne continue, qui descend de gauche à droite, indique le risque de mortalité associé à différents niveaux de consommation de sodium. La zone ombrée autour de cette ligne représente la marge de probabilité, autrement dit la fiabilité statistique des données : elle montre à quel point les variations de risque observées à chaque niveau de sodium sont statistiquement significatives. Vous suivez ? (Il y aura un examen à la fin de cet article).

Mais en réalité, ce graphique est très simple à comprendre. En substance : Plus vous consommez de sel, plus vous vivez longtemps. Et, bien sûr, l’inverse est vrai aussi. Ce qui est exactement le contraire de tout ce qu’on vous répète sans cesse.

Je vais le redire pour souligner le point :

Si vous mangez plus de sel, vous vivrez plus longtemps.

Et cet effet bénéfique se maintient jusqu’à une consommation d’environ vingt grammes de sel par jour. Je ne pense pas qu’ils aient trouvé des personnes en consommant davantage — sauf peut-être moi, nageant dans une mer agitée un jour ensoleillé.

Vous vous dites peut-être que j’ai choisi une étude isolée pour étayer mon propos. Eh bien oui, il ne s’agit ici que d’une seule étude. Mais c’est la plus vaste et la plus longue jamais réalisée. Elle constitue une petite partie du National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES ; Enquête nationale sur la santé et la nutrition).

Et même si ce n’en est qu’un fragment, cela équivaut très approximativement à « un million d’années-personnes » d’observation.. Bien sûr, comme toutes les études nutritionnelles, elle présente des faiblesses, mais vous n’en trouverez aucune de plus grande ampleur, de plus longue durée ou de meilleure qualité. Et si vous voulez en dénicher une qui la contredise, libre à vous — bonne chance.

Mais si vous souhaitez davantage de données, voici l’étude écossaise sur la santé cardiaque (Scottish Heart Health Study). Dans ce cas, les chercheurs ont examiné vingt-sept facteurs associés, dans un sens ou dans l’autre, aux maladies cardiovasculaires (bien qu’ils n’en aient mentionné que vingt-six ?).

Ils y ont également intégré la mortalité globale — c’est-à-dire le risque de mourir de n’importe quelle cause — et je reproduis ici leur graphique concernant les hommes. Celui des femmes était pratiquement identique.

Ce fut la première fois que j’ai constaté qu’une consommation accrue de sodium pouvait être bénéfique, et non nocive [2].

Encore une fois, un petit complément d’explication s’impose pour bien comprendre ce graphique.

Les chiffres inscrits en bas — de 0 à 4 — représentent le Hazard Ratio (HR), ou « rapport de risque ». Un rapport de risque égal à 1 signifie qu’un facteur donné n’augmente ni ne diminue le risque : il est neutre. Un HR de 2 signifie que le risque est doublé, un HR de 3 qu’il est triplé, etc.

En haut du graphique figure la mention « Previous myocardial infarction » (antécédent d’infarctus du myocarde, autrement dit un infarctus déjà survenu). Sans surprise, avoir fait une crise cardiaque est un excellent indicateur de problèmes graves et d’une espérance de vie fortement réduite.

Autre détail important : « Previous myocardial infarction » est classé +01 — le chiffre 01 indiquant le facteur le plus important. Le signe « + » devant signifie que le risque de décès est augmenté. Si l’on descend jusqu’au numéro cinq, « Urine Potassium », on voit – 05 : le signe « – » indique que le risque est réduit — autrement dit, le rapport de risque baisse. (Je reviendrai sur le potassium dans un prochain billet).

En descendant encore dans la liste, on arrive à sodium, à la onzième position. Comme on peut le voir, une plus grande excrétion de sodium, directement corrélée à une consommation plus élevée, est protectrice. Elle se situe à – 11. Et, dans cette étude, les chercheurs ont mesuré le sodium urinaire — au lieu de simplement demander aux gens combien de sel ils consommaient chaque jour (question à laquelle, soyons honnêtes, personne ne peut répondre précisément).

Petite parenthèse : si l’on continue de descendre, on rencontre les abréviations NS et NL.

NS = not statistically significant (non statistiquement significatif, donc probablement sans importance).

NL = non-linear (association non linéaire : le risque monte et descend aléatoirement, donc sans signification claire).

Parmi les facteurs classés NS ou NL, on trouve :

• le HDL (High Density Lipoprotein, dit « bon » cholestérol)

• les triglycérides (considérés aujourd’hui comme une forme de « mauvais » cholestérol)

• le cholestérol total (le fameux « mauvais » cholestérol)

• l’indice de masse corporelle (IMC)

• le poids

• l’apport énergétique

• la consommation d’alcool

• la glycémie

Aucun de ces éléments n’a montré d’effet significatif sur le risque de mortalité. Désolé — peut-être un peu trop de « preuves disruptives » à avaler d’un seul coup. En réalité, je pourrais commenter ce graphique toute la nuit et il me resterait encore des choses à dire. Mais revenons à notre point de départ :

« La science novatrice a décliné — et personne ne sait pourquoi ».

