Gabriel Monod-Herzen
Spiritualité et Méditation

Mais il y a des états de conscience, et c’est là où l’expérience entre en jeu, où ne jouent ni le corps, ni l’affectivité, ni la raison, et qui déclenchent en l’être un instant de connaissance d’autre chose. Ainsi, l’audition d’une très belle musique, la vue d’une très belle œuvre ou d’un très beau paysage, tout à coup vous saisit, vous fait vous exclamer, pousser un « Ah ! » A ce moment-là, on n’agit pas, on ne sent pas, on est. C’est un phénomène d’intuition. Pour les orientaux, c’est un quatrième niveau, au-delà des trois niveaux physique, vital et mental. Ce qui vient de ce quatrième niveau peut pénétrer dans notre conscience, c’est l’intuition, c’est une prise de contact directe avec une conscience qui dépasse la nôtre et qui fait que nous ne sommes plus liés à notre propre conscience dans ses trois plans.

(Revue Panharmonie. No 192. Octobre 1982)

Si toutes les religions existantes sont issues d’une expérience spirituelle, elles en ont fait, par la suite, des choses très différentes. Pourtant, on peut avoir une vie spirituelle très intense sans appartenir à une religion définie, n’avoir rien qui soit une limite imposée par l’extérieur ou qui ressemble à un dogme.

Les pays qui n’ont pas d’Église ont un avantage sur nous. Il n’y a pas d’Église hindoue, il n’y a pas d’Église bouddhiste, il n’y en a jamais eu. Il suffit d’accepter une direction généralement donnée par un texte ou par une déclaration que l’on a choisi. Pour le reste, on est libre. Il n’est donc pas nécessaire d’avoir une religion pour être spirituel, mais, inversement, l’être qui est véritablement religieux a nécessairement une valeur spirituelle.

Malheureusement, des milliers d’êtres sont morts sur des bûchers ou dans des guerres de religion, parce qu’ils n’avaient pas le genre de foi qu’il fallait à l’époque. Actuellement, en Amérique, il y a encore des querelles pour des questions d’enseignement entre les créationnistes et les évolutionnistes. On se croirait aux temps de Galilée ! L’erreur, c’est de croire que l’on possède la seule vérité, la spiritualité n’a pas de limites. La limiter à une seule expression, si bonne soit-elle, c’est exclure tout ce qui n’est pas cette expression.

La pratique d’une religion est une chose strictement individuelle. La spiritualité ne s’enseigne pas, elle s’expérimente. L’important, c’est d’admettre qu’il y ait d’autres formes de spiritualité que la sienne. La tendance vers l’avenir, telle que Sri Aurobindo la concevait, c’était cela.

Notre être est formé d’un être physique que nous connaissons, parce que nous pouvons le toucher et le voir dans une glace. Il est formé de nos sentiments et de nos pensées qui sont dirigés par la raison, pensées rationnelles qui conduisent à la connaissance avec tout ce qu’elle peut avoir de beau et d’important et de sentiments avec tout ce qui peut être la reconnaissance de la beauté, etc.

Mais il y a des états de conscience, et c’est là où l’expérience entre en jeu, où ne jouent ni le corps, ni l’affectivité, ni la raison, et qui déclenchent en l’être un instant de connaissance d’autre chose. Ainsi, l’audition d’une très belle musique, la vue d’une très belle œuvre ou d’un très beau paysage, tout à coup vous saisit, vous fait vous exclamer, pousser un « Ah ! » A ce moment-là, on n’agit pas, on ne sent pas, on est. C’est un phénomène d’intuition. Pour les orientaux, c’est un quatrième niveau, au-delà des trois niveaux physique, vital et mental. Ce qui vient de ce quatrième niveau peut pénétrer dans notre conscience, c’est l’intuition, c’est une prise de contact directe avec une conscience qui dépasse la nôtre et qui fait que nous ne sommes plus liés à notre propre conscience dans ses trois plans.

La spiritualité, c’est de consacrer au maximum ce qui peut pénétrer dans notre conscience. Pour atteindre cela, il ne faut pas seulement développer chez les enfants les niveaux physique, vital et mental, mais aussi leur donner la possibilité d’aller au-delà, de ressentir la beauté, les arts.

A Pondichéry, j’ai entendu un solo de tambour à deux extrémités que l’on porte accroché au cou et que l’on bat des deux mains. L’homme qui jouait était tellement « parti », qu’il a terminé ruisselant de larmes et je peux dire que j’avais, moi aussi, les larmes aux yeux, tellement le rythme était parfait. La cadence et l’évolution étaient si puissantes qu’elles entraînaient vers des harmonies intérieures de plus en plus élevées. Le musicien était doué d’une personnalité capable de l’exprimer. Car il ne suffit pas de vouloir recevoir le roi, il faut aussi une maison où il puisse se rendre et qui soit digne de lui !

La matière est nécessaire, mais il faut pouvoir l’utiliser, la comprendre. Très souvent, à Rennes, j’ai vu mes étudiants dans leurs travaux (j’étais professeur de physique) être frappés par la beauté d’un phénomène. Cela les encourageait d’avoir saisi cette beauté, parce qu’ils sentaient qu’il y avait là un point de communion, un point de réunion. Nous ne sommes pas seulement touchés par ce que nous savons, mais parfois, tout à coup, nous avons une prise de contact à travers la beauté.

Chez les artistes, c’est l’intuition qui joue, elle dépasse leur personnalité. Quand le Titien a commencé à peindre sa fameuse « Descente de Croix », il n’a pas fait des calculs géométriques sur sa toile, il a commencé à peindre. Tout artiste a en lui-même ce qu’il faut, mais de plus, il doit posséder une technique qui s’apprend et dont l’utilisation ensuite vient de l’individu et de son intuition.

L’artiste est capable de faire parcourir à quelqu’un qui ne le peut pas seul, un chemin que lui, artiste, a le privilège de parcourir spontanément. C’est pourquoi les Grecs faisaient un parallèle si étroit entre l’artiste et le prêtre. C’est celui qui est « pontife », qui fait le pont entre le monde de la personnalité et ce qui est au-delà, qui est justement le spirituel.

Lorsque j’étais jeune, je me disais : « Si ce que le Bouddha a dit est vrai, c’est la chose la plus importante qui soit au monde ». Je l’avais senti, mais je ne savais pas comment l’approcher. Il m’a fallu des années pour essayer de comprendre et pour me rendre compte que ce n’était pas facile. Mais grâce à ce travail d’approfondissement, grâce à une certaine concentration, il y a eu un résultat à un moment où je ne m’y attendais pas du tout, où j’avais cessé de penser. Il faut que la maison soit ou vide ou peu encombrée si on veut que les choses puissent y pénétrer.

Les gens, en général, ne connaissent pas la signification du mot « Yoga ». Il veut dire « Union ». Cela on le sait, mais union de quoi ? Le Yoga est l’union de la conscience individuelle avec son Principe. C’est donc quelque chose qui ne s’enseigne pas. Ce que l’on peut enseigner, c’est la technique qui permet d’arriver là. L’état de yoga, c’est d’être uni, c’est d’avoir une conscience à ces différents niveaux. Le physique n’est ni supérieur, ni inférieur aux autres. La preuve, c’est que si on essaye de le séparer des autres, qu’est-ce qui reste ? De la chair, de la viande… D’où la nécessité d’avoir une connaissance et une maîtrise de la personnalité toute entière. Si vous voulez exprimer vos intuitions, il faut que votre mental puisse les exprimer avec des mots ou avec des images, il faut que vos sentiments puissent raisonner en accord et de façon harmonieuse et il faut que votre corps soit capable dans son activité de manifester ce qui correspond. Que ce soit les gestes pendant une danse ou les gestes d’un mudra, quand il s’agit d’une position dans la méditation ou pendant un culte. Il y a tout un éventail de possibilités physiques, d’expressions, extrêmement importantes, dont une que l’on oublie généralement et qui est celle de manger en se nourrissant comme il faut et juste de ce qu’il faut.

En Occident, on fait une opposition entre l’esprit et la matière. En Orient, on ne l’admet pas. Ce qu’il faut, c’est arriver à une parfaite harmonie du corps avec une nourriture suffisante. Donner à son corps tout ce qu’il faut, mais pas plus, afin de se sentir léger et heureux. Chacun en cela doit être son propre juge.

La méditation est le chemin le plus important pour progresser spirituellement, c’est précisément tendre à cette union de la conscience individuelle avec la Conscience Absolue qui est son Principe. Comment y arriver ? C’est en faisant taire le mental. Or il suffit de chercher à le réduire au silence pour que des quantités de pensées passent par votre tête. Si on veut vraiment qu’elles s’éliminent, il ne faut pas s’y attacher, s’y attarder, mais être indifférent à leur égard. Et alors, petit à petit, elles perdent de leur intensité.

Le fait de s’intéresser à ce qu’on pense est déjà une forme d’attachement. Peu à peu, le rythme des pensées se ralentit et on arrive à avoir des moments où il n’y a plus rien. Cela peut durer quelques secondes, cela peut durer quelques minutes. Quelques secondes, ce n’est déjà pas si mal, dix secondes de vrai calme intérieur, complet, a déjà une conséquence pratique : le repos.

Il est tout de même utile, étant donné la vie que nous menons, de garder chaque jour un moment pour méditer qui soit à peu près le même. La persévérance est très importante.

Le mantra, quel qu’il soit, peut aider à se concentrer. Si on le répète, ne serait-ce qu’une dizaine de fois, en ne laissant s’interférer rien d’autre, on aura déjà fait quelque chose de remarquable et, sans effort spécial, on sera sur la voie de la méditation. Lorsqu’on réussit à calmer tout ce qui émerge du fond de soi, sentiments, événements, souvenirs, on laisse quelque chose venir, descendre en soi. C’est ce qu’on appelle « le niveau spirituel » et si on réussit l’espace d’un temps à le fixer, il a une influence indéniable sur vous. Cela agira d’abord sur les pensées, ensuite sur les sentiments et enfin sur le corps.

Il est plus important de méditer un instant chaque jour que d’être capable d’une performance de longue durée. Les moines zen, quand ils font leur très longue méditation, méditent pendant une demi-heure, se lèvent, font une marche méditative, puis se remettent en position assise. Ils ont bien soin de couper leur longue méditation, parce que la vacuité n’est pas un état habituel. « Tout dépend, disait la Mère, de la persévérance et de l’intensité de l’inspiration, le vide ne suffit pas, mais je peux aller vers ce qu’il y a de plus profond en moi, je peux le faire vivre en moi et je vais évoquer cet état qui correspond à cette inspiration. Là j’aurai une chance que quelque chose se produise, même en-dehors de la méditation. »

Lorsqu’un homme de science a beaucoup réfléchi à un problème et que celui-ci occupe complètement ses pensées, il peut en avoir brusquement la solution. Autrement dit, le mental s’arrêtant à un certain moment, un état de conscience nouveau peut se produire et la solution d’un problème peut se révéler spontanément. Mais avant que cela puisse se faire, il faut une concentration considérable. On a fait un acte de maîtrise de soi qui est capital et puis, ensuite, il faut être capable de relâcher, d’être dans un état d’ouverture.

Cela semble représenter quelque chose de très difficile. Lorsqu’on reprochait à Sri Aurobindo : « Vous nous demandez quelque chose d’énorme que nous ne pouvons pas faire ! », celui-ci répondait : « Je ne vous demande pas de le faire, je vous demande de laisser le Divin le faire en vous ».

Dans la mythologie indienne, on trouve des cas d’individus s’étant retirés dans la forêt et qui finissaient par avoir des journées au cours desquelles chaque chose était inspirée comme étant à faire, que ce soit de prendre un repas, de prendre son bain, etc., et pas seulement de prier. Ils ont alors une impression de continuité de la vie qui est merveilleuse. Au lieu d’avoir une existence faite de petits morceaux, comme nous qui vivons dans le « patchwork », c’est quelque chose de continu, non seulement du matin jusqu’au soir, mais aussi du soir au matin, lorsqu’ils arrivent à ce qu’on appelle « le sommeil yoguique », c’est-à-dire le sommeil pendant lequel on reste conscient. Le corps dort, mais la conscience est absolument claire. C’était entre d’autres cas, celui de Sri Aurobindo et de la Mère.

Quand je suis arrivé à Pondichéry, j’ai constaté qu’il n’y avait pas d’enseignement de la méditation. On m’a dit : « Vous pouvez méditer comme vous le voulez, il n’y a pas de méthode générale, vous devez apprendre à trouver la vôtre. Si vous avez besoin d’un conseil, adressez-vous à telle personne et, si c’est très important, écrivez à Sri Aurobindo ! »

Chacun doit découvrir son sentier et sa voie en en prenant la responsabilité et non en voulant copier le voisin et adopter sa manière de procéder.

Ce que l’on reçoit dans la méditation, du fait de la mise en ordre et de calmer ce qui est en vous, a ses répercussions dans la vie quotidienne et les gens qui vous côtoient s’en étonneront et diront : « Comme il a changé ! » Vous ne faites rien d’extraordinaire, mais chacun de vos gestes a pris un sens, alors qu’avant ils en avaient qui ne signifiaient pas grand chose. Toute la vie alors prend un autre sens et ceci est à la disposition de n’importe qui, s’il est sincère.