Évêque de St Denis et de l’Église Orthodoxe de France
(Revue Panharmonie. No 192. Octobre 1982)
C’est un sujet un peu spécial, abstrait et, pour commencer, je citerai un homme tout à fait extraordinaire qui s’appelle Syméon le Nouveau Théologien et que les Orthodoxes connaissent bien.
Dans la tradition de l’Église Orthodoxe, on considère qu’il n’y a que trois Théologiens auxquels on peut donner ce nom : le premier c’est Jean, le disciple bien-aimé ; le deuxième, qu’on appelle le Théologien, c’est Grégoire de Naziance qui vivait au IVe siècle, qui a été pendant très peu de temps Archevêque de Constantinople et qui s’est ensuite retiré dans le désert, tout en laissant des sermons théologiques tout à fait exceptionnels ; le troisième, Syméon, était un moine grec qui vécut de 949 à 1022.
On appelle « Théologien » un homme qui a l’expérience et qui enseigne des propos plus ou moins juridiques, mais qui ne peuvent être placés que dans l’intellect. Syméon, le Nouveau Théologien, lui, était un homme d’une expérience tout à fait exceptionnelle. Il a eu de fréquentes extases liées à des lévitations. Si bien qu’un jour, raconte un de ses disciples qui était dans le même monastère que lui, se réveillant, il le cherche et ne le voit pas. Il continue à chercher partout et il le voit tout à coup en lévitation au plafond !
Syméon ayant la colonne vertébrale cassée, il restait toujours allongé. Comme il avait eu des expériences spirituelles dans le monde physique, il disait que la vie spirituelle était quelque chose de vital et non théorique. Il prenait comme critère sa propre expérience. Et même si toute expérience ne se communique pas, on peut quand même exprimer celle que l’on a eue. C’est là la première raison pour laquelle je parle de Syméon.
La deuxième raison, c’est la Paix. On parle souvent de paix, mais lorsque le Christ dit : « Je vous laisse ma Paix », c’est celle qui dépasse toute intelligence. Elle a un Temple. Ce Temple de la Paix, c’est l’esprit de l’homme qui a pour caractéristique d’être toujours pacifique. Son auteur et son acteur, c’est l’Esprit de Dieu qui, lui, ne trouble jamais. Il y a beaucoup d’esprits qui troublent, mais quand vient l’Esprit de Dieu, il ne trouble pas. Toutes les autres sont de fausses paix !
La troisième raison pour laquelle je parle de Syméon, c’est à cause de la quête du spirituel. C’est quelque chose de tout à fait actuel. Malraux a dit : « Le vingt-et-unième siècle sera spirituel ou ne sera pas ! » Je crois qu’il avait raison. Il n’a pas dit comment, mais nous approchons du lever spirituel et surtout de la nécessité de distinguer chez nous le psychique du spirituel, ce qui n’est pas la même chose : l’âme et l’esprit, et de cerner ce que j’appellerai l’anthropologie ou la connaissance de l’homme.
Ceci étant précisé, je voudrais situer l’esprit dans l’anthropologie, ce que c’est que l’esprit de l’homme selon la tradition orthodoxe. Mais auparavant, je vais préciser qui est Syméon, le Nouveau Théologien, puisqu’il me sert de référence dans ce que je vais dire.
Il est né à Galatie, c’est-à-dire dans l’Empire Byzantin, à l’est de Constantinople, au bord de la Mer Noire. Il est de petite noblesse provinciale. Il avait un disciple, comme lui de la philocalie, qui s’appelait Nicéthas Stéthatas. Il vient à Constantinople chez son oncle qui est fonctionnaire impérial et en 963, il a 14 ans, il veut entrer dans un monastère tout à fait exceptionnel à Constantinople qui s’appelle Le Stoudion, fondé en 468 par Stoudios. Là, il rencontre un Staretz, c’est-à-dire un être spirituel qui est capable de communiquer une expérience. Ce Staretz s’appelle Syméon-le-Pieux et il devient son père spirituel.
Les moines, sept ou huit cents du Stoudion, ce qui est considérable pour l’époque, étaient très agités, ils avaient l’habitude de se mêler de politique et de se battre publiquement. Syméon entre au Stoudion puis dans un autre monastère fameux, St. Mamas de Xerocercos. En 996, les moines se révoltent et l’empereur les exile. En 1005, Syméon a environ 50 ans. Devenu l’Abbé du monastère, il se démet de sa charge et est exilé par l’empereur.
Cela lui est très utile, car on l’enferme dans un monastère à Paloukiton, dans un oratoire Sainte Marine où il va pouvoir faire des expériences spirituelles. Il y crée un centre spirituel. Il est donc dans une demi-solitude sur les bords de la Mer Noire à côté de l’actuelle Trébizonde. Il s’y isole avec ses disciples. Les Grecs le considèrent comme une prodigieuse figure, comme un Nouveau Théologien, parce que c’est un homme qui a l’expérience de Dieu. Il a su se taire pour écouter Dieu qui s’exprime.
L’humanité a une manie, c’est de trop parler. Mon prédécesseur, Monseigneur Jean, répondit un jour dans un congrès à un Père Jésuite qui disait : « Je pense qu’à l’époque moderne, il est temps que les hommes s’expriment alors Dieu se tait ! » ; et Monseigneur Jean de répondre : « Je pense que les hommes sont si bavards que Dieu ne peut pas s’exprimer ! »
Ce qu’a expérimenté Syméon, c’est faire le silence dans son esprit afin que l’Esprit Saint de Dieu lui présente les mystères. Hesychia, en grec, c’est faire silence. On en a fait Hesychiasme, le fait du silence-ascèse.
Ceci pose la question de situer l’esprit de l’homme, comme le décrit St. Syméon, le Nouveau Théologien, à la suite des Pères de l’Église de l’Orient.
Pour situer l’esprit de l’homme, posons une triade anthropologique fondamentale :
L’homme a l’esprit, en grec pneuma ;
L’homme a l’âme, en grec psyché ;
L’homme a le corps, en grec soma ;
et pas seulement l’âme et le corps comme on le disait au 17e siècle.
Les Cartésiens se sont élevés contre cette triade au 18e siècle pour des raisons que l’on peut comprendre. En général, il y a eu des investigations du monde par la tradition et aussi par les triades. Il y a par exemple la triade des fils d’Adam, des fils de Noé. De multiples triades qui sont traditionnelles et qui nous permettent de comprendre un peu le cheminement du monde. L’intelligence chez l’homme est toujours duelle, elle refuse les triades comme non-évidentes pour l’intelligence, alors qu’elles sont évidentes tout court. Et on peut remarquer que les Cartésiens refusent les triades parce qu’ils ont quelque part un esprit de domination qui se réserve l’esprit pour eux et qui concèdent aux autres le physique et le psychique.
J’ai remarqué une chose : les régimes tyranniques politiques dans le monde, par exemple la Roumanie où je vais souvent, essayent d’installer la vie physique de leurs citoyens. Ensuite, ils soignent la culture, il y a énormément d’aspects culturels que développent ces pays. Mais ils se gardent le spirituel, même s’il n’y a pas derrière le spirituel le contenu que j’y mets. Pour eux il est un épiphénomène de la matière, de la structure ou un mode d’organisation.
Alors pourquoi cette hostilité à l’égard de cette triade ? C’est une hostilité que l’on rencontre souvent en ce moment contre la vision de l’homme, corps, âme, esprit. C’est parce que les Gnostiques des premiers siècles l’ont beaucoup aimée et qu’il en était ainsi également dans la nuit des temps. On dit : « C’est une triade platonicienne et non biblique ». Pour les biblicistes, l’affirmation de la triade a pris une allure païenne et les Orthodoxes, dont je fais partie, la considèrent souvent comme gnostique ( Égypte).
Et pourtant cette triade est vraie. L’Apôtre Paul l’emploie dans son épître aux Thessaloniciens. Il dit : « Que tout votre être, esprit, âme et corps, soit conservé intact, irrépréhensible ». Il le cite une autre fois dans l’épître aux Hébreux : « La parole de Dieu Puissant partage le pneuma de la psyché », c’est-à-dire c’est la jointure de l’esprit et de l’âme.
Ici il y a triade : esprit, âme, corps avec esprit distinct de l’âme et du corps, mais ils sont tout de même liés.
Sainte Irénée de Lyon était disciple par Polycarpe de Jean l’Évangéliste, c’est la troisième génération, c’est la génération de la plénitude. Une tradition est vraie quand il y a trois générations ou plutôt elle est féconde. Il y a le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, on ne dit pas le Dieu de Moïse.
St Irénée de Lyon dit que l’esprit a pour caractéristique de former ou d’organiser ou de sauver. Par contre, le corps est formé ou informé, et l’âme est le balancement entre les deux. La relation de l’âme avec les deux autres la conduit à se spiritualiser ou, au contraire, à s’incliner vers le corps ; soit elle le déséquilibre, soit elle lui donne de l’ampleur.
Il y a autre chose : on peut être spirituel de manière prépondérante. Je pense avoir une vie spirituelle, non pas parce qu’elle existe, mais parce qu’il y a une certaine tension dans l’être pour tenter d’y arriver. Mais cela ne donne pas le droit de mépriser le monde corporel ni le monde psychique. Ce sont des dangers et pourtant on les frôle assez vite.
Voyons un cas qui touche à la nourriture. L’homme se nourrit physiquement par des aliments, l’homme se nourrit psychiquement par les arts, etc., et l’homme se nourrit spirituellement par Dieu et par la prière.
La nourriture du corps, ce sont les aliments, la nourriture de l’âme, c’est la culture, la civilisation, l’art, la littérature, la musique, etc. La nourriture de l’esprit normalement c’est Dieu, c’est la prière.
Un moine russe, qui s’appelait Théophane le Reclus, s’était retiré dans une tour dans laquelle il priait et recevait un courrier prodigieux qu’il n’ouvrait jamais, quoiqu’il répondait à toutes les lettres. Il n’avait pas besoin de les ouvrir pour savoir ce qu’elles contenaient. A travers un guichet, il disait à son secrétaire : « Tu répondras ça et ça, et le reste tu le brûleras ». Il mangeait peu. Un beau jour, il s’est aperçu qu’il perdait pied et il s’est dit : « Mon âme se dessèche ; physiquement cela va, spirituellement j’ai la prière, mais mon âme n’est pas nourrie… » Il a donc demandé qu’on lui passe un violon et il s’est mis à en jouer à l’intérieur de sa cellule. C’était un fait remarquable, c’est la claire vision de ce qui constitue sa propre nature.
Tout ceci nous mène à ce qui constitue la contemplation de l’esprit de l’homme vue par cette tradition dans laquelle je me trouve.
L’esprit a une caractéristique curieuse, il est simultanément trois et un, quelque chose qui est unique et triple. C’est difficile à exprimer. Le mot esprit dans notre langage exprime des choses très différentes. Les Grecs et les Latins sont plus riches que nous. L’esprit a un aspect que les Grecs appellent le Nous et que les Latins nomment de Mens. Un deuxième aspect, c’est le Logos (voyez le mot logique) et qui est Ratio chez les Latins ou encore Intellecto comme au Moyen-âge. Un troisième aspect, c’est le mot Pneuma en grec et Spirito en latin.
Le Nous, c’est l’esprit silence, c’est ce que dans notre esprit on peut appeler source, c’est quelque chose qui s’ouvre et qui a la caractéristique de se taire.
Le Logos, c’est l’esprit logique, le Verbe. Le Pneuma, c’est l’esprit qui souffle, qui communique quelque chose.
On doit tenir compte de ces trois aspects ou trois énergies de l’Esprit. Et ce que Syméon le Théologien va cultiver dans son expérience spirituelle, c’est le Nous. Nous, nous sommes des bavards, nous cultivons le Logos. Parler avec puissance, c’est le Pneuma, le souffle. Ces trois aspects ne sont pas forcément en concurrence les uns avec les autres.
Vous écoutez par exemple un très bon orateur et vous demandez à un ami de se tenir à la sortie et d’observer ce qui se passe. Cet ami se précipite donc sur un auditeur pour lui demander ce qui a été dit. Et celui-ci de répondre : « Oh, je ne sais pas, mais c’était vraiment très bien ! » Qu’a-t-il apprécié ? Il n’a pas apprécié l’expression, mais a apprécié la puissance.
Après avoir mentionné les trois aspects de l’esprit, essayons de donner un exemple de distinction entre le psychique et le spirituel. Ce n’est pas la même chose. Il me semble que chez nous l’âme est synonyme de désir, tandis que l’esprit est synonyme de paix. Le corps serait alors synonyme de sensation ou de sentiment. Si l’on regarde les trois opérations essentielles de l’être humain : l’analyse, l’intuition et la synthèse, l’âme, ce qui chez nous représente le psychique, est capable d’analyse, d’intuition et de synthèse, mais successivement, jamais simultanément. Tandis que l’esprit est capable simultanément de synthèse, d’analyse et d’intuition.
Je vais appuyer ma thèse par cette histoire de Monseigneur Jean, mon Maître spirituel : en 1939, il se trouvait avec Drieu de la Rochelle, qui s’est suicidé ensuite. Et celui-ci lui dit : « Il n’y aura pas de guerre ». Monseigneur Jean répondit : « Je suis d’accord avec vous », mais immédiatement Monseigneur Jean rentre en lui-même et alors il voit que la guerre est certaine. Que s’est-il passé ? Son âme ne voulait pas la guerre, mais son esprit a vu clairement que la guerre était inévitable.
Chez Syméon le Nouveau Théologien, qui parle à travers son expérience, les caractéristiques de l’esprit de l’homme sont au nombre de huit. C’est la description de l’homme à travers l’expérience.
Un autre homme très remarquable, Grégoire Palamas, Archevêque de Salonique au XIVe siècle, donne à peu près la même description. Il dit : « Ce qui chez l’homme est capable d’entrer en contact immédiat avec Dieu, c’est l’esprit-silence ». Toutes les techniques de méditation sont destinées à nous procurer ce silence, à nous faire expérimenter cet esprit-silence, à nous faire expérimenter Dieu. C’est le Nous des Grecs. Cet esprit-là vient de Dieu comme l’âme et le corps en tant que création. Mais la forme de sa création n’est pas la même que celle de l’âme ou du corps. Le visible est créé par la parole divine de Dieu, l’invisible est aussi créé, mais par le silence et le Nous est créé dans le silence.
Quand nous parlons et que les mots ont un sens, une profondeur, c’est que derrière il y a un océan de silence. Par contre lorsqu’on parle à tors et à travers, nous sommes des répétiteurs, il n’y a pas de silence. On sent très bien un mot précédé par le silence et un mot qui ne l’est pas.
Pour retrouver cet esprit dans le silence, pour retrouver le monde angélique — car le monde angélique est consubstantiel au silence — il faut entrer dans le silence. C’est le silence qui permet de retrouver Dieu. Et Syméon, le Nouveau Théologien, dit : « Il faut une création ouverte et ouverte à Dieu », et ceci est peut-être, à mon avis, une des nostalgies de notre temps.
Ceci n’est pas donné par la parole ! Elle sort peut-être du silence, mais elle n’y retourne pas. La parole crée en tant que manifestation, comme expression, comme extériorisation, mais Dieu se tait. Dieu se parle. Dieu se manifeste et, en même temps s’abstrait. Syméon dit : « Regardez la nature extérieure, que fait-elle ? Elle parle de Dieu. Mais l’Esprit-Dieu parle en elle… »
On peut parler de Dieu, mais Dieu peut aussi s’exprimer en nous. C’est tout à fait autre chose ! Et toutes les extériorisations empêchent de retrouver l’esprit silencieux. Donc l’esprit de l’homme vient de Dieu, non pas comme une émanation, non pas comme une énergie, mais dans le silence. Cela soulage peut-être de le savoir.
Un jour j’ai demandé à un Père spirituel russe : « Comment avoir une expérience de Dieu ? » Alors il m’a répondu : « C’est très simple, c’est quand tu ne sais rien que tu sens Dieu ! »
Il y a plusieurs points importants quand Dieu parle :
— L’esprit est créé dans le silence ;
— L’esprit subsiste toujours, il subsiste en soi pas dans le sens absolu, c’est-à-dire qu’il n’est pas conditionné par l’extérieur. Il peut être étouffé par les passions de l’âme ou du corps, mais il est en soi. Le monde extérieur ne le définit pas, on peut déjà l’exprimer ainsi;
— L’esprit a la capacité de se dépasser. C’est probablement pour cela que chez tous les hommes il y a quelque chose qui veut toujours devenir. L’homme est un éternel insatisfait. Il a une difficulté qui est due à ses facultés spirituelles, l’esprit ou l’activité de l’esprit. L’homme est souvent limité par notre monde physique, souvent inconsciemment. Alors il pense, étant limité par le corps physique, que le corps peut se dépasser. Ce n’est pas vrai, le corps ne se dépasse pas. L’esprit, par contre, peut donner de la puissance à l’âme et élever le corps (le phénomène de la lévitation). Son caractère c’est d’aller vers Dieu. Pour aller vers Dieu, on doit se dépasser et l’homme possède l’instrument de ce dépassement qui s’appelle « l’esprit ». Mais la nature psychosomatique, elle, ne peut pas se dépasser, elle se combine.
Je vais vous raconter une histoire russe : du côté de Kiev, un peu avant la révolution, près d’un grand monastère, il y avait une folle en Christ, un peu comme St. François d’Assise, qui se mettait à tenir des propos apparemment fous pour faire passer la sagesse sans être inquiétée. Il y a des êtres qui préfèrent vivre ainsi, ce qui leur permet de mener leur vie spirituelle comme ils l’entendent.
Donc cette folle en Christ se présente un jour à la seule porte du monastère en criant : « Au feu ! Au feu ! Il y a le feu dans votre monastère ! » Alors on lui ouvre la porte, on la connaissait et elle attrape un seau d’eau au passage, elle se précipite vers un endroit où il y avait un moine en extase et elle en arrose le moine. L’extase se termine, le moine la regarde méchamment et elle dit alors : « Le feu est éteint ! »
Que s’était-il passé ? C’était une extase psychique. Elle avait vu cela de loin.
— L’esprit est capable de s’élever vers l’Intelligence Divine.
Le psychisme peut avoir des sentiments, des élans, même la foi, mais il ne peut s’élever à la connaissance de Dieu de manière immédiate. Voilà pourquoi toutes les fausses mystiques sont toujours psychiques.
Ce sont des élans, mais il n’y a pas ce type de connaissance. On lutte souvent au départ chez les spirituels contre l’imagination, parce que l’imagination est mêlée à des choses psychiques. Alors écarte provisoirement l’imagination, fais l’expérience spirituelle, entre dans ton esprit et si Dieu te donne, tu connaîtras. Et si tu as la connaissance, fais redescendre les énergies spirituelles dans l’âme et tu auras des émanations prodigieuses.
Les images des Pères spirituels sont toujours remplies d’une imagination débordante, mais juste, exacte ; tandis que celle des psychiques ont toujours un parfum, on se dit : « Qu’est-ce qui se passe… ? » Il y a quelque chose qui ne marche pas.
Les élans de l’âme n’ont pas la capacité d’élever vers Dieu, sauf si elles sont entraînées par l’esprit.
— L’esprit reçoit l’expérience divine avant l’âme et le corps, parce qu’il est capable d’entrer en contact, il n’est pas lumière, mais il la reçoit.
— Lorsqu’il a reçu l’Esprit, l’esprit lui-même devient lumière. Les êtres lumineux existent, j’en ai connu trois ou quatre dans ma vie, un Évêque orthodoxe, un moine d’Égypte, un Talmudiste.
Quand on a affaire à un être lumineux, on voit nettement que c’est l’esprit qui l’éclaire, pas seulement l’Esprit de Dieu, mais le sien.
— L’esprit, quand il s’unit à Dieu, l’union est telle qu’expérimentalement on a l’impression qu’il n’y a plus de différences entre l’humain et le Divin et qu’ils sont comme un. On pourrait dire « comme l’union du fer et du feu ». A ce moment, l’esprit est naturellement tourné vers Dieu et quand il s’ouvre, il devient tellement consentant que, tout en étant différent par l’origine, il y a un moment de total silence et alors il n’y a plus que l’inexprimable. On a l’impression expérimentalement que c’est l’aboutissement.
— Après le silence vient quelque chose de nouveau : le dialogue reprend et commence la sanctification de l’âme et du corps et la descente de l’Esprit Divin. C’est ce que nous appelons : le Dialogue des deux Amours.
Syméon raconte dans ses expériences qu’il a gravi tous les échelons. De quelle manière ? « Je priais, dit-il, tant que mon esprit l’exigeait. J’eus des extases. Puis le désir de communion divine était si fort, que je ne voulais plus que disparaître. Un jour, c’est arrivé, je disparus et à ce moment, Dieu me nomma et en me nommant Il me sépara de Lui. Ce fut une douleur inouïe et une joie aussi grande. »
C’est l’expérience de l’esprit de l’homme qui porte Dieu, mais en même temps Dieu se distingue de lui. Il n’y a donc pas de disparition totale.
Lorsque cet esprit-silence s’est manifesté, c’est-à-dire lorsqu’il a parcouru cette échelle que je viens de décrire, la Présence spirituelle descend les échelons de la vie et va jusqu’au corps et le corps devient porteur de Dieu. Mais l’esprit reçoit la grâce avant le corps. C’est pourquoi l’énergie divine vient toujours par le Nous, elle vient toujours par l’esprit. Si l’esprit n’est pas éveillé, l’Esprit de Dieu ne peut pas éclairer l’être humain. Il convient d’abord d’éveiller notre esprit.
Il y a beaucoup de gens qui viennent me trouver pour me dire : « Il y a des guerres à notre époque, comme il y en a toujours eu, quel scandale !… Monsieur, Dieu n’existe pas… » C’est un argument classique. Que se passe-t-il là ? Ces gens profondément sincères sont bouleversés par toutes ces difficultés, ces catastrophes, ces persécutions, que sais-je… Pourquoi ? Parce que leur âme est remplie d’émotions, mais leur esprit n’est pas éveillé. Il est là, mais les mouvements de l’âme et ses énergies sont puissants, donc « Dieu n’existe pas » devient une évidence.
Toute l’ascèse d’un homme comme Syméon le Nouveau Théologien consistait à éveiller son propre esprit par la Hesychias, le silence.
Sur certaines icônes, il y a des représentations de moines en prières hésychiastes. Ils sont assis sur un petit siège bas, ils se ramassent un peu sur eux-mêmes, ils descendent la tête vers le cœur. C’est une position qui doit être légère. Il y a de ces techniques physiques qu’on peut trouver dans d’autres domaines. Leur but, c’est tout simplement d’éveiller l’esprit pour entrer en contact. Ils savent à ce moment-là que l’esprit est capable de porter la Présence Divine, qu’ils en seront distincts et, qu’après cela, c’est leur corps qui va devenir porteur de cette Présence.
Il y avait un moine russe qui vivait vers les années 1830. Il est passé par un monastère, puis il s’est retiré dans la solitude la plus totale. Il y est resté mille jours et mille nuits. Lui aussi, il a fait cette expérience et il a été rempli par la présence de l’Esprit Saint. Ce fut à tel point qu’il a fait comme Moïse descendant du Sinaï, il voilait son visage pour qu’on ne voit pas son regard que les gens ne pouvaient supporter. Il avait un disciple athée. Alors un jour — et le récit nous a été transmis — il lui a dit : « Viens avec moi, je veux que tu fasses l’expérience de porter l’Esprit Saint en toi », après quoi il lui a communiqué cette expérience. Mais, afin que ce ne soit pas une apparence, il la lui a faite décrire, ce qui fait que nous avons des descriptions d’un autodidacte : « Nous sommes sur la neige, il fait moins vingt degrés, j’ai froid, tout est lumineux, il y a des parfums… », enfin tout le cortège qui accompagne l’expérience spirituelle. Après cela le disciple a dit encore : « Et dire que j’ai mis vingt ans à croire que j’ai fait vraiment cette expérience ! »
Quand l’expérience spirituelle est authentique, c’est que l’homme en est capable. Il l’a entièrement décrite et il a ajouté : « Pendant les vingt années pendant lesquelles je n’y ai pas cru, j’étais en enfer ! »
Qu’est-ce que l’enfer ? C’est voir et ne pas pouvoir expérimenter, c’est avoir soif, l’eau est là, et vous ne pouvez pas la boire. L’autodidacte le décrivait ainsi : « Ce sont les vers qui rongent sans cesse et le feu qui ne s’éteint pas ! »
Ce que Syméon nous livre, c’est que nous disposons, nous les hommes, d’un esprit que l’on peut appeler « l’esprit silence » qui nous permet de rentrer en contact immédiat avec Celui qui nous a créés ou ce que l’on appelle « Dieu ». Et c’est là une de nos activités essentielles.