Les deux études que je viens d’évoquer auraient pu — et dû — bouleverser les paradigmes existants. Pourtant, elles n’ont eu aucun impact discernable. Rien n’a changé. Voici, par exemple, ce que continue d’affirmer la British Heart Foundation à propos du sodium :

« Certaines étiquettes alimentaires utilisent le mot sodium au lieu de sel. Le sel et le sodium sont mesurés différemment. Les adultes devraient consommer moins de 2,5 g de sodium par jour ». (soit environ 5 g de sel).

Et voici ce que déclare encore aujourd’hui le CDC (Centres for Disease Control and Prevention) :

« Le CDC recommande aux adultes et aux adolescents de consommer moins de 2 300 mg de sodium par jour, soit environ une cuillère à café de sel ».

(Il existe de nombreux types de sels. Celui que nous appelons communément « sel », le sel de table, est du chlorure de sodium — NaCl. C’est la principale source de sodium dans notre alimentation. Le sodium représente environ la moitié du poids du sel. Cinq grammes de sel correspondent donc à environ 2,5 g de sodium. Personne ne mange du sodium pur, et ce n’est certainement pas recommandé — il y aurait une belle explosion !)

Lire la recommandation du CDC a fait exploser mon compteur d’ironie au maximum. Pourquoi ? Parce que le graphique NHANES que j’ai montré plus tôt provient d’une recherche financée et conduite par le CDC lui-même !

Oui, leur propre étude contredit radicalement leurs propres recommandations. Et pourtant, le CDC continue de nous harceler pour que nous réduisions notre consommation de sodium. Ce qui n’est pas simplement inutile : c’est nocif. Pourquoi ne pas aller jusqu’à conseiller aux gens de se remettre à fumer ?

« Nos études démontrent que fumer nuit à la santé. Nous recommandons la cigarette à tous les adultes. Dix par jour, ça devrait aller ».

Absurde ? Oui.

Je sais bien qu’il est diablement difficile de changer une idée reçue — et cela a toujours été vrai. Comme l’écrivait Léon Tolstoï, il y a bien longtemps :

« Les sujets les plus complexes peuvent être expliqués à l’homme le plus lent d’esprit, s’il n’a encore aucune opinion sur la question ; mais la chose la plus simple ne saurait être rendue claire au plus intelligent des hommes, si celui-ci est fermement convaincu de savoir déjà, sans l’ombre d’un doute, ce qu’on lui expose ».

Pourtant, la science, si elle signifie quelque chose, c’est l’accueil des idées nouvelles. Les preuves disruptives ne devraient pas être attaquées, réduites au silence ou ignorées — mais accueillies à bras ouverts. C’est le fondement même de la démarche scientifique.

Pour citer Richard Feynman, tel que le rapporte Google :

« La science, disait Feynman, c’est la croyance dans l’ignorance des experts. Autrement dit, la véritable science repose sur l’interrogation constante et le scepticisme, non sur l’acceptation aveugle de l’autorité. Le savoir est provisoire, et les experts — aussi utiles soient-ils — sont limités par leur compréhension du moment ; ils doivent être interrogés, non vénérés comme des autorités infaillibles ».

Oui, tous les « scientifiques » hochent la tête gravement quand on leur dit cela… avant de refermer aussitôt les portes de leur esprit et de continuer comme avant.

La situation était-elle aussi mauvaise autrefois ? Je ne le crois pas. J’ai le sentiment que la science novatrice s’est effondrée depuis une cinquantaine d’années… Et vraiment ? « Personne ne sait pourquoi ? » Ou bien tout le monde le sait, mais personne n’ose le dire à voix haute, ni même se l’avouer à soi-même.

Pour ma part, je pense que la réponse, comme toujours, nous saute aux yeux.

C’est l’argent. Ou, pour être plus précis, la science novatrice/disruptive meurt sous le poids de l’influence écrasante de l’argent sur la recherche — directement, ou comme dans le cas du sel, indirectement.

J’emploie le mot indirectement, car, comme vous l’avez sans doute remarqué, le lien financier avec le sel ne peut pas être direct. L’industrie du sel — si tant est qu’elle existe — ne peut guère pousser à la réduction de sa consommation ! Et personne ne semble tirer profit de cette obsession anti-sel. Alors, pourquoi sommes-nous sans cesse bombardés de messages alarmistes ? Et quel rapport cela peut-il bien avoir avec l’argent ?

Laissez-moi maintenant vous entraîner sur une longue route pavée d’or.

Texte original : https://drmalcolmkendrick.org/2025/11/07/disruptive-science-part-one/

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2 « Comparison of the prediction by 27 different factors of coronary heart disease and death in men and women of the Scottish Heart Health Study: cohort study » (« Comparaison des prédictions réalisées à partir de 27 facteurs différents de maladies coronariennes et de décès chez les hommes et les femmes participant à l’étude Scottish Heart Health Study : étude de cohorte »). BMJ 1997 ; 315 : 722